Date : 20200918
Dossier : T-376-19
Référence : 2020 CF 913
Ottawa (Ontario), le 18 septembre 2020
En présence de l’honorable juge Roy
ENTRE :
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PAUL CARDIN MALONGA
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demandeur
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et
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PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
[1]
Paul Cardin Malonga présente une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par le Tribunal de la sécurité sociale (Division d’appel) le 1er février 2019. La demande de contrôle judiciaire est faite en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7 [la Loi]. Quant à la décision soumise pour révision judiciaire, elle confirmait la décision du Tribunal de la sécurité sociale (Division générale) qui déclarait que l’appel logé par M. Malonga n’avait aucune chance raisonnable de succès.
[2]
L’affaire n’est pas de la plus grande limpidité. En fait, la Cour est d’avis que la décision doit être retournée au Tribunal administratif, car elle ne rencontre pas les conditions selon l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov].
I.
Faits
[3]
Cette affaire tourne autour de prestations au titre de l’assurance-emploi que le demandeur aurait touchées entre le 22 mars 2010 et le 25 décembre 2010 alors que le demandeur était employé auprès de Canada Safeway Limited. Il semble qu’on lui reproche d’avoir reçu des prestations d’assurances-emploi auxquelles il n’aurait pas eu droit; il s’agirait donc de fausses déclarations ayant résulté en un trop payé de plus de 14,000 $.
[4]
C’est un euphémisme que de dire que cette affaire trempe dans la confusion. Il s’en est suivi des décisions du Tribunal de la sécurité sociale qu’il est difficile de comprendre, que ce soit celle de la Division générale (7 août 2018) ou celle de la Division d’appel (1er février 2019).
II.
Norme de contrôle
[5]
Il convient de noter que la décision dont contrôle judiciaire a été demandé a été rendue bien avant la décision de la Cour suprême du Canada dans Vavilov (précité). C’est ainsi que les enseignements de cet arrêt n’ont pu être appliqués. Il n’en reste pas moins qu’il s’agit de l’état du droit qui doit guider la Cour dans la décision à rendre.
[6]
Dans cette décision, la Cour suprême dit insister « sur la nécessité de développer et de renforcer une culture de la justification au sein du processus décisionnel administratif »
(para 2). Ainsi, la cour de révision examine les caractéristiques d’une décision raisonnable, qui sont la justification, la transparence et l’intelligibilité; on cherchera « si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci »
(Vavilov, para 99).
[7]
La Cour dans Vavilov retient que la discipline de l’écrit favorise la formulation de l’analyse (para 80) : ce sera par les motifs fournis que le décideur administratif démontrera le caractère raisonnable de la décision rendue, ce qui aura des répercussions sur la légitimité de la décision (para 81). Une cour de révision examine les motifs donnés pour comprendre le fil du raisonnement menant à la conclusion (para 84). La Cour insiste sur la justification. Il faut « justifier sa décision auprès des personnes auxquelles elle s’applique »
(para 86). Le résultat seul ne suffit pas ; la cour de révision qui fait son contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable « tient dûment compte à la fois du résultat de la décision et du raisonnement à l’origine de ce résultat […] »
(para 87).
[8]
La Cour suprême refuse les motifs obtus : la justification, l’intelligibilité et la transparence sont au profit de la personne qui en fait l’objet :
[95] Cela dit, les cours de révision doivent garder à l’esprit le principe suivant lequel l’exercice de tout pouvoir public doit être justifié, intelligible et transparent non pas dans l’abstrait, mais pour l’individu qui en fait l’objet. Il serait donc inacceptable qu’un décideur administratif communique à une partie concernée des motifs écrits qui ne justifient pas sa décision, mais s’attende néanmoins à ce que sa décision soit confirmée sur la base de dossiers internes qui n’étaient pas à la disposition de cette partie.
[9]
En fin de compte, il faut expliquer. Ce ne devrait pas être à la cour de révision d’élaborer des motifs et d’y substituer sa justification. Le décideur administratif doit justifier. Le paragraphe 96 de Vavilov me semble être sans équivoque.
