Date : 20200819
Dossier : IMM-7049-19
Référence : 2020 CF 830
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 19 août 2020
En présence de madame la juge McVeigh
ENTRE :
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JOY UWAIFO OTABOR
UYI ERHOKPADAMWEN
DEBORAH OSAWUONAMEN EWERE
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demandeurs
|
et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
|
défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Introduction
[1]
La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés [SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a accueilli la demande d’annulation du statut de réfugié conféré à Uyi Erhokpadamwen [M. Erhokpadamwen], à Joy Uwaifo Otabor [Mme Otabor], à Deborah Osawuname Ewere [Deborah] et à Dane Uyi Ewere [Dane] présentée par le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile. Même si la décision de la SPR a également révoqué le statut de réfugié de Dane, il n’est pas inscrit comme demandeur, parce qu’il a été conclu qu’il est citoyen des États-Unis.
[2]
Les demandeurs reconnaissent les présentations erronées qu’ils ont faites dans leurs demandes d’asile. Ils ne nient maintenant pas qu’ils ont menti au sujet de leur identité; du nombre de passeports qu’ils détenaient; de la période qu’ils ont passée aux États-Unis; du moment où ils ont quitté le Nigéria; de la nationalité de Dane et, dans le cas du demandeur, du nom de son [traduction] « véritable amour »
et de la personne avec qui cette dernière était mariée.
[3]
La SPR a conclu que les décisions précédentes par lesquelles le statut de réfugié au sens de la Convention était accordé aux demandeurs découlaient, directement ou indirectement, de présentations erronées sur un fait important quant à un objet pertinent, ou de réticence sur ce fait. La SPR a conclu que tous les aspects des demandes d’asile de M. Erhokpadamwen et de Mme Otabor ont fait l’objet de présentations erronées. En conclusion, la SPR a jugé que, lors de la première décision, la preuve n’était pas suffisante pour justifier l’octroi de l’asile.
Question préliminaire
[4]
L’intitulé de la cause sera modifié de manière à ce que le défendeur soit désigné comme étant « le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration »
.
II.
Contexte
[5]
Les demandeurs (M. Erhokpadamwen, Mme Otabor et Deborah) sont des citoyens du Nigéria.
[6]
Le 10 août 2011, Mme Otabor a présenté pour elle-même et pour ses deux enfants mineurs une demande d’asile au Canada, demande que la SPR a accueillie le 13 novembre 2012.
[7]
Dans l’exposé circonstancié contenu dans son Formulaire de renseignements personnels [FRP], Mme Otabor a affirmé que des événements qui se sont produits au Nigéria entre le 15 février 2008 et le 21 juillet 2011 l’ont poussée à fuir le pays. Elle a déclaré qu’elle était fiancée à son petit-ami du collège, « Osamuyi Benedict Izevbigie »
. Elle a soutenu que, le 20 février 2008, elle a été forcée d’épouser un ancien policier et chef puissant [le chef]. Lorsqu’elle l’a épousé, elle était déjà enceinte de son petit-ami, et elle a donné naissance à une fille le 2 octobre 2008. Selon ses dires, le chef la soumettait à de la violence conjugale et sexuelle et l’empêchait de se déplacer non accompagnée.
[8]
Mme Otabor a affirmé que son garde du corps l’aidait à rendre visite à son petit-ami. Un deuxième enfant a été conçu, et il est né le 3 septembre 2010. Mme Otabor a dit que, le 24 juin 2011, le chef est devenu furieux parce qu’il soupçonnait que les enfants n’étaient peut-être pas les siens et il a menacé de tuer Mme Otabor, les enfants et son fiancé.
[9]
Selon Mme Otabor, le chef planifiait de faire exciser sa fille avant son troisième anniversaire. Mme Otabor a affirmé qu’elles ont réussi à échapper au chef, et ce, avec l’aide d’un [traduction] « agent »
. Elle a déclaré qu’elles ont quitté le Nigéria, sont passées par l’Europe et sont arrivées au Canada le 22 juillet 2011 à l’aide de passeports frauduleux. Selon ses dires, son fiancé n’est pas venu avec elles, faute d’argent.
