Date : 20200917
Dossier : IMM‑5567‑19
Référence : 2020 CF 900
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 17 septembre 2020
En présence de monsieur le juge Southcott
ENTRE :
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MASUD MASHAL
FATIMA ANWARI MASHAL
ALI MASHAL
ILJAS MASHAL représenté par son tuteur
MASUD MASHAL
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demandeurs
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Aperçu
[1]
Les demandeurs, un couple marié originaire d’Afghanistan et leurs deux fils, sont tous citoyens néerlandais et ont déjà présenté avec succès des demandes d’asile aux Pays‑Bas. Ils sollicitent le contrôle judiciaire de la décision datée du 3 septembre 2019 [la décision], par laquelle un agent principal [l’agent] a rejeté leur demande de résidence permanente au Canada fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.
[2]
Pour les motifs exposés ci‑dessous, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée. J’ai examiné les arguments avancés par les demandeurs, et je conclus qu’ils ne sapent pas le caractère raisonnable de la décision.
II.
Le contexte
[3]
Comme indiqué plus haut, les demandeurs, Masud Mashal, son épouse, Fatima Anwari Mashal, et leurs deux enfants aînés, Ali (actuellement âgé de 23 ans) et Iljas (actuellement âgé de 18 ans, mais mineur au moment de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire) sont des citoyens néerlandais. La famille comprend également une fille, née au Canada et citoyenne canadienne.
[4]
Les demandeurs ont quitté l’Afghanistan en 1999, puis sont arrivés aux Pays‑Bas, où ils ont obtenu la qualité de réfugié et, plus tard, la citoyenneté. Ils affirment avoir quitté les Pays‑Bas en 2007, en raison du harcèlement et de l’intimidation constants d’un membre de la communauté afghane et de sa famille. M. Mashal déclare qu’il a eu une liaison avec l’épouse d’un individu puissant de la communauté afghano‑néerlandaise, et que cet individu et sa famille ont soumis les demandeurs à des menaces et à un harcèlement violent.
[5]
En 2007, les demandeurs se sont rendus en Nouvelle‑Zélande pour s’installer avec la famille de Mme Mashal. En 2011, à la suite d’un tremblement de terre qui a dévasté la ville où ils vivaient et les a laissés sans abri, les demandeurs ont quitté la Nouvelle‑Zélande et se sont rendus aux États‑Unis. Ils sont entrés au Canada le 28 août 2012 et y ont demandé l’asile.
[6]
Les demandeurs ont cependant falsifié leur identité dans leur demande d’asile. En septembre 2017, après que l’Agence des services frontaliers du Canada soit intervenue relativement à cette demande, les demandeurs l’ont retirée, puis ont plutôt demandé la résidence permanente au Canada, le 8 janvier 2018, en se fondant sur des considérations d’ordre humanitaire. Ils ont évoqué leur établissement au Canada, les difficultés qu’ils subiraient s’ils étaient renvoyés aux Pays‑Bas, notamment en raison des barrières linguistiques et des menaces qui les avaient poussés à fuir ce pays au départ, ainsi que l’intérêt supérieur de leurs enfants [l’ISE].
[7]
En ce qui concerne l’ISE, les demandeurs se fondent en particulier sur l’état de santé de leur fils cadet. En effet, Iljas a reçu au Canada un diagnostic de néphronophthise, est de petite taille et a eu une puberté tardive. Il souffre d’une maladie rénale en phase terminale, nécessitant des dialyses à court terme jusqu’à ce qu’il puisse bénéficier d’une greffe de rein. Comme ils ont retiré leur demande d’asile, les demandeurs ne sont plus couverts par l’assurance maladie fédérale. Le 1er avril 2019, ils ont demandé au ministre de leur accorder cette couverture, en invoquant des circonstances exceptionnelles et impérieuses. Aucune couverture n’était en vigueur au moment de la décision du 3 septembre 2019, mais elle leur a été fournie plus tard au cours de ce mois‑là.
III.
