Date : 20200909
Dossier : IMM‑5464‑19
Référence : 2020 CF 889
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 9 septembre 2020
En présence de madame la juge McVeigh
ENTRE :
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OSCAR DAVID TAPIA FERNANDEZ
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Introduction
[1]
Le demandeur avait un permis de travail qui lui permettait de travailler comme jockey. Un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC], qui s’était rendu à l’hippodrome où travaillait le demandeur dans le cadre d’une autre enquête, a abordé ce dernier et a demandé à voir son permis de travail. Le demandeur a obtempéré et, lorsque l’agent l’a interrogé, il a indiqué qu’il travaillait comme palefrenier, et non comme jockey. Il a été arrêté et, à la suite d’une enquête, une mesure d’exclusion a été prise contre lui au motif qu’il avait fait une fausse déclaration. Il ne sera pas autorisé à revenir au Canada en vertu d’un permis de travail pendant cinq ans.
[2]
Le demandeur sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision rendue le 21 août 2019 par la Section de l’immigration [la SI] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié.
II.
Contexte
[3]
Le demandeur est citoyen du Mexique. Depuis 2013, il a obtenu divers permis de travail qui l’ont autorisé à travailler à l’hippodrome au Canada. En mars 2019, il a demandé et obtenu un autre permis pour travailler comme jockey à l’hippodrome Hastings de Vancouver [l’hippodrome]. La majorité des employeurs qui emploient des travailleurs étrangers doivent obtenir une étude d’impact sur le marché du travail avant de les embaucher. Cependant, les employeurs qui embauchent des jockeys en Colombie‑Britannique sont exemptés de cette obligation.
[4]
À l’été 2019, l’ASFC et la Gaming Policy and Enforcement Branch de la Colombie‑Britannique [la GPEB] menaient une enquête conjointe sur des allégations selon lesquelles il y avait des travailleurs étrangers illégaux à l’hippodrome. Le 19 août 2019, dans le cadre de cette enquête, un agent de l’ASFC et un agent de la GPEB ont approché le demandeur alors qu’il était au travail. Ce dernier a remis aux agents une carte d’identité de la British Columbia Gaming Commission qui l’autorisait à travailler comme palefrenier. L’agent de l’ASFC lui a demandé pourquoi sa pièce d’identité indiquait qu’il était palefrenier étant donné qu’il avait un permis de travail de jockey.
[5]
Après l’entretien, l’agent de l’ASFC a arrêté le demandeur. L’agent a établi un rapport en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], pour exposer ses préoccupations.
[6]
L’enquête et le contrôle des motifs de détention du demandeur ont eu lieu deux jours plus tard, soit le 21 août. La belle‑sœur du demandeur, une citoyenne canadienne qui habite à Abbotsford et qui travaille à l’hippodrome, était présente à l’audience. Le demandeur était représenté par son ancien avocat, qui est aussi propriétaire et entraîneur de chevaux à l’hippodrome. Le demandeur et son ancien avocat ont eu leur première rencontre le matin de l’audience, et ils ont discuté pendant un peu moins d’une heure.
III.
Audience
[7]
Il convient de souligner ici qu’il existe deux transcriptions officielles de l’audience : il y en a une dans le dossier certifié du tribunal [le DCT] et une autre dans le dossier du demandeur. Elles ont été rédigées par deux personnes différentes. Elles sont essentiellement identiques, à quelques différences mineures près. Parmi ces différences, notons que, dans la version qui figure dans le dossier du demandeur, la belle‑sœur de ce dernier demande [traduction] « [a]vons‑nous un droit d’appel? »
, alors que cette question ne se trouve pas dans la version qui figure dans le DCT. Toutefois, cela ne change pas l’essentiel de son commentaire, et nul ne conteste qu’elle a bien posé cette question.
[8]
Au début de l’enquête, l’ancien avocat du demandeur a confirmé qu’il était prêt à représenter ce dernier.
[9]
La commissaire de la SI a ensuite expliqué le motif de l’enquête : le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile estimait que le demandeur était interdit de territoire pour fausse déclaration. Elle a ensuite expliqué que le ministre allait d’abord présenter sa preuve et que le demandeur aurait ensuite la possibilité d’examiner les documents et de contre-interroger les témoins du ministre, et de présenter sa preuve.
