Dossier : T-546-12
Référence : 2020 CF 862
[TRADUCTION FRANÇAISE RÉVISÉE PAR L’AUTEUR]
Ottawa (Ontario), le 28 août 2020
En présence de monsieur le juge Sébastien Grammond
ENTRE :
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BAUER HOCKEY LTD.
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demanderesse
défenderesse reconventionnelle
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et
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SPORT MASKA INC. FAISANT AFFAIRE SOUS LE NOM DE CCM HOCKEY
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défenderesse
demanderesse reconventionnelle
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ORDONNANCE QUANT AUX DÉPENS ET MOTIFS
[1]
La défenderesse, Sport Maska Inc., faisant affaire sous le nom de CCM Hockey [CCM], a obtenu gain de cause à l’égard de toutes les questions en litige dans le cadre d’une action en contrefaçon de brevet intentée par Bauer Hockey Ltd. [Bauer]. Dans la décision rendue par la Cour le 15 mai 2020, la question des dépens a été différée : Bauer Hockey Ltd. c Sport Maska Inc. (CCM Hockey), 2020 CF 624.
[2]
CCM réclame maintenant la somme de 1 948 372 $ au titre des dépens, calculés selon un pourcentage des honoraires d’avocats qu’elle a réellement engagés, ainsi que la somme de 1 394 871 $ au titre des débours. CCM divise l’instance en trois périodes et propose différents taux de recouvrement pour chacune d’elles. Ce taux serait initialement de 35 %. Ensuite, il passerait à 50 % pour la période qui a suivi la modification de la réclamation de Bauer et, enfin, à 66 % pour la période qui a suivi le refus par Bauer de l’offre de règlement de CCM.
[3]
Pour sa part, Bauer s’oppose à l’octroi de dépens sous forme de somme globale. Elle affirme qu’elle devrait uniquement être condamnée à payer les dépens selon le tarif B des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles]. De plus, Bauer soutient que le montant des honoraires d’avocats engagés par CCM est déraisonnable et que seulement un pourcentage de certaines catégories de débours devrait lui être remboursé. Selon Bauer, cela devrait donner lieu à une adjudication de dépens s’élevant à environ 1,1 million de dollars. En outre, si la Cour accorde un montant plus élevé, Bauer demande à ce que les dépens soient payables par versements, pour l’aider à composer avec les conséquences financières de la pandémie de la COVID-19.
[4]
Voici les motifs pour lesquels j’ai décidé d’adjuger une somme globale de 2 517 590 $, y compris les débours. Ce montant correspond à un taux de base de 25 % des honoraires d’avocats, qui augmente à 50 % pour les honoraires que CCM a encourus après que Bauer a refusé son offre de règlement. Comme je l’expliquerai ci-dessous, je déduis certains montants, principalement parce que CCM n’a pas fourni de renseignements financiers exacts en temps opportun et qu’elle a présenté des témoignages d’experts techniques qui se chevauchaient inutilement. Je rejette également la demande de Bauer en vue du paiement des dépens par versements.
I.
Les dépens
A.
L’approche générale
[5]
La manière dont CCM présente ses arguments relatifs aux dépens et les objections avancées par Bauer soulèvent certaines questions de principe concernant l’adjudication des dépens. Il faut donc examiner ces principes de base et analyser la manière dont ils s’appliquent à la présente affaire.
1)
Les objectifs de l’adjudication des dépens
[6]
Dans l’arrêt Colombie-Britannique (Ministre des Forêts) c Bande indienne Okanagan, 2003 CSC 71, [2003] 3 RCS 371 [Okanagan], la Cour suprême du Canada a analysé les objectifs de l’adjudication des dépens. Premièrement, l’adjudication des dépens sert à indemniser, dans une certaine mesure, la partie gagnante des frais qu’elle a engagés pour se défendre. Deuxièmement, elle sert l’intérêt public, car la possibilité d’avoir à payer des dépens encourage l’utilisation prudente des ressources judiciaires limitées. Troisièmement, dans certaines circonstances, elle peut faciliter l’accès à la justice.
[7]
Selon le paragraphe 400(1) des Règles, le juge du procès a le pouvoir discrétionnaire de déterminer le montant des dépens. L’exercice de ce pouvoir discrétionnaire doit toutefois être guidé par des principes reconnus qui en assurent la cohérence et la prévisibilité. Le principe le plus fondamental est que la partie perdante doit normalement payer les dépens à la partie gagnante : Okanagan, au paragraphe 20. De plus, le paragraphe 400(3) des Règles énonce certains facteurs que la Cour peut prendre en compte pour adjuger les dépens. Bon nombre de ces facteurs sont liés aux objectifs de l’adjudication des dépens décrits dans l’arrêt Okanagan.
[8]
L’incitation au règlement est un aspect de la fonction des dépens liée à l’intérêt public qui est très pertinent en l’espèce. Au moment d’adjuger les dépens, le juge peut tenir compte de « toute offre écrite de règlement »
: art 400(3)e) des Règles. En outre, l’article 420 des Règles prévoit un mécanisme selon lequel les dépens sont doublés lorsqu’une partie obtient un jugement moins avantageux qu’une offre de règlement qui a été refusée. L’objectif de cette règle est de « dissuader les parties d’engager des frais et de les faire supporter par autrui au moyen d’un incitatif financier pour accepter un montant inférieur à leurs réclamations »
: Leuthold c Société Radio-Canada, 2014 CAF 174, au paragraphe 11 [Leuthold].