[96] Lorsque, même s’ils sont interprétés en tenant dûment compte du contexte institutionnel et du dossier, les motifs fournis par l’organisme administratif pour justifier sa décision comportent une lacune fondamentale ou révèlent une analyse déraisonnable, il ne convient habituellement pas que la cour de révision élabore ses propres motifs pour appuyer la décision administrative. Même si le résultat de la décision pourrait sembler raisonnable dans des circonstances différentes, il n’est pas loisible à la cour de révision de faire abstraction du fondement erroné de la décision et d’y substituer sa propre justification du résultat : Delta Air Lines, par. 26-28. Autoriser une cour de révision à agir ainsi reviendrait à permettre à un décideur de se dérober à son obligation de justifier, de manière transparente et intelligible pour la personne visée, le fondement pour lequel il est parvenu à une conclusion donnée. Cela reviendrait également à adopter une méthode de contrôle selon la norme de la décision raisonnable qui serait axée uniquement sur le résultat de la décision, à l’exclusion de la justification de cette décision. Dans la mesure où des arrêts comme Newfoundland Nurses et Alberta Teachers ont été compris comme appuyant une telle conception, cette compréhension est erronée.
[10]
Personne ne suggère que le contrôle judiciaire de la décision du Tribunal de la sécurité sociale (Division d’appel) devrait se faire sous une norme de contrôle autre que celle de la décision raisonnable. Mais encore faut-il que les apanages de la raisonnabilité, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, s’y retrouvent. Pour faire cet examen, il me semble utile de mettre la décision sous étude en contexte.
III.
Les décisions administratives
[11]
La décision sous étude est l’appel de la décision de la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale. Elle procédait d’un avis d’appel présenté par M. Malonga le 15 janvier 2018. Depuis déjà un certain temps, celui-ci se plaignait que la Commission de l’assurance-emploi ne lui avait pas démontré en quoi il aurait touché des prestations auxquelles il n’aurait pas eu droit : il dit ne pas avoir fait de fausses déclarations lui ayant permis de toucher des prestations de mars 2010 à décembre 2010. On aurait pu croire que la Commission de l’assurance-emploi aurait pu faire sans grande difficulté la preuve de prestations payées alors que le demandeur occupait un emploi. Il appert que cela n’a pas été fait. Au mieux, on parle d’une décision de la Commission du 14 avril 2016 qui est loin d’être explicite : on y indique que le demandeur a touché des revenus d’emploi du 9 mai 2010 au 25 décembre. On y déclare laconiquement que le demandeur devra rembourser « les prestations auxquelles vous n’aviez pas droit »
. La lettre continue en disant que « (n)ous avons conclu que vous avez fait 18 fausses déclarations en toute connaissance de cause dans 18 déclarations que vous avez soumises pour réclamer des prestations »
. Le reste de l’écrit consiste à dire que l’absence d’incident antérieur fait en sorte qu’aucune pénalité n’est réclamée. Un « avis de dette et des instructions concernant le remboursement »
suivra.
[12]
On comprend du dossier que le demandeur a fait une demande de révision. Mais sa demande de révision auprès de la Commission de l’assurance-emploi n’aura été faite que 213 jours plus tard, le 13 décembre 2016. Le délai pour demander une révision est de trente jours. Comme on le verra, ce demandeur est souvent en retard. Une demande de prorogation de délai a été refusée par la Commission. Il aura fallu un appel au Tribunal de la sécurité sociale (Division générale) pour que le refus de prorogation soit renversé, par une décision du 31 octobre 2017. On peut y dénoter que Me Syverin, une membre de la Division générale, constate que le demandeur cherche à comprendre « l’avis de dette »
et que sa confusion perdure :
[38] Le Tribunal prend aussi en considération qu’une partie des délais est expliquée par le fait que l’appelant a effectué de nombreuses démarches dans le but de comprendre l’avis de dette, mais n’a pas été en mesure d’obtenir une explication, et ce malgré les différents appels que l’appelant a effectués auprès de la Commission, sans oublier le fait que l’appelant s’est également présenté à un bureau de la Commission dans le but d’obtenir des éclaircissements sur l’avis de dette. Le Tribunal prend aussi en considération la confusion qui demeure pour l’appelant quant aux raisons pour lesquelles la dette a été établie. En effet, l’appelant maintient qu’il [sic] toujours déclaré ses revenus auprès de l’Agence du revenu du Canada, alors que la dette a été établie dans le cadre d’une demande de prestations d’assurance-emploi. Le Tribunal prend aussi en considération le fait que l’appelant a attendu de recevoir une copie de son dossier suite à sa demande d’accès à l’information et a présenté sa demande de révision peu de temps après.