[10]
Le 13 mars 2012, M. Erhokpadamwen a déposé séparément au Canada une demande d’asile, que la SPR a accueillie le 18 juin 2014.
[11]
Dans l’exposé circonstancié contenu dans son FRP, M. Erhokpadamwen a affirmé que les événements s’étant déroulés entre août 2008 et mars 2012 l’avaient amené à fuir le pays. Il a raconté qu’il était tombé amoureux d’une femme nommée « Amina Ahmed »
, avec qui il s’était fiancé et avait conçu une fille. M. Erhokpadamwen a déclaré qu’Amina avait été forcée d’épouser un puissant homme d’affaires dans le domaine du pétrole, et que ce dernier était devenu enragé en apprenant qu’il n’était pas le père biologique de l’enfant d’Amina. Le 12 juin 2011, Amina aurait communiqué avec M. Erhokpadamwen pour lui dire de se sauver, ce qu’il a fait. M. Erhokpadamwen a affirmé qu’une série d’événements complexes ont suivi : il s’est enfui chez son cousin, il a appris que le colocataire de son cousin avait été décapité (ayant apparemment été pris par erreur pour M. Erhokpadamwen), il a été attaqué par quatre hommes et il s’est caché chez différents amis jusqu’à ce qu’il soit en mesure de payer un agent de voyage pour l’amener à l’étranger. Il a affirmé qu’il avait quitté le Nigéria le 11 mars 2012 et qu’il était arrivé au Canada le lendemain.
[12]
L’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC] a reçu, au printemps 2015, des renseignements donnant à penser que Mme Otabor avait présenté une fausse demande d’asile ou une demande d’asile sous un faux nom. Le 28 août 2015, un agent de l’ASFC a réalisé une entrevue avec Mme Otabor, durant laquelle elle a déclaré qu’elle n’était jamais allée aux États-Unis, que la seule fois où elle avait pris l’avion était en juillet 2011, quand elle était arrivée au Canada, que tous ses parents se trouvaient au Nigéria et qu’elle avait un petit-ami, « Yui Erhokpedamwen »,
qu’elle avait rencontré à l’église.
[13]
En septembre 2015, les autorités américaines ont confirmé que les empreintes digitales de Mme Otabor correspondaient à celles de Joy Izevbigie, qui avait obtenu un visa conjoint des États-Unis avec sa fille et son fiancé, « Osamuyi Benedict Izevbigie »
. Mme Otabor était entrée aux États-Unis en juin 2009 afin d’assister au mariage de son frère. Elle était de nouveau entrée en juin 2010 et n’avait pas pris son vol de retour.
[14]
De même, en janvier 2016, les autorités américaines ont établi une correspondance entre les empreintes digitales de M. Erhokpadamwen et celles d’« Osamuyi Benedict Izebigie »
, qui était entré aux États-Unis en octobre 2008, en juin 2009 et en juin 2011 à l’aide d’un passeport nigérian. Sa dernière entrée aux États-Unis remontait au 3 juin 2011, et il n’avait pas pris son vol de retour.
[15]
Une audience visant à annuler le statut de réfugié des demandeurs s’est tenue le 19 septembre 2019 et le 5 novembre 2019, après quoi la SPR a accueilli la demande.
III.
La question en litige
[16]
La question à trancher est celle de savoir si la décision de la SPR d’accueillir la demande d’annulation du statut de réfugié au sens de la Convention qui avait été accordé aux demandeurs est raisonnable.
IV.
La norme de contrôle applicable
[17]
Selon le cadre d’analyse de l’arrêt Vavilov (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]), chaque fois qu’une cour examine une décision administrative, elle doit partir de la présomption que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Cette présomption peut être réfutée dans des situations bien particulières, dont aucune ne s’applique en l’espèce.
[18]
Dans le cadre de son analyse du caractère raisonnable d’une décision, une cour de révision doit d’abord examiner les motifs donnés avec une attention respectueuse et évaluer la décision dans son ensemble (Vavilov, aux para 84-85).
