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Date : 20050815

 

Dossier : IMM‑8976‑04

 

Référence : 2005 CF 1103

 

Ottawa (Ontario), le 15 août 2005

 

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

 

 

ENTRE :

 

 

 

                                                               HASSAN ZOKAI

 

                                                                                                                                          demandeur

 

                                                                             et

 

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

                                                                                                                                           défendeur

 

 

                                MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire qui vise la décision d’un agent d’évaluation des risques avant renvoi (l’agent), datée du 15 octobre 2004, qui a décidé que le demandeur ne risquerait pas d’être persécuté s’il retournait en Iran.

 

 


LES FAITS

Le contexte

 

[2]               Le demandeur, un citoyen iranien, est arrivé au Canada en 1995 et a présenté une demande d’asile fondée sur la persécution pour des motifs religieux, demande qui a été rejetée. Il a été expulsé en Iran en juin 1998. Le demandeur affirme qu’à son arrivée en Iran, il a été détenu, interrogé et relâché à la condition de se présenter toutes les semaines à la police. Trois mois plus tard, il a été détenu, placé en isolement cellulaire et torturé pendant un an. Il a ensuite été transféré dans la population carcérale générale, où il a passé cinq autres années. Le demandeur n’a jamais été inculpé d’une infraction ni subi de procès.

 

[3]               En 2004, le demandeur a été libéré à la condition qu’il se présente tous les mois au poste de police. Le demandeur affirme qu’il l’a fait pendant deux mois mais qu’il a ensuite pris peur lorsqu’il a constaté que ses déplacements étaient suivis par les forces de sécurité. Craignant d’être utilisé dans le but d’obtenir l’identité d’autres membres de sa confession, le demandeur s’est enfui au Canada le 24 août 2004. Il a été détenu à son arrivée à l’aéroport international Pearson et déclaré interdit de territoire aux fins de la présentation d’une demande d’asile. Il s’est toutefois vu accorder la possibilité de présenter une demande d’évaluation des risques avant renvoi (ERAR).

 


La demande ERAR

 

[4]               La demande ERAR a été présentée le 8 octobre 2004. Elle était accompagnée d’observations écrites dans lesquelles le demandeur signalait qu’il avait demandé aux membres de sa famille qui se trouvaient en Iran de recueillir des éléments de preuve pour corroborer ses affirmations selon lesquelles il avait été emprisonné et torturé. En particulier, le demandeur attendait qu’on lui transmette la sommation, délivrée par les autorités iraniennes après qu’il a quitté ce pays pour se rendre au Canada, qui l’enjoignait de se présenter aux autorités carcérales. Le demandeur a également indiqué que l’on faisait des démarches pour qu’un médecin du centre de détention de l’immigration l’examine et constate éventuellement des signes de torture. De plus, le demandeur a sollicité la tenue d’une audience pour qu’il puisse présenter des éléments de preuve concernant les événements survenus depuis l’audition de sa première demande d’asile.

 

La décision ERAR

 

[5]               Le défendeur a reçu des observations relatives à l’ERAR le 12 octobre 2004 et une décision défavorable a été rendue le 15 octobre 2004. Le demandeur a été informé de la décision le 21 octobre 2004. L’agent a fondé sa décision sur le motif que le demandeur n’avait pas fourni de preuve documentaire à l’appui de sa demande, notamment des déclarations écrites de membres de sa famille ou des documents judiciaires ou carcéraux. La décision ne fait pas référence à sa demande d’audience et aucune audience n’a été tenue.


La sommation et le rapport médical

 

[6]               Une copie de la sommation enjoignant au demandeur de se présenter aux autorités iraniennes pour une accusation [traduction] « reliée au fait de s’opposer à la religion nationale » a été reçue par ses mandataires (des étudiants en droit bénévoles) à Toronto le 18 octobre 2004. Le 28 octobre 2004, le demandeur a été examiné par le médecin du centre de détention. Le bref rapport de ce médecin énonce que [traduction] « les antécédents et l’examen [du demandeur] sont compatibles avec le fait qu’il ait été torturé sur une période d’un an pendant qu’il se trouvait en prison en Iran en 1999. Il semble avoir été torturé. »

 

Sursis à l’exécution de la mesure d’expulsion accordé par le juge MacKay

 

[7]               Le demandeur a déposé une demande de contrôle judiciaire à l’égard de la décision ERAR le 22 octobre 2004. Le 9 novembre 2004, le juge MacKay a accordé un sursis à l’exécution de la mesure d’expulsion en attendant que soit tranchée la demande de contrôle judiciaire et il a déclaré ce qui suit aux paragraphes 12, 13 et 14 de sa décision :

 