[10]
La commissaire de la SI a demandé à l’ancien avocat du demandeur s’il avait des documents ou des témoins à présenter, et il a répondu qu’il n’en avait pas. La commissaire de la SI a demandé [traduction] « [p]as même M. Tapia? »
, et l’avocat a répondu [traduction] « [n]on »
. Puis, interrogé sur les faits, l’ancien avocat du demandeur a déclaré que la majorité des faits pouvaient être admis, [traduction] « [m]ais [qu’il] [avait] relevé un ou deux éléments qui étaient peut-être inexacts ou qui [n’avaient] pas été présentés comme ils auraient dû l’être »
. Lorsqu’on lui a demandé de préciser quels étaient ces éléments, l’ancien avocat a répondu : [traduction] « Mais je veux parler de – une occasion de parler longuement – pas très longuement – de la déclaration solennelle de Chris Johnson (phonétique) »
.
[11]
La présentation du ministre a été brève. Son avocate a démontré ce qui suit :
a) le demandeur n’est ni un résident permanent ni un citoyen canadien (selon les vérifications de statut d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada);
b) il est autorisé à travailler comme jockey (selon son permis de travail);
c) il a admis avoir fait de fausses déclarations lors de l’obtention de son permis de travail (selon la déclaration solennelle de l’agent);
d) il travaillait comme palefrenier, et non comme jockey (selon sa carte d’identité);
e) les employeurs qui embauchent des jockeys en Colombie‑Britannique sont exemptés de l’obligation d’obtenir une étude d’impact sur le marché du travail.
[12]
Après la présentation du ministre, l’ancien avocat du demandeur a déclaré qu’il n’avait [traduction] « [r]ien à ajouter »
. La commissaire de la SI lui a demandé s’il avait l’intention de discuter de la déclaration solennelle de l’agent de l’ASFC, comme il l’avait initialement indiqué. Il a répondu ce qui suit :
[traduction]
AVOCAT : Non. Je ne vais pas – je ne conteste plus cette déclaration.
COMMISSAIRE : D’accord. Merci. Vous avez donc tous les deux fait votre déclaration finale?
[…]
AVOCAT : Je n’ai rien de plus à dire.
[13]
La commissaire de la SI a ensuite conclu que le demandeur était interdit de territoire pour fausse déclaration parce qu’il travaillait comme palefrenier alors qu’il détenait un permis de travail de jockey. Lorsqu’elle a rendu cette décision, la commissaire de la SI a noté que le demandeur n’avait pas réfuté ni même contesté, par l’intermédiaire de son avocat, les éléments de preuve qui constituent le fondement de l’allégation du ministre. Elle a ajouté ce qui suit : [traduction] « Il peut sembler étrange que les jockeys n’ont pas à faire l’objet d’une étude d’impact sur le marché du travail, contrairement aux palefreniers, mais là n’est pas la question. Le fait est que vous avez empêché les autorités d’évaluer correctement votre demande, ce qui a entraîné une erreur dans l’application de la Loi »
. Par conséquent, la commissaire de la SI a pris une mesure d’exclusion contre le demandeur.
[14]
La commissaire de la SI a ensuite procédé au contrôle des motifs de détention. L’avocate du ministre a mentionné que, lors de sa première conversation avec l’agent, le demandeur avait déclaré qu’il travaillait à l’occasion comme jockey, mais qu’il s’était ensuite rétracté. L’ancien avocat du demandeur a alors déclaré qu’il [traduction] « [avait] évidemment des observations à présenter »
, et il a indiqué que le demandeur avait respecté toutes les instructions qui lui avaient été données au moment de son arrestation, qu’il n’avait pas d’antécédents judiciaires et que sa belle‑sœur, présente à l’audience, était disposée à l’accueillir chez elle. La belle‑sœur du demandeur a témoigné à l’audience sur le contrôle des motifs de détention.
[15]
La commissaire de la SI a décidé de ne pas détenir le demandeur parce qu’il pouvait demeurer chez sa belle‑sœur en attendant l’exécution de la mesure d’exclusion. À la fin de l’audience, la belle‑sœur du demandeur a demandé si celui‑ci avait un droit d’appel, et elle a souligné que [traduction] « certains faits n’[avaient] pas été présentés »
. Elle a précisé que le demandeur était un jockey autorisé au Mexique. La commissaire de la SI a déclaré [traduction] « [é]coutez, vous devez en parler à votre avocat » et a formulé un commentaire sur le fait de soulever une question après que tous les éléments de preuve ont été présentés et que la décision a été rendue
. La belle‑sœur du demandeur a répondu [traduction] « [b]ien, je ne savais pas que j’étais autorisée à en parler, alors je-- »
, mais la commissaire de la SI a mis fin à l’audience.