2)
L’adjudication d’une somme globale
[9]
La taxation des dépens est habituellement fondée sur l’application d’un tarif, qui repose sur la division des instances en unités distinctes, auxquelles est attribuée une valeur fixe ou une gamme de valeurs. En plus de favoriser la cohérence, l’application d’un tarif limite le montant des dépens qu’une partie peut réclamer en ce qui concerne diverses étapes des instances. Si une partie décide de dépenser plus ou d’engager un avocat dont les honoraires sont plus élevés et qu’elle a gain de cause, la partie perdante ne doit pas être tenue de payer les frais supplémentaires : Yeti Coolers, LLC c Howsue Holdings Inc., 2019 CF 571, au paragraphe 5. Par conséquent, on ne s’attend pas à ce que l’adjudication des dépens accorde une pleine indemnisation, mais plutôt une « contribution raisonnable »
aux frais de justice engagés par la partie qui obtient gain de cause : Consorzio del Prosciutto di Parma c Maple Leaf Meats Inc., 2002 CAF 417, [2003] 2 CF 451, aux paragraphes 8 et 9.
[10]
Le montant des honoraires que les parties sont prêtes à consacrer à leur cause varie considérablement, selon la nature des parties, le domaine du droit, la valeur du litige et bien d’autres facteurs. Par conséquent, le plafonnement des dépens qui découle du tarif entraîne des conséquences très différentes. Lorsque la nature de l’affaire est telle qu’il est justifié que les parties engagent des honoraires importants, le tarif n’offre tout simplement pas un degré d’indemnisation suffisant pour atteindre les objectifs de l’adjudication des dépens : Nova Chemicals Corporation c Dow Chemical Company, 2017 CAF 25, au paragraphe 13 [Nova Chemicals].
[11]
Cela est particulièrement évident dans le cadre de litiges en matière de propriété intellectuelle. Il est bien connu que l’application du tarif donne généralement lieu à une adjudication de dépens inférieure à 10 % des frais réellement engagés par la partie ayant eu gain de cause. Compte tenu des montants en litige, la possibilité d’avoir à payer des dépens aussi peu élevés n’incite pas les parties à régler l’affaire. La partie gagnante ne se verra pas non plus accorder une contribution raisonnable pour les dépenses qu’elle a encourues.
[12]
Pour ce motif, notre Cour a souvent adjugé des dépens au moyen d’une somme globale qui est beaucoup plus élevée que le montant découlant de l’application du tarif. Même si la Cour d’appel fédérale a souligné, au paragraphe 13 de l’arrêt Nova Chemicals, que l’écart entre les dépens taxés en fonction du tarif et les honoraires engagés par une partie ne peut constituer l’unique motif justifiant l’adjudication d’une somme globale, elle a néanmoins validé la pratique de notre Cour d’adjuger des sommes globales se situant entre 25 à 50 % des frais réels.
[13]
En fait, cela est devenu la norme dans les litiges en matière de propriété intellectuelle entre des parties expérimentées. En général, ce type de litige met en jeu des sommes d’argent très élevées. Les parties sont représentées par des équipes d’avocats dont les taux horaires dépassent nettement ce que les rédacteurs du tarif auraient pu envisager. Étant donné les ressources dont elles disposent, les parties sont en mesure de répondre aux incitatifs financiers prévus par le régime des dépens et de faire des calculs rationnels. Ces raisons, ainsi que l’insuffisance des dépens adjugés selon le tarif, justifient l’octroi d’une somme globale.
[14]
Les sommes globales sont habituellement calculées comme un pourcentage des honoraires réellement engagés par la partie gagnante. L’objectif est de simplifier le processus et d’éviter les calculs ou les exercices comptables complexes. Il n’y a toutefois pas de directive stricte quant au taux de recouvrement à utiliser. Par souci de cohérence et de prévisibilité, j’ai proposé que le taux de base soit établi à 25 % et que la Cour détermine ensuite si les circonstances propres à une affaire justifient un taux supérieur ou inférieur : Seedlings Life Science Ventures, LLC c Pfizer Canada SRI, 2020 CF 505, 172 CPR (4th) 375, au paragraphe 22 [Seedlings]; voir aussi Teva Canada Limited c Janssen Inc., 2018 CF 1175, aux paragraphes 35 et 36 [Teva].
3)
Les dépens et la conduite pendant l’instance
[15]
Dans leurs observations, les deux parties ont beaucoup insisté pour que la conduite de l’autre partie avant et pendant le procès soit un facteur qui milite en faveur d’une adjudication de dépens plus élevés ou moins élevés. Il est donc nécessaire de préciser l’incidence qu’a la conduite pendant l’instance dans le cadre de la taxation des dépens, tout particulièrement lorsqu’une somme globale est octroyée.
[16]
La fonction des dépens liée à l’intérêt public ne se limite pas à l’incitation au règlement. Les extraits suivants du paragraphe 400(3) des Règles énoncent clairement que l’adjudication des dépens peut servir à sanctionner et à décourager les différentes conduites qui nuisent au règlement efficace d’une affaire :
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La manière dont ces facteurs sont pris en compte peut varier si les dépens sont taxés selon le tarif ou s’ils sont adjugés au moyen d’une somme globale. Lorsqu’une somme globale est octroyée, le résultat de nombreux choix concernant l’instance est déjà reflété dans le montant de base du calcul : Seedlings, au paragraphe 25. Par exemple, si une partie n’admet pas des faits qui auraient dû être admis, cela entraîne vraisemblablement une augmentation des honoraires engagés par l’autre partie. Cette augmentation est moins susceptible d’être prise en compte si les dépens sont taxés en fonction du tarif.
