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Date : 20200909


Dossier : IMM-5540-19

Référence : 2020 CF 890

[traduction française]

Ottawa (Ontario), le 9 septembre 2020

En présence de madame la juge McVeigh

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

demandeur

et

MANMINDER SINGH MATTU

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, contestant la décision de la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada rendue le 28 août 2019.

[2]  Le ministre soutient que la SAI a commis une erreur en prétendument faisant fi du témoignage de trois de ses témoins, et en concluant que l’obligation de franchise, selon laquelle le défendeur devait déclarer une « fausse » cérémonie de mariage tenue en 1998 dans sa demande de résidence permanente, ne s’appliquait pas.

II.  Contexte

[3]  Le défendeur est un résident permanent du Canada. La présente affaire remonte à 1998, lorsque le défendeur a participé à une fausse cérémonie de mariage en Inde avec Sarabjit Kaur Sandhu (Mme Sandhu), résidente permanente du Canada. La SAI a conclu que la cérémonie était incomplète, puisque des conditions religieuses et juridiques n’avaient pas été remplies. La fausse cérémonie visait principalement l’obtention d’un statut d’immigration au Canada, mais il n’y a jamais eu de tentative de demander l’entrée au Canada au moyen de ce faux mariage.

[4]  Après la fausse cérémonie, des membres de la communauté locale ont affirmé qu’étant donné que le défendeur et Mme Sandhu étaient issus du même village, ils ne pouvaient pas se marier en raison d’une tradition locale qui veut que les personnes originaires du même village soient considérées comme frère et sœur. Dans la journée qui a suivi la cérémonie du mariage, le défendeur et des habitants du village ont entrepris des démarches pour « annuler » le faux mariage, dont la signature d’une « entente de divorce ».

[5]  Le 17 novembre 2005, le défendeur a épousé Mme Gurbax Kaur Mattu (Mme Gurbax), qui l’a parrainé pour qu’il devienne un résident permanent. La demande de parrainage a été initialement rejetée par un agent des visas, puis a été acceptée après avoir fait l’objet d’un appel devant la SAI. Dans la demande de résidence permanente au Canada, le défendeur devait inscrire à la question 10 s’il avait déjà été marié ou en union de fait. Le défendeur a répondu par la négative.

[6]  Le défendeur a obtenu sa résidence permanente au Canada le 16 novembre 2007. Il s’est par la suite séparé de Mme Gurbax le 2 janvier 2008 et a demandé le divorce. Après la rupture du mariage, la relation entre les deux est devenue très acrimonieuse. Mme Gurbax a prétendu que le défendeur s’était servi d’elle pour immigrer, et le défendeur a affirmé que celle-ci avait fait pression sur lui pour qu’il transfère des biens à son nom et qu’elle conservait son passeport tout en harcelant sa famille en Inde pour le retour d’éléments de sa dot.

[7]  Pendant un séjour de Mme Gurbax en Inde, celle-ci a appris que le défendeur avait participé à une cérémonie de mariage par le passé. Elle a déposé une plainte criminelle contre lui pour bigamie. La plainte s’est avérée non fondée puisque Mme Gurbax n’a pas pu prouver au cours du procès que le mariage était valide.  

[8]  Mme Gurbax a fait savoir à Citoyenneté et Immigration Canada que le défendeur l’avait leurrée, et elle a produit un DVD de la cérémonie du mariage de 1998 qu’elle avait obtenu pendant qu’elle était en Inde dans le but de montrer que celui-ci avait déjà été marié. L’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) a mené enquête sur le défendeur et a conclu qu’il avait fait une présentation erronée sur un fait important dans sa demande de résidence permanente.

A.  Historique procédural et judiciaire

[9]  En mai 2014, la Section de l’immigration a conclu que le défendeur n’était pas interdit de territoire au Canada au sens de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001 c 27 (la LIPR). Le ministre a interjeté appel et, en janvier 2017, au cours de quatre jours d’audience, il y a eu onze témoins qui ont déposé et plusieurs lettres, affidavits et déclarations ont été produits. Tout ceci pour dire que, avec la transcription, l’audience a généré des centaines de pages de documents en tant qu’éléments de preuve. La SAI a fait droit à l’appel du ministre et a conclu que le demandeur était interdit de territoire.