[16]
La demande de contrôle judiciaire concerne l’enquête, et non le contrôle des motifs de détention.
IV.
Question en litige
[17]
La question en litige consiste à savoir si l’incompétence de l’avocat a entraîné un manquement à l’équité procédurale.
V.
Norme de contrôle
[18]
La norme de contrôle à appliquer aux questions d’équité procédurale n’est pas établie en droit, et la Cour suprême du Canada n’a pas contribué à clarifier la question dans l’arrêt qu’elle a récemment rendu dans l’affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. La Cour d’appel fédérale a quant à elle récemment déclaré ce qui suit :
[traduction]
La norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale fait actuellement l’objet d’un litige devant notre Cour (voir Bergeron c Canada (Procureur général), 2015 CAF 160, [2015] ACF no 834 (QL) aux para 67‑71), et la Cour suprême n’a donné aucune indication à ce sujet dans son récent arrêt Vavilov.
(CMRRA‑SODRAC Inc c Apple Canada Inc, 2020 CAF 101 au para 15 [Apple Canada])
[19]
Malgré les incertitudes entourant la norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale, la question de savoir si une décision et un processus étaient « équitables »
est le facteur le plus important dans la décision. Il est aussi important de savoir qu’il n’y a pas lieu de faire preuve de déférence à l’égard du décideur. Dans l’arrêt Lipskaia c Canada (Procureur général), 2019 CAF 267, la Cour d’appel fédérale a déclaré que les questions d’équité procédurale ne sont soumises à aucune norme de contrôle particulière, mais qu’il s’agit de questions juridiques que la Cour doit trancher.
[20]
Cependant, deux arrêts rendus au début de 2020 établissent que la norme de contrôle à appliquer aux questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte (voir Oleynik c Canada (Procureur général), 2020 CAF 5 au para 39, et Langevin c Air Canada, 2020 CAF 48 au para 11). Dans un autre arrêt, la Cour d’appel fédérale a simplement déclaré, sans tirer de conclusion explicite, qu’il n’y a pas lieu de faire preuve de déférence à l’égard d’un décideur (Escape Trailer Industries Inc c Canada (Procureur général), 2020 CAF 54 au para 13). Dans l’arrêt Apple Canada, rendu en juin 2020, la Cour d’appel fédérale a seulement précisé que la question n’a pas été réglée.
[21]
En l’espèce, j’examinerai la décision et le processus pour déterminer s’ils étaient équitables. « L’incompétence est appréciée au moyen de la norme du caractère raisonnable. Le point de départ de l’analyse est la forte présomption que la conduite de l’avocat se situe à l’intérieur du large éventail de l’assistance professionnelle raisonnable. »
Cela signifie que la conduite de l’ancien avocat ne doit pas découler de l’exercice d’un « jugement professionnel raisonnable »
(R c GDB, 2000 CSC 22 au para 27 [GDB]).
VI.
Analyse
A.
Protocole procédural concernant les allégations formulées contre les avocats ou contre d’autres représentants autorisés au cours des instances de la Cour fédérale en matière de citoyenneté, d’immigration et de personnes à protéger
[22]
Le protocole de la Cour relatif aux allégations formulées contre les avocats (qui est publié dans les Avis de la Cour fédérale) [le protocole] établit les conditions qu’un demandeur doit respecter pour invoquer l’incompétence d’un avocat comme motif de contrôle judiciaire. L’avocat actuellement saisi du dossier doit aviser l’ancien avocat de l’allégation et lui indiquer qu’il dispose de sept jours pour y répondre, et il doit lui fournir une copie du protocole ainsi qu’une autorisation signée par le demandeur par laquelle ce dernier renonce au secret professionnel rattaché à l’ancienne représentation. L’avocat actuellement saisi du dossier devrait attendre une réponse avant de déposer et de signifier le dossier de la demande. Toute demande qui soulève des allégations contre l’ancien avocat doit être signifiée à ce dernier. Si la Cour décide d’accorder l’autorisation, l’avocat actuellement saisi du dossier doit remettre sans délai à l’ancien avocat une copie de l’ordonnance accordant l’autorisation.
