Date : 19990112
Dossier : T-2685-95
ENTRE
COCA-COLA LTÉE et COCA-COLA BOTTLING LTD.,
demanderesses,
et
MUSADIQ PARDHAN, exploitant son entreprise sous le nom
d"UNIVERSAL EXPORTERS,
1106972 ONTARIO LIMITED, exploitant son entreprise sous le nom
d"UNIVERSAL EXPORTERS et MUSTAFA PARDHAN, et
PIERRE UNTEL et les AUTRES PERSONNES QUE LES DEMANDERESSES NE CONNAISSENT PAS ET QUI METTENT EN VENTE, VENDENT ET EXPORTENT DES PRODUITS COCA-COLA TRANSBORDÉS OU EN FONT LE COMMERCE,
défendeurs.
MOTIFS DE L"ORDONNANCE ET ORDONNANCE
LE JUGE LUTFY
[1] Les défendeurs Musadiq Pardhan et Mustafa Pardhan sollicitent la rescision de deux ordonnances ex parte que le juge en chef adjoint Jerome a prononcées contre eux le 29 juillet 1997. La première était une ordonnance Anton Piller visant à préserver certains documents à l"appui de la seconde, qui était une ordonnance de justification relative à un outrage au tribunal.
[2] Les demanderesses ont obtenu ces deux ordonnances sur la foi d"affidavits qui avaient été faits le 28 juillet 1997 par un enquêteur privé, Michael Cowan, et par un avocat, Andrew M. Shaughnessy. Les deux déclarants alléguaient que les défendeurs avaient violé l"ordonnance interlocutoire du 8 janvier 1996, par laquelle le juge MacKay leur interdisait, entre autres choses, d"envoyer les produits des demanderesses à des tiers à l"extérieur du Canada.
[3] Un grand nombre des documents qui ont été obtenus par suite de l"exécution immédiate de l"ordonnance Anton Piller ont été produits en preuve lors de l"audience relative à l"outrage au tribunal, qui a commencé le 28 avril 1998. L"audience a duré huit jours; elle s"est déroulée au cours de la dernière semaine du mois d"avril, de la première semaine du mois de juin et, dans le cadre d"une commission, à Newark, au New Jersey, en août. Les plaidoiries orales devaient être entendues du 15 au 18 décembre 1998. La requête que les défendeurs ont présentée en vue de faire infirmer l"ordonnance Anton Piller et l"ordonnance de justification devait être présentée le 15 décembre 1998 et elle devait être entendue le jour suivant. Les parties n"ont pas contesté qu"il était approprié que le juge qui avait présidé l"audience relative à l"outrage au tribunal soit saisi de cette requête, étant donné en particulier que le juge en chef adjoint Jerome s"était retiré de cette cour en mars 1998 et que toute la preuve avait été présentée lors de l"audience relative à l"outrage au tribunal1.
[4] Dans leur requête, les défendeurs invoquent notamment les motifs suivants :
[TRADUCTION] |
1. Les demanderesses ont présenté à la Cour un affidavit trompeur lors de l"audience ex parte qui a eu lieu en vue de l"obtention d"une ordonnance Anton Piller, le 29 juillet 1997. Plus précisément, les avocats des demanderesses ont présenté devant la Cour, lors d"une audience ex parte , des éléments de preuve incomplets et faux au sujet de la surveillance des défendeurs et des activités qu"il avait ainsi été possible d"observer. |
2. Dans la requête ex parte, les demanderesses n"ont pas communiqué pleinement, en ce qui concerne la surveillance des défendeurs, tous les points saillants tendant à établir la conduite constituant un outrage au tribunal et elles ne disposaient pas d"une preuve prima facie permettant l"octroi du redressement demandé. |
La preuve documentaire sur laquelle les défendeurs se fondaient figure dans la documentation qu"ils ont produite :
1. Les actes de procédure et procédures dans la présente instance, y compris tout affidavit déjà produit; |
2. L"affidavit de Michael Cowan; |
3. La transcription de l"interrogatoire de Michael Cowan; |
4. La transcription de la déposition qu"Anthony Acchione avait faite à l"audience; |
5. La transcription de la déposition qu"Ed Reiken avait faite à l"audience; |
6. Les pièces D 19, D 20, D 21, D22 produites lorsque la demande relative à l"outrage au tribunal a été entendue par le juge Lutfy. |
Le deuxième document est l"affidavit du 28 juillet 1997 de M. Cowan; le troisième document est la transcription du contre-interrogatoire de M. Cowan, qui a eu lieu le 14 octobre 1997 dans le contexte des audiences de révision de l"ordonnance Anton Piller. Les pièces D-19 à D-22 ont été produites et examinées pendant les interrogatoires de MM. Anthony Acchione et Ed Reiken, deux enquêteurs privés qui ont témoigné au cours de l"audience relative à la question de l"outrage au tribunal.