[18]
En outre, il convient de toujours tenir compte des difficultés associées à l’évaluation de la conduite pendant l’instance. Une fois rendu le jugement sur le fond, il est tentant de critiquer, avec le recul, les mesures prises par les parties pendant l’instance. Au cours du procès, toutefois, les parties doivent prendre des décisions dans un contexte d’incertitude. Elles ne savent pas quelle preuve sera jugée suffisante. Elles font valoir des arguments alternatifs auxquels l’autre partie voudra répondre, même si la Cour pourrait finalement ne pas aborder certains d’entre eux. Des décisions stratégiques pourraient être prises pour des motifs que le juge ignore. De plus, le juge du procès n’est peut-être pas la personne la mieux placée pour évaluer les procédures préalables à l’instruction, qui sont supervisées par un autre juge ou un protonotaire.
[19]
À cet égard, Bauer m’a invité à imposer des sanctions à CCM pour ne pas avoir pris le « virage culturel »
mentionné par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Hryniak c Mauldin, 2014 CSC 7, [2014] 1 RCS 87 [Hryniak]. Dans cet arrêt, la Cour suprême a affirmé que l’accès à la justice est compromis si la complexité du processus judiciaire rend celui-ci inaccessible aux Canadiens ordinaires. La Cour a indiqué que le principe de la proportionnalité devrait orienter les décisions procédurales et que les juges devraient « gérer activement le processus judiciaire dans le respect du principe de la proportionnalité » :
Hryniak, au paragraphe 32. De fait, à la Cour fédérale, la gestion active de l’instance joue un rôle essentiel afin d’assurer la proportionnalité. À deux ou trois reprises au cours du procès, j’ai invité les parties à s’entendre sur certaines questions et j’ai affirmé que certains faits devraient être admis au lieu de faire l’objet d’un témoignage. J’ai même invité les parties à tenir compte du virage culturel dont il est question dans l’arrêt Hryniak.
[20]
Cependant, cela ne veut pas dire que la taxation des dépens doit devenir une autopsie détaillée du procès. Contrairement aux arbitres au hockey, les juges du procès ne sont pas tenus de comptabiliser les « pénalités »
et d’en tenir compte dans le cadre de l’adjudication des dépens. Comme je l’ai déjà mentionné, le juge du procès ne dispose souvent pas des renseignements nécessaires pour porter un jugement à l’égard de la conduite pendant l’instance, en particulier la conduite avant le procès. Une évaluation détaillée serait forcément longue et laborieuse. Une telle évaluation rendrait probablement les procédures plus complexes au lieu de les simplifier, contrairement à l’esprit de l’arrêt Hryniak. Par exemple, dans leurs observations concernant les dépens en l’espèce, chaque partie s’est livrée à une critique détaillée de la conduite de l’autre. Ces observations montrent surtout que leur relation est plus acrimonieuse que ce qu’il en paraissait lors du procès. Ce genre d’exercice ne mène nulle part.
[21]
Au risque d’énoncer une évidence, j’ajouterais qu’il ne convient pas de débattre à nouveau du fond dans les observations concernant les dépens. Tout particulièrement, il est inutile pour une partie d’affirmer que l’affaire était serrée ou qu’elle ne s’attendait pas à perdre sa cause. L’adjudication des dépens n’est pas non plus une manière d’obtenir une opinion sur des questions que la Cour n’a pas eu besoin d’aborder en rendant son jugement sur le fond.
B.
L’adjudication des dépens selon le tarif ou au moyen d’une somme globale
[22]
En l’espèce, il convient d’adjuger les dépens au moyen d’une somme globale. Les deux parties en litige sont expérimentées et peuvent répondre aux mesures incitatives qu’offrent les dépens. CCM a démontré que les dépens adjugés à l’extrémité supérieure des colonnes IV et V du tarif correspondraient respectivement à 6 % et 7,5 % de ses honoraires réels. Ces circonstances, qui sont courantes dans le cas de litiges en matière de propriété intellectuelle, justifient l’octroi d’une somme globale.
[23]
Bauer conteste le droit de CCM d’obtenir une somme globale et soutient qu’une adjudication établie selon le tarif conviendrait davantage. Cependant, elle ne remet pas en question l’écart entre le tarif et les honoraires réels ni le fait que le cas présent fait partie de la catégorie d’affaires où, habituellement, une somme globale est accordée. Elle affirme plutôt que la conduite de CCM pendant l’instance prive celle-ci du droit de réclamer une somme globale. Je ne suis pas d’accord avec Bauer. La conduite pendant l’instance est prise en compte au moment de déterminer le taux de recouvrement. En supposant qu’elle puisse aussi priver une partie du droit de réclamer une somme globale, je ne suis pas convaincu que CCM a agi d’une manière qui fait en sorte que l’adjudication selon le tarif convient davantage, pour les motifs que j’expliquerai plus loin.
C.
Le caractère raisonnable des honoraires de CCM
[24]
Dans la plupart des cas, une somme globale est calculée en fonction d’un pourcentage des honoraires raisonnablement engagés par la partie ayant gain de cause. La première étape de l’analyse consiste donc à évaluer le caractère raisonnable de ces frais. Comme je l’ai mentionné aux paragraphes 13 à 17 de la décision Seedlings, les juges doivent procéder avec prudence puisqu’ils ne connaissent pas tous les facteurs pris en compte par les parties lorsqu’elles font des choix concernant le litige et décident du montant qu’elles sont prêtes à dépenser. Aucune règle stricte ne prévoit que les deux parties doivent dépenser des sommes à peu près égales ou que les honoraires engagés par une partie doivent être comparables à ceux engagés dans d’autres affaires.