¶12.         J’estime que les circonstances de l’espèce soulèvent des doutes quant à l’équité de la procédure suivie lors de l’examen de la demande ERAR du demandeur. Dans le cas qui nous occupe, le demandeur a expressément réclamé la tenue d’une audience en vertu de l’alinéa 113b) de la Loi et de l’article 167 de son règlement d’application. L’article 167 énumère les facteurs qui servent à décider s’il y a lieu de tenir une audience. Ces facteurs ont trait à la question de savoir si des éléments de preuve déterminants en ce qui concerne la demande de protection soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur. Dans sa décision, l’agent d’examen des risques avant le renvoi ne fait aucune mention des ces facteurs ou de tout autre facteur l’ayant conduit à refuser de tenir une audience malgré la demande écrite qui lui en avait été faite. Rien dans sa décision ne permet de penser que l’agent a envisagé l’opportunité de tenir une audience hormis son indication qu’aucune audience n’a été tenue. Qui plus est, le délai – sept jours après la réception de la demande – dans lequel a été prise la décision, dans laquelle l’agent souligne l’insuffisance d’éléments de preuve objectifs et de preuve à l’appui, malgré le fait que le demandeur l’avait informé qu’il était en train de recueillir de tels éléments de preuve, empêchait à toutes fins utiles le demandeur de soumettre des renseignements ou des éléments de preuve au sujet de l’évolution de sa situation après son expulsion en Iran. Il lui devenait dès lors impossible de présenter de nouveaux éléments de preuve hormis ses propres observations et celles faites par écrit par ses mandataires.

[Non souligné dans l’original.]

 

¶13.         Je ne prétends pas que toute demande d’audience doit automatiquement être accordée. Il n’en demeure pas moins qu’en l’espèce, une demande d’audience a été formulée et que des faits ont été allégués à l’appui de cette demande. Pourtant, dans sa décision, l’agent chargé d’examiner les risques avant le renvoi ne précise pas s’il a examiné cette demande, il ne mentionne pas les faits allégués à l’appui ou les facteurs qui, aux termes du Règlement, doivent être soupesés lors de l’examen de la demande. Qui plus est, l’agent a essentiellement décidé qu’il ne fallait pas ajouter foi au récit du demandeur ou aux craintes qu’il affirmait avoir. Ce faisant, l’agent a effectivement écarté le témoignage du demandeur, estimant qu’il n’était pas digne de foi, sans pour autant mentionner explicitement qu’il y avait un problème de crédibilité. La démarche que l’agent a suivie pour rendre sa décision était en fin de compte inéquitable, d’autant plus que la célérité avec laquelle il l’a rendue a empêché le demandeur de présenter ses preuves à l’appui dans un délai raisonnable.

 

¶14.         Cette iniquité justifie à mon avis l’intervention de la Cour, qui suspendra le renvoi du demandeur en attendant que soit tranchée la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la demande ERAR, le tout sans préjuger l’examen de la demande d’autorisation par un juge une fois que la demande aura été mise en état.

 

Le juge MacKay a soigneusement examiné la question sous‑jacente et a conclu que le processus suivi pour l’ERAR avait été inéquitable pour le demandeur.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[8]               La présente demande de contrôle judiciaire soulève les mêmes questions que la demande de sursis :


1.         L’omission par l’agent d’examiner la demande d’audience présentée par le demandeur constitue‑t‑elle un manquement à l’équité procédurale?

2.         L’agent a‑t‑il manqué à l’obligation d’équité lorsqu’il a rendu sa décision sans attendre que le demandeur présente une preuve documentaire supplémentaire?

 

ANALYSE

Première question en litige

L’omission par l’agent d’examiner la demande d’audience présentée par le demandeur constitue‑t‑elle un manquement à l’équité procédurale?

 

[9]               L’alinéa 113b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), prévoit la possibilité de tenir une audience dans le cadre d’une demande ERAR. Les facteurs à prendre en considération pour décider de la tenue d’une audience sont énumérés à l’article 167 du Règlement de la LIPR qui se lit ainsi :


167. Pour l’application de l’alinéa 113b) de la Loi, les facteurs ci‑après servent à décider si la tenue d’une audience est requise :

a) l’existence d’éléments de preuve relatifs aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 de la Loi qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur;

b) l’importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à la demande de protection;

c) la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection.

 

167. For the purpose of determining whether a hearing is required under paragraph 113(b) of the Act, the factors are the following:

(a) whether there is evidence that raises a serious issue of the applicant’s credibility and is related to the factors set out in sections 96 and 97 of the Act;

(b) whether the evidence is central to the decision with respect to the application for protection; and

(c) whether the evidence, if accepted, would justify allowing the application for protection.

 

 

 


 


[10]           Le demandeur soutient que, si la décision de tenir une audience est de nature discrétionnaire, l’agent est néanmoins tenu d’examiner la demande d’audience à la lumière des facteurs énumérés à l’article 167 du Règlement. Le défendeur soutient qu’il n’était pas nécessaire de tenir une audience, étant donné que l’agent n’avait pas tiré de conclusion défavorable au demandeur en matière de crédibilité. Par conséquent, le fait que l’agent n’ait pas fait expressément référence à la demande d’audience présentée par le demandeur, ni aux facteurs ci‑dessus, ne peut entraîner aucune conséquence.