[19]
Pour juger si la décision est raisonnable, la cour de révision doit se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard de contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci (Vavilov, au para 99). Une décision peut être déraisonnable parce qu’elle est indéfendable sous certains rapports compte tenu de ces contraintes ou en raison d’une faille décisive dans la logique globale du décideur (Vavilov, aux para 102-105). Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable (Vavilov, au para 100).
V.
Analyse
[20]
Les dispositions juridiques pertinentes sont jointes à l’annexe A.
A.
Position des demandeurs
[21]
Le processus d’annulation prévu à l’article 109 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, (LC 2001, c 27) la [LIPR] nécessite que la SPR s’engage dans un processus à deux volets. D’abord, la SPR doit établir si la décision d’accorder l’asile découle directement ou indirectement de présentations erronées sur un fait important quant à un objet pertinent, ou de réticence sur ce fait. Ensuite, si la réponse au premier volet est affirmative, la SPR doit établir s’il subsiste suffisamment d’éléments de preuve pris en considération lors de l’examen initial de la demande d’asile pour justifier l’asile. Le cas échéant, la SPR peut rejeter la demande.
[22]
Les demandeurs ne font pas valoir que le premier volet du critère n’est pas respecté. Sans l’affirmer explicitement, ils semblent reconnaître qu’il l’est. Plutôt, ils soutiennent que la SPR a commis une erreur de droit en n’exerçant pas adéquatement son pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 109(2) de la LIPR, plus précisément, en n’ayant pas « déterminé de manière satisfaisante s’il restait suffisamment d’éléments de preuve non viciés pour étayer la décision initiale »
(Sethi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1178, au para 25 [Sethi]).
[23]
Les demandeurs mentionnent la décision Sethi, précitée, et la décision Babar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 216 [Babar], comme deux exemples de cas où la Cour a renvoyé l’affaire pour nouvel examen en raison d’une telle erreur de la part du tribunal. Ils soutiennent que les décisions Sethi et Babar, précitées, appuient la proposition selon laquelle [traduction] « un décideur est tenu d’examiner tout élément de preuve au dossier qui demeure non vicié par de fausses déclarations »
avant de rendre une décision pour annuler le statut de réfugié.
[24]
Dans la décision Sethi, la cour a conclu qu’aucune des présentations erronées de la demanderesse ni aucun des éléments de preuve déposés par le défendeur ne contredisaient le récit général de la demanderesse selon laquelle elle avait été victime de violence conjugale au Pakistan. Le fait que la SPR n’ait pas « déterminé de manière satisfaisante s’il restait suffisamment d’éléments de preuve non viciés pour étayer la décision initiale »
était fatal, ce qui a amené la Cour à accueillir la demande de contrôle judiciaire.
[25]
Dans la décision Babar, dans laquelle la demande d’asile reposait sur l’appartenance du demandeur à un groupe politique, le demandeur a reconnu qu’il avait fait des présentations erronées. Cela a amené le décideur à tirer une conclusion générale de manque de crédibilité et à accueillir la demande d’annulation de son statut de réfugié. La cour a accueilli la demande de contrôle judiciaire, concluant que le tribunal devait, malgré la conclusion défavorable en matière de crédibilité, examiner les éléments de preuve indépendants, afin de déterminer quels éléments de preuve n’étaient pas viciés, et évaluer s’il y avait suffisamment d’éléments de preuve pour justifier une décision favorable.
[26]
Les demandeurs soutiennent que les motifs de la SPR donnent à penser que le commissaire [traduction] « a jugé que les présentations erronées des demandeurs [étaient] si généralisées qu’un examen diligent des affirmations et des éléments de preuve, fournis dans la trousse de demande du FRP, qui n’étaient pas viciés par les présentations erronées serait inutile »
.
[27]
Les demandeurs se plaignent du fait que l’analyse de la SPR est [traduction] « dépourvue de tout examen des affirmations ou des éléments de preuve soumis par les demandeurs dans leurs demandes d’asile qui n’entraient pas en conflit avec les périodes »
pour lesquelles la SPR a conclu qu’ils n’étaient pas au Nigéria.
