Date : 20200807
Dossier : T‑1615‑19
Référence : 2020 CF 820
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 7 août 2020
En présence de madame la juge Elliott
ENTRE :
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SOUTHEAST COLLEGIATE INC.
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demanderesse
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et
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RHONDA LAROQUE
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défenderesse
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Aperçu
[1]
La demanderesse, Southeast Collegiate Inc., demande le contrôle judiciaire, en application de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7 [la Loi sur les CF], d’une décision rendue le 10 septembre 2019 par l’arbitre des normes du travail fédérales Derek A. Booth [l’arbitre]. La décision portait sur une plainte de congédiement injustifié déposée par l’employée, la défenderesse en l’instance, contre l’employeur, la demanderesse en l’instance.
[2]
L’arbitre a établi que la demanderesse était une entreprise fédérale assujettie au Code canadien du travail, LRC 1985, c L‑2 [CCT]. L’arbitre a également conclu que la défenderesse n’avait pas établi sa plainte de congédiement injustifié.
[3]
La demanderesse demande un contrôle judiciaire, car elle soutient, à la lumière de la jurisprudence pertinente, qu’elle n’est pas une entreprise fédérale aux fins de l’emploi.
[4]
La défenderesse n’a pas répondu à la demande de contrôle judiciaire et n’y a pas participé.
[5]
Pour les motifs qui suivent, j’ai conclu que l’arbitre a commis une erreur de droit en n’appliquant pas le bon critère juridique. La décision sera annulée. Je rendrai un jugement déclaratoire indiquant que le CCT ne s’applique pas à la plainte de congédiement injustifié de la défenderesse.
Contexte factuel
A.
Constitution en société et engagement
[6]
La demanderesse est une société sans capital‑actions. Le 10 novembre 1995, elle a été constituée en vertu des lois de la province du Manitoba. La demanderesse a été formée par le Conseil tribal du Sud‑Est, une organisation regroupant neuf collectivités des Premières Nations du Manitoba.
[7]
L’entreprise de la société est limitée par les statuts constitutifs par ce qui suit :
[TRADUCTION]
À la promotion de l’éducation et à la prestation de services d’enseignement, notamment l’enseignement spirituel, religieux et culturel.
[8]
En plus de cet engagement, la demanderesse a établi et dirige une école secondaire pour les élèves autochtones avec des cours pour les 10e, 11e et 12e années. L’école attire des élèves de 16 collectivités autochtones du Manitoba. Elle dessert tout le Manitoba, mais elle cible les collectivités qui n’ont pas leur propre école secondaire locale.
[9]
L’école est située dans la ville de Winnipeg. Les élèves doivent vivre dans les résidences du campus pendant l’année scolaire, sauf pendant les périodes de vacances. Au moment de l’arbitrage prévu au CCT, 156 élèves étaient attendus pour l’année scolaire débutant en septembre 2019.
B.
Composition et fonctions du conseil d'administration
[10]
Au moment de la constitution en société, chacun des premiers administrateurs de la demanderesse et chaque Première Nation du Conseil tribal du Sud‑Est devaient être membres de la société. À l’heure actuelle, le conseil d’administration de la demanderesse est composé de huit représentants des Premières Nations membres du Conseil tribal du Sud‑Est. Ils sont élus ou nommés par leur Première Nation respective.
[11]
Le conseil d’administration ne participe pas aux activités quotidiennes de la demanderesse et des élèves. Le rôle du conseil est d’assurer une supervision du directeur et de lui offrir une orientation générale sur des questions relatives à l’élaboration de politiques et de budgets et à la planification stratégique.
[12]
Les activités quotidiennes de la demanderesse sont gérées par la directrice des opérations et le directeur, qui ont tous deux témoigné à l’audience tenue par l’arbitre.
[13]
La directrice des opérations supervise l’entretien du campus de l’école, de la cuisine, des responsables des soins aux jeunes, du service des finances et des ressources humaines. Elle relève du directeur.