[10]  Le défendeur a présenté une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale, laquelle a été accueillie par le juge Manson le 24 août 2017 (Manminder Singh Mattu c Canada (Ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté), 2017 CF 781) au motif que le tribunal avait laissé de côté des témoignages oculaires.

[11]  L’affaire a été renvoyée à la SAI pour nouvelle décision, et la SAI a conclu le 28 août 2019, après deux jours d’audience, que le défendeur n’était pas interdit de territoire au Canada. Le ministre a demandé le contrôle judiciaire de cette décision à la Cour.

B.  Décision faisant l’objet du contrôle

[12]  La SAI a conclu que le défendeur n’avait pas fait de fausses déclarations au sens de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR. La décision portait sur la question de savoir s’il y avait eu un mariage légal entre le défendeur et Mme Sandhu en 1998 et, si ce n’était pas le cas, s’il y avait une obligation de franchise et s’il devait déclarer le faux mariage dans la demande de résidence permanente. La SAI a répondu aux deux questions par la négative. Il n’était pas nécessaire qu’elle examine l’autre question des considérations d’ordre humanitaire.

III.  Questions en litige

[13]  Les questions en litige sont les suivantes :

  1. La décision de la SAI voulant que le mariage de 1998 fût invalide était-elle déraisonnable parce que celle-ci avait laissé de côté des éléments de preuve qui avaient été présentés?

  2. La décision de la SAI voulant que le défendeur ne fût pas tenu selon l’obligation de franchise de déclarer sa participation à la cérémonie de mariage de 1998 était-elle déraisonnable?

IV.  Norme de contrôle

[14]  La norme de contrôle applicable à toutes ces questions est celle de la décision raisonnable.

V.  Le droit

[15]  Les dispositions législatives qui s’appliquent figurent à l’annexe A.

VI.  Analyse

A.  La décision de la SAI voulant que le mariage de 1998 fût invalide était-elle déraisonnable parce que celle-ci avait laissé de côté des éléments de preuve qui avaient été présentés?

[16]  Le demandeur soutient que la SAI a commis une erreur en faisant fi des témoins; du témoignage en personne de M. Hothi pour manque de crédibilité, et a commis une erreur lorsqu’elle a laissé de côté les témoignages de M. Cheema et de Mme Kaur.

[17]  Les conclusions d’un tribunal quant à la crédibilité commandent une déférence considérable (Ji c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2019 CF 1219 au para 7), mais les motifs de ces conclusions doivent être énoncés en « termes clairs et explicites » (Hilo c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] ACF no 228).

[18]  La SAI disposait d’une preuve volumineuse. La première audience s’est étalée sur quatre jours, et il y a eu de nombreux témoins, dont des experts, et des éléments de preuve sous forme d’affidavits. Lors de la seconde audience, qui a duré deux jours, il y a eu d’autres témoins et d’autres éléments de preuve, en plus des éléments de preuve de la première audience. Je ne vois aucune instance qui soit mieux placée pour rendre des conclusions quant au poids et à la crédibilité que la SAI à l’égard des faits en question.

1)  Sompal Singh Hothi

[19]  Le demandeur soutient que les raisons qui ont été données pour conférer peu de poids au témoignage de M. Hothi sont insuffisantes étant donné que la SAI a omis de dire clairement pourquoi. Les raisons en cause sont les suivantes : M. Hothi était confus quant à la personne que le défendeur avait épousée en 1998, et il avait filmé des dizaines d’autres mariages après la cérémonie à laquelle le défendeur a participé en 1998.