[23]
En l’espèce, l’avocate actuellement saisie du dossier a avisé l’ancien avocat de l’allégation, lui a indiqué qu’il disposait de sept jours pour y répondre et lui a fourni une copie du protocole. Elle ne lui a cependant pas transmis une autorisation signée par le demandeur par laquelle ce dernier renonçait au secret professionnel rattaché à l’ancienne représentation. Je considère qu’il s’agit d’un vice de procédure mineur qui ne devrait pas empêcher le contrôle. L’ancien avocat n’a pas répondu à l’avis. L’avocate actuellement saisie du dossier a également signifié le dossier de la demande à l’ancien avocat, et elle lui a fourni une copie de l’ordonnance accordant l’autorisation. Lors de l’audience, j’ai confirmé auprès des deux parties que l’ancien avocat ne souhaitait apparemment pas participer puisque les avocats des deux parties ont tenté de communiquer avec lui et qu’ils n’ont pas obtenu de réponse.
[24]
Le demandeur a présenté à la Cour une copie de la plainte qu’il a déposée auprès de l’organisme de réglementation de la profession concernant l’incompétence de son ancien avocat.
B.
Incompétence de l’avocat
[25]
Le critère essentiel pour annuler une décision en raison de l’incompétence d’un avocat comprend deux volets : un volet lié à l’examen du travail de l’avocat et un volet lié à l’appréciation du préjudice. Il incombe au demandeur d’établir le bien-fondé de sa cause en fonction des deux volets. Le demandeur doit démontrer que l’avocat a fait preuve d’incompétence, et l’incompétence doit ressortir de la preuve de façon claire et précise. Le demandeur doit aussi démontrer que cette incompétence a donné lieu à une erreur judiciaire. Une erreur judiciaire peut compromettre l’équité procédurale ou la fiabilité de l’issue du procès, ou prendre toute autre forme évidente (GDB aux para 26‑28).
[26]
Un troisième volet a été ajouté à ce critère, comme on peut le constater dans la décision Yang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1189 au para 16 [Yang 2015]. Selon ce volet, un avis raisonnable doit être donné à l’ancien avocat. En l’espèce, j’estime que ce critère a été respecté, comme je l’ai expliqué ci‑dessus. Je vais d’abord me pencher sur le volet de l’appréciation du préjudice.
(1)
Volet de l’appréciation du préjudice – Équité procédurale
[27]
Il y a manquement à l’équité procédurale en raison de l’incompétence d’un avocat lorsqu’il existe une probabilité raisonnable que le décideur soit parvenu à une conclusion différente si l’avocat avait fait preuve de compétence. Il existe une forte présomption que les avocats font preuve de compétence. À ce titre, le critère est strict et l’incompétence de l’avocat ne constituera un manquement à l’équité procédurale que dans des circonstances extraordinaires (Yang 2015 au para 15).
[28]
Le défendeur soutient que, pour démontrer qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale en raison de l’incompétence de son avocat, le demandeur doit prouver qu’il y a une probabilité raisonnable que l’issue de l’audience ait été différente si l’ancien avocat avait présenté des éléments de preuve.
[29]
Le demandeur a indiqué que son ancien avocat aurait dû faire ce qui suit pour le représenter de façon compétente :
a) présenter des éléments de preuve et appeler sa belle‑sœur à témoigner pour fournir des renseignements sur ses activités de jockey au Canada;
b) présenter des éléments de preuve établissant qu’il était un jockey autorisé au Mexique;
c) présenter des éléments de preuve concernant ses conditions de travail au Canada, notamment sur le contrôle qu’il exerce à l’égard de ses tâches quotidiennes;
d) présenter des éléments de preuve relatifs à la corruption à l’hippodrome;
e) procéder à un contre-interrogatoire sur la preuve du ministre, notamment la déclaration solennelle de l’agent de l’ASFC;
f) démontrer qu’il a toujours respecté toutes les règles d’immigration et quitté le pays à l’expiration de ses permis.
[30]
Le défendeur déclare que le demandeur doit fournir à la Cour la preuve sur laquelle il se fonde pour affirmer que l’issue aurait été différente. Il soutient que, comme le demandeur ne l’a pas fait, la Cour n’a aucune raison de conclure que l’issue de l’audience aurait été différente si l’avocat avait présenté des éléments de preuve. Selon le défendeur, le fait de ne pas présenter d’éléments de preuve lors de l’audience était peut-être un choix stratégique; il est impossible de le savoir étant donné que l’ancien avocat ne participe pas à la présente instance. Ainsi, en l’espèce, l’incompétence de l’avocat n’a pas entraîné de manquement à l’équité procédurale.