[25]
CCM a dépensé 3 670 208 $ en honoraires pour se défendre contre la réclamation de Bauer. Cette somme a été réduite afin de refléter le travail lié aux requêtes dont les dépens ont été adjugés séparément ou pour lesquels aucuns dépens n’ont été adjugés. Je reconnais qu’une réduction supplémentaire de 30 000 $ doit être appliquée, puisque CCM avait omis de prendre en compte certains travaux liés aux requêtes dans ses observations initiales.
[26]
Je suis d’avis que les honoraires engagés par CCM sont raisonnables. Bauer ne conteste pas explicitement ce point. Même si, dans l’abstrait, la somme de 3,6 millions de dollars est importante, il faut la comparer à la somme réclamée par Bauer, soit un peu plus de 80 millions de dollars. Les honoraires encourus par CCM ne sont pas déraisonnables du seul fait que Bauer a engagé des honoraires légèrement inférieurs. Il se peut que les enjeux aient été moins importants pour Bauer ou qu’elle ait réussi à faire des économies d’échelle en réutilisant des documents préparés dans des affaires antérieures.
[27]
La principale question en litige ne concerne pas les honoraires engagés par CCM, mais le taux de recouvrement. Je vais maintenant aborder les facteurs qui pourraient justifier de s’écarter du taux de base de 25 %.
D.
La complexité
[28]
CCM soutient que la complexité de l’affaire justifie un taux plus élevé, soit 35 %. Je ne suis pas d’accord. CCM a évoqué la vaste gamme de produits qu’elle était accusée d’avoir contrefaits et le fait que Bauer avait demandé à la fois des redevances raisonnables et une restitution des bénéfices. Toutefois, ces facteurs ont probablement entraîné des honoraires d’avocats et d’experts plus élevés. Cela donnera lieu à l’adjudication de dépens plus élevés. Comme je l’ai mentionné dans la décision Seedlings, au paragraphe 25, il est n’est pas nécessaire d’augmenter le taux de recouvrement pour tenir compte de ces facteurs.
E.
La conduite de Bauer pendant l’instance
[29]
CCM soutient qu’elle devrait avoir droit à un taux plus élevé en raison de la conduite de Bauer pendant l’instance. Plus particulièrement, CCM se plaint que Bauer a modifié sa réclamation pour y inclure un grand nombre de modèles de patins additionnels, pour ensuite en retirer une bonne partie quelques mois plus tard, que le refus de Bauer de disjoindre l’instance a rendu inutile la partie du procès consacrée à l’indemnisation et que Bauer a adopté d’autres comportements qui ont retardé inutilement le procès.
[30]
Le problème que posent les deux premiers griefs est que ma collègue la protonotaire Mireille Tabib a permis à Bauer de modifier sa réclamation et a rejeté la demande de disjonction de CCM. Sa décision a été confirmée par mon collègue le juge Roger R. Lafrenière. Les motifs de la protonotaire Tabib démentent toute allégation selon laquelle la modification était déraisonnable. La protonotaire constate également que CCM n’a pas demandé la disjonction en temps opportun.
[31]
Dans la mesure où CCM accuse Bauer d’avoir subséquemment retiré de sa réclamation un bon nombre de modèles de patins, il s’agit précisément du type de raisonnement rétrospectif qui devrait avoir peu d’incidence sur l’adjudication des dépens. De toute manière, toutes les dépenses engagées par CCM en raison de l’inclusion et du retrait subséquent de certains modèles de patins sont reflétées dans le montant des honoraires servant de base au calcul de la somme globale.
[32]
CCM affirme également que Bauer a présenté une preuve répétitive, a fait comparaître certains témoins à la dernière minute et a présenté inutilement une requête fondée sur la règle 153 à la toute fin du procès. Ma décision sur le fond a fait en sorte que certains de ces éléments de preuve n’étaient plus pertinents et que cette requête est devenue théorique. Toutefois, mon rôle, au moment d’adjuger les dépens, n’est pas d’effectuer une autopsie détaillée du procès et de critiquer en rétrospective les décisions stratégiques prises par les parties. Dans la mesure où elles ont prolongé le procès, les décisions de Bauer sont reflétées dans les honoraires engagés par CCM. Je ne vois rien qui puisse être considéré comme une conduite vexatoire ou inappropriée, qui justifierait des conséquences plus lourdes.
F.
L’offre de règlement de CCM
[33]
Le 13 janvier 2020, soit 21 jours avant le début du procès, CCM a présenté une offre à Bauer en vue de régler l’affaire pour la somme de 500 000 $. Bauer a refusé, et l’affaire a été instruite. En se fondant sur la règle 420, CCM soutient que le taux de recouvrement devrait augmenter et passer à 66 % pour les honoraires engagés après la présentation de l’offre.
[34]
En réponse, Bauer soutient que la règle 420 ne s’applique que lorsque les dépens sont taxés selon le tarif et qu’une somme globale comprend déjà une augmentation des dépens associés au refus d’une offre qui s’avérait plus avantageuse pour elle que le jugement. Elle soutient également qu’il ne faut accorder que peu de poids à l’offre de CCM parce que tout l’amenait à croire qu’elle obtiendrait un jugement beaucoup plus favorable que l’offre.