La décision faisant l’objet du contrôle
[8]
La décision énonce les facteurs pertinents en ce qui concerne l’établissement des demandeurs au Canada et l’analyse de l’ISE, ainsi que d’autres facteurs à prendre en considération, comme le fait que les demandeurs se sont présentés sous une fausse identité lorsqu’ils sont venus au Canada et ont demandé l’asile.
[9]
L’agent a accepté le fait que les demandeurs étaient bien établis au Canada et a jugé que ce facteur était favorable. Cependant, l’agent a fait remarquer que les demandeurs avaient intentionnellement caché leur véritable identité aux autorités canadiennes afin d’obtenir le statut de réfugié. Bien que les demandeurs aient affirmé avoir induit en erreur les autorités canadiennes parce qu’ils craignaient d’être harcelés aux Pays‑Bas, l’agent a conclu que leurs explications étaient insuffisantes.
[10]
L’agent a examiné les allégations des demandeurs concernant des faits qui se seraient produits aux Pays‑Bas, mais a rejeté leurs explications, jugeant leur crainte hypothétique. Bien que des éléments prouvent que des incidents s’étaient produits dans le passé, l’agent a trouvé peu d’éléments de preuve étayant la probabilité d’un harcèlement futur. L’agent a également constaté que les demandeurs avaient signalé les incidents à la police et avaient reçu de l’aide, comme le montrent les rapports de police présentés en preuve. L’agent a déclaré que rien dans la preuve n’indiquait que la famille que les demandeurs craignaient avait le pouvoir ou l’influence nécessaire pour leur nuire malgré l’intervention de la police. Faisant référence à la documentation sur la situation aux Pays‑Bas, l’agent a conclu que la police néerlandaise était apte et disposée à fournir une protection adéquate aux demandeurs s’ils retournaient dans leur pays de citoyenneté et étaient victimes de harcèlement. Par conséquent, l’agent a accordé peu de poids à la menace éventuelle et a conclu qu’il était peu probable que les demandeurs éprouvent des difficultés advenant leur retour aux Pays‑Bas.
[11]
L’agent a donc jugé que les raisons pour lesquelles les demandeurs avaient quitté les Pays‑Bas et dissimulé leur identité aux autorités d’immigration canadiennes n’étaient pas convaincantes. L’agent a plutôt conclu qu’ils avaient agi dans leur propre intérêt en cherchant à obtenir un statut au Canada en matière d’immigration par des moyens frauduleux, et il a jugé que leurs actions constituaient un facteur défavorable.
[12]
L’agent a ensuite examiné l’observation des demandeurs selon laquelle ils auraient des difficultés à s’intégrer aux Pays‑Bas, parce qu’ils ne parlaient pas le néerlandais. Il a rejeté cette observation, parce que les demandeurs adultes avaient appris l’anglais et fait preuve d’une capacité d’adaptation en s’installant à un certain nombre de reprises à divers endroits dans le monde. Selon l’agent, le fait de retourner aux Pays‑Bas sans pouvoir parler couramment le néerlandais n’était pas un facteur convaincant susceptible de représenter une difficulté. L’agent a également précisé que les demandeurs avaient travaillé pendant leur séjour aux Pays‑Bas de 1999 à 2007, ce qui témoigne d’une certaine familiarité avec la culture, le pays et les gens. L’agent a donc accordé peu de poids à la difficulté d’intégration aux Pays‑Bas.
[13]
Par ailleurs, l’agent a constaté qu’Ali était venu au Canada alors qu’il était enfant, qu’il avait appris l’anglais et qu’il avait obtenu son diplôme d’études secondaires ici. Il travaille et souhaite poursuivre des études postsecondaires. L’agent a pris acte des liens d’Ali au Canada et de ses inquiétudes face à la perspective de retourner aux Pays‑Bas en raison de ses souvenirs d’enfance et des craintes de ses parents. L’agent a aussi relevé son expérience importante en matière de déménagements internationaux. Dans l’ensemble, l’agent jugé que le désir d’Ali de demeurer au Canada était un facteur favorable, désir qui doit par contre être soupesé en fonction des agissements de ses parents qui ont trompé les autorités de l’immigration.
