Date : 19971223
Dossier : T-2587-96
Entre :
JEAN BOUDREAULT
Requérant
- et -
LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE
et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
Intimées
MOTIFS DE L"ORDONNANCE
LE JUGE NADON:
[1] Le requérant conteste une décision de la Commission canadienne des droits de la personne (la "Commission") en date du 29 octobre 1996.
[2] Par sa décision, la Commission rejetait la plainte du requérant, déposée le 30 août 1989, selon laquelle la Commission de la fonction publique du Canada "a fait preuve de discrimination à mon égard en me harcelant dans le cadre de mon emploi, et ce, en vertu de mes déficiences (dépendances antérieures sur l"alcool et jambes greffées) contrairement à l"article 14 de la Loi canadienne sur les droits de la personne".
[3] La décision de la Commission est fondée sur le sous-alinéa 44(3)(b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la "Loi") qui prévoit ce qui suit:
Sur réception du rapport d"enquête prévue au paragraphe (1), la Commission:
[...]
b) rejette la plainte, si elle est convaincue:
(i) soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l"examen de celle-ci n"est pas justifié, [...]
[4] Un bref résumé des faits suffira pour disposer de cette affaire. Pour les fins des présentes, j"adopte le résumé des faits qui apparaît aux pages 2 et 3 de la décision rendue le 11 juillet 1995 par ma collègue Madame le juge Tremblay-Lamer dans Jean Boudreault et le procureur général du Canada , dossier T-1514-94, aux pages 1 et 2:
En 1983, le requérant entre au service de la Commission de la Fonction publique (son employeur) où il exécute des tâches de nature cléricale.
En juin 1987, puis en mai 1988, le requérant dépose des plaintes de harcèlement contre son employeur. Ces plaintes furent rejetées.
Le 30 août 1989 il dépose une plainte formelle de discrimination à la Commission canadienne des droits de la personne ("la Commission").
Le 12 février 1990 son employeur recommande son renvoi. Le requérant porte cette recommandation en appel devant le comité d"appel constitué en vertu de l"article 31 de la Loi sur l"emploi dans la fonction publique. Il allègue en substance les mêmes plaintes que celles formulées dans sa plainte à la Commission. Au terme de l"audition, le comité d"appel rejette l"appel et confirme la recommandation de renvoi. Le requérant dépose une demande de contrôle judiciaire de cette décision mais se désiste plus tard.
Quant à la plainte devant la Commission, celle-ci le 15 novembre 1993 décide de la juger irrecevable parce que prescrite. Le requérant demande le contrôle judiciaire de cette décision. Cependant, le 14 avril 1994, il se désiste de cette requête.
Bien qu"ayant rendu sa décision à l"effet que la plainte était irrecevable, la Commission décide d"étudier de nouveau le dossier du requérant et rend une nouvelle décision le 30 mai 1994. Elle rejette à nouveau la plainte du requérant la déclarant injustifiée suite à la décision du comité d"appel.
[5] Suite à la décision de la Commission rendue le 30 mai 1994, le requérant a déposé une demande de contrôle judiciaire qui a été accueillie par le juge Tremblay-Lamer au motif que la Commission n""avait pas exercé son pouvoir discrétionnaire de façon raisonnable puisqu"elle ne fonde pas sa décision sur son évaluation du dossier mais sur le fait que le comité d"appel avait déjà disposé de la question. La Commission a donc commis une erreur de droit en refusant d"exercer sa compétence en l"espèce".
[6] Par conséquent, Madame le juge Tremblay-Lamer a annulé la décision de la Commission rendue le 30 mai 1994. Le 31 octobre 1995, le procureur du requérant écrivait à la Commission lui demandant de nommer un enquêteur. Le 6 décembre 1995, la Commission écrivait au procureur du requérant pour l"aviser que M. Abdou Saouab avait été mandaté pour enquêter la plainte du requérant. M. Saouab signait son rapport le 26 juillet 1996 et, le 29 juillet 1996, la Commission faisait parvenir copie de ce rapport au procureur du requérant. La conclusion du rapport d"enquête de M. Saouab se lit comme suit:
Il est recommandé à la Commission de rejeter la présente plainte parce que, d"après la preuve, les allégations de discrimination sont sans fondement.
[7] Le 29 octobre 1996, la Commission rejetait la plainte du requérant dans les termes suivants:
La Commission canadienne de droits de la personne a étudié le rapport d"enquête portant sur la plainte (H31507) que vous avec déposée contre la Commission de la fonction publique du Canada le 30 août 1989, selon laquelle il y a eu discrimination fondée sur la déficience en matière d"emploi. La Commission a également pris connaissance des observations en date des 3 et 4 septembre 1996, signées par James G. Cameron.
Avant de prendre sa décision, la Commission a étudié la preuve présentée par vous-même et par le mis en cause relativement aux mesures que le mis en cause a prises pour satisfaire à vos besoins d"accommodement. Dans les circonstances, la Commission a décidé, en vertu du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, de rejeter la plainte parce que la preuve n"appuie pas les allégations de la plainte. En conséquence, nous avons fermé le dossier traitant de cette plainte.
[8] Le requérant cherche à faire annuler cette décision au motif que l"enquêteur a commis des erreurs de droit et qu"il a omis de tenir compte d"une partie importante de la preuve soumise par le requérant. Les reproches que le requérant fait à l"enquêteur se retrouvent à la lettre que faisait parvenir le procureur du requérant à la Commission le 3 septembre 1996. Cette lettre constituait les représentations du requérant suite à la réception du rapport d"enquête de M. Saouab.