Il semble bien que rien n’y fit.
[13]
La décision de la Commission de l’assurance-emploi viendra donc le 18 décembre 2017. Elle se résume à peu de chose : on y suggère que la question est le « trop payé »
et, on ne peut plus laconiquement, que « nous n’avons pas modifié notre décision concernant la présente question en litige. La décision qui vous a été transmise le 14 avril 2016 est, par conséquent, maintenue »
. On ne trouve rien de plus. Me Syverin avait noté dans sa décision du 31 octobre 2017 que l’« avis de dette ne fournissait aucun renseignement quant à la raison pour laquelle la dette avait été établie »
(para 17). La décision du 14 avril 2016 qui est au dossier n’en offrait pas plus. On ne fait que lister les sommes gagnées par le demandeur du 9 mai 2010 au 19 décembre 2010. On y invoque de fausses déclarations, sans plus.
[14]
Il n’est guère surprenant que le demandeur veuille porter devant la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale son dossier. Ce qu’il fait, le 15 janvier 2018. À ce moment, il se plaignait que les pièces justifiant les allégations que de fausses déclarations avaient été faites n’avaient jamais été produites et que « ma personne est injustement accusée de continuer à recevoir des prestations d’assurance-emploi »
. De fait, le demandeur a déclaré à l’audience devant cette Cour ne pas avoir reçu de prestations.
[15]
Par lettre du 5 avril 2018, le Tribunal de la sécurité sociale avisait le demandeur d’être enclin à rejeter son appel de façon sommaire. Il voulait recevoir les observations du demandeur face aux deux paragraphes suivants :
Il appert que l’appelant fait appel de la somme que la Commission lui réclame. Cependant, la décision concernant un trop-payé ne pouvait faire l’objet d’une révision tel que prévu à l’article 112.1 de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi). Or, conformément à l’article 113 de la Loi, le Tribunal n’a compétence pour entendre que les contestations relativement aux décisions que la Commission de l’assurance-emploi prend en application de l’article 112 de la Loi. Le cas échéant, le Tribunal n’a pas juridiction pour trancher la question du trop-payé imposé à l’appelant.
Le Tribunal note que si l’appelant souhaitait contester les décisions de la Commission de l’assurance-emploi concernant la rémunération qu’il a reçu [sic] et la répartition que la commission a appliqué [sic], ou encore l’avertissement qu’il a reçu, ce dernier devra formellement demander la révision de ces décisions à la Commission en vertu de l’article 112 de la Loi.
[Italique dans l’original.]
[16]
Le demandeur ne l’entendait pas ainsi. Il donnait suite le 24 mai 2018 à l’avis du 5 avril. Il y déclare que la question soulevée n’est pas la somme d’argent en soi, mais plutôt la décision même de lui réclamer une somme. Comme il l’a dit à la Cour, et comme il l’a répété au président du Tribunal de la sécurité sociale (Division d’appel) lors de l’audition de l’appel le 17 janvier 2019 (audition que j’ai écoutée), le demandeur prétend ne pas avoir touché de prestations. Dans sa lettre du 24 mai 2018, il avance que la question soulevée est « plutôt la décision de me faire payer une somme d’argent que je n’ai jamais reçu [sic] basé [sic] sur des raisons non fondées que la commission met en avant pour soutenir ladite décision »
. Le reste de son écrit est l’articulation sur un même thème : on « ne m’a jamais payé quelques bénéfices que ce soit durant cette période »
. M. Malonga y réclamait un délai pour récupérer certains documents. De fait, cela est un autre exemple d’une situation récurrente chez le demandeur : il est en retard et demande des délais supplémentaires pour compléter son dossier, ce qui d’ailleurs ne semble pas toujours fait.
[17]
C’est ainsi que l’on trouve à la décision du Tribunal de la sécurité sociale (Division générale) du 7 août 2018 qu’un délai avait été accordé jusqu’au 6 juillet 2018, sans que quoi que ce soit ne fût fourni.