[14]
Le directeur gère toutes les affaires de la demanderesse et rend compte au conseil d’administration. Le directeur prépare et présente un budget annuel au conseil d’administration qui doit l’approuver avant sa mise en œuvre.
C.
Participation du gouvernement fédéral
[15]
Le Conseil tribal du Sud‑Est et le gouvernement fédéral du Canada sont parties à un accord de contribution annuel visant à financer le fonctionnement de l’école. L’accord est en vigueur du 1er avril au 31 mars de l’année suivante. Il fournit du financement pour le fonctionnement de la demanderesse et paie les frais de scolarité et de pension pour chaque élève autochtone.
[16]
En vertu de l’accord de contribution, le Conseil tribal du Sud‑Est est autorisé à facturer au gouvernement fédéral 3 300 $ par étudiant, pour chaque mois où l’étudiant est inscrit auprès de la demanderesse. Selon les notes afférentes aux états financiers vérifiés de 2018, les fonds sont versés par le gouvernement fédéral à la Southeast Resource Development Council Corp. (SERDC), qui est liée à la demanderesse par un contrôle commun. Les fonds sont ensuite transféré à la demanderesse afin qu’elle en assure la gestion.
[17]
Bien que les fonds versés par le gouvernement fédéral soit la principale source de financement que reçoit la demanderesse, les élèves non autochtones ont le droit de fréquenter l’école s’ils paient les frais de scolarité annuels.
D.
Fonctionnement de l’école
[18]
Voici l’énoncé de mission de la demanderesse :
[traduction]
Appliquer des normes scolaires probantes et offrir un équilibre holistique par un enseignement de qualité, qui comprend des enseignements traditionnels, culturels et pédagogiques.
[19]
Bien que l’école ne soit pas régie par la Loi sur les écoles publiques, CPLM, c P250 du Manitoba, les enseignants de la demanderesse doivent être titulaires d’un certificat d’enseignement provincial. Les cours obligatoires des écoles secondaires provinciales sont offerts par la demanderesse. Selon l’accord de contribution annuelle, la demanderesse est tenue de suivre le programme d’études du ministère de l’Éducation du Manitoba pour recevoir le financement. Les programmes de cours sont accrédités et fournis par la province du Manitoba. Par conséquent, les finissants obtiennent un diplôme d’études secondaires reconnu par le Conseil scolaire du Manitoba et par les établissements postsecondaires.
[20]
Selon le document sur le programme d’études de la demanderesse, le directeur est tenu de [traduction] « veiller à ce que le programme d’études soit conforme aux exigences du ministère de l’Éducation du Manitoba »
et d’offrir des enseignements dans [traduction] « le cadre des règlements provinciaux »
. Selon le témoignage de la directrice des opérations, la philosophie de l’école, ses cours et ses procédures d’examen sont conformes aux règlements provinciaux et aux exigences du ministère de l’Éducation du Manitoba. Les notes en anglais et en mathématiques sont transmises au Conseil scolaire du Manitoba, tout comme celles de toutes les autres écoles secondaires du Manitoba.
III.
Question en litige et norme de contrôle applicable
[21]
Il y a une seule question à trancher : l’arbitre a‑t‑il commis une erreur en concluant qu’il avait compétence pour décider si la défenderesse avait été congédiée injustement par la demanderesse?
[22]
Bien que la norme présumée de contrôle d’une décision rendue par un tribunal administratif soit celle de la décision raisonnable, il existe peu d’exceptions à la présomption. Une de ces exceptions est la catégorie des questions constitutionnelles : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, [Vavilov] au paragraphe 17).
[23]
Les faits en l’espèce soulèvent la question constitutionnelle de savoir si le congédiement de la défenderesse est assujetti à la législation fédérale ou provinciale : Telecon Inc c Fraternité internationale des ouvriers en électricité (section locale 213), 2019 CAF 244 au paragraphe 16; autorisation d’appel rejetée par la Cour suprême du Canada, avec dépens, dossier numéro 38934, 7 mai 2020.