[28]
Les demandeurs signalent que la SPR a conclu que certains des événements décrits dans le FRP de Mme Otabor ne s’étaient pas produits, puisqu’elle n’était pas au Nigéria du 24 juin au 27 novembre 2009 et du 26 juin 2010 au 21 juillet 2011. Pourtant, les demandeurs soulignent que Mme Otabor a affirmé dans son FRP que certains des événements qui l’avaient poussée à fuir le Nigéria avaient commencé le 15 février 2008 :
le 20 février 2008, elle a été enlevée et forcée d’épouser le chef, et elle a été victime de violence sexuelle et conjugale aux mains du chef à partir de ce moment-là;
le 6 avril 2008, elle a tenté de s’enfuir;
le 11 juin 2008, elle a tenté de se suicider en faisant une surdose de médicaments (et un rapport médical attestant la surdose a été soumis à la SPR à l’appui de sa demande d’asile);
vers août 2011, le chef a planifié l’excision de Deborah, et la vie de l’enfant était menacée s’il découvrait qu’il n’en était pas le père.
[29]
Pour ce qui est de M. Erhokpadamwen, la SPR a conclu qu’il avait été aux États-Unis pendant certaines périodes en 2008 et en 2009 et qu’il n’était jamais retourné au Nigéria après être rentré aux États-Unis à nouveau en juin 2011. La SPR a reconnu que cette partie de ses allégations figurant dans son FRP s’était produite avant juin 2011, et même dès février 2009.
[30]
Les demandeurs font valoir qu’il importe peu de savoir si les éléments de preuve non viciés auraient été suffisants pour appuyer le statut de réfugié; ce qui est pertinent, c’est plutôt de savoir si la SPR a examiné les éléments de preuve non viciés au dossier avant de rendre une décision. En l’espèce, les demandeurs soutiennent que la SPR n’a même pas reconnu les parties des allégations et les éléments de preuve qui demeuraient non viciés, et elle les a encore moins examinés, avant de rendre une décision. Les demandeurs affirment que le défaut de procéder à cet examen constitue une erreur susceptible de contrôle.
[31]
Je ne souscris pas à l’affirmation des demandeurs selon laquelle la SPR a commis une erreur, pour les motifs qui suivent.
[32]
La SPR a dressé comme suit la liste des questions qui ont été présentées aux demandeurs (au para 27) :
a) leur identité réelle divulguée par les autorités américaines;
b) leur relation en tant qu’époux ou conjoints de fait;
c) l’existence de passeports valides non divulgués qui leur ont été délivrés sous d’autres noms;
d) leurs voyages précédents aux États-Unis et la durée de leurs séjours;
e) le lieu de naissance de Dane Uyi EWERE, puisque, d’après les autorités américaines, il est né aux États-Unis;
f) l’authenticité des événements allégués à l’appui de leurs demandes d’asile au Canada et la période où ils se sont déroulés;
g) leur défaut de demander l’asile aux États-Unis.
(Une chronologie des événements est jointe à l’annexe B.)
[33]
La SPR a conclu sommairement qu’elle n’était pas convaincue que d’autres éléments de preuve suffisants avaient été pris en considération lors de la décision initiale pour justifier l’asile (au para 45) :
[traduction]
Compte tenu de l’étendue des présentations erronées, qui touchent presque tous les aspects des demandes d’asile des défendeurs, le tribunal est d’avis qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve pour justifier l’asile, en application du paragraphe 109(2) de la LIPR.
[34]
Cette conclusion est réitérée dans la rubrique « Conclusion »
(au para 48) :
[traduction]
Par ailleurs, le tribunal conclut qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve, pris en considération lors de la décision initiale, pour justifier l’asile.
[35]
À mon avis, la brièveté de l’analyse de la SPR sur la question liée au paragraphe 109(2) ne rend pas la décision déraisonnable. Lorsque la décision est lue dans son ensemble, le raisonnement de la SPR sur cette question est suffisamment justifié, transparent et intelligible. En bref, après que les présentations erronées généralisées eurent été révélées, il ne restait rien des histoires initiales des demandeurs. C’est ce que voulait dire la SPR lorsqu’elle a affirmé que les éléments de preuve étaient insuffisants pour justifier l’asile en application du paragraphe 109(2) « compte tenu de l’étendue des présentations erronées, qui touchent presque tous les aspects des demandes d’asile des demandeurs »
(paragraphe 45). Il est impossible de reconstruire l’histoire concise de persécution à partir des éléments de preuve pris en considération lors de la décision initiale, puisqu’il ne restait essentiellement rien. La SPR n’est pas tenue de [traduction] « dresser la liste »
les éléments de preuve qui demeurent non viciés par les présentations erronées.