[14]
L’agent s’est ensuite penché sur la situation d’Iljas. Il a souligné ses diagnostics médicaux qui nécessitaient de nombreux soins, ainsi que sa lettre décrivant sa peur d’aller aux Pays‑Bas, parce qu’il ne parle pas le néerlandais, et son inquiétude quant à ses traitements médicaux. L’agent a pris en considération les soins de santé spécialisés qu’Iljas recevait au Canada de la part d’une équipe de médecins, et le fait qu’il attendait une greffe de rein. Selon l’agent, les besoins d’Iljas en matière de soins de santé sont élevés et sont bien pris en charge au Canada, ce qu’il a décrit comme un facteur favorable.
[15]
En outre, l’agent a pris en considération la crainte des parents d’Iljas pour sa santé s’il retourne aux Pays‑Bas, et a souligné leur préoccupation qu’il ne reçoive pas les mêmes soins qu’au Canada. L’agent a décrit cette préoccupation comme étant sérieuse, à prendre en compte, mais a constaté un manque de preuve démontrant que le système de santé néerlandais ne pouvait pas assurer le traitement médical d’Iljas. En effet, il a évoqué la preuve documentaire selon laquelle ce système avait été classé comme le meilleur d’Europe. De ce fait, l’agent a conclu que l’intérêt supérieur d’Iljas ne serait pas compromis s’il retournait aux Pays‑Bas.
[16]
L’agent a ensuite examiné la situation de la fille canadienne des demandeurs, qui avait 6 ans au moment de la décision. L’agent a noté qu’elle réussissait bien à l’école, qu’elle parlait anglais et qu’elle se sentait chez elle au Canada. Il a conclu qu’il était dans son intérêt supérieur qu’elle demeure auprès de sa famille aimante, quel que soit le lieu de résidence. L’agent a fait remarquer que, bien qu’elle ne parlait pas le néerlandais, elle était très jeune et elle vivait dans un contexte multiculturel au Canada, et il a conclu que, si elle vivait aux Pays‑Bas avec sa famille, elle recevrait de bons soins, aurait accès à une éducation et résiderait dans une société pacifique, de sorte que son intérêt supérieur ne serait pas compromis.
[17]
En conclusion, bien que les facteurs présentés à l’appui de la demande aient été très favorables, l’agent a jugé que les fausses déclarations des demandeurs dans leur demande d’asile constituaient un facteur défavorable et, après une appréciation globale de tous les facteurs, a conclu que les facteurs favorables n’étaient pas suffisants pour justifier la mesure de réparation demandée.
IV.
Les questions en litige et la norme de contrôle
[18]
Les demandeurs soumettent ces questions à la Cour :
L’agent a‑t‑il commis une erreur dans l’appréciation de l’intérêt supérieur des enfants?
L’agent a‑t‑il commis une erreur lorsqu’il a examiné les difficultés auxquelles les demandeurs feraient face s’ils retournaient aux Pays‑Bas?
L’agent a‑t‑il formulé des suppositions quant à la capacité d’adaptation des demandeurs?
[19]
Les parties conviennent, et je suis du même avis, que ces questions doivent être examinées selon la norme de la décision raisonnable.
V.
Analyse
A.
L’agent a‑t‑il commis une erreur dans l’appréciation de l’intérêt supérieur des enfants?
[20]
Les demandeurs soulèvent un certain nombre d’arguments à l’appui de leur position selon laquelle l’analyse de l’ISE faite par l’agent est déraisonnable. L’un de leurs principaux arguments est que l’agent n’a pas fait preuve de l’attention et de la sensibilité requises à l’égard de l’ISE, car la mention, dans la décision, selon laquelle les besoins d’Iljas en matière de soins de santé étaient bien pris en charge au Canada démontre que l’agent a négligé le fait qu’au moment de la décision, Iljas ne bénéficiait pas de la couverture des soins médicaux au Canada.