 

[11]           Je reconnais avec le demandeur que les faits de l’espèce indiquent qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale. Dans sa demande ERAR, le demandeur a présenté une demande détaillée en vue d’obtenir une audience, en faisant référence expressément aux facteurs énumérés à l’article 167 du Règlement. L’agent ERAR n’a toutefois aucunement mentionné ces facteurs, ni les autres facteurs qui l’ont amené à décider de ne pas tenir une audience, malgré la demande en ce sens présentée par écrit. En fait, il n’existe aucun élément qui indique que l’agent a examiné l’opportunité de tenir une audience.

 


[12]           Qui plus est, il est évident, malgré les observations contraires présentées par le défendeur, que la crédibilité a joué un rôle central dans la décision ERAR défavorable. En refusant d’accorder toute force probante au récit du demandeur en l’absence de preuve le corroborant, l’agent ERAR a en fait conclu que le demandeur n’était pas digne de foi. J’estime que, compte tenu de ses doutes en matière de crédibilité, il incombait à l’agent d’examiner la demande d’audience et de motiver le refus d’en accorder une. L’omission par l’agent d’agir de cette façon en l’espèce constitue un manquement à l’équité procédurale. En outre, compte tenu des circonstances spéciales de la présente affaire pour ce qui est de la crédibilité, la Cour estime qu’une audience est appropriée.

 

Deuxième question en litige

L’agent a‑t‑il commis une erreur en rendant sa décision sans attendre la preuve documentaire supplémentaire que souhaitait présenter le demandeur?

 

[13]           Le demandeur soutient qu’il est inéquitable que l’agent ait rendu une décision défavorable trois jours après avoir reçu les observations relatives à l’ERAR pour le motif que la demande n’était accompagnée d’aucune preuve documentaire à l’appui, alors que le demandeur avait informé l’agent que ces éléments de preuve allaient être présentés. En réponse, le défendeur affirme que l’agent a respecté l’article 162 du Règlement de la LIPR selon lequel une décision ne peut être rendue avant l’expiration d’un délai de 30 jours à partir de la notification au demandeur du droit de présenter une demande ERAR. Par conséquent, l’agent n’a pas commis de faute. Le défendeur fait également remarquer que le demandeur a le droit de présenter une nouvelle demande ERAR conformément à l’article 165 du Règlement lorsqu’il aura reçu de nouveaux éléments de preuve.

 


[14]           J’estime qu’il n’est pas suffisant d’affirmer que l’agent a attendu l’expiration du délai minimal prescrit par la loi avant de rendre la décision ERAR. L’obligation d’équité qu’impose la common law oblige à donner au demandeur la possibilité de présenter des éléments de preuve et de participer à l’instruction de sa demande, en particulier dans un cas, où comme ici, une décision défavorable aurait de très graves répercussions sur la vie du demandeur. Haghighi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 4 C.F. 407 (C.A.F.); Mojzisik c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. no 33, au paragraphe 21. En l’espèce, il est évident, avec le recul, que le demandeur n’a pas eu cette possibilité et qu’il y a donc eu manquement à l’obligation d’équité.

 

CONCLUSION

 

[15]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie. Mon analyse et ma conclusion sont en tout point identiques à celles du juge MacKay. Je suis surpris que le défendeur ait décidé de procéder avec cette affaire au lieu de s’entendre avec le demandeur à la suite de l’analyse approfondie qu’a effectuée le juge MacKay. Cela a entraîné un gaspillage de temps et de ressources pour l’avocat du demandeur et pour la Cour.

 

[16]           Les avocats n’ont pas proposé la certification d’une question. Aucune question ne sera certifiée.

 


                                                                ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

Il est fait droit à la présente demande de contrôle judiciaire, la décision ERAR datée du 15 octobre 2004 est annulée et la demande ERAR fera l’objet d’une nouvelle décision de la part d’un autre agent, le plus tôt possible, après avoir accordé une audience au demandeur (c.‑à‑d. une entrevue) de façon à ce que l’agent soit en mesure d’évaluer la crédibilité des allégations du demandeur.

 

 

                                                                                                                           _ Michael A. Kelen _            

                                                                                                                                                     Juge                        

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.


                                                             COUR FÉDÉRALE

 

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑8976‑04

 

INTITULÉ :                                                   HASSAN ZOKAI

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

DATE DE L’AUDIENCE :   LE 10 AOÛT 2005

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 15 AOÛT 2005

 

 

COMPARUTIONS :

 

Sil Salvaterra                                                    POUR LE DEMANDEUR

 

Bernard Assan                          POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Osgoode Hall Law School

Toronto (Ontario)                                             POUR LE DEMANDEUR

 

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)                                             POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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