[18]
La décision de la Division générale du 7 août déclare que le demandeur souhaite contester la dette réclamée. Cela peut être exact au sens large, mais ce dont il est réellement question ne semble pas être le quantum de la dette, mais plutôt son existence même puisque le demandeur dit n’avoir rien reçu. Le débat serait clos par la preuve de prestations payées, alors même qu’il n’est pas contesté que ce demandeur a travaillé durant la période sous considération.
[19]
La décision en Division générale procède sur la base que M. Malonga recevait des prestations d’assurance-emploi (para 5) alors qu’il s’agit là de sa contestation même. Pour la Division générale, M. Malonga demande l’annulation de sa dette, ce qui me semble mal correspondre à l’explication du grief présentée par le demandeur le 24 mai 2018.
[20]
Pourtant, la décision de la Division générale note bien que la demande de révision indiquait que M. Malonga se plaignait de ne pas avoir reçu d’explication au sujet d’une dette de 14,000 $. La Division générale se dit perplexe puisque la lettre du 14 avril 2016 lui expliquait les gains d’emploi qui avaient été répartis (para 9). La Division générale conclut à l’égard du « trop payé »
que « (j)e présume alors qu’il a bel et bien reçu des explications relativement au trop payé imposé par la Commission et ne peut retenir son argument »
(para 9). Cette conclusion ne tient manifestement pas compte de la lettre du demandeur du 24 mai où l’argument ne porte pas sur une contestation du travail fait, mais plutôt de ne pas avoir reçu de prestations. De fait, la lettre de la Commission du 14 avril 2016 n’explique rien. Elle ne fait que rapporter des gains d’emploi; la prétention soulevée par le demandeur est plutôt qu’il n’a pas reçu de prestations. Cela ne fait jamais l’objet d’un commentaire même.
[21]
La Division générale n’a pas tort de commenter que le dossier « semble être l’objet de confusion de part et d’autre »
(para 10). La difficulté est que la décision ne résout aucunement la confusion en ne traitant pas du grief du justiciable : a-t-il reçu des prestations? Au lieu de cela, de manière non expliquée, la Division générale conclut « que la Commission aurait dû réviser les litiges portant sur la rémunération et la répartition et j’accepte sa demande de retourner le dossier
à la Commission afin qu’elle puisse rendre une décision en vertu de l’article 112 de la Loi sur ces litiges »
(para 10). Je n’ai pu trouver nulle part où une telle demande aurait été faite. La lettre du 24 mai 2018 n’en parle pas, l’audition devant la Division d’appel a confirmé qu’il n’y aurait pas eu d’audition devant la Division générale et, de toute manière, la question de la rémunération (et par définition celle de sa répartition) ne faisait pas l’objet de l’appel.
[22]
Ayant conclu ne pas avoir juridiction pour entendre l’appel à la suggestion de la Commission, la Division générale retourne le dossier à la Commission pour qu’elle examine « la rémunération et la répartition des sommes reçues par l’appelant durant sa période de prestation »
(para 11). Mais, soutient le demandeur, cela n’est pas la question soumise. De fait, est posée en prémisse que des prestations ont été payées au demandeur ce qui, selon lui, n’a pas été établi. Ce n’est pas qu’il faille accepter qu’aucune prestation n’a été payée et reçue, mais plutôt qu’il faille répondre à la bonne question.
[23]
La Division générale décline juridiction « (p)uisque les questions portant sur l’existence de la rémunération et de sa répartition durant les semaines de prestations de l’appelant ne font pas l’objet d’une décision de révision inclus au présent dossier, le Tribunal n’a pas la compétence pour les trancher »
(para 7). Cela ne faisait pas l’objet de l’appel le 15 janvier 2018, non plus que dans la lettre du 24 mai 2018 qui me semble être claire que la contestation porte sur le paiement même de prestations : le problème soulevé est l’existence de prestations et non que rémunération a été gagnée alors même que des prestations étaient payées. Il n’y en a pas eu, dit M. Malonga. Il ne devrait pas être très difficile d’établir ces prestations, s’il en est.