[31]
Je ne suis pas de cet avis. Je considère qu’il existe une probabilité raisonnable que l’incompétence de l’avocat ait influé sur l’issue de l’affaire étant donné que celui-ci n’a présenté ou réfuté aucun élément de preuve concernant l’allégation de fausse déclaration. J’estime que cela satisfait au volet de l’appréciation du préjudice du critère applicable.
[32]
La commissaire de la SI a même rappelé à l’ancien avocat qu’au début de l’audience, il avait déclaré qu’il allait réfuter la déclaration solennelle. Elle lui a aussi rappelé qu’il pouvait présenter des éléments de preuve et des témoins, y compris son client. Il n’a rien fait de tout cela. L’examen de la transcription révèle clairement que la commissaire de la SI n’a pas eu d’autre choix que de conclure que le demandeur avait fait une fausse déclaration étant donné qu’aucun des éléments de preuve n’a été réfuté. Cette situation a été très préjudiciable pour le demandeur puisqu’il avait des éléments de preuve à présenter, que sa belle‑sœur était prête à témoigner en sa faveur et qu’il aurait pu demander un ajournement pour se préparer correctement et faire éventuellement comparaître d’autres témoins ou présenter des éléments de preuve supplémentaires.
[33]
Le demandeur aurait également pu réussir à prouver que son employeur ne respectait pas les conditions du permis de travail et que cette situation échappait à son contrôle. Le droit relatif à cette question est énoncé à la section 4 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le RIPR]. Dans la plainte déposée devant le Barreau, il est indiqué que le demandeur [traduction] « était à la merci du propriétaire de chevaux puisque c’est lui qui le faisait travailler comme jockey »
. Aux termes du RIPR, un employeur doit « confie[r] [à l’étranger] un emploi dans la même profession que celle précisée dans son offre d’emploi »
(RIPR art 209.2(1)a)(iii)). L’avocat n’a pourtant pas exploité cet argument très raisonnable.
[34]
Qui plus est, la conformité à la loi et l’exécution de celle‑ci font l’objet de dispositions distinctes dans la LIPR et le RIPR. Le paragraphe 200(3) du RIPR porte sur les travailleurs temporaires qui ne respectent pas les conditions de travail établies dans leur permis de travail. Le paragraphe 29(2) et l’article 41 de la LIPR précisent quant à eux les conséquences d’une infraction à la loi par un travailleur. Aucun élément de preuve ni argument concernant ces dispositions de la LIPR et du RIPR n’a été présenté à l’audience.
[35]
Étant donné que l’issue est une interdiction de séjour de cinq ans au Canada, les conséquences auxquelles le demandeur sera exposé sont particulièrement graves et, donc, préjudiciables.
[36]
Même si je comprends que le fardeau est lourd, je considère qu’il y avait une possibilité raisonnable que l’issue de l’audience ait été différente. J’insiste cependant sur le fait que le critère n’exige pas que l’issue ait obligatoirement été différente. Le demandeur n’a pas produit de preuve, et ce, même si sa belle‑sœur a indiqué qu’elle avait quelque chose à dire et qu’il avait des documents et peut‑être des éléments de preuve à présenter pour son propre compte. Étant donné qu’il y avait une possibilité raisonnable que l’issue ait été différente, le demandeur a satisfait à ce volet du critère applicable aux questions d’équité procédurale.
(2)
Volet de l’examen du travail de l’avocat
[37]
Le volet de l’examen du travail de l’avocat est respecté si la conduite de l’avocat se situe à l’extérieur de l’éventail de l’assistance professionnelle raisonnable. Par exemple, des avocats ont été déclarés incompétents pour avoir empêché un demandeur d’asile de produire une preuve importante (El Kaissi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1234 au para 21), pour avoir mal préparé un client en vue d’une audience ou pour avoir présenté des éléments de preuve inadéquats à l’appui d’une demande (Galyas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 250 au para 86). Des avocats ont aussi été déclarés incompétents en raison de l’effet combiné de multiples actes et omissions qui, pris isolément, n’auraient pas constitué de l’incompétence (Memari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1196 au para 64).
[38]
Le demandeur et son ancien avocat ont eu leur première rencontre le matin de l’audience. Il apparaît notamment que l’ancien avocat avait seulement l’intention de demander qu’un avocat de service soit affecté au dossier, mais qu’il a finalement décidé de représenter pleinement le demandeur lors de l’enquête et du contrôle des motifs de détention. L’ancien avocat a confirmé au début de l’audience qu’il était prêt à agir en tant qu’avocat du demandeur. Ce faisant, il devait assumer la totalité de ses responsabilités professionnelles.
