Date : 20031218
Dossier : IMM-4543-01
Référence : 2003 CF 1493
Ottawa (Ontario), le 18 décembre 2003
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS
ENTRE :
WEI ZHANG
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire fondée sur l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, ch. F-7, relativement à une décision datée du 6 septembre 2001 dans laquelle l'agent des visas Robert Miller au Haut-commissariat du Canada à Londres, Royaume-Uni [R.-U.], a refusé au demandeur un visa d'étudiant.
FAITS
[2] Wei Zhang [le demandeur] est un citoyen de la République populaire de Chine [la RPC ou la Chine], né en RPC en 1982. Après avoir reçu son diplôme d'études secondaires, il a obtenu un visa d'étudiant pour l'Irlande. Depuis novembre 1999, il réside à Dublin, en Irlande. Il y a étudié tout d'abord l'anglais, puis il a entrepris des études en langage des affaires.
[3] En avril 2001, il a présenté une demande de visa d'étudiant au Haut-commissariat du Canada à Londres, R.-U., pour venir étudier au Canada. Sa demande comportait une acceptation officielle au Collège LaSalle de Montréal dans un programme d'études commerciales de trois ans, programme devant mener à un Diplôme d'études collégiales (D.E.C.), soit un diplôme d'études postsecondaires.
[4] Sa demande a été rejetée le 23 avril 2001. Le 29 mai 2001, le demandeur a déposé une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale du Canada. Les parties sont parvenues à un règlement à l'amiable et la Cour a rendu une ordonnance sur consentement suivant laquelle un autre agent des visas examinerait de nouveau la demande.
[5] Le 2 août 2001, une lettre a été envoyée au demandeur pour lui demander de soumettre à nouveau sa demande, accompagnée de tous les documents nécessaires. Dans une lettre datée du 23 août 2001, il a été convoqué à une entrevue au Haut-commissariat à Londres. L'entrevue a eu lieu le 6 septembre 2001. Immédiatement après avoir terminé l'entrevue, l'agent des visas a dit au demandeur qu'il ne lui accorderait pas de visa d'étudiant.
QUESTIONS LITIGIEUSES
[6] 1. L'agent des visas a-t-il rendu une décision fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il était saisi?
2. L'agent des visas a-t-il agi de façon contraire à la loi en traitant de façon discriminatoire le demandeur en violation de l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés [la Charte]?
[7] La Loi dit très clairement que le fardeau de la preuve incombe au demandeur, qui doit convaincre l'agent des visas qu'il ne restera pas au Canada une fois que son visa sera expiré. L'agent des visas jouit d'un vaste pouvoir discrétionnaire pour l'appréciation de la preuve et la prise de sa décision. Cependant, sa décision doit être fondée sur des conclusions de fait raisonnables.
[8] Dans la décision Zheng c. M.C.I. (2001), 13 Imm. L.R. (3d) 226, le juge Rouleau a dit que le critère juridique applicable consistait à établir s'il était probable que le demandeur retourne dans son pays d'origine après ses études. Ce critère est cité et approuvé dans la décision Guo c. Canada (MCI), [2001] A.C.F. no 1851, qui présente de nombreuses ressemblances avec la présente espèce.
[9] Dans l'affaire Guo, la demanderesse avait également demandé une autorisation d'études au Haut-commissariat du Canada à Londres alors qu'elle était résidente temporaire en Irlande. L'agente des visas avait noté que la demanderesse connaissait très peu le Canada et qu'elle n'avait pas cherché à suivre d'autres cours en Irlande, au R.-U. ou en RPC. La demanderesse voulait tout simplement étudier au Canada, étant convaincue qu'un diplôme canadien améliorerait ses chances de succès en RPC. L'agente des visas a refusé de lui accorder un visa d'étudiant.
[10] Dans sa décision d'ordonner un nouvel examen de la demande, le juge Kelen a dit que l'agente des visas s'était fondée sur des facteurs que la Cour avait jugé n'avoir absolument aucune pertinence : le fait que la demanderesse s'était rendue en Irlande pour y étudier et pour ensuite faire une demande de visa d'étudiant à partir du R.-U. parce qu'il était plus facile d'obtenir un visa à partir du R.-U. qu'à partir de la Chine et le fait que l'agente avait estimé que rien n'empêchait la demanderesse de poursuivre ses études en Irlande ou au R.-U.
