Date : 20001116
Dossier : IMM-5500-99
ENTRE :
HEWLETTE HARRIS,
demandeur,
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,
défendeur.
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
LE JUGE HENEGHAN
[1] M. Hewlette Harris (le « demandeur » ) demande le contrôle judiciaire de l'opinion du représentant du ministre, M. W.A. Sheppit, formulée le 5 mai 1999, selon laquelle le demandeur constitue un danger pour le public au Canada. Le ministre s'est donc exprimé en ce sens en application du paragraphe 46.01(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2. Le redressement demandé à l'issue du contrôle judiciaire est une ordonnance portant annulation de l'opinion du représentant du ministre.
[2] Le demandeur est citoyen de la Guyane. Aucun statut ne lui est reconnu au Canada. Le 24 août 1998, il a été déclaré coupable de deux infractions : possession de stupéfiant en vue d'en faire le trafic et possession d'une arme à autorisation restreinte. Il a été condamné à une peine d'emprisonnement de six ans.
[3] Après l'établissement du rapport visé au paragraphe 27(2) de la Loi, Citoyenneté et Immigration Canada a recommandé d'obtenir l'opinion du ministre suivant l'article 46 de la Loi. Le demandeur en a été informé par lettre datée du 3 décembre 1998 et il s'est prévalu de la possibilité qui lui a été offerte de présenter les observations à ce sujet.
[4] Une demande formelle a été rédigée, toujours sur le fondement du par. 46.01(1) de la Loi. Elle était accompagnée du profil de dangerosité du demandeur, de considérations concernant les risques liés au renvoi, ainsi que des remarques et de la recommandation de l'agent de réexamen. La demande indiquait que l'agent de réexamen, Sue Edkins, n'était pas d'accord avec la décision de Citoyenneté et Immigration Canada de demander au ministre si, selon lui, le demandeur constitue un danger pour le public. L'agent de réexamen a formulé les observations suivantes :
[TRADUCTION] Je suis en désaccord avec la décision de CIC de demander au représentant du ministre si, selon lui, Hewlette Harris constitue un danger pour le public, conformément au paragraphe 46.01(1). J'ai examiné attentivement l'avis, les documents à l'appui énumérés dans l'avis et le rapport concernant l'opinion du ministre établi par CIC, de même que les observations formulées par l'avocat et la conjointe de M. Harris. Ils représentent la totalité des documents remis au représentant du ministre à l'appui de la demande qui lui est faite de déterminer si, selon lui, Hewlette Harris constitue un danger pour le public, conformément au paragraphe 46.01(1) de la Loi sur l'immigration.1 |
[5] L'analyste principal Glen O'Brien a examiné la demande adressée au ministre. Le 4 mai 1999, il y a inscrit son désaccord avec l'évaluation de l'agent de réexamen, Sue Edkins. Voici ce qu'il a écrit :
[TRADUCTION] Je partage l'avis de l'agent du bureau local selon lequel suffisamment d'éléments justifient raisonnablement le ministre de conclure que l'intéressé constitue un danger pour le public.2 |
[6] Accompagnée des avis contradictoires de l'agent de réexamen et de l'analyste principal, la demande adressée au ministre a été acheminée à M. Sheppit. Le 5 mai 1999, ce dernier a déterminé, conformément au paragraphe 46.01(1) de la Loi, que, selon lui, le demandeur constitue un danger pour le public. Il n'a invoqué aucun motif à l'appui.
[7] Le demandeur a soulevé un certain nombre de questions lors de l'audition de sa demande de contrôle judiciaire. Il soutient généralement que le représentant du ministre a commis une erreur en tirant sa conclusion. Toutefois, son premier reproche à cet égard se fonde sur le libellé de la disposition appliquée.