[36]
Dans le cas de M. Erhokpadamwen, son observation selon laquelle la SPR a commis une erreur en ne prenant pas en considération les éléments de preuve datant de périodes durant lesquelles ils n’étaient pas aux États-Unis n’est pas fondée : étant donné qu’il a avoué qu’« Amina »
était fictive et que la majeure partie de ses déclarations dans sa demande d’asile étaient fausses, son témoignage original dans son ensemble a été vidé de toute substance (voir la chronologie des événements à l’annexe B).
[37]
Pour ce qui est de Mme Otabor, même s’il est vrai que la SPR n’a pas explicitement fait allusion aux éléments de preuve figurant dans sa demande d’asile originale qui ne dataient pas des périodes durant lesquelles il est maintenant connu qu’elle était aux États-Unis, il est clair que la SPR a jugé qu’elle ne pouvait pas se fonder sur ces éléments de preuve. Cela est manifeste non seulement dans les énoncés de conclusion figurant aux paragraphes 45 et 48 de la décision de la SPR, mais aussi dans sa liste des présentations erronées (paragraphe 42) et dans son observation (paragraphe 40) selon laquelle Mme Otabor est allée jusqu’à affirmer que [traduction] « le nom de famille de sa fille était le nom de son agent de persécution allégué au Nigéria afin d’éviter de devoir divulguer le nom de famille de son père biologique »
.
[38]
L’allégation initiale de Mme Otabor selon laquelle elle était essentiellement détenue captive par le chef ne concordait pas avec les voyages aux États-Unis qu’elle a maintenant divulgués. De même, ses allégations de persécution ont perdu de la crédibilité à la lumière de la révélation selon laquelle elle avait choisi de retourner vers son persécuteur au Nigéria plutôt que de rester aux États-Unis – malgré son explication, à l’audience, portant qu’elle ne savait pas qu’il était possible de demander l’asile et qu’elle espérait que les choses changeraient, ce qui lui permettrait de retourner au travail et d’utiliser son diplôme. Même si la SPR n’a pas explicitement formulé ces observations, ces considérations étaient implicites dans sa conclusion selon laquelle il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour justifier l’asile à la lumière de l’[traduction] « étendue des présentations erronées »
(paragraphe 45 de la décision – voir la chronologie des événements à l’annexe B).
[39]
Le cas qui nous occupe se distingue des faits de la décision Sethi et de la décision Babar, puisqu’il n’y avait pas d’éléments de preuve indépendants pris en considération lors de la décision initiale qui restaient non viciés et pourraient justifier le maintien du statut de réfugié des demandeurs. Même si le rapport médical concernant la surdose de valium de Mme Otabor corroborait un incident décrit dans son exposé circonstancié, il n’appuyait pas son allégation de violence familiale comme les rapports médicaux le faisaient dans la décision Sethi. De plus, les lettres et les rapports qui auraient apparemment confirmé les actes de violence et les abus dont Mme Otabor avait été victime n’étaient pas réellement indépendants, puisqu’ils reposaient sur son récit des événements.