[11] Un tel argument avait déjà été jugé non pertinent par le juge Rouleau dans la décision Wang c. Canada (M.C.I.), [2001] A.C.F. no 95, que le juge Kelen cite dans la décision Guo.
[12] Les notes du STIDI et l'affidavit de l'agent des visas n'indiquent pas clairement quelle importance a été donnée au fait que la demande a été présentée pendant que le demandeur était en Irlande et non en Chine. Cependant, il semblerait que l'absence de liens étroits à l'extérieur du Canada, la raison principale pour laquelle le visa a été refusé selon l'agent des visas, ressorte des faits suivants : a) le demandeur est en Irlande, b) le demandeur n'a qu'un statut temporaire en Irlande, et c) le demandeur n'est retourné en Chine qu'une seule fois depuis son arrivée en Irlande.
[13] Comme en témoigne son contre-interrogatoire, l'agent des visas n'a aucunement essayé de déterminer le type de contacts que le demandeur maintenait avec ses parents en Chine ni la fréquence de ces contacts. Le fait qu'il ne soit pas retourné en Chine plus d'une fois ne représente qu'un aspect de la question des liens qu'il pourrait ou non avoir avec ses parents et son pays d'origine.
[14] Plutôt que de simplement suivre l'itinéraire du demandeur (Irlande, un voyage aller-retour en Chine, la demande d'admission au Canada), il aurait été important de déterminer dans quelle mesure le demandeur a été en contact avec sa famille pendant ces deux années. Cela aurait en effet constitué un indicateur plus précis de ses « liens étroits _ à l'extérieur du Canada.
[15] Les faits semblent indiquer que le demandeur est un jeune homme qui attache beaucoup d'importance à l'opinion de son père, et il n'y a aucune raison de croire que son père, un homme d'affaires prospère, ne serait pas heureux de le voir revenir pour l'aider à comprendre les marchés occidentaux.
[16] Pendant que le demandeur est en Irlande, son père entre en contact avec lui pour lui dire qu'un de ses amis recommande une école de commerce à Montréal, au Canada. Le demandeur présente sagement sa demande, et il est accepté. Il ne connaît personne à Montréal, sauf l'ami de son père.
[17] Lorsqu'on l'a interrogé sur la raison pour laquelle il n'est pas retourné une autre fois en Chine, le demandeur a répondu que son père lui a dit de ne pas y retourner, que cela était susceptible de nuire à ses chances d'entrer au Canada. Il semble un peu sévère de retenir contre le demandeur le fait qu'il écoute son père, surtout s'il doit établir qu'il a toujours des liens étroits avec la Chine.
[18] Des décisions d'autres agents des visas ont été annulées parce que l'agent des visas n'avait pas suffisamment tenu compte des liens familiaux qui unissaient le demandeur à son pays d'origine. Dans la décision Guo, précitée, après avoir reproché à l'agente des visas d'avoir pris en considération des facteurs non pertinents, le juge Kelen a conclu que l'agente n'avait pas tenu compte d'un facteur pertinent très important, savoir les liens de la demanderesse avec la Chine, lesquels rendaient son retour vraisemblable. En particulier, il parle de ses parents au paragraphe 15 :
Ses liens avec la Chine consistent en ses parents, qui réussissent bien et qui occupent des postes importants. Son père est directeur général de la police et sa mère travaille comme directrice des services financiers pour le gouvernement et pour plusieurs sociétés. La demanderesse est enfant unique et a déclaré dans son affidavit qu'elle retournerait en Chine parce qu'elle manquerait à ses parents. J'estime qu'il ressortait également du dossier que la demanderesse s'ennuierait de ses parents. Elle poursuit ses études au Canada sur la recommandation de son père.