[9] À mon avis, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. En concluant comme elle l"a fait, la Commission avait devant elle le rapport d"enquête de M. Saouab ainsi que les représentations faites par le procureur du requérant, dont le texte s"étend sur 8 pages.
[10] La Commission avait à décider si, compte tenu des circonstances pertinentes, il y avait lieu, soit d"enquêter plus à fond sur le bien-fondé de la plainte ou de la rejeter. Après étude du rapport d"enquête de M. Saouab et des représentations du procureur du requérant, la Commission a conclu que la plainte devait être rejetée. Dans Slattery v. Canadian Human Rights Commission (1996), 205 N.R. 383, la Cour d"appel fédérale rejetait la demande de contrôle judiciaire de la requérante déposée suite au rejet de sa plainte par la Commission, sous le sous-alinéa 44(3)(b)(i). Le juge Hugessen, qui a rendu la décision pour la Cour, s"exprimait comme suit:
We are all of the view that the Commission fully complied with its duty of fairness to the complainant when it gave her the investigator"s report, provided her with full opportunity to respond to it, and considered that response before reaching its decision. The discretion of the Commission to dismiss a complaint pursuant to s. 44(3)(b)(i) [see footnote 1] is cast in terms even broader than those which were considered by the Supreme Court of Canada in Syndicat des employés de production du Québec et de l"Acadie v. Commission canadienne des droits de la personne et al., [1989] 2 S.C.R. 879; 100 N.R. 241; 62 D.L.R. (4th) 385, where the content of the duty of fairness in such cases was described as follows by Sopinka J., for the majority.
"I agree with the reasons of Marceau J., that the Commission had a duty to inform the parties of the substance of the evidence obtained by the investigator and which was put before the Commission. Furthermore, it was incumbent on the Commission to give the parties the opportunity to respond to this evidence and make all relevant representations in relation thereto.
"The Commission was entitled to consider the investigator"s report, such other underling material as it, in its discretion, considered necessary and the representations of the parties. The Commission was then obliged to make its own decision based on this information." (at page 902 [S.C.R.]) [sic ]
In our view, the defects which the complainant alleges in the preparation of the investigator"s report could not serve to vitiate the Commission"s decision as long as these requirements were met.
The appeal will be dismissed with costs.
[11] Il appert de la décision du juge Hugessen que, dans la mesure où la Commission informe le plaignant de la substance de la preuve obtenue par l"enquêteur et déposée devant la Commission et que la Commission donne l"opportunité au plaignant de faire des représentations sur réception de cette preuve, la Cour n"interviendra pas. En d"autres mots, la Cour n"interviendra pas relativement à l"exercice, par la Commission, du pouvoir discrétionnaire qui lui est confié sous le sous-alinéa 44(3)(b)(i), sauf si la Commission manque aux devoirs auxquels réfère le juge Sopinka dans l"affaire du Syndicat des employés de production du Québec et de l"Acadie.
[12] Au même sens que la décision Slattery, l"on retrouve la décision de la Cour d"appel fédérale dans Linton Roberts v. Canada Post Corporation , 24 octobre 1997, Dossier A-351-96, où le juge Strayer, à la page 2 de ses motifs, s"exprime comme suit:
In making its decision the Commission had before it the reports of its investigator together with the appellant"s lengthy written submission commenting on and objecting to various statement in those reports. It was the duty of the Commission to consider all this material in determining whether an inquiry before a Tribunal would be warranted. We have no reason to think that the Commission did not consider all this material including the appellant"s representations. The appellant asserted before us that there were certain errors in the investigator"s reports and he also had drawn most of these errors to be substantive or a basis for setting aside the decision of the Commission. In exercising its jurisdiction to decide whether a Tribunal should be appointed "having regard to all circumstances" the Commission can take into account many factors, including the quality of possible evidence, and it has a wide discretion with which a court should not lightly interfere. The trial judge correctly decline to intervene.
[13] Je suis d"avis que les erreurs soulevées par le requérant ne sont pas suffisantes pour justifier mon intervention. Comme le souligne le juge Strayer dans Linton Roberts , la Commission, en prenant sa décision, peut considérer plusieurs facteurs, dont la qualité de la preuve qui est devant elle. En d"autres mots, si la Commission est d"avis que la preuve offerte n"est pas suffisante pour justifier la constitution d"un tribunal des droits de la personne, elle peut rejeter la plainte. C"est précisément ce que la Commission a fait en l"instance.
[14] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
"MARC NADON"
Juge
Ottawa (Ontario)
Le 23 décembre 1997.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
NOMS DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
N º DE LA COUR: T-2587-96
INTITULÉ: Jean Boudreault
c. La Commission des droits de la personne et al.
LIEU DE L'AUDIENCE: Ottawa (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE: le 15 décembre 1997
MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE L'HONORABLE JUGE MARC NADON EN DATE DU: 23 décembre 1997
COMPARUTIONS:
Jean Boudreault LE REQUÉRANT
qui se représente lui-même
Linda Wall
POUR L'INTIMÉ
AVOCATS INSCRITS A DOS IERe
George Thomson POUR L'INTIMÉ Sous-procureur général du Canada
Ottawa (Ontario)