[20]   Le demandeur affirme que ces raisons sont indéfendables parce que M. Hothi a dissipé sa confusion initiale quant à l’identité de la personne dans la cérémonie de mariage de 1998, et qu’il était sous serment lorsqu’il a désigné la bonne personne dans la vidéo, mais qu’il ne l’était pas lorsqu’il a commis l’erreur. De plus, le demandeur a affirmé qu’il n’y avait pas de lien entre le fait d’avoir été embauché pour filmer d’autres mariages par la suite et la contestation de la crédibilité de M. Hothi. Il soutient que parce que la SAI n’a pas expliqué pourquoi le fait d’avoir filmé des dizaines de mariages minait sa crédibilité, une erreur susceptible de contrôle a été commise. Particulièrement, étant donné qu’il a témoigné qu’il avait des raisons de se souvenir de la cérémonie de mariage de 1998 parce que son beau-frère était un ami proche du défendeur et que le couple avait été [traduction] « roué de coups » Le demandeur a soutenu que, la SAI n’ayant pas donné de motifs clairs et explicites pour avoir rejeté le témoignage, la décision n’est pas transparente ni justifiée.  

[21]  À l’examen de la transcription du contre-interrogatoire, il ressort clairement que M. Hothi ne se souvenait pas de la cérémonie de 1998 parce qu’il n’avait pas pu identifier correctement la mariée et qu’il confondait continuellement la cérémonie de 1998 à laquelle avaient pris part le défendeur et Mme Sandhu avec celle du mariage du défendeur avec Mme Gurbax. Lorsqu’il a été interrogé sur cette incohérence, M. Hothi a nié qu’il avait fait ses déclarations contradictoires précédentes, ce qui contredit les éléments de preuve présentés par un agent de l’ASFC.

[22]  La SAI a conclu que le témoignage de M. Hothi était peu utile en raison de la confusion et de ses déclarations contradictoires précédentes. Le demandeur peut ne pas souscrire à cette conclusion, mais une décision raisonnable a été rendue et les raisons qui ont mené à celle-ci ont été exposées. Le fait de donner moins de poids à un témoin qui présente un témoignage contradictoire entre certainement dans les issues possibles. La SAI s’est acquittée du fardeau qui lui incombait lorsqu’elle a expliqué qu’elle avait fondé sa décision sur le fait que le témoin ne savait pas trop qui le défendeur avait épousé dans la cérémonie de mariage et elle a raisonnablement conclu que son témoignage était insuffisant pour établir qu’il s’agissait d’une cérémonie valide.

2)  Gurnam Cheema

[23]  Le demandeur soutient que la SAI a commis une erreur en laissant de côté le témoignage de M. Cheema, qui avait chanté au mariage. La SAI a conclu que M. Cheema n’était pas au mariage, mais n’avait été présent qu’à la réception de sorte qu’elle n’a pas tenu compte de son témoignage relatif à la cérémonie. Le demandeur, contrairement à la SAI, soutient qu’il n’y a pas d’éléments de preuve crédibles portant à croire que M. Cheema n’était pas présent à la cérémonie. Il a affirmé que le témoignage d’un prêtre sikh n’était pas suffisant, et que la SAI n’avait pas expressément fait savoir qu’elle privilégiait le témoignage du prêtre par rapport à celui de M. Cheema. De plus, le demandeur soutient que le prêtre n’avait pas été en mesure de fournir d’élément de preuve démontrant que le chanteur n’était pas à la cérémonie de sorte que son témoignage aurait dû être non concluant. Il prétend que la SAI n’a pas donné de motifs adéquats et que la lecture de la décision n’aide pas à comprendre les raisons pour lesquelles son témoignage a été laissé de côté.

[24]  Le témoignage de M. Cheema a été jugé peu utile parce que selon les éléments de preuve d’autres sources, il semblait peu probable qu’il ait été présent à la cérémonie pour attester le caractère complet de celle-ci.

[25]  La SAI a conclu qu’il y avait un consensus parmi les prêtres sikhs qui ont témoigné à titre d’experts au sujet des exigences relatives à une cérémonie de mariage et au code de conduite sikhs. Même s’il y avait certaines questions concernant ce qui s’est passé dans la vidéo, la SAI a conclu que la cérémonie de mariage du défendeur et de Mme Sandhu était incomplète et que, par conséquent, le mariage n’a pas été prononcé.