[5] Dans leur documentation, les demanderesses ont mentionné une requête préparée par l"avocat des défendeurs vers le 17 août 1997. Dans cette requête, les défendeurs sollicitaient, entre autres choses, la [TRADUCTION] " radiation ou rescision " de l"ordonnance de justification relative à l"outrage au tribunal du 29 juillet 1997 en se fondant sur le fait que la version dactylographiée de l"injonction interlocutoire rendue par le juge MacKay le 8 janvier 1996 [TRADUCTION] " n"" empêche " pas réellement les défendeurs de faire quoi que ce soit ". La requête n"a jamais été déposée. Les défendeurs n"ont pas soulevé la question dans la présente requête, qui vise à la rescision des ordonnances ex parte .
[6] Les défendeurs soutiennent essentiellement que les faits énoncés dans trois paragraphes de l"affidavit du 28 juillet 1997 de M. Cowan sont loin de constituer une communication complète et franche. Il convient de reproduire les paragraphes contestés et les renseignements exacts additionnels mis entre parenthèses et en italiques qui, selon les défendeurs, auraient dû être communiqués à la Cour :
[TRADUCTION] |
26. Le deuxième cas d"activités de transbordement s"est produit le 30 mai 1997. Ce jour-là, on a vu Musadiq Pardhan aux bureaux de 3-M, avec Mustafa Pardhan. De plus, le vendredi 30 mai 1997, Musadiq Pardhan et Mustafa Pardhan se sont rendus au Price Club situé au coin des chemins Warden et Ellesmere, à Scarborough (Ontario). À ce moment-là, il y avait environ 56 plateaux de produits Coca-Cola sur la plate-forme de chargement du Price Club. |
27. Une vingtaine de minutes plus tard, Musadiq Pardhan et Mustafa Pardhan sont sortis du Price Club et sont retournés aux bureaux de 3-M. [Ni l"un ni l"autre n"ont été vus dans le magasin du Price Club.] |
28. Les 56 plateaux de produits Coca-Cola étaient tenus sous surveillance au Price Club et l"on a constaté que, le mardi 3 juin 1997, ils [certains d"entre eux] ont été transportés du Price Club jusqu"à un endroit connu sous le nom de Chevdi Freight, situé au 89, promenade Thornmount, unité 5, à Scarborough. On a vu la remorque qui reculait jusqu"à une plate-forme de chargement, à cet endroit, et on a constaté que les produits Coca-Cola ont été déchargés sur les lieux. Peu de temps après, on a vu ces produits être chargés dans deux [un] conteneurs maritimes de 20 pieds qui étaient transportés par une compagnie connue sous le nom de Paul"s Transport. Les conteneurs portaient les numéros TRLU3255023 et CBHU0084404, de Trans-American Leasing. Une fois les conteneurs chargés, on les a suivis jusqu"à l"installation intermodale du Canadien Pacifique, sur le chemin Rutherford à Vaughan (Ontario). |
[7] Les défendeurs soutiennent essentiellement que, même si on les a vus sur les lieux du Price Club dans leur véhicule à moteur, on ne les a pas vus dans le magasin. Autrement dit, le fait qu"aucun des deux enquêteurs n"a en fait vu les défendeurs acheter des plateaux de produits Coca-Cola au Price-Club aurait dû être communiqué à la Cour.