[24]
Ainsi, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte : Vavilov, aux paragraphes 53 et 55; Canada (Procureur général) c Northern Inter‑Tribal Health Authority Inc, 2020 CAF 63 au paragraphe 13 [Northern Inter‑Tribal].
[25]
Il a été reconnu qu’à proprement parler, cette question n’est pas vraiment constitutionnelle, car elle ne porte pas sur la question de savoir si une loi donnée excède les limites de l’autorité constitutionnelle du gouvernement habilitant. Cependant, il existe une présomption réfutable selon laquelle les relations de travail relèvent de la compétence provinciale : NIL/TU,O Child and Family Services Society c B.C. Government and Service Employees' Union, 2010 CSC 45 [NIL/TU,O], au paragraphe 12; Treaty 8 Tribal Association c Barley, 2016 CF 1090 au paragraphe 7.
[26]
La défenderesse s’est plainte, en vertu du CCT, d’avoir été congédiée injustement. Il lui incombait donc de présenter des éléments de preuve pour réfuter la présomption de compétence provinciale. Bien que la défenderesse n’ait pas participé au présent contrôle judiciaire, elle a témoigné à l’audience devant l’arbitre et a présenté des observations, mais apparemment pas sur la question de la compétence.
[27]
La demanderesse n’a pas contesté les conclusions de fait dans la décision. Si elle l’avait fait, ces faits auraient fait l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable : Conseil de la Nation Innu Matimekush‑Lac John c Association des employés du Nord québécois (CSQ), 2017 CAF 212 au paragraphe 18 [Lac John].
IV.
Décision visée par le contrôle judiciaire
[28]
L’arbitre a examiné les deux questions soulevées par l’avocat de la demanderesse, soit la compétence et le congédiement de la défenderesse.
[29]
L’arbitre a déterminé qu’il y avait un conflit entre la preuve de la défenderesse et les deux témoins de la demanderesse, et qu’il a privilégié la preuve des témoins de la demanderesse. En fin de compte, il a estimé que les faits énoncés dans la lettre de congédiement étaient prouvés et que le congédiement de la défenderesse était justifié.
[30]
L’arbitre a établi qu’il avait compétence pour statuer sur le congédiement de la défenderesse parce qu’il a conclu que la demanderesse était une entreprise fédérale au sens de l’article 2 du CCT.
[31]
Pour en arriver à cette conclusion, l’arbitre a souligné plusieurs faits qu’il avait pris en compte. Il a d’abord exposé les huit faits tirés d’une décision rendue en 2013 par un autre arbitre des normes du travail fédérales dans une affaire mettant en cause la demanderesse et un autre employé. Cette décision est appelée ci‑après la décision de l’arbitre Smordin.
[32]
L’arbitre s’est ensuite penché sur la loi. Il a souligné que l’article 114 de la Loi sur les Indiens, LRC 1985, c 1‑5, dispose que le gouvernement fédéral peut conclure des accords avec le gouvernement d’une province ou une commission d’écoles publiques ou séparées pour l’instruction des enfants indiens conformément à cette loi.
[33]
Ensuite, l’arbitre a souligné que le paragraphe 114(2) de la Loi sur les Indiens dispose que le gouvernement fédéral peut établir, diriger et entretenir des écoles pour les enfants indiens.
[34]
L’arbitre a examiné divers documents de la société concernant l’objet et le fonctionnement de l’école. Il s’agit notamment de l’énoncé de mission, qui établit que, bien qu’il faille se rappeler des règlements provinciaux, [traduction] « nos connaissances culturelles auront toujours préséance sur tout règlement étranger »
, et d’une politique de l’école mentionnant que celle‑ci n’est pas officiellement reconnue par le ministère de l’Éducation du Manitoba et qu’elle est considérée comme une école des Premières Nations.
[35]
L’arbitre a souligné que les rôles et responsabilités des membres du conseil d’administration [traduction] « ne mentionnent rien au sujet de la responsabilité envers le gouvernement provincial de l’éducation (sic) »
.