[26]  Le prêtre a affirmé qu’il y a généralement un type particulier de chanteur à la cérémonie de mariage religieuse et un autre type de chanteur à la réception. Les chanteurs qui sont présents à la cérémonie religieuse portent le turban et la barbe et interprètent des chants religieux, tandis que ceux qui sont à la réception n’ont pas de turban ni de barbe, portent des vêtements chatoyants et visent avant tout à divertir les personnes présentes. Le prêtre a déclaré que le chanteur présent à la réception ne portait pas le turban et était rasé de près de sorte que M. Cheema avait chanté à la réception et non pas à la cérémonie.

[27]  Même si les motifs auraient pu être plus explicites, ils permettent aux parties de comprendre que les témoignages des deux prêtres quant aux deux types différents de chanteurs et quant à la façon dont la cérémonie doit se dérouler étaient la raison pour laquelle peu de poids a été accordé au témoignage de M. Cheema. Le tribunal a jugé que le témoignage de M. Cheema avait peu de valeur parce que selon les éléments de preuve d’autres sources, il semblait peu probable qu’il ait été présent à la cérémonie pour attester le caractère complet de celle-ci. Il était loisible, là encore, à la SAI de tirer cette conclusion. Les raisons pour lesquelles la SAI a accordé peu de poids à son témoignage ressortent clairement des motifs. Je conclus que les éléments de preuve figurant dans le dossier qu’a présentés le prêtre expert quant au rôle joué par M. Cheema sont concluants et celui-ci n’a chanté qu’à la réception. Il est raisonnable que la SAI conclue qu’il n’était pas au mariage et privilégie les éléments de preuve présentés par les prêtres en tant qu’experts.

3)  Gyan Kaur

[28]  Le demandeur soutient que la SAI a commis une erreur en ne tenant pas compte du témoignage de Mme Kaur, tante du défendeur. Celle-ci a affirmé qu’elle avait assisté au mariage et que le mariage respectait toutes les exigences. Le demandeur affirme qu’il était déraisonnable que la SAI fasse fi d’un témoin oculaire. Il reconnaît qu’elle n’a pas pu confirmer sa date de naissance tout en affirmant que c’était compréhensible puisque la question ne lui avait été posée qu’une fois. De plus, elle n’a pas pu nommer le village où elle vivait, mais le demandeur déclare que cela n’est pas tout à fait vrai parce qu’il est écrit dans la transcription [traduction] « inaudible ». En outre, le demandeur affirme qu’il y avait des possibilités raisonnables quant aux raisons pour lesquelles elle n’avait pas pu se souvenir de ces faits, et que son témoignage relatif à la cérémonie de 1998 n’aurait pas dû être laissé de côté. Le demandeur a soutenu que son témoignage était franc et aurait dû se voir accorder davantage de poids et que la SAI n’avait pas cherché à expliquer pourquoi et, par conséquent, les motifs sont insuffisants.

[29]  Mme Kaur n’a pas été appelée à témoigner à l’audience. J’estime qu’il était loisible à la SAI de rejeter le témoignage précédent de Mme Kaur au motif qu’elle était confuse et qu’elle n’était pas digne de foi, ce qui a miné la valeur de son témoignage. Son témoignage n’était pas suffisant lorsqu’il est examiné avec les autres éléments de preuve concernant la cérémonie de mariage. De plus, la SAI n’était pas tenue d’accepter l’affirmation du demandeur selon laquelle d’autres facteurs pourraient expliquer pourquoi elle ne se souvenait pas de sa date de naissance ni du nom du village où elle habitait. Cela se rapporte à la fiabilité, et la SAI avait le pouvoir de rejeter son témoignage.

[30]  Le demandeur demande à la Cour de soupeser à nouveau son témoignage suivant l’hypothèse qu’il y a d’autres raisons plausibles pour expliquer pourquoi elle ne se souvenait pas de ces informations fondamentales. La Cour ne soupèsera pas à nouveau le témoignage. De plus, j’estime que les motifs sont suffisants et que les raisons pour lesquelles le tribunal a rejeté son témoignage et a choisi de privilégier d’autres éléments de preuve vont de soi.