[24]
Je rappelle que la décision de la Commission de l’assurance-emploi du 18 décembre 2017 est elle-même dépourvue d’explication et ne fait que confirmer la décision du 14 avril 2016 qui ne comporte, elle non plus, aucune explication, ne traitant même pas des prestations que M. Malonga dit ne pas avoir touchées.
[25]
La situation prend des allures presque kafkaïennes pour M. Malonga en ce que le renvoi décrété par la Division générale devant traiter de la rémunération et la répartition fait l’objet d’une décision de la Commission de l’assurance-emploi deux semaines plus tard, le 21 août 2018. La révision situe la genèse de l’affaire en déclarant que « (l)a présente concerne votre demande de révision, reçue le 7 avril 2018, de la décision de la Commission de l’assurance-emploi rendue le 18 décembre 2017 »
. Il m’apparaît que ceci ne fait qu’ajouter à la confusion. La demande de révision provient du renvoi ordonné par la Division générale et elle doit porter sur « les litiges de la rémunération et la répartition des sommes reçues par l’appelant durant sa période de prestations »
. Elle n’est pas la demande de M. Malonga reçue le 7 août 2018 : comme on l’a vu plus tôt, M. Malonga dit ne pas avoir reçu des prestations. Mais, en plus, la décision du 18 décembre 2017 est elle-même une révision qui, elle, porterait sur le trop payé et confirme la décision du 14 avril 2016 qui ne traite aucunement des prestations non reçues.
[26]
L’avocat du défendeur avait noté en plaidoirie, très loyalement, que la révision, ce qui semble être l’effet d’une seconde révision, d’une révision devait procéder d’une erreur. Il n’en reste pas moins que la révision du 21 août 2018 maintient la révision du 18 décembre 2017. Le cœur de la décision du 21 août 2018 me semble bien être la phrase suivante, alors que la Commission traite du document intitulé « Pay History Details »
; je reproduis la phrase fidèlement : « Nous affirmons qu’en fait ce sommaire et le résultat une fois l’application des gains a été faite par la Commission »
. On pourra comprendre que cela laisse perplexe. Quoi qu’il en soit, la décision du 21 août 2018 traite à nouveau de la rémunération. La seule référence aux bénéfices d’assurance-emploi est la suggestion que le justiciable consulte son relevé d’impôt T4 de 2010.
[27]
Ce qui nous amène à la décision du Tribunal de la sécurité sociale (Division d’appel) du 1er février 2019. L’audition de l’appel avait eu lieu le 17 janvier. À l’audience, M. Malonga a clairement indiqué que son appel portait sur sa prétention qu’il n’avait pas reçu de prestations entre mai et décembre 2010.
[28]
Il faut convenir que M. Malonga ne favorise pas toujours la clarté des débats. Mais sa présentation à la Division d’appel avait l’avantage d’être claire qu’il prétendait ne pas avoir reçu de prestations. De fait, le président du Tribunal accordait au demandeur jusqu’au 26 janvier pour lui fournir la T4 de 2010; la décision de la Commission de l’assurance-emploi du 21 août 2018 y faisait d’ailleurs allusion.
[29]
Dès le 1er février, la Division d’appel rendait jugement. La Division d’appel n’indique pas si M. Malonga lui a fourni la T-4 de 2010 : rien n’est dit à cet égard. On peut penser que le formulaire n’a pas été fourni.
[30]
La Division d’appel note la décision de la Commission de l’assurance-emploi rendue suite à la décision de la Division générale (paras 3 et 4), mais n’en discute pas. En fin de compte, elle se contente de dire :
[15] Le Tribunal est d'avis que l’appel du prestataire devant la division générale était manifestement voué à l’échec puisque la division générale n'avait pas compétence pour se prononcer sur un trop-payé. Seule la Cour fédérale du Canada a la compétence pour recevoir un recours de cette nature.
[16] Il est également loisible au prestataire de contester la source du trop-payé, soit la décision en révision de la Commission sur la question de la répartition de la rémunération, décision rendue le 21 août 2018.
IV.
Discussion
[31]
La décision n’articule pas davantage pourquoi la Division générale n’aurait pas compétence. Comme j’ai tenté de la démontrer dans ces motifs, la question soulevée par M. Malonga ne me semble pas avoir été étudiée, voire comprise au cours des différentes itérations.