[36]
L’arbitre a fait remarquer que le directeur de l’école avait déclaré lors de son témoignage que l’école avait [traduction] « l’intention de préserver la culture autochtone et qu’elle avait préséance sur le programme d’études provincial » [...] afin que la participation des Autochtones à notre enseignement de l’histoire ne soit pas exclue »
.
[37]
L’arbitre a également fait référence au contrat de travail de la défenderesse, selon lequel le paiement est [traduction] « assujetti aux retenues prévues par la loi, y compris l’avis et l’indemnité de départ requis en vertu du CCT »
.
[38]
À partir de ces observations, l’arbitre a conclu que la demanderesse [traduction] « semble être une entreprise fédérale relevant de la compétence législative du Parlement fédéral »
, qu’elle [traduction] « semble exclure le pouvoir législatif provincial en matière d’éducation et qu’elle ne suit que dans une certaine mesure le programme d’études provincial pour recevoir un financement fédéral »
.
[39]
L’arbitre a estimé que l’orientation de l’énoncé de mission selon lequel les connaissances culturelles auront toujours préséance sur tout règlement étranger [traduction] « semble clairement toucher la notion vague du “contenu essentiel de l’indianité (sic)”, manifestement constituée de questions faisant partie intégrante des droits ancestraux et issus de traités, de la culture originale ou du statut d’Indien »
. Il a conclu que [traduction] « [c]ela va au‑delà de la sensibilité culturelle et rend ces questions fondamentales ».
[40]
Après d’autres renvois à la décision de l’arbitre Smordin et à une affaire antérieure de la Commission des droits de la personne du Manitoba mettant en cause la même demanderesse et, dans chaque cas, un employé différent, l’arbitre a conclu que la [traduction] « position de la demanderesse sur la compétence dans le passé semblait ambiguë »
.
[41]
Je tiens ici à souligner qu’une remarque incidente dans la décision de l’arbitre Smordin, indiquait qu’il aurait été conclu que la demanderesse était assujettie à la réglementation fédérale, mais qu’il n’était pas nécessaire de le faire puisqu’elle avait abandonné son poste. La Commission des droits de la personne du Manitoba a conclu que la demanderesse relevait de la compétence provinciale parce que [traduction] « la fonction essentielle de la demanderesse est d’offrir un enseignement aux élèves des Premières Nations d’une manière adaptée à leur culture. Cela relève clairement de la compétence provinciale en matière d’éducation »
.
[42]
Avant de passer à sa propre analyse, l’arbitre a souligné que, dans la décision de l’arbitre Smordin, le procureur général du Manitoba est intervenu en insistant sur le contrôle du gouvernement fédéral et sur son affirmation selon laquelle [traduction] « le gouvernement fédéral s’occupe des enfants autochtones, et le gouvernement provincial s’occupe des enfants non autochtones »
.
[43]
L’arbitre a ensuite brièvement traité de l’arrêt NIL/TU,O, lequel fait l’objet d’un examen ci‑après.
V.
Analyse
A.
Raisonnement de l’arbitre sur le paragraphe 91(24)
[44]
L’arbitre a conclu qu’il n’était pas nécessaire d’examiner les critères énoncés dans l’arrêt NIL/TU,O.
[45]
Son raisonnement est mieux résumé aux paragraphes 70 et 71 de la décision :
[traduction]
70. La décision du juge en chef Dickson (sic) dans l’arrêt Construction Montcalm, 1979 1 RCS 754, et la décision du juge Beetz dans l’arrêt Nil/Tu (sic) portaient sur la compétence en matière de relations de travail, qui est seulement « présumée » provinciale. Pour résoudre ce problème, on a utilisé les critères fonctionnels et d’atteinte. Cela n’est pas nécessaire en l’espèce, car aucune présomption n’est requise, puisque la compétence a été prédéterminée par le paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle, et les quatre dernières lignes de l’article 91 (dont on a souvent fait fi), qui disposent que « toute question énumérée ne peut être réputée comme relevant de la compétence provinciale ».