[21]
Comme l’affirment les demandeurs, le dossier présenté à l’agent prouve qu’Iljas n’avait pas de couverture médicale au moment de la décision. Toutefois, je ne peux conclure que le défaut pour l’agent de mentionner ce fait, ou la remarque selon laquelle Iljas était bien soigné au Canada, rend la décision déraisonnable. Comme le soutient le défendeur, la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire reposait en partie sur les soins de santé que recevait Iljas au Canada, que ses parents et lui ne souhaitaient pas voir perturbés par un déménagement aux Pays‑Bas. L’agent semble avoir accepté l’argument des demandeurs et l’avoir considéré comme un facteur d’ordre humanitaire favorable. En fait, la constatation que le financement public des soins de santé n’était pas encore disponible aurait pu entraîner une appréciation moins favorable de ce facteur, parce que le financement de ses soins aurait été plus accessible aux Pays‑Bas. Je ne constate donc aucune erreur susceptible de contrôle découlant de cet argument.
[22]
Les demandeurs font également valoir que l’analyse de l’ISE relative à Iljas ne tient pas compte de considérations autres que son état de santé et son traitement médical. En particulier, ils affirment que l’agent n’a pas apprécié les défis auxquels Iljas ferait face pour apprendre le néerlandais ou s’installer dans un nouveau pays, compte tenu de son état de santé. Les demandeurs soulignent que l’agent a expressément examiné ces difficultés concernant les deux autres enfants.
[23]
Je considère que cet argument est peu fondé. La décision fait mention de la déclaration d’Iljas selon laquelle il ne veut pas retourner aux Pays‑Bas, parce qu’il ne parle pas néerlandais, qu’il n’y a pas d’amis et qu’il craint pour sa santé. L’agent se penche ensuite sur l’état de santé d’Iljas, sur les soins qu’il a reçus au Canada et sur la disponibilité des soins aux Pays‑Bas. Les problèmes de santé d’Iljas constituaient l’un des principaux facteurs sous‑tendant la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Dans ce contexte, y compris la remarque de l’agent concernant les difficultés non médicales soulevées par Iljas, l’accent mis dans la décision sur ses soins médicaux ne permet pas de conclure que l’agent a négligé les difficultés non médicales dans le cadre de son analyse de l’ISE.
[24]
Les demandeurs font également valoir que l’agent n’a pas tenu compte des difficultés liées à l’arrêt temporaire de la dialyse pendant le déménagement aux Pays‑Bas, des effets de la transition vers de nouveaux fournisseurs de soins médicaux ou de la possibilité d’une greffe de rein aux Pays‑Bas. Toutefois, comme le défendeur le soutient, l’agent a fait remarquer que les demandeurs n’avaient fourni aucun élément de preuve indiquant que les soins d’Iljas seraient compromis s’il retournait aux Pays‑Bas. Dans le cadre d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, il incombe au demandeur de fournir les éléments de preuve nécessaires pour établir le bien‑fondé de sa demande (voir, par exemple, Zhu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 952 au para 20).
[25]
Enfin, en ce qui concerne l’analyse de l’ISE, les demandeurs soutiennent que l’agent a incorrectement entrepris cette analyse sous l’angle des difficultés, en se concentrant sur la question de savoir si les enfants pouvaient surmonter les difficultés qui accompagneraient un déménagement aux Pays‑Bas. Je ne souscris pas à cette qualification de l’analyse de l’agent. Comme le fait remarquer le défendeur, lorsqu’il procède à une appréciation de l’ISE, un agent n’est pas tenu d’utiliser une formulation particulière (voir Boukhanfra c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 4 aux para 18‑24). En l’espèce, l’agent ne considérait pas les difficultés comme une condition préalable à une appréciation favorable de l’ISE, mais tenait plutôt compte des préoccupations particulières soulignées par les demandeurs dans leur demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.
B.
L’agent a‑t‑il commis une erreur lorsqu’il a examiné les difficultés auxquelles les demandeurs feraient face s’ils retournaient aux Pays‑Bas?
[26]
Les demandeurs affirment que l’agent a apprécié de manière déraisonnable les difficultés qui seraient associées à un retour aux Pays‑Bas. Premièrement, selon eux, la décision démontre que certains éléments de preuve directement pertinents n’ont pas été pris en compte. Ils citent l’affidavit présenté par Mme Mashala, la lettre fournie par un ami de la famille résidant aux Pays‑Bas et les rapports de police relatifs aux problèmes rencontrés avant leur départ des Pays‑Bas.