[39]
Le demandeur indique qu’en raison de l’incompétence de son ancien avocat, il n’a pas eu la possibilité de faire ce qui suit :
a) présenter des éléments de preuve démontrant qu’il est venu au Canada pour travailler comme jockey, notamment en témoignant pour son propre compte et en appelant des collègues de travail et des employeurs à témoigner;
b) présenter des éléments de preuve documentaire attestant qu’il est un jockey autorisé au Mexique;
c) présenter des témoins pour étayer ses antécédents, notamment sa belle‑sœur, qui était présente à l’audience;
d) présenter des éléments de preuve concernant ses conditions de travail au Canada, notamment sur le contrôle qu’il exerce à l’égard de ses tâches quotidiennes à l’hippodrome;
e) présenter des éléments de preuve concernant la corruption sur laquelle un ancien agent de la GPEB enquêtait à l’hippodrome où il travaillait;
f) procéder à un contre-interrogatoire sur la preuve présentée par le ministre, y compris les déclarations solennelles et les notes d’entrevue des agents de l’ASFC qui ont mené l’entrevue et pris des notes pendant celle‑ci;
g) présenter des arguments relatifs à l’abus de procédure que constituait l’allégation de fausse déclaration formulée contre lui, puisque les agents des services frontaliers auraient simplement pu alléguer qu’il exerçait un travail non autorisé ou qu’il ne respectait pas les conditions de son permis de travail, ce qui aurait été plus approprié.
[40]
Le demandeur déclare qu’il aurait pu demander un ajournement pour retenir les services d’un avocat si son ancien avocat n’avait pas été présent. Il estime également que son ancien avocat n’avait peut‑être pas compris qu’il y avait une enquête et un contrôle des motifs de détention, et il prétend que c’est pendant l’enquête que son avocat a fait preuve d’incompétence.
[41]
Le résumé de la plainte déposée devant le Barreau illustre bien la conduite qui est qualifiée d’incompétente. L’ancien avocat a pris la décision de ne déposer aucun élément de preuve et de ne pas fournir de réponse concernant la présente affaire après avoir reçu les documents de la partie adverse, ce qui a donné à penser que le demandeur ne réfutait pas les allégations formulées contre lui. Ensemble, ces actes ne découlent pas de l’exercice d’un jugement professionnel raisonnable.
[42]
Pris isolément, les actes et omissions de l’ancien avocat peuvent ne pas être suffisants pour conclure à un manquement à l’équité procédurale. Cependant, leur effet cumulé m’amène en l’espèce à conclure que l’audience n’était pas équitable compte tenu de la gravité des conséquences pour le demandeur.
[43]
Je n’ai pas besoin de déterminer qu’un acte en particulier était grave pour conclure que l’ancien avocat du demandeur a fait preuve d’incompétence. Je dois établir que les actes dépassaient le cadre du jugement raisonnable et qu’il y a eu une erreur judiciaire parce qu’il y avait une possibilité raisonnable que la décision initiale ait été différente. Cela est d’autant plus évident que l’employeur ne respectait pas les conditions du permis de travail et que cette situation échappait au contrôle du demandeur. Cet argument n’a même pas été exploité par l’avocat.
[44]
La justice exige que je fasse droit à la demande du demandeur. L’affaire sera renvoyée à un agent différent afin qu’elle soit instruite de nouveau et qu’une nouvelle décision soit rendue.
[45]
Aucune question n’a été proposée aux fins de la certification.
JUGEMENT dans le dossier IMM‑5464‑19
LA COUR ORDONNE :
La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à un décideur différent pour qu’elle soit instruite de nouveau et qu’une nouvelle décision soit rendue.
Aucune question n’est certifiée.
« Glennys L. McVeigh »
Juge
Traduction certifiée conforme
Julie Blain McIntosh
ANNEXE
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27
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Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227
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COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM‑5464‑19
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INTITULÉ :
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OSCAR DAVID TAPIA FERNANDEZ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE LE 25 AOÛT 2020 À PARTIR DE VANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE) (COUR ET PARTIES)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 25 août 2020
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LA JUGE MCVEIGH
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DATE DES MOTIFS :
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Le 9 septembre 2020
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COMPARUTIONS :
Amanda Aziz
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POUR LE DEMANDEUR
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Brett Nash
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Embarkation Law Corporation
Vancouver (Colombie‑Britannique)
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POUR LE DEMANDEUR
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Procureur général du Canada
Vancouver (Colombie‑Britannique)
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POUR LE DÉFENDEUR
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