[32]
Cela ne veut pas dire que M. Malonga a raison de prétendre qu’il n’a pas reçu de bénéfices au titre de l’assurance-emploi. C’est plutôt qu’un justiciable est en droit de recevoir une décision qui soit justifiée, transparente et intelligible et que la cour de révision ne doit pas offrir ses propres justifications. La confusion a régné dans cette affaire alors que personne n’a saisi le tout à bras-le-corps.
[33]
La personne qui fait l’objet d’une décision est en droit qu’elle soit justifiée, transparente et intelligible autrement que dans l’abstrait (Vavilov, para 95). Il ne suffit pas d’énoncer la décision : il faut la « justifier, de manière transparente et intelligible pour la personne visée »
(para 96). Il ne s’agit pas de maintenir un échange épistolaire avec un justiciable ou de fournir des motifs qui seront longs et peut-être même fastidieux. Mais encore faut-il qu’il y ait une justification participant de la transparence et de l’intelligibilité, et non simplement la déclaration d’une décision. D’ailleurs, pour ce faire, il me semble utile pour un décideur de bien comprendre la question qui se pose. La Cour dans Vavilov écrivait : « Lorsque le décideur omet de justifier, dans les motifs, un élément essentiel de sa décision, et que cette justification ne saurait être déduite du dossier de l’instance, la décision ne satisfait pas, en règle générale, à la norme de justification, de transparence et d’intelligibilité »
(para 98). C’est à mon avis ce qui s’est produit en l’espèce.
[34]
La Division générale disait dans sa décision du 7 août 2018 que la confusion régnait de part et d’autre. C’est vrai. Mais cette confusion n’a jamais été dissipée grâce à un examen où des motifs auraient permis de comprendre la question qui serait alors résolue grâce à une justification participant de la transparence et de l’intelligibilité.
[35]
La décision dont contrôle judiciaire est demandé est celle de la Division d’appel du 1er février 2019. Elle s’inscrit dans la lignée des autres décisions prises dans ce dossier par ailleurs plutôt simple. J’insiste pour ajouter que rien dans les présents motifs ne doit être interprété comme suggérant que M. Malonga aura eu raison de prétendre qu’il n’a pas reçu de prestations entre mai et décembre 2010. On n’en sait rien. Et c’était le nœud de l’affaire telle que présentée par le justiciable.
V.
Conclusion
[36]
Aux termes du paragraphe 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, la décision du Tribunal de la sécurité sociale (Division d’appel) du 1er février 2019 doit donc être annulée. Elle ne rencontre pas l’obligation de justification participant de la transparence et de l’intelligibilité. L’affaire lui est donc retournée pour être considérée à nouveau, tenant compte précisément de la prétention du demandeur selon laquelle il n’aurait pas reçu de prestations durant la période litigieuse. La question soulevée par le demandeur ne traite pas de sa rémunération ou d’un trop payé : il dit ne pas avoir reçu de prestations.
[37]
Le demandeur n’a pas demandé l’équivalent de dépens et déboursés. Il ne se serait pas agi de toute manière d’un cas où il y aurait eu adjudication de dépens pour l’une ou l’autre partie.
JUGEMENT au dossier T-376-19
LA COUR STATUE que :
La décision du Tribunal de la sécurité sociale (Division d’appel) du 1er février 2019 est annulée;
L’affaire est retournée devant le Tribunal de la sécurité sociale (Division d’appel) pour être considérée à nouveau en tenant compte des présents motifs de jugement.
« Yvan Roy »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
T-376-19
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INTITULÉ :
|
PAUL CARDIN MALONGA c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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PAR VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE OTTAWA (oNTARIO), EDMONTON (ALBERTA) AND MONTRÉAL (QUÉBEC)
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DATE DE L’AUDIENCE :
|
LE 3 septembre 2020
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JUGEMENT ET motifs :
|
LE JUGE ROY
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|
DATE DES MOTIFS :
|
LE 18 septembre 2020
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COMPARUTIONS :
Paul Cardin Malonga
|
Pour le demandeur
(POUR SON PROPRE COMPTE)
|
Ludovic Sirois
|
Pour le défendeur
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Procureur général du Canada
Montréal (Québec)
|
Pour le défendeur
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