Date : 20041110
Dossier : IMM-9010-03
Référence : 2004 CF 1583
ENTRE :
ROSAURA EUGENIA ZELEDON DIAZ
demanderesse
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
[1] Les présents motifs font suite à l'instruction d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a déclaré que la demanderesse n'était ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger. Les motifs de cette décision sont datés du 16 octobre 2003.
[2] La demanderesse est une jeune femme citoyenne du Costa Rica. Elle craint d'être persécutée au Costa Rica entre les mains de son ancien conjoint de fait qui serait selon elle un narcotrafiquant qui entretient des liens étroits avec la police et des fonctionnaires du gouvernement. La demanderesse affirme qu'elle a été victime de violences physiques, sexuelles et psychologiques de la part de son ex-conjoint, qui l'a forcée à transporter de la drogue.
[3] La demanderesse a réclamé sans succès la protection de la police à deux reprises. Voici ce qu'elle écrit, dans son Formulaire de renseignements personnels, au sujet de la première tentative qu'elle a faite pour obtenir la protection de la police :
[TRADUCTION] La police n'a pas cru un mot de ce que je disais et je n'ai donc obtenu aucune protection de la police. Adrian [son ex-conjoint] était une personnalité très influente dans la collectivité et il avait une foule d'accointances dans divers milieux publics et gouvernementaux[1]. [Version non retouchée.]
[4] Au sujet de la seconde tentative qu'elle a faite en vue d'obtenir la protection de la police, elle écrit :
[TRADUCTION] Le 4 octobre 2000, je me suis rendue au poste de police très déterminée à signaler à la police qu'Adrian avait tenté de me tuer, mais lorsque je leur ai montré mes blessures, les policiers m'ont demandé s'il y avait d'autres témoins que mon oncle. Pis encore, les policiers m'ont dit qu'ils considéraient que c'était une querelle de ménage et que ce n'était pas une affaire grave[2]. [Version non retouchée.]
[5] En ce qui concerne sa seconde tentative en vue d'obtenir la protection de la police, la demanderesse a témoigné devant la SPR :
[TRADUCTION]
L'AVOCAT : Qu'avez-vous dit au second policier?
LA REVENDICATRICE : On m'a frappée, avant de me rendre au poste de police, il m'avait battue, j'avais des coupures pour le prouver. J'étais accompagné d'un des mes oncles, qu'il avait aussi menacé, parce qu'il me défendait. Il m'avait tellement rouée de coups que je ne pouvais même pas marcher. Et ils ne m'ont accordé aucune attention.
L'AVOCAT : Et pourquoi ne vous ont-ils accordé aucune attention?
LA REVENDICATRICE : Ils ont commencé par me dire qu'ils n'acceptaient pas un témoin qui faisait partie de ma famille et qu'ils n'accepteraient pas une dénonciation sans qu'elle soit faite au lieu de mon domicile. Ils m'ont ensuite dit : Qui sait où vous êtes tombée, et voilà que vous venez ici pour faire ce genre de dénonciation[3].
[6] La SPR n'a pas tiré de conclusion au sujet de la crédibilité de la demanderesse. Faute de conclusion défavorable, la SPR doit être présumée avoir jugé la demanderesse crédible[4]. La SPR a plutôt fait reposer sa décision entièrement sur la question de la protection de l'État. Elle écrit :
[TRADUCTION]
La question à trancher en l'espèce a trait à la disponibilité de la protection de l'État pour la demandeure au Costa Rica, en tant que personne craignant la violence familiale dans ce pays. D'après la preuve et les références aux dispositions législatives pertinentes et à la jurisprudence, j'estime que la demandeure n'a pas réfuté la présomption selon laquelle elle peut obtenir la protection de l'État au Costa Rica[5].
[7] Je suis convaincu que la décision que j'ai rendue dans l'affaire Elcock c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[6], dont les faits sont très semblables à ceux de la présente espèce, s'applique directement au cas qui nous occupe. Au paragraphe [15] de mes motifs, voici ce que j'écrit :
Tant dans l'affaire Cuffy que dans l'affaire D'Mello, la Cour, siégeant en révision de décisions de la SSR fondées sur la conclusion voulant que les revendicatrices ne se soient pas acquittées du fardeau de prouver l'absence de protection de l'État, a annulé les décisions. J'estime qu'il doit en être de même en l'espèce, et que la SSR a commis une erreur donnant ouverture à révision en omettant d'examiner effectivement non seulement s'il existait des mécanismes légaux et procéduraux de protection mais encore si l'État, par l'intermédiaire de la police, était disposé à mettre ces mesures en oeuvre. Non seulement le pouvoir protecteur de l'État doit-il comporter un encadrement légal et procédural efficace mais également la capacité et la volonté d'en mettre les dispositions en oeuvre. [Non souligné dans l'original.]