[19] Cela ressemble beaucoup à la situation dans laquelle se trouve le demandeur en l'espèce. Le demandeur est également un enfant unique, et son père compte également sur son retour pour qu'il puisse l'aider dans l'entreprise qu'il a créée. Ses deux parents ont du succès en Chine. Sa mère travaille comme infirmière-chef en chirurgie pour l'hôpital local, et son père est un riche homme d'affaires. C'est sur la recommandation de son père qu'il désire suivre un programme d'études à Montréal.
[20] Dans Totrova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 886, la Cour a également conclu que la demanderesse s'était vu refuser un visa dans une décision où l'on semblait n'avoir tenu aucun compte de certains facteurs pertinents :
Je crois que ces deux facteurs clés, soit des liens insuffisants avec la Russie et la nature vague des projets d'avenir de la demanderesse, sont totalement incompatibles avec la preuve non contestée que la demanderesse avait toujours ses parents, le père de son fils, et un petit ami en Russie. Elle avait également confirmé à l'agent des visas qu'elle ne chercherait pas à demeurer de façon permanente au Canada en raison de la possibilité évidente de l'augmentation des perspectives d'emploi en Russie. Étant donné que la demanderesse a, dans sa demande de visa d'étudiant, clairement fait état de son objectif de suivre un programme d'études de deux ans à l'Université de Toronto, ce qui constitue clairement une fin temporaire, et qu'elle n'a jamais exprimé l'intention de demeurer au Canada après ses études, sauf peut-être pour acquérir une ou deux années d'expérience de travail, si cela devenait possible, je crois que l'agent des visas a fondé sa décision contestée sur une conclusion de fait erronée rendue sans tenir compte de cette preuve importante et pertinente. [Paragraphe 7]
[1] Le demandeur en l'espèce a clairement expliqué pourquoi il retournerait en Chine : son père, qui finance entièrement ses études, s'attend à ce qu'il revienne l'aider dans l'entreprise familiale, grâce à la connaissance des marchés occidentaux qu'il aura acquise au Canada. Le demandeur ne connaît personne au Canada, sauf l'ami de son père. Il n'a pas manifesté l'intérêt de rester au Canada après ses études et il n'a pas non plus montré qu'il avait des raisons d'y rester.
[2] Je conclus, d'après ses notes au STIDI, son affidavit et son contre-interrogatoire, que l'agent des visas n'a pas véritablement essayé de déterminer si le demandeur avait des liens étroits avec la Chine. Le fardeau de la preuve incombe au demandeur en vertu de la Loi. Le demandeur a fait de son mieux pour s'acquitter de ce fardeau, en expliquant pourquoi il retournerait en Chine pour travailler avec son père et en établissant que l'objectif relatif à la poursuite de ce programme d'études était clairement lié à son emploi futur en Chine. J'estime que l'agent n'a pas suffisamment tenu compte du lien manifestement étroit qui existe entre le demandeur et son père.
[3] Sur ce fondement, je crois que le refus du visa s'appuyait sur une conclusion de fait erronée, tirée sans tenir compte de la preuve pertinente qui avait été soumise, soit l'affidavit du demandeur, le témoignage de ses parents et les faits du dossier.
Violation de l'article 15
[4] Le demandeur prétend que le refus du visa constitue une violation des droits que lui garantit l'article 15 de la Charte. Le demandeur croit que les autorités canadiennes au Haut-commissariat à Londres ont fait preuve de discrimination à son égard, et cite à l'appui de cet argument des chiffres fournis par le Haut-commissariat qui indiquent que plus de 90 p. cent des demandeurs en provenance du Royaume-Uni et de l'Union européenne obtiennent un visa d'étudiant au Haut-commissariat du Canada à Londres, mais que ce pourcentage est en baisse dans le cas des étudiants en provenance de la RPC - il est passé de 62 p. cent en 1999 à 31 p. cent en 2001 (données cumulatives annuelles). Toutefois, pour prouver le bien-fondé d'une demande relative à la Charte, il faut que celle-ci ait un certain fondement factuel, et il n'y en a aucun en l'espèce.