[27]
Dans son affidavit, Mme Mashal témoigne de sa crainte que sa famille soit soumise à des menaces et à des abus si elle retourne aux Pays‑Bas. Selon les demandeurs, il s’agit d’un élément de preuve quant à un risque prospectif dont l’agent n’a pas tenu compte. Toutefois, l’agent prend expressément en considération les déclarations de Mme Mashal, à savoir qu’elle retournerait à une situation de harcèlement, mais juge que ces craintes ne sont qu’hypothétiques. Il ressort clairement de la décision que son affidavit n’a pas été négligé.
[28]
De même, l’agent se penche expressément sur les documents relatifs aux déclarations faites par les demandeurs à la police, au sujet des incidents impliquant la famille afghano‑néerlandaise. Les demandeurs font valoir que le dernier des rapports n’indique aucune mesure particulière prise par la police. Or, cette observation ne permet pas de conclure que l’agent a fait abstraction de cet élément de preuve. En effet, l’agent se fonde sur la preuve des interactions des demandeurs avec la police, ainsi que sur la documentation quant à la situation dans le pays et au système de police néerlandais, pour conclure que la police est disposée et apte à protéger les demandeurs s’ils font à nouveau l’objet de harcèlement. Je ne relève rien de déraisonnable dans la manière dont il a apprécié cette preuve.
[29]
L’agent ne fait pas expressément mention de la lettre de l’ami des demandeurs, qui traite des menaces faites en 2017. L’agent est néanmoins présumé avoir examiné tous les éléments de preuve, à moins que le contraire ne soit démontré (voir, par exemple, Daniel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 248 aux para 26‑27, s’appuyant sur Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425 (CF 1re inst) aux para 16‑17). Dans la présente affaire, l’agent déclare qu’il existe [traduction] « très peu »
d’éléments de preuve prospectifs indiquant que les demandeurs seraient victimes de harcèlement aux Pays‑Bas. Cette constatation ne permet pas de conclure que l’agent a omis de tenir compte de la lettre de l’ami des demandeurs. Qui plus est, comme mentionné précédemment, l’agent conclut raisonnablement que, si les demandeurs sont effectivement victimes de harcèlement à leur retour aux Pays‑Bas, la police néerlandaise sera en mesure de les protéger.
[30]
Par ailleurs, les demandeurs soutiennent que l’agent n’a pas tenu compte des difficultés auxquelles ils feraient face, compte tenu de leur établissement au Canada, s’ils devaient demander la résidence permanente depuis l’étranger. Ils s’appuient sur la jurisprudence selon laquelle un tel manquement peut constituer une erreur susceptible de contrôle (voir, par exemple, Stuurman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 194 au para 24).
[31]
À mon avis, il n’y a pas d’erreur de cette nature dans la décision. L’agent analyse les éléments de preuve indiquant que les demandeurs sont très bien établis au Canada et juge que ce facteur est favorable. Cependant, il souligne aussi que le fait qu’ils laissent derrière eux de tels liens au Canada ne serait pas nécessairement suffisant pour justifier d’accueillir une demande de résidence permanente présentée au pays pour des considérations d’ordre humanitaire. Ce principe est bien établi (voir, par exemple, Singh Gill c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 835 au para 28). L’agent soupèse l’établissement des demandeurs et d’autres facteurs favorables par rapport à leur fausse déclaration concernant leur demande d’asile et n’est pas convaincu que les considérations d’ordre humanitaire justifient d’accueillir leur demande. Cette analyse et cette conclusion sont raisonnables.
C.
L’agent a‑t‑il formulé des suppositions quant à la capacité d’adaptation des demandeurs?
[32]
Selon les demandeurs, pour prendre sa décision, l’agent a fait des suppositions erronées quant à leur résilience et à leur capacité d’adaptation. Ils s’appuient sur la décision Bautista c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1008 [Bautista] au para 28, dans laquelle le juge Diner a fait remarquer que les enfants sont beaucoup plus malléables que les adultes, et que quiconque se pose au départ la question de savoir s’ils vont pouvoir s’adapter aboutira presque inévitablement à une conclusion affirmative, et videra de son sens l’obligation de prendre en compte l’ISE. De même, dans la décision Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1633 au para 31, le juge Diner a déclaré que c’était une erreur de conclure que les enfants ont la capacité de s’adapter à un nouvel environnement parce qu’ils sont jeunes.