[31]  Un contrôle judiciaire n’est pas une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur, mais bien l’occasion de considérer la sentence arbitrale comme un tout (Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34 au para 54.) Une cour de révision doit déterminer si la décision qu’elle est en train d’examiner est raisonnable dans son ensemble et dans le contexte du dossier (Newfoundland and Labrador Nurses' Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 au para 15 (Newfoundland)). Au paragraphe 14 de l’arrêt Newfoundland, la CSC statue : « Je ne suis pas d’avis que, considéré dans son ensemble, l’arrêt Dunsmuir signifie que l’"insuffisance" des motifs permet à elle seule de casser une décision […]. Il s’agit d’un exercice plus global : les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles » (au para 14).

[32]  La récente décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov 2019 CSC 65 n’a pas changé ce principe, et, en fait, le renforce quelque peu :

[94] La cour de révision doit également interpréter les motifs du décideur en fonction de l’historique et du contexte de l’instance dans laquelle ils ont été rendus. Elle peut considérer, par exemple, la preuve dont disposait le décideur, les observations des parties, les politiques ou lignes directrices accessibles au public dont a tenu compte le décideur et les décisions antérieures de l’organisme administratif en question. Cela peut expliquer un aspect du raisonnement du décideur qui ne ressort pas à l’évidence des motifs eux‑mêmes; cela peut aussi révéler que ce qui semble être une lacune des motifs ne constitue pas en définitive un manque de justification, d’intelligibilité ou de transparence. Ainsi, les parties adverses ont pu faire des concessions pour éviter que le décideur n’ait à trancher une question. De même, un décideur a pu suivre une jurisprudence administrative bien établie sur une question qu’aucune partie n’a contestée au cours de l’instance. Ou encore, un décideur a pu adopter une interprétation énoncée dans une politique d’interprétation publiée par l’organisme administratif dont il fait partie.

[Non souligné dans l’original.]

[33]  En examinant le dossier dans son ensemble, comme nous y invite la Cour suprême du Canada, l’on peut voir que d’autres éléments de preuve présentés mettaient en lumière le fait qu’il n’y avait pas eu de mariage légal entre le défendeur et Mme Sandhu. Ces éléments de preuve ont aidé la SAI à rendre sa décision.

[34]  Par exemple, outre les éléments de preuve qui ont été analysés précédemment, il y avait un témoin oculaire, Piari, qui a fourni un témoignage quant aux raisons pour lesquelles le mariage n’était pas authentique. Il y avait aussi des éléments de preuve quant aux raisons pour lesquelles le grand-père du défendeur, Darshan Singh, et le conseil du village ont cru nécessaire de procéder à une entente de divorce. Ces éléments de preuve, de même que d’autres, allaient dans le sens de l’explication selon laquelle ils estimaient qu’une entente de divorce s’imposait pour que les autres habitants du village sachent qu’il n’y avait pas eu de cérémonie de mariage complète en 1998 :

[traduction]

Je crois comprendre, à la suite de ma conversation avec Piari, qu’il y a eu beaucoup d’agitation au village quand Manminder et Sarabjit sont revenus. Tout le village était en colère, même s’il s’agissait d’un faux mariage. Il a fallu éliminer l’idée dans l’esprit des gens qu’il y avait eu – ne serait-ce qu’un soupçon dans leur tête qu’il y avait eu un mariage, il fallait dissiper ce soupçon, apaiser les esprits et pour sauver la vie de Manminder et de Sarabjit, ils ont dû faire cette entente, en public, de sorte que plus personne n’y croie et que personne ne leur fasse de mal. L’autre raison de faire l’entente, c’était pour dissuader les gens. Même si ce n’était pas un mariage valide, il fallait décourager les gens de faire pareil. Pour qu’aucun autre garçon et qu’aucune autre fille du village ne décide à nouveau de se marier.

(Page 176 du livre condensé)

[35]  De plus, il y avait des éléments de preuve documentaire relatifs à une procédure judiciaire instruite en Inde contre le défendeur pour bigamie dans laquelle Gurbax Kaur Mattu était la plaignante. Dans une décision en date du 21 décembre 2018, le tribunal indien a statué qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir qu’un mariage existait entre le défendeur et Sarabjit. Un témoin expert, Sumeet Lall — avocat en Inde — a estimé qu’il n’y avait jamais eu de mariage selon la loi indienne.