(Souligné dans l’original)
71. L’article 2 du Code canadien du travail avalise cela lorsqu’il est question d’une entreprise fédérale, c’est‑à‑dire les installations, ouvrages, entreprises ou secteurs d’activité qui relèvent de la compétence législative du Parlement. L’article 2i) inclut en particulier « les installations, ouvrages, entreprises ou secteurs d’activité ne relevant pas du pouvoir législatif exclusif des législatures provinciales ».
[Souligné dans l’original.]
[46]
Dans ce qui ne peut être décrit que comme un énoncé quelque peu particulier au sujet de l’arrêt NIL/TU,O et de plusieurs autres causes semblables sur lesquelles la demanderesse s’est appuyée, l’arbitre a exprimé l’opinion suivante : [traduction] « Ils tiennent pour acquis que la question de la compétence sur les Autochtones est en litige et exigent que des présomptions et des critères soient appliqués pour déterminer la compétence »
.
[47]
L’arbitre précise davantage en ce qui concerne la jurisprudence existante, y compris l’arrêt NIL/TU,O, en déclarant qu’elle [traduction] s’est « livrée à la tautologie »
et que « les questions de compétence ne devraient être soulevées que si la question en litige n’a pas déjà été réglée, comme ce fut le cas dans l’arrêt Northern Telecom, l’arrêt Construction Montcalm, relativement à la question des relations de travail »
.
[48]
Le résultat final de l’évaluation de la jurisprudence existante par l’arbitre a été sa conclusion en l’espèce, c’est‑à‑dire [traduction] « la compétence a été prédéterminée par les articles de la Loi constitutionnelle et du Code canadien du travail »
auxquels il a déjà fait référence.
[49]
L’arbitre a conclu à tort, contrairement à l’arrêt NIL/TU,O, que le critère fonctionnel n’était pas nécessaire parce que la compétence était prédéterminée par le paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 (R‑U), 30 & 31 Victoria, c 3 [Loi constitutionnelle]. Ce faisant, il a conclu qu’aucune présomption n’était requise compte tenu des dispositions du paragraphe 91(24) et de l’article 2 CCT. Au cours du processus, l’arbitre n’a pas tenu compte du paragraphe 20 de l’arrêt NIL/TU,O, qui contredit directement sa conclusion.
[20] En principe, rien ne justifie que la compétence relative aux relations de travail d’une entité soit abordée différemment lorsque le par. 91(24) est en cause. La nature fondamentale de l’examen est – et devrait être – la même que pour les autres chefs de compétence. Il s’agit d’un examen en deux étapes, la première étant l’application du critère fonctionnel. Le tribunal doit passer à la deuxième étape seulement si la première étape n’est pas concluante. Si elle est concluante, la question n’est pas de savoir si les activités de l’entité se rattachent au « contenu essentiel » du chef de compétence fédérale, mais de savoir si le fait que les relations de travail de cette entité sont régies par le gouvernement provincial porte atteinte au « contenu essentiel » de ce chef de compétence. Le fait de regrouper les deux étapes en un seul examen, comme l’ont fait le juge de première instance et la Cour d’appel, et comme le font la juge en chef McLachlin et le juge Fish dans leurs motifs concordants, a pour effet de transformer le critère traditionnel applicable en matière de relations de travail en un critère différent : celui que l’on utilise pour décider si une loi est « inapplicable » en vertu de la doctrine traditionnelle de l’exclusivité des compétences. L’analyse en deux étapes préserve l’intégrité du critère unique en matière de relations de travail; la démarche en une seule étape l’abolit.
[50]
L’omission d’appliquer le critère fonctionnel énoncé dans l’arrêt NIL/TU,O est une erreur de droit. Elle a été jugée suffisante, en soi, pour trancher en faveur d’un demandeur un contrôle judiciaire comme celui‑ci : Treaty 8, au paragraphe 23.
B.