[40]
Même s’il s’agissait simplement de présentations erronées concernant les dates et que la SPR n’avait pas pris en considération les éléments de preuve restants, cette position doit également être rejetée. Cette question a été soulevée dans la décision Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) c Gunasingam, 2008 CF 181 [Gunasingam]. Dans cette affaire, à l’audition de la demande d’annulation, le demandeur a expliqué que le traitement qu’il prétendait avoir subi aux mains des autorités sri lankaises et de l’armée s’était bel et bien produit, seulement quelques mois plus tard – et non pas durant la période durant laquelle il était maintenant su qu’il était allé en Malaisie. Lors du contrôle judiciaire, la cour a affirmé catégoriquement que les nouvelles dates du demandeur (et, par le fait même, sa nouvelle version des événements) ne pourraient pas être prises en considération (paragraphes 15-17) :
17 Je n’ai aucune hésitation à conclure que les nouvelles dates fournies par M. Gunasingam ne sont tout simplement pas pertinentes. Le fait demeure qu’il a déclaré avoir été persécuté au Sri Lanka en mai et juin 2001, alors qu’il était en fait en Malaisie. Ces incidents ne peuvent être pris en compte quel que soit le moment où ils ont pu se produire.
[41]
Par conséquent, s’il convient d’accorder du poids à la décision Gunasingam, la SPR n’avait pas l’obligation ni d’ailleurs l’autorisation de prendre en considération une nouvelle version des événements dans laquelle les demandeurs avaient simplement changé les dates des incidents qui leur étaient arrivés (et, dans le cas de M. Erhokpadamwen, certains détails concernant l’identité de sa maîtresse et de l’homme qu’elle avait été forcée d’épouser, parmi d’autres éléments de son histoire).
[42]
Cela dit, je reconnais l’approche plus exigeante adoptée par la Cour dans la décision Mansoor c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 420 [Mansoor].
[43]
À mon avis, la présente affaire se distingue de la décision Mansoor, parce qu’il ne restait essentiellement aucune allégation jugée crédible lors de la décision initiale qui n’ait pas été démontrée comme étant une présentation erronée. L’identité des demandeurs, leurs documents, la nature de leur relation, l’information au sujet de leurs enfants, les événements qui les auraient poussés à fuir le Nigéria – la SPR a conclu que tous ces éléments étaient entachés par des présentations erronées. Il ne restait essentiellement rien pour appuyer les demandes d’asile originales. Même les faits qui se seraient produits au début 2008, que Mme Otabor a mentionnés dans son FRP, étaient empêtrés dans le [traduction] « tissu de mensonges »
qui est apparu une fois que le séjour des demandeurs aux États-Unis a été révélé et qu’ils ont été questionnés davantage à l’audience relative à l’annulation de leur statut. Les allégations de mariage forcé, la violence conjugale et sexuelle, la crainte que sa fille soit excisée et le moment où cette crainte est apparue étaient tous au moins indirectement liés aux présentations erronées.
[44]
Il s’agit d’une affaire où la Cour peut aisément « relier les points sur la page »
, parce que « les lignes, et la direction qu’elles prennent, peuvent être facilement discernées »
(Vavilov, au para 97, citant Komolafe c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 431, au para 11).
[45]
Au bout du compte, même s’il aurait peut-être été préférable que la SPR explique son analyse effectuée au titre du paragraphe 109(2) plus en détail, les motifs, lus dans leur ensemble, satisfont aux exigences de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité (Newfoundland et Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au para 25; Vavilov, au para 128).
JUGEMENT dans la décision IMM-7049-19
LA COUR STATUE que :
L’intitulé sera modifié pour désigner le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration à titre de défendeur;
La demande est rejetée;
Aucune question n’est certifiée.
« Glennys L. McVeigh »
Juge
Traduction certifiée conforme
M. Deslippes
Annexe A – Dispositions législatives pertinentes
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27
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Annexe B – Chronologie des événements
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COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-7049-19
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INTITULÉ :
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JOY UWAIFO OTABOR, UVI ERHOKPADAMWEN ET DEBORAH OSAWUONAMEN EWERE C MINISTRE DE L’IMMIGRATION ET DES RÉFUGIÉS DU CANADA
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AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE LE 27 JUILLET 2020 DEPUIS OTTAWA (ONTARIO) (COUR ET PARTIES)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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27 JUILLET 2020
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LA JUGE MCVEIGH
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DATE DES MOTIFS :
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19 AOÛT 2020
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COMPARUTIONS :
Adam Slipacoff
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POUR LES DEMANDEURS
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Elsa Michel
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Adam Slipacoff
Ottawa (Ontario)
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POUR LES DEMANDEURS
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Procureur général du Canada
Ottawa (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR
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