[8] Comme il est mentionné précédemment, le représentant du ministre renvoie au paragraphe 46.01(1) de la Loi, dont le texte débute comme suit :
46.01 (1) La revendication de statut n'est pas recevable par la section du statut si l'intéressé se trouve dans l'une ou l'autre des situations suivantes... |
46.01 (1) A person who claims to be a Convention refugee is not eligible to have the claim determined by the Refugee Division if the person ... |
[9] Le demandeur dit ne pas être un réfugié au sens de la Convention. Il n'a jamais demandé le statut de réfugié et, suivant le paragraphe 8 de l'affidavit joint à sa demande, il ne compte pas le faire. Le demandeur fait valoir que le représentant du ministre a manifestement commis une erreur en fondant sa décision sur cette disposition étant donné que nul ne conteste que le demandeur n'est pas une personne revendiquant le statut de réfugié au sens de la Convention.
[10] Deuxièmement, le demandeur allègue que, en présentant sa décision comme une décision fondée sur le paragraphe 46.01(1), le représentant du ministre a délibérément agi de façon à l'empêcher de revendiquer ultérieurement le statut de réfugié au Canada et que ses intentions trahissent sa partialité.
[11] Enfin, le demandeur prétend que la conclusion tirée par le ministre est entachée d'un vice qui emporte sa nullité, aucun motif n'étant invoqué à l'appui.
[12] Selon moi, il n'est pas nécessaire d'examiner les deuxième et troisième arguments du demandeur. J'estime que la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie sur le fondement du premier argument.
[13] Il ressort des éléments contenus dans le dossier certifié de l'office fédéral qu'aucun statut n'a légalement été reconnu au demandeur au Canada. Il ne s'agit pas d'un résident permanent, et il n'a pas revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention. Le demandeur est au pays depuis 1983. Les documents présentés au représentant du ministre établissent clairement et de manière non équivoque que le demandeur ne jouit d'aucun statut au Canada. Rien ne paraît expliquer la décision du représentant du ministre de tirer une conclusion suivant le paragraphe 46.01(1) dans la mesure où, de prime abord, la disposition législative ne s'applique qu'à une personne ayant revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention.
[14] La décision de la Cour dans Gervasoni c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 110 F.T.R. 297 (C.F. 1re inst.) ne s'applique pas en l'espèce. Dans la présente affaire, le demandeur n'a pas fait l'objet d'une mesure d'expulsion conditionnelle. En outre, dans Gervasoni, précité, le statut de réfugié au sens de la Convention avait été revendiqué, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.
[15] La demande de contrôle judiciaire est accueillie, et l'ordonnance du représentant du ministre datée du 5 mai 1999 est annulée.
[16] À l'audience, l'avocat du demandeur a tenté de soulever la question de la production de nouveaux éléments de preuve aux fins d'une demande de contrôle judiciaire visant la conclusion du ministre selon laquelle une personne constitue un danger pour le public au Canada. Il a demandé la certification de deux questions s'y rapportant directement.
[17] L'avocat du défendeur a demandé qu'un délai lui soit accordé après le dépôt des présents motifs pour qu'il puisse éventuellement demander la certification d'une question.
[18] Les avocats des parties ont sept jours à partir de la réception des présents motifs pour demander à la Cour de certifier que l'affaire soulève une question grave de portée générale.
E. Heneghan
Juge |
Ottawa (Ontario)
16 novembre 2000
Traduction certifiée conforme
Claire Vallée, LL.B.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-5500-00 |
INTITULÉ DE LA CAUSE : HEWLETTE HARRIS c. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION |
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO) |
DATE DE L'AUDIENCE : 8 novembre 2000 |
MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MADAME LE JUGE HENEGHAN en date du 16 novembre 2000.
ONT COMPARU :
Me MUNYONZWE HAMALENGWA POUR LE DEMANDEUR |
Me STEPHEN H. GOLD POUR LE DÉFENDEUR |
PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :
MUNYONZWE HAMALENGWA POUR LE DEMANDEUR |
Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR |
Sous-procureur général du Canada
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