[8] Dans le jugement Cuffy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[7], le juge McKeown cite les motifs exposés par le juge Teitelbaum dans le jugement Kraitman et al. c. Canada (Secrétaire d'État)[8] où ce dernier écrit ce qui suit :
La police peut avoir la capacité d'offrir de la protection, mais lorsqu'elle choisit de ne pas le faire, cela revient à dire qu'elle est incapable de protéger les requérants.
[9] Comme c'était le cas dans les affaires précitées, je suis persuadé que la SPR a commis en l'espèce une erreur qui justifie la révision de sa décision lorsqu'elle a constaté l'existence au Costa Rica d'un cadre législatif et procédural efficace qui était en mesure d'assurer la protection de la demanderesse tout en n'ajoutant pas foi à la preuve orale et écrite de la demanderesse, preuve que la SPR doit être présumée avoir jugée crédible, suivant laquelle la police n'était tout simplement pas disposée à la protéger en dépit d'éléments de preuve non contredits suivant lesquels elle avait été victime de violences physiques.
[10] Pour les brefs motifs que je viens d'exposer, la présente demande de contrôle judiciaire sera donc accueillie, la décision de la SPR visée par le contrôle judiciaire sera annulée et la demande présentée par la demanderesse en vue de se voir reconnaître la qualité de réfugiée ou de personne à protéger sera renvoyée à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pour qu'elle tienne une nouvelle audience et qu'elle rende une nouvelle décision.
[11] Informés de la décision de la Cour à la clôture de l'audience, aucun des avocats n'a recommandé la certification d'une question. La Cour est convaincue que les faits de la présente affaire ne soulèvent pas de questions graves de portée générale. Aucune question ne sera donc certifiée.
_ Frederick E. Gibson _
Juge
Ottawa (Ontario)
Le 10 novembre 2004
Traduction certifiée conforme
Jacques Deschênes, LL.B.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-9010-03
INTITULÉ : ROSAURA EUGENIA ZELEDON DIAZ
et
MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
DATE DE L'AUDIENCE : LE 3 NOVEMBRE 2004
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
MOTIFS DU JUGEMENT : MONSIEUR LE JUGE GIBSON
DATE DES MOTIFS : LE 10 NOVEMBRE 2004
COMPARUTIONS :
Me Byron M.Thomas POUR LA DEMANDERESSE
Toronto (Ontario) M3B 6E3
Me Drukarsk POUR LE DÉFENDEUR
Ministère de la Justice
Toronto (Ontario)
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Me Byron M.Thomas POUR LA DEMANDERESSE
Toronto (Ontario) M3B 6E3
(416) 234-9171
Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
Date : 20041110
Dossier : IMM-9010-03
Ottawa (Ontario), le 10 novembre 2004
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE GIBSON
ENTRE :
ROSAURA EUGENIA ZELEDON DIAZ
demanderesse
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
ORDONNANCE
La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié visée par le contrôle judiciaire est annulée et la demande présentée par la demanderesse en vue de se voir reconnaître la qualité de réfugiée ou de personne à protéger est renvoyée à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pour qu'elle tienne une nouvelle audience et qu'elle rende une nouvelle décision.
Aucune question n'est certifiée.
_ Frederick E. Gibson _
Juge
Traduction certifiée conforme
Jacques Deschênes, LL.B.
[1] Dossier de la demande de la demanderesse, à la page 27.
[2] Dossier de la demande de la demanderesse, à la page 28.
[3] Dossier du tribunal, à la page 184.
[4] Voir le jugement M.B.K. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 374 (Q.L.)(C.F. 1re inst.) au paragraphe 9.
[5] Dossier de la demande de la demanderesse, à la page 9.
[6] [1999] A.C.F. no 1438 (Q.L.)(C.F. 1re inst.).
[7] (1996), 121 F.T.R. 81.
[8] (1994), 81 F.T.R. 64.