Analyse de l’article 114 de la Loi sur les Indiens par l’arbitre
[51]
L’arbitre a conclu que la compétence est [traduction] « manifeste »
car, autrement, l’article 114 de la Loi sur les Indiens « n’aurait aucun sens et exclut l’analyse, les analogies et les critères utilisés par le passé »
.
[52]
Pour illustrer le problème d’interprétation tel qu’il le perçoit, l’arbitre pose ensuite une question hypothétique concernant les étrangers et un examen du paragraphe 91(25) de la Loi constitutionnelle. Il estime que le fait que les tribunaux présument et analysent [traduction] « les activités normales et habituelles comme étant étrangères »
soulève une interrogation. L’arbitre affirme que la question devrait être de savoir [traduction] « qui est un étranger »
et, en l’espèce, ce serait « qui est un Autochtone »
. Il affirme que, si ce n’est pas déjà manifeste, la réponse serait clairement que [traduction] « le gouvernement fédéral a compétence en vertu de plusieurs directives législatives. Le recours à la quiddité est inutile »
.
[53]
Cette analyse est caduque pour la même raison que l’analyse du paragraphe 91(24). Elle ne traite pas de la présomption de compétence provinciale, si ce n’est pour dire qu’elle ne s’applique pas en raison de la législation fédérale et de la mention de l’école qui dessert les enfants autochtones. Elle ne cherche même pas à aborder une analyse fonctionnelle.
[54]
Il est difficile de dire ce que l’arbitre a considéré comme étant « manifeste »
concernant sa compétence. Le paragraphe 114(1) de la Loi sur les Indiens dispose que le gouvernement fédéral peut conclure un accord avec le gouvernement d’une province ou avec une commission d’écoles publiques ou séparées pour l’instruction des enfants indiens.
[55]
Aucun accord de ce genre n’a été conclu avec la province ou une commission d’écoles publiques en l’espèce. L’arbitre n’a mentionné aucun accord de ce genre. L’accord de contribution traite du financement de la demanderesse. Il s’agit d’une société privée provinciale sans capital‑actions.
[56]
En ce qui concerne le paragraphe 114(2) de la Loi sur les Indiens, qui dispose que le ministre des Affaires autochtones peut établir, diriger et entretenir des écoles pour les enfants indiens, l’arbitre n’a pas indiqué comment l’accord de contribution, le seul accord conclu entre la demanderesse et le gouvernement fédéral s’inscrit dans une quelconque partie du paragraphe 114(2) ou la met en application.
[57]
Dans l’ensemble, les déclarations faites par l’arbitre concernant l’article 114 de la Loi sur les Indiens ne sont étayées par aucun examen des éléments de preuve ou de leur mention. Le seul appui apparent possible est la mention par l’arbitre de l’observation du procureur général du Manitoba, telle qu'elle est énoncée dans la décision de l’arbitre Smordin, selon laquelle le gouvernement fédéral exerçait un contrôle sur l’école parce que [traduction] « le gouvernement fédéral s’occupe des enfants autochtones, et le gouvernement provincial s’occupe des enfants non autochtones »
.
[58]
Si tel était le raisonnement de l’arbitre, il est erroné en droit. Le contrôle n’est qu’une composante possible de la détermination de la compétence.
C.
Conclusion
[59]
Dans l’arrêt NIL/TU,O, la Cour suprême du Canada nous rappelle que le critère fonctionnel « requiert l’examen de la nature, des activités habituelles et de l’exploitation quotidienne de l’entité en question afin de déterminer s’il s’agit d’une entreprise fédérale »
: (NIL/TU,O, au paragraphe 3)
[60]
L’arbitre disposait de l’énoncé de mission de la demanderesse qui établit que la mission de la demanderesse consiste à [traduction] « appliquer des normes scolaires probantes et [à] offrir un équilibre holistique par un enseignement de qualité, qui comprend des enseignements traditionnels, culturels et pédagogiques »
.