[36]  Les motifs donnés par la SAI dans cette affaire expliquent de manière satisfaisante pourquoi celle-ci a accordé peu de poids aux témoignages des trois témoins mentionnés précédemment, ce qui remplit la condition énoncée dans l’arrêt Vavilov selon laquelle une décision doit être fondée sur un raisonnement intrinsèquement cohérent. Le demandeur peut ne pas souscrire aux conclusions, mais la SAI n’en a pas moins fourni « [un] mode d’analyse, dans les motifs avancés, [qui peut] raisonnablement amener le tribunal, au vu de la preuve, à conclure comme il l’a fait » (Vavilov au para 102, citant l’arrêt Barreau du Nouveau Brunswick c Ryan, 2003 CSC 20).

[37]  Les audiences antérieures se sont étalées sur plusieurs jours et ont produit une quantité considérable d’éléments de preuve, que le tribunal a pu consulter dans leur ensemble pour rendre sa décision. La SAI est la mieux à même de tirer des conclusions quant à la crédibilité et de soupeser les éléments de preuve après avoir examiné le dossier volumineux et détaillé ainsi que les témoins qui ont déposé devant elle. Il ne m’appartient pas de procéder à une nouvelle appréciation de la preuve. J’estime aussi que les motifs sont suffisants pour relier les points. La SAI a conclu que le demandeur n’avait pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y avait eu un premier mariage légal avec Sandhu, et je n’ai aucune raison de contredire cette conclusion.

B.  La décision de la SAI voulant que le défendeur ne fût pas tenu selon l’obligation de franchise de déclarer sa participation à la cérémonie de mariage de 1998 était-elle déraisonnable?

[38]  Le demandeur soutient que la SAI a commis une erreur en concluant que le défendeur n’était pas tenu par l’obligation de franchise de déclarer un mariage invalide. La SAI a tiré cette conclusion parce que l’agente des visas n’avait posé aucune question susceptible d’alerter le défendeur que son faux mariage précédent constituait une préoccupation et que l’agente des visas n’avait pas posé de question détaillée sur ses relations amoureuses antérieures.

[39]  Le demandeur soutient que l’esprit de la LIPR et du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés DORS/2002-227 (le RIPR), pris ensemble, suppose la divulgation de tous les mariages, qu’ils soient juridiquement valides, non juridiquement valides, ou annulés. Il cite le paragraphe 4(1) du RIPR, qui traite des mariages de convenance, et l’article 4.1 du RIPR, qui traite des divorces de convenance. De plus, il prétend que la question figurant sur la demande (« Avez-vous déjà été marié ou en union de fait? ») ne précise pas quels types de mariages doivent être inscrits, et que la façon dont le mariage a pris fin n’exclut pas certains de la divulgation.

[40]  Le demandeur souligne que l’agente des visas n’a pas pu poser les questions supplémentaires qu’elle aurait posées si le défendeur avait répondu qu’il avait contracté un faux mariage par le passé.

[41]  Le demandeur invoque la décision Baro c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1299 (Baro) en tant que cas d’espèce en ce qui concerne l’obligation de franchise qui contraint l’auteur d’une demande de résidence permanente à divulguer tous les faits importants, y compris ses antécédents conjugaux. Il soutient que l’obligation est fondée sur la prise en compte des articles 40 et 16 de la LIPR ensemble (Haque c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 315). Il souligne que le silence peut constituer une fausse déclaration (Bodine c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 848) (Bodine). Il souligne également qu’une fausse déclaration n’a pas à effectivement causer une erreur dans l’application de la LIPR, il suffit qu’elle risque d’entraîner une erreur (Chhetry c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CF 513).

[42]  Le demandeur soutient aussi que la situation personnelle du défendeur aurait dû lui faire prendre conscience de son obligation de franchise et que l’état d’esprit du défendeur est un élément important dans cette affaire. De plus, le demandeur affirme que même si le défendeur n’avait qu’une compréhension élémentaire de la loi, il a signé une entente de divorce, ce qui montre que les signataires se préoccupaient des conséquences juridiques de la cérémonie. D’où l’affirmation du défendeur, soit qu’il était probable que lorsqu’il a rempli sa demande de résidence permanente, il croyait toujours que le mariage était valide juridiquement entre le moment où il avait pris part à la cérémonie de mariage et le moment où il avait signé l’entente de divorce.