[33]
Les demandeurs citent aussi la décision Edo‑Osagie c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1084 aux para 27‑29, dans laquelle le juge Manson s’est appuyé sur la décision Bautista pour examiner les déclarations d’un agent concernant la capacité d’adaptation des enfants en fonction de la résilience intrinsèque inhérente à leur jeune âge. Dans cette affaire, le juge Manson s’est en revanche déclaré convaincu du caractère raisonnable de l’analyse de l’agent, parce que celui‑ci avait fondé sa conclusion, à savoir que les enfants s’adapteraient à leur nouvel environnement, sur la capacité de leurs parents à les guider dans la transition.
[34]
Dans le même ordre d’idées, les demandeurs font valoir que l’analyse de l’agent démontre également une erreur susceptible de contrôle, puisqu’il a utilisé le facteur favorable de leur établissement à leur détriment, en concluant que leur capacité à s’établir au Canada témoignait de leur capacité à s’adapter à leur retour aux Pays‑Bas (voir, par exemple, Sosi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1300 au para 18).
[35]
En revanche, le défendeur soutient que l’agent était en droit de prendre en considération la capacité d’adaptation des demandeurs, y compris celle des enfants, ainsi que leur aptitude à s’établir à nouveau aux Pays‑Bas. Il renvoie la Cour à la décision Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 503 au para 33, dans laquelle la juge McDonald a conclu à l’absence d’erreur lorsqu’un agent a pris en compte l’aptitude du demandeur à s’adapter à la vie en Chine indépendamment des facteurs d’établissement. De même, dans la décision Shah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 537 au para 74, la juge Kane a conclu que l’agent, qui tenait compte de la capacité d’adaptation des enfants, n’avait pas commis d’erreur dans son appréciation de l’ISE.
[36]
Selon moi, il n’y a aucune contradiction entre ces précédents. La capacité d’adaptation d’un demandeur à son retour dans un autre pays est une question pertinente. Les agents commettent une erreur s’ils émettent des suppositions sur la capacité d’adaptation en l’absence de preuve, en se fondant uniquement sur le jeune âge des enfants, ou s’ils confondent, dans leur analyse, les facteurs d’établissement avec ceux relatifs aux difficultés. En l’espèce, je ne considère pas que la décision démontre l’une de ces erreurs. Pour apprécier la capacité d’adaptation des demandeurs, indépendamment de l’analyse de leur établissement, l’agent a tenu compte de leur expérience personnelle, notamment de leurs antécédents en matière de résidence aux Pays‑Bas et du soutien pouvant être apporté aux enfants par M. et Mme Mashal.
VI.
Conclusion
[37]
Après avoir examiné les arguments des demandeurs, je ne vois aucune raison de conclure que la décision contestée est déraisonnable. De ce fait, la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Aucune des parties n’a soulevé de question à certifier en vue d’un appel, et aucune question n’est énoncée.
JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑5567‑19
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée en vue d’un appel.
« Richard F. Southcott »
Juge
Traduction certifiée conforme
Christian. Laroche, LL.B., juriste‑traducteur
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
IMM‑5567‑19
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INTITULÉ :
|
MASUD MASHAL, FATIMA ANWARI MASHAL, ALI MASHAL, ILJAS MASHAL représenté par son tuteur MASUD MASHAL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
|
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE À TORONTO
|
DATE DE L’AUDIENCE :
|
LE 17 AOÛT 2020
|
JUGeMENT et motifs :
|
LE JUGE SOUTHCOTT
|
DATE DES MOTIFS :
|
LE 17 SEPTEMBRE 2020
|
COMPARUTIONS :
Arvin Afzali
|
POUR LES DEMANDEURS
|
Laura Upans
|
POUR LE DÉFENDEUR
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Auxilium Law Professional Corporation
Toronto (Ontario)
|
POUR LES DEMANDEURS
|
Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
|
POUR LE DÉFENDEUR
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