[5] La Cour suprême du Canada a souligné l'importance de fournir un fondement factuel à la Cour lorsqu'elle est appelée à se prononcer sur une question relative à la Charte (R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713). Dans un arrêt unanime, MacKay c. Manitoba, [1989] 2 R.C.S. 357, la Cour souligne la pertinence des faits lorsqu'il s'agit de statuer sur un litige relatif à la Charte :
¶ 8 Les affaires relatives à la Charte porteront fréquemment sur des concepts et des principes d'une importance fondamentale pour la société canadienne. Par exemple, les tribunaux seront appelés à examiner des questions relatives à la liberté de religion, à la liberté d'expression et au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne. Les décisions sur ces questions doivent être soigneusement pesées car elles auront des incidences profondes sur la vie des Canadiens et de tous les résidents du Canada. Compte tenu de l'importance et des répercussions que ces décisions peuvent avoir à l'avenir, les tribunaux sont tout à fait en droit de s'attendre et même d'exiger que l'on prépare et présente soigneusement un fondement factuel dans la plupart des affaires relatives à la Charte. Les faits pertinents présentés peuvent toucher une grande variété de domaines et traiter d'aspects scientifiques, sociaux, économiques et politiques. Il est souvent très utile pour les tribunaux de connaître l'opinion d'experts sur les répercussions futures de la loi contestée et le résultat des décisions possibles la concernant.
¶ 9 Les décisions relatives à la Charte ne doivent pas être rendues dans un vide factuel. Essayer de le faire banaliserait la Charte et produirait inévitablement des opinions mal motivées. La présentation des faits n'est pas, comme l'a dit l'intimé, une simple formalité; au contraire, elle est essentielle à un bon examen des questions relatives à la Charte. Un intimé ne peut pas, en consentant simplement à ce que l'on se passe de contexte factuel, attendre ni exiger d'un tribunal qu'il examine une question comme celle-ci dans un vide factuel. Les décisions relatives à la Charte ne peuvent pas être fondées sur des hypothèses non étayées qui ont été formulées par des avocats enthousiastes.
[6] En l'espèce, on n'a soumis aucun élément de preuve indiquant que l'agent était partial. Le demandeur soumet des chiffres bruts qu'il est impossible à la Cour d'interpréter sans de plus amples renseignements. Les statistiques n'ont aucun sens hors contexte. On ne peut comparer les taux d'admission d'un seul bureau à l'étranger, pour des pays dont les populations respectives sont aussi différentes. Compte tenu du fondement factuel insuffisant en l'espèce, la Cour ne peut statuer sur la question relative à la Charte. Cet argument est donc rejeté.
[7] Malgré le rejet de l'argument relatif à la Charte, la conclusion que le refus du visa était fondé sur une conclusion de fait erronée justifie l'intervention de la Cour.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE :
La décision de l'agent des visas est annulée et l'affaire est renvoyée à un autre agent des visas qui, lorsqu'il rendra sa décision, devra tenir compte de l'étroitesse des liens du demandeur avec la Chine.
[21] Le demandeur a proposé une question à certifier :
[traduction] La Charte s'applique-t-elle aux agents des visas lorsqu'ils appliquent la Loi sur l'immigration et le Règlement, et les agents des visas sont-ils tenus de se conformer aux principes de la Charte canadienne des droits et libertés lorsqu'ils prennent une décision?
[22] Je conviens avec l'avocate du défendeur qu'il ne s'agit pas d'une question de portée générale. Aucune question ne sera certifiée.
« Pierre Blais »
Juge
Traduction certifiée conforme
Julie Boulanger, LL.M.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-4543-01
INTITULÉ : WEI ZHANG
c.
MCI
LIEU DE L'AUDIENCE : MONTRÉAL
DATE DE L'AUDIENCE : LE 24 NOVEMBRE 2003
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LE JUGE BLAIS
DATE DES MOTIFS : LE 18 DÉCEMBRE 2003
COMPARUTIONS :
Me May Chiu et POUR LE DEMANDEUR
Me Milton James Fernandes
Me Thi My Dung Tran POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
987, rue Côté (Me Chiu) POUR LE DEMANDEUR
Montréal (Québec)
3465, Côte-des-Neiges (Me Fernandes) POUR LE DEMANDEUR
Montréal (Québec)
Ministère de la Justice POUR LE DÉFENDEUR
Montréal (Québec)