1)
La règle 420 et l’octroi d’une somme globale
[35]
L’extrait pertinent de la règle 420 est ainsi libellé :
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Cette disposition ne fait pas disparaître le pouvoir discrétionnaire de la Cour quant aux dépens; elle s’applique « [s]auf ordonnance contraire ».
Néanmoins, le libellé de cette disposition, qui confère un droit, laisse entendre qu’il s’agit d’une règle qui devrait généralement être respectée. Il y a une bonne raison pour cela. L’objectif de la règle 420 est d’inciter les parties à en arriver à un règlement. Cette mesure incitative serait inefficace si le doublement des dépens était assujetti à un pouvoir discrétionnaire non structuré. Les conséquences doivent plutôt être visibles et raisonnablement certaines.
[37]
Bauer invoque certaines affaires où le refus d’une meilleure offre n’a été qu’un facteur parmi d’autres qui ont mené à l’adjudication d’une somme globale. Dans la décision Teva, aux paragraphes 16 à 18 et 39, le juge George R. Locke, alors juge à la Cour fédérale, a adjugé une somme globale déterminée en se fondant sur les dépens taxés à l’extrémité supérieure de la colonne V du tarif. Dans le cadre de cet exercice, il a tout de même appliqué la règle 420 et a explicitement doublé les dépens relatifs aux dépenses engagées après le refus de l’offre. Toutefois, le taux de recouvrement n’a pas dépassé 25 %. Par ailleurs, dans la décision Safe Gaming System Inc. c Société des loteries de l’Atlantique, 2018 CF 871, le montant octroyé correspondait à environ 25 % des honoraires réels, mais la méthodologie employée n’indique pas clairement comment le refus d’une offre a été pris en compte.
[38]
En toute déférence, je préfère utiliser une méthode qui rend visibles et prévisibles les conséquences du refus d’une offre. Ainsi, à mon avis, lorsque la règle 420 s’applique, le pourcentage de recouvrement devrait doubler pour la période suivant le refus d’une offre, sauf dans des circonstances exceptionnelles.
2)
L’offre comportait-elle un élément de compromis?
[39]
La règle 420 exige que l’offre soit faite par écrit au moins 14 jours avant le début du procès et qu’elle puisse être acceptée jusqu’à ce moment-là. La jurisprudence indique également que l’offre doit être authentique (elle doit comporter un élément de compromis) et mettre fin au litige : Venngo Inc. c Concierge Connection Inc. (Perkopolis), 2017 CAF 96, au paragraphe 87.
[40]
Bauer ne nie pas que l’offre de CCM est conforme à la règle 420. D’ailleurs, lorsque Bauer propose une taxation effectuée selon le tarif, elle y intègre le doublement des dépens. Bauer soutient plutôt que son refus de l’offre de CCM devrait avoir peu d’incidence sur le calcul d’une somme globale, principalement parce qu’elle croyait sincèrement qu’elle aurait gain de cause et que le montant offert était beaucoup moins élevé que les honoraires déjà engagés à la veille du procès.
[41]
Je ne doute pas que l’offre de CCM comportait un élément de compromis et était conforme à la règle 420. Même si Bauer réclamait environ 80 millions de dollars, la somme de 500 000 $ offerte par CCM était explicitement fondée sur un raisonnement défendable. La principale hypothèse qui sous‑tend l’offre présentée par CCM est que seuls les modèles de patins de la « catégorie C »
contrefont le brevet de Bauer, en présumant que celui-ci est valide. Il s’agit en fait de la conclusion que j’ai tirée en rendant mon jugement sur le fond. La question à trancher devient alors celle de l’indemnisation. Les recettes de la vente des patins de la « catégorie C »
correspondent à moins de 5 % des recettes pour tous les patins en litige. En présumant que les opinions des experts retenus par Bauer sont acceptées dans leur intégralité, les profits attribuables à ces patins correspondraient à environ 4 millions de dollars. Les experts financiers convoqués par CCM étaient d’avis que des redevances raisonnables s’élèveraient au plus à 0,50 $ par paire de patins, soit environ 130 000 $ au total. CCM a offert environ 2 $ par paire de patins. En outre, l’offre présentée par CCM supposait que ses arguments concernant l’invalidité du brevet et le droit de Bauer à une indemnisation ne seraient pas retenus.
[42]
Le fait que l’offre prévoit le remboursement d’une infime partie de la somme réclamée n’est pas en soi un motif permettant de conclure qu’elle ne contient pas un élément de compromis : Leuthold. Il se peut fort bien que l’offre d’une petite somme sera moins attrayante pour l’autre partie, tout particulièrement lorsqu’un investissement important a déjà été effectué dans l’affaire, mais il est également moins probable que cette offre entraîne le doublement des dépens selon la règle 420. En fin de compte, il s’agit de facteurs stratégiques dont tiennent compte les parties lorsqu’elles présentent des offres et décident de les accepter ou non. Pour prendre leurs décisions, les parties évaluent leurs chances de gagner et la valeur de leur réclamation. Cette évaluation est intrinsèquement probabiliste. Toutefois, en faisant monter les enjeux, la règle 420 incite les parties à être aussi objectives que possible, même si un certain degré d’incertitude demeure inévitable. Le doublement des dépens prévu par la règle 420 n’est tout simplement pas tributaire d’une évaluation rétrospective du caractère raisonnable de la position des parties. Ce qui importe est que l’offre soit authentique et qu’elle contienne un élément de compromis. C’était le cas en l’espèce.