[43]  La SAI a accepté qu’il n’y avait pas de mariage valide en 1998 selon les éléments de preuve qui ont été produits. Cela, avec les questions précises qu’a posées l’agente des visas au défendeur, a amené la SAI à conclure également qu’il n’y avait aucune raison pour le défendeur de présenter spontanément des éléments de preuve sur la fausse cérémonie.

[44]  Même s’il y a une obligation de déclarer un mariage annulé ou nul, comme une certaine jurisprudence le laisse entendre, il y a une distinction entre ceci et une cérémonie incomplète comme l’a conclu la SAI dans sa décision. Il n’y a pas eu de questions au sujet de mariages antérieurs et, pour citer la décision de la SAI, il n’y a pas eu d’élément de preuve montrant que l’agente des visas a posé des questions au défendeur qui l’amèneraient à penser que son faux mariage précédent constituait une source de préoccupation. L’obligation de franchise, selon le demandeur, peut s’appliquer lorsque la personne est informée qu’elle doit donner l’information et que le contexte de l’affaire est crucial.

[45]  Le dossier contient des éléments de preuve selon lesquels le défendeur croyait honnêtement et raisonnablement qu’il ne dissimulait pas d’information parce qu’il n’avait aucune raison de croire qu’il devait déclarer l’existence d’une cérémonie de mariage invalide.

[46]  Il ressort ce qui suit de la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Singh Sidhu c Canada 2019 CAF 169 (Sidhu) :

  • a) l’exigence de franchise est un principe prépondérant de la Loi (Sidhu au para 70);

  • b) le tribunal doit donner des motifs quant aux raisons pour lesquelles l’obligation de franchise ne s’applique pas dans un cas particulier;

  • c) les raisons pour lesquelles l’appelant dans ce cas n’a pas estimé que l’information non divulguée était pertinente auraient dû être précisées (Sidhu aux para 71 à 77).

[47]  En l’espèce, la SAI a abordé ces questions. Dans les motifs, la SAI a affirmé qu’il n’y avait pas de mariage valide, que l’agente des visas n’avait pas posé de questions au défendeur sur ses relations amoureuses précédentes, et que le défendeur croyait que son mariage en 2005 était légalement son premier mariage.

[48]  La présente affaire se distingue aussi de l’affaire Bodine, dans laquelle il y avait eu un geste délibéré pour induire en erreur les agents de l’ASFC (transférer ses effets personnels dans la voiture de son petit ami avant de tenter une deuxième fois de passer la frontière) et de la décision Baro, dans laquelle le demandeur dans ce cas a reconnu qu’il avait légalement été marié, mais qu’il n’était plus en rapport avec son épouse. Le défendeur, dans la présente affaire, ne se croyait pas légalement marié à Mme Sandhu, et, par conséquent, ne pensait pas qu’il entrait dans l’une des catégories prévues dans la LIPR ou le RIPR.

[49]  Il était loisible à IRCC de poser des questions sur les relations amoureuses antérieures, les faux mariages ou les tentatives de contrevenir aux règles canadiennes sur l’immigration lors de la présentation d’une demande de résidence permanente ou d’une entrevue. IRCC a choisi de ne pas poser ces questions.

[50]  Le règlement définit le mariage comme étant « valide à la fois en vertu des lois du lieu où il a été contracté et des lois canadiennes » (art. 2 du RIPR). Le défendeur a présenté des éléments de preuve, qui montraient que même s’il y avait eu une cérémonie complète, le mariage ne serait pas valide selon la loi indienne.