[8] L"affidavit de M. Cowan renfermait d"autres renseignements :
[TRADUCTION] |
29. J"ai été informé par Andrew M. Shaughnessy, et j"ai tous les motifs de croire, qu"il avait communiqué avec le Canadien Pacifique; on l"a informé que les deux conteneurs en question devaient être envoyés à Hong Kong par Vancouver. Une liasse de documents qui, selon M. Shaughnessy et à ma connaissance, sont des documents qui ont été télécopiés par le Canadien Pacifique et sur lesquels figurent tous les renseignements relatifs à l"expédition de ces deux conteneurs est jointe aux présentes sous la cote " F ". En particulier, deux factures de Paul"s Transport montrent que les frais de transport devaient être facturés à Chevdi Freight, au 89, Thornmount, Scarborough (Ontario). Selon les documents, les marchandises étaient expédiées par 1184268 Ontario Limited (la compagnie à numéro qui est connue sous le nom de " 3-M International Freight Forwarders "). Les marchandises, décrites comme étant des " conserves alimentaires ", devaient être envoyées à Hong Kong à bord de l"EMPRESS HEAVEN. Les autres documents sont des déclarations d"exportateurs du produit, qui montrent que l"acheteur final est une compagnie connue sous le nom de " Man Lee Hong ", à Hong Kong. Man Lee Hong est une compagnie avec laquelle Universal Exporters, Musadiq Pardhan et Mustafa Pardhan ont traité à plusieurs reprises en 1995. La preuve recouvrée par suite de l"exécution de l"ordonnance Anton Piller initiale montrait que les défendeurs avaient vendu onze conteneurs maritimes de produits COCA-COLA à Man Lee Hong à ce moment-là. De plus, les numéros des conteneurs sont clairement mentionnés dans les déclarations d"exportateurs. Enfin, il est fait mention d"une compagnie du New Jersey, au 9, rue Grove, bureau 1, Kearny, New Jersey, 07032. En fouillant dans les déchets des Pardhan, on a subséquemment découvert un document sur lequel cette adresse figure (voir la pièce " S "). [Je souligne]. |
Selon l"affidavit, le seul dirigeant ou administrateur de 1184268 Ontario Limited était une personne dont le nom de famille était le même que celui de la conjointe de Mustafa Pardhan. M. Pardhan avait également garanti l"hypothèque sur la résidence enregistrée au nom de sa conjointe.
[9] Les défendeurs n"ont pas établi que les présumées fausses déclarations avaient été faites délibérément. Rien ne donne à entendre qu"on ait eu l"intention d"induire la Cour en erreur. J"ai examiné les deux affidavits et les nombreuses pièces qui ont été produites à l"appui des ordonnances ex parte . Les notes que M. Acchione a rédigées à la main le jour où il a fait enquête correspondent aux renseignements figurant au paragraphe 27 de l"affidavit de M. Cowan. Toutefois, il serait possible d"inférer qu"on a en fait vu les défendeurs dans le magasin. La phrase additionnelle proposée par les défendeurs aurait peut-être dû être ajoutée de façon qu"aucune inférence de ce genre ne soit faite. Les deux modifications proposées par les défendeurs, au paragraphe 28, montrent que les enquêteurs n"ont peut-être vu qu"un seul conteneur maritime être chargé. À mon avis, la pertinence de ces inexactitudes, dans ces deux paragraphes, est au mieux contestable compte tenu de la preuve qui a été présentée devant le juge en chef adjoint Jerome2. Je ne doute pas que les ordonnances ex parte auraient dû être rendues même si les ajouts ou corrections maintenant proposés sont pris en considération. En arrivant à cette conclusion, je me suis uniquement fondé sur les renseignements que les Pardhan ont fournis dans le cadre de la présente requête, sans tenir compte des autres éléments de preuve présentés à l"audience.
[10] La requête est donc rejetée et les dépens sont adjugés aux demanderesses, et ce, quelle que soit l"issue de la cause.
Allan Lutfy
Juge
Ottawa (Ontario)
Le 12 janvier 1999
Traduction certifiée conforme
Martine Guay, LL.L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
No DU GREFFE : T-2685-95 |
INTITULÉ DE LA CAUSE : COCA-COLA LTÉE ET AUTRE c. MUSADIQ PARDHAN ET AUTRES |
LIEU DE L"AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO) |
DATE DE L"AUDIENCE : LE 16 DÉCEMBRE 1998 |
MOTIFS DE L"ORDONNANCE ET ORDONNANCE DU JUGE LUTFY EN DATE DU 12 JANVIER 1999.
ONT COMPARU :
CHRISTOPHER PIBUS POUR LES DEMANDERESSES |
DAVID SEED POUR LES DÉFENDEURS |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
GOWLING, STRATHY POUR LES DEMANDERESSES |
& HENDERSON
TORONTO (ONTARIO)
MUIR & SEED POUR LES DÉFENDEURS |
BURLINGTON (ONTARIO)
__________________11 Voir Indian Manufacturing Ltd. c. Lo (1997), 75 C.P.R. (3d) 338 (C.A.F.) et Wilson c. La Reine, [1983] 2 R.C.S. 594 aux p. 607-609.
22 Voir Cullom Machine Tool & Die, Inc. c. Bruce Tile Inc. (1990), 34 C.P.R. (3d) 296, à la p. 304 où Madame le juge Reed a conclu qu"une assertion inexacte, qu"elle considérait comme délibérée, avait joué un certain rôle dans l"ordonnance Anton Piller, mais que ce rôle n"était pas suffisamment important pour justifier la rescision de l"ordonnance. De plus, je n"accorde aucune importance au fait que les déclarants n"ont pas divulgué qu"au moins un des Pardhan avait peut-être été informé qu"il était surveillé le 25 juillet 1997.