[43]
Par conséquent, le taux de recouvrement des frais de justice engagés après le 13 janvier 2020 passera de 25 à 50 %.
G.
La conduite de CCM pendant le litige
[44]
Bauer soutient que le taux de recouvrement devrait être réduit en raison de la conduite de CCM avant et pendant le procès. Tout particulièrement, Bauer critique la requête et les appels infructueux présentés par CCM quant au droit de Bauer à l’indemnisation pour la période précédant la restructuration de Bauer en 2017, ainsi que l’opposition infructueuse de CCM à la requête en modification présentée par Bauer et son insistance à demander une disjonction. Bauer soutient également que CCM a omis de fournir certains renseignements qu’elle avait en sa possession à l’étape des interrogatoires préalables et qu’elle a adopté certaines positions inflexibles ou déraisonnables sur diverses questions relatives à la procédure et à la preuve au cours du procès.
[45]
Je souligne que mes collègues qui ont instruit les requêtes préalables au procès et les appels connexes ont affirmé, parfois en termes très directs, que la position de CCM était entièrement dénuée de fondement. Les dépens ont été adjugés contre CCM dans la plupart, voire dans la totalité des cas. Bien que ces requêtes et ces appels aient pris du temps, la position de CCM n’a cependant pas mené à la prolongation du procès ni à l’augmentation des frais engagés. Si Bauer était d’avis que la conduite de CCM justifiait des dépens plus élevés, elle aurait dû présenter cet argument à mes collègues qui ont tranché les requêtes préalables au procès et les appels connexes.
[46]
Bauer a beaucoup insisté sur le prétendu défaut de CCM de présenter des renseignements financiers exacts en temps opportun à l’étape des interrogatoires préalables. Par exemple, en 2019, CCM a remplacé l’information sur les ventes qu’elle avait déjà communiquée par un ensemble de données entièrement nouvelles; elle a produit les contrats de licence existants à une étape très avancée de l’instance, et certains codes de modèle ne figuraient pas dans l’information financière communiquée. Bauer soutient qu’en agissant de la sorte, CCM a intentionnellement dissimulé de l’information pertinente.
[47]
Au vu du dossier à ma disposition, je ne peux conclure que CCM poursuivait des fins illégitimes. Néanmoins, en examinant l’affaire dans son ensemble, je suis d’avis que CCM aurait dû prendre davantage de précautions pour s’assurer que l’information communiquée était exacte. Pour cette raison, je vais déduire 50 000 $ des dépens adjugés.
[48]
Par ailleurs, Bauer soutient également que, à plusieurs reprises, CCM a agi de manière déraisonnable ou de sorte que l’instance a été inutilement prolongée. Entre autres, CCM n’a pas coopéré pour en arriver à une entente sur les faits ou sur le recueil conjoint de documents et n’avait pas de témoins prêts à témoigner lorsque le calendrier de l’instruction a été légèrement modifié. Précédemment, dans les présents motifs, j’ai examiné des accusations semblables portées par CCM contre Bauer. J’ai affirmé que je n’étais pas tenu d’effectuer une autopsie détaillée du procès et que la conduite reprochée n’était pas d’une gravité qui mérite une sanction en matière de dépens. Le même principe s’applique ici.
II.
Les débours
[49]
CCM réclame ses débours au montant de 1 394 871 $. Ce montant comprend principalement les frais relatifs aux experts engagés par CCM, ainsi que les frais et les débours relatifs aux témoins de fait, les transcriptions, le coût d’achat des patins mis en preuve, les dépenses de bureau, les frais de déplacement et la traduction. Bauer conteste certains aspects de cette réclamation, en particulier le caractère raisonnable des frais relatifs aux experts engagés par CCM et d’autres débours. J’examine tour à tour les objections présentées par Bauer.
A.
Les experts techniques
[50]
CCM a convoqué trois témoins experts relativement aux questions de validité et de contrefaçon. Bauer soutient que leurs témoignages se répétaient inutilement. Je suis d’accord. Par conséquent, je réduirai les frais recouvrables de 50 000 $.
B.
Les experts financiers
[51]
Bauer conteste les sommes réclamées par CCM à l’égard des experts financiers pour un certain nombre de raisons : les honoraires de leurs experts sont plus élevés que ceux de Bauer, le taux horaire de l’un d’entre eux était plus élevé que celui de l’avocat principal de CCM, et les experts ont fait des « erreurs »
dans leurs rapports.
[52]
Il est difficile d’évaluer le caractère raisonnable des honoraires exigés par les témoins experts d’une partie. Dans certains cas, comme celui que j’ai déjà mentionné, il est évident pour le juge de première instance que certaines dépenses étaient inutiles. Dans d’autres cas, nous cherchons des balises objectives, comme une comparaison entre les frais engagés par chacune des parties ou avec le taux horaire de l’avocat principal. Toutefois, ces comparaisons ne sont que des lignes directrices. Puisque les points de comparaison découlent eux-mêmes de nombreux facteurs, les comparaisons seront forcément imparfaites. Cela illustre bien l’observation générale selon laquelle la taxation des dépens et des débours est « souvent tranchée sommairement »
:
Apotex inc. c Merck & Co. Inc., 2008 CAF 371, au paragraphe 14.
[53]
Donc, le simple fait que les experts financiers engagés par Bauer ont facturé des honoraires inférieurs d’environ 20 % à ceux des experts engagés par CCM ne veut pas dire que les honoraires de ces derniers étaient déraisonnables.