[51]  De plus, le Règlement prévoit expressément que « l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux […] si le mariage […] visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi ou […] n’est pas authentique » (par. 4(1)). Le défendeur a reconnu qu’il avait pris part à la cérémonie de 1998 dans un but uniquement malhonnête, mais qu’il n’y avait pas eu de suite. En vertu de la loi, il semblerait qu’il n’est guère possible que le mariage du défendeur soit valide dans un contexte d’immigration. S’il n’y a pas eu de mariage valide, il ne peut y avoir d’obligation de le divulguer, sauf si des questions sont expressément posées sur tout faux mariage.

VII.  Conclusion

[52]  J’estime que la décision de la SAI est raisonnable. Je rejette la demande de contrôle judiciaire.

[53]  Les parties n’ont proposé aucune question certifiée, et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-5540-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est rejetée;

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Glennys L. McVeigh »

Juge

Traduction certifiée conforme

Isabelle Mathieu


ANNEXE

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001 c 27

Fausses déclarations

40 (1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants :

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi;

b) être ou avoir été parrainé par un répondant dont il a été statué qu’il est interdit de territoire pour fausses déclarations;

c) l’annulation en dernier ressort de la décision ayant accueilli la demande d’asile ou de protection;

d) la perte de la citoyenneté :

(i) soit au titre de l’alinéa 10(1)a) de la Loi sur la citoyenneté, dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur de l’article 8 de la Loi renforçant la citoyenneté canadienne, dans le cas visé au paragraphe 10(2) de la Loi sur la citoyenneté, dans sa version antérieure à cette entrée en vigueur,

(ii) soit au titre du paragraphe 10(1) de la Loi sur la citoyenneté, dans le cas visé à l’article 10.2 de cette loi,

(iii) soit au titre du paragraphe 10.1(3) de la Loi sur la citoyenneté, dans le cas visé à l’article 10.2 de cette loi.

 

Misrepresentation

40 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible for misrepresentation

(a) for directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter that induces or could induce an error in the administration of this Act;

(b) for being or having been sponsored by a person who is determined to be inadmissible for misrepresentation;

(c) on a final determination to vacate a decision to allow their claim for refugee protection or application for protection; or

(d) on ceasing to be a citizen under

(i) paragraph 10(1)(a) of the Citizenship Act, as it read immediately before the coming into force of section 8 of the Strengthening Canadian Citizenship Act, in the circumstances set out in subsection 10(2) of the Citizenship Act, as it read immediately before that coming into force,

(ii) subsection 10(1) of the Citizenship Act, in the circumstances set out in section 10.2 of that Act, or

(iii) subsection 10.1(3) of the Citizenship Act, in the circumstances set out in section 10.2 of that Act.

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227

Définitions

2 Les définitions qui suivent s’appliquent au présent règlement.

mariage S’agissant d’un mariage contracté à l’extérieur du Canada, mariage valide à la fois en vertu des lois du lieu où il a été contracté et des lois canadiennes. (marriage)

Interpretation

2 The definitions in this section apply in these Regulations.

marriage, in respect of a marriage that took place outside Canada, means a marriage that is valid both under the laws of the jurisdiction where it took place and under Canadian law. (mariage)

Notion de famille

Mauvaise foi

4 (1) Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une personne si le mariage ou la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux, selon le cas :

a) visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi;

b) n’est pas authentique.

Family Relationships

Bad faith

4 (1) For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common-law partner or a conjugal partner of a person if the marriage, common-law partnership or conjugal partnership

(a) was entered into primarily for the purpose of acquiring any status or privilege under the Act; or

(b) is not genuine.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5540-19

 

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION c MANMINDER SINGH MATTU

 

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFERENCE LE 26 AOÛT 2020 À PARTIR DE VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE) (COUR ET PARTIES), DE TORONTO (ONTARIO) (PARTIES) ET DE SASKATOON (SASKATCHEWAN) (PARTIES)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 aOÛT 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCVEIGH

 

DATE DES MOTIFS :

LE 9 septembrE 2020

 

COMPARUTIONS :

Cailen Brust

 

POUR LE DEMANDEUR

Lorne Waldman

Catherine Sas

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Saskatoon (Saskatchewan)

 

POUR LE DEMANDEUR

Waldman & Associates

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

Sas & Ing  POUR LE DÉFENDEUR

Vancouver (Colombie-Britannique)

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