[61]
La déclaration de l’arbitre selon laquelle la demanderesse [traduction] « ne suit que dans une certaine mesure le programme d’études provincial pour recevoir un financement fédéral »
pose problème. Cela revient à conclure que la demanderesse n’a pas respecté les exigences du programme d’études provincial. La déclaration de l’arbitre sur les éléments de preuve est inexacte. L’accord de contribution exige que le programme d’études provincial soit suivi pour recevoir un financement. Les états financiers indiquent que le financement a été reçu. La seule conclusion correcte est que le programme d’études provincial a été suivi par la demanderesse.
[62]
L’arbitre a également souligné la philosophie de la demanderesse, qui est [traduction] « de toujours se souvenir de la base élémentaire du savoir dans l’optique des règlements provinciaux et que nos connaissances culturelles auront toujours préséance sur tout règlement étranger »
. Il a ensuite exprimé l’avis que cela [traduction] « va au‑delà de la sensibilité culturelle et rend ces questions fondamentales »
.
[63]
La réponse à la déclaration de l’arbitre sur la sensibilité se trouve dans une observation récente de la Cour d’appel fédérale formulée dans l’arrêt Northern Inter‑Tribal lorsqu’elle a traité de l’arrêt NIL/TU,O. Le juge Stratas, s’exprimant au nom de la Cour, a déclaré qu’une entreprise, qui est habituellement régie par les lois provinciales, ne devient pas une matière fédérale simplement parce que ses services sont culturellement adaptés pour répondre aux besoins d’une population autochtone locale : Northern Inter‑Tribal, au paragraphe 24.
[64]
Le contrôle selon la norme de décision correcte ne fait pas preuve de déférence à l’égard du processus de raisonnement du décideur.
[65]
Lorsqu’elle applique la norme de la décision correcte, la cour de révision peut choisir soit de confirmer la décision du décideur administratif, soit de lui substituer sa propre décision. Ce faisant, la Cour peut tirer sa propre conclusion si elle estime que le raisonnement du décideur administratif n’est pas convaincant : Vavilov, au paragraphe 54.
[66]
Je n’hésite pas à conclure que le raisonnement de l’arbitre n’était pas convaincant et que la décision est erronée.
[67]
L’arbitre devait tenir compte du critère fonctionnel établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt NIL/TU,O et, ce faisant, il devait l’appliquer correctement.
[68]
L’arbitre n’a fait ni l’un ni l’autre.
[69]
Comme l’arbitre a conclu que cela ne s’était pas produit, rien n’indique dans la décision que la présomption de compétence provinciale sur les relations de travail entre la demanderesse et la défenderesse a été réfutée. À moins que la présomption ne soit réfutée, la province du Manitoba avait compétence sur la relation entre la demanderesse et la défenderesse.
[70]
Au lieu d’appliquer le critère fonctionnel, l’arbitre a substitué sa conclusion selon laquelle la présomption n’était pas née. À cet égard, la décision est fondée sur une erreur de fait. Elle doit être annulée comme le prévoit l’article 18.1 de la Loi sur les CF.
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE :
La demande est accueillie et la décision de l’arbitre Booth est annulée.
La relation d’emploi entre la demanderesse et la défenderesse n’était pas régie par le Code canadien du travail.
Aucuns dépens ne sont adjugés.
« E. Susan Elliott »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
T‑1615‑19
|
INTITULÉ :
|
SOUTHEAST COLLEGIATE INC. c RHONDA LAROQUE
|
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
Par vidéoconférence entre Ottawa (Ontario) et Winnipeg (Manitoba)
|
DATE DE L’AUDIENCE :
|
Le 14 juillet 2020
|
JUGEMENT ET MOTIFS :
|
LA JUGE ELLIOTT
|
DATE DES MOTIFS :
|
Le 7 août 2020
|
COMPARUTIONS :
Bret Lercher
|
POUR LA DEMANDERESSE
.
|
Personne n’a comparu
|
POUR LA DÉFENDERESSE
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
MLT AIKINS LLP
Avocats
Winnipeg (Manitoba)
|
POUR LA DEMANDERESSE
|