[54]
L’un des experts convoqués par CCM était payé 925 $ l’heure (en 2019) ou 950 $ l’heure (en 2020). Cela dépasse le taux horaire de l’avocat principal de CCM. Dans d’autres dossiers, le taux horaire de l’avocat principal a servi de plafond au taux horaire des experts financiers : Seedlings, au paragraphe 28, et la jurisprudence qui y est citée. Cependant, le taux horaire de l’avocat principal de CCM en l’espèce est beaucoup moins élevé que celui ayant servi de balise dans la décision Seedlings. En outre, le taux horaire demandé par l’avocat principal de Bauer dépassait 950 $ l’heure. CCM ne devrait pas être pénalisée pour avoir retenu les services d’un avocat dont le taux horaire est moins élevé. Compte tenu de ce qui précède, je ne crois pas qu’une réduction soit justifiée.
[55]
Bauer affirme également que les frais relatifs aux experts de CCM devraient être réduits en raison des « erreurs »
contenues dans leurs rapports. On ne doit cependant pas confondre désaccord et erreur. L’objectif de l’adjudication des dépens n’est pas de décortiquer les arguments avancés par les parties durant le procès et d’en évaluer l’exactitude. Au paragraphe 31 de la décision Seedlings, j’ai indiqué que les honoraires d’un expert ne devraient être diminués que lorsqu’une partie a agi de manière déraisonnable ou excessive en se fondant sur son témoignage. Le rejet d’un élément du témoignage d’un expert, dans le cadre du jugement sur le fond, ne satisfait pas à ce critère élevé. En l’espèce, les experts financiers étaient en désaccord sur une diversité de sujets. Étant donné la décision que j’ai rendue, je n’ai jugé ni nécessaire ni utile de tirer des conclusions sur leurs témoignages au moment de rendre mon jugement sur le fond. À ce stade-ci des procédures, je me contenterai de dire que les experts financiers étaient en toute bonne foi en désaccord, mais rien dans leurs témoignages ne justifie la réduction de leurs honoraires.
[56]
Je suis d’accord avec Bauer, toutefois, pour dire que la portion des honoraires d’un expert associée à sa présence durant des parties du procès qui n’ont rien à voir avec son témoignage et à la comparution d’un collègue au procès devrait être refusée. Par conséquent, je déduis 15 000 $.
C.
Les frais de traduction
[57]
CCM réclame 12 139 $ pour les frais de traduction. Elle affirme qu’elle a dû faire traduire du français vers l’anglais certains rapports d’experts de Bauer et la transcription de l’interrogatoire préalable de M. Chênevert pour que ses experts unilingues puissent les examiner. Bauer s’y oppose, en soutenant [traduction] « [qu’]une partie ne peut être pénalisée (y compris être condamnée à payer les frais de traduction) pour avoir utilisé l’une des langues officielles ».
[58]
Dans certains cas, la Cour a refusé des dépenses semblables : Canadian Olympic Association c Olympic Denture Cleaner Inc., 1997 CanLII 5114 (CF); Maison des Pâtes Pasta Bella Inc. c Olivieri Foods Ltd., 1999 CanLII 7495 (CF); Kraft Canada c Euro Excellence Inc., 2006 CF 452. Dans d’autres cas, la Cour a rendu la décision opposée, apparemment sans tenir compte des décisions susmentionnées : Eli Lilly Canada Inc. c Apotex Inc., 2015 CF 1165, au paragraphe 22; Eli Lilly Canada Inc. c Teva Canada Limited (T-1048-07), 12 juin 2017.
[59]
Je suis d’avis que cette dépense devrait être refusée. La situation ne peut se comparer aux frais de traduction de documents rédigés dans une langue étrangère, qui sont reconnus d’emblée comme des débours nécessaires. Or, l’anglais et le français sont les langues officielles du Canada. La traduction est souvent nécessaire, puisque bon nombre de Canadiens ne parlent qu’une seule langue officielle. Néanmoins, chaque Canadien a le droit d’employer l’anglais ou le français dans le cadre de procédures devant notre Cour : Charte canadienne des droits et libertés, art 19(1); Loi sur les langues officielles, LRC 1985, c 31 (4e suppl.), art 14. Une personne qui exerce ce droit ne devrait pas avoir le fardeau de faire traduire ses déclarations dans une autre langue, que ce soit directement ou par le biais de l’adjudication des dépens. S’il en était autrement, il va de soi qu’un tel transfert des coûts de traduction ne se ferait pas de façon symétrique et équivaudrait, dans la plupart des cas, à une taxe à l’emploi du français.
III.
Le paiement par versements
[60]
Bauer présente également une demande particulière. Dans l’éventualité où une somme globale serait octroyée, elle demande que l’obligation de payer celle-ci soit répartie en versements égaux sur une période de douze mois. Pour appuyer sa demande, Bauer fournit l’affidavit de son avocate générale et secrétaire générale. Celle‑ci déclare que l’industrie des articles de sport a été durement touchée par les mesures prises pour contrer la pandémie de la COVID-19. Tout particulièrement, l’industrie du hockey a presque totalement été immobilisée, et la plupart des arénas en Amérique du Nord sont fermés pour une durée indéterminée. La suspension de la saison régulière de la Ligue nationale de hockey, annoncée au dernier jour du procès, était un présage de cette situation.
[61]
Cependant, en réponse aux questions posées par CCM, Bauer a reconnu qu’elle détient actuellement les actifs nécessaires pour verser 3,3 millions de dollars à CCM et qu’elle peut emprunter la même somme au taux interbancaire offert à Londres, plus 1,75 %.
[62]
Le principe de base veut que les créances judiciaires soient payables sans délai. Ce principe s’applique également aux dépens. De fait, Bauer ne peut citer aucun précédent où les dépens étaient payables par versements. Au contraire, au paragraphe 12 de l’arrêt Leuthold, la Cour d’appel fédérale a indiqué que « le manque de ressources nécessaires d’une partie n’est pas un facteur pertinent en matière de taxation des dépens [et qu’il] convient de distinguer les questions traitant du caractère exécutoire de celles se rapportant au droit aux dépens ».
[63]
CCM soutient que la demande de Bauer équivaut à une requête en suspension de l’adjudication des dépens. En présumant qu’il s’agit là de la bonne manière d’analyser la demande de Bauer, celle-ci doit échouer en raison de l’absence de fondement factuel. J’ai beaucoup de sympathie pour les entreprises touchées par la pandémie de la COVID-19, mais une requête en suspension ne peut être présentée qu’en fonction d’une preuve beaucoup plus précise de la situation financière d’un débiteur. Pourtant, Bauer ne fournit aucune preuve relative à sa situation financière. Nous savons seulement qu’elle est en mesure de payer les dépens, soit à partir de ses propres actifs, soit en faisant un emprunt. Cet aveu fait obstacle à tout argument selon lequel l’obligation de paiement devrait être répartie sur une certaine période.
[64]
Des raisons de principe me poussent également à refuser la demande de Bauer. On doit présumer que la situation décrite par Bauer touche tous les acteurs de l’industrie des articles de sport, dont CCM. Je ne vois pas en quoi le fardeau financier des dépens devrait être assumé, au cours de la prochaine année, par la partie qui a eu gain de cause, alors qu’elle est probablement tout aussi touchée par la pandémie de la COVID-19. Dans le cadre d’un litige qui met en cause deux grandes entreprises en concurrence l’une avec l’autre, la partie gagnante ne devrait pas être obligée de transiger sur le recouvrement d’un montant qui lui est dû pour aider l’autre partie à améliorer sa situation financière.
[65]
Par conséquent, la demande de Bauer visant le paiement des dépens par versements est rejetée.
IV.
Résumé
[66]
Mon adjudication des dépens en l’espèce est résumée dans le tableau qui suit.
Dépens
|
[EN BLANC]
|
[EN BLANC]
|
---|---|---|
Honoraires engagés par CCM avant le 13 janvier 2020 (moins 30 000 $ en ce qui concerne les requêtes)
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2 236 985 $
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[EN BLANC]
|
Taux de recouvrement
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25 %
|
559 246 $
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Honoraires engagés par CCM après le 13 janvier 2020
|
1 403 223 $
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[EN BLANC]
|
Taux de recouvrement
|
50 %
|
701 612 $
|
Déduction pour le défaut de fournir des renseignements financiers exacts
|
BLANK
|
(50 000 $)
|
Débours
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[EN BLANC]
|
[EN BLANC]
|
Total des débours de CCM
|
[EN BLANC]
|
1 394 871 $
|
Déduction pour le chevauchement inutile des témoignages d’experts techniques
|
[EN BLANC]
|
(50 000 $)
|
Déduction relative à l’expertise financière
|
[EN BLANC]
|
(15 000 $)
|
Déduction relative aux frais de traduction
|
[EN BLANC]
|
(12 139 $)
|
Dépens non réglés adjugés en faveur de Bauer
|
[EN BLANC]
|
(11 000 $)
|
Montant total
|
[EN BLANC]
|
2 517 590 $
|
[67]
En ce qui concerne les intérêts postérieurs au jugement, j’ai tout récemment conclu que, compte tenu des circonstances actuelles, un taux de 2,5 % par année est raisonnable : Seedlings, aux paragraphes 35 à 40. Je n’ai connaissance d’aucun changement subséquent de circonstances qui aurait une incidence sur ma conclusion.
ORDONNANCE dans le dossier T-546-12
LA COUR ORDONNE :
1. La demanderesse est condamnée à verser à la défenderesse des dépens de 2 517 590 $, y compris les taxes et les débours.
2. La demanderesse est condamnée à verser des intérêts après jugement, calculés selon un taux simple de 2,5 % par année, à compter de la date de la présente ordonnance.
« Sébastien Grammond »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
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DoSSIER :
|
T-546-12
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INTITULÉ :
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BAUER HOCKEY LTD. c SPORT MASKA INC. FAISANT AFFAIRE SOUS LE NOM DE CCM HOCKEY
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ORDONNANCE QUANT AUX DÉPENS ET MOTIFS :
|
LE JUGE GRAMMOND
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DATE DES MOTIFS :
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le 28 août 2020
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COMPARUTIONS :
François Guay
Jeremy Want
Jean-Sébastien Dupont
Matthew Burt
Élodie Dion
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POUR LA DEMANDERESSE
|
Jay Zakaïb
Frédéric Lussier
Erin Creber
Alexander Camenzind
Cole Meagher
|
POUR LA DÉFENDERESSE
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Smart & Biggar
Avocats
Montréal (Québec)
|
POUR LA DEMANDERESSE
|
Gowling WLG (Canada) LLP
Avocats
Ottawa (Ontario)
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POUR LA DÉFENDERESSE
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