Vancouver (Colombie‑Britannique), le 27 mars 2006
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR Roger R. Lafrenière, PROTONOTAIRE
ENTRE :
CHEN, Tsai‑Cheng, PENG, Sheng‑Chien, WU, Chin‑Chung, LIN, Chin Yuan,
KUO, Nai Wei, WANG, Hsiu Shan, HSIEH, Tze‑En, HUNG, Mei Ying, KO, Ching Yi,
KO, Yu Fan, KO, Yu Chu, HSU, Tase Yen, CHANG, Lien Fang, CHEN, Yuan Hsing,
LIN, Cheng‑I, CHEN, Ping‑Hung, HSIEH, Tsung‑Jen, CHEN, Yueh‑Yin,
FANG CHANG, Shu‑Min, PUI, Kwan Kay, LAI, Yung‑Liang, CHANG, Ting Hui,
CHANG, Fang Ming, LEI, Manuel Joao, LIN, Yung Nien, HUANG HSU, Li‑Mei,
FANG, Ming‑Tau, LIU, Kun Yung, CHEN, Kun‑Wen, TSENG, Hung Yu,
CHANG, Mao, MENG, Lin Yu, TAI, Yu‑Hu, YANG, Cheng‑Kang, CHEN, Wen Shing,
YU, Chung‑Wen, YU, Wei‑Chung, LIN, Shih Chun, CHANG, Lei‑Fa,
CHAO, Lin Shu, et HSU, Pao Hua
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Les défendeurs ont déposé une requête afin d’obtenir plus amples détails concernant la déclaration unifiée des demandeurs en date du 9 mai 2005, ainsi qu’une prorogation du délai de signification et de production d’une défense.
Les faits
[2] Le 8 novembre 2004, le juge James Russell ordonnait que les demandes de contrôle judiciaire portant les numéros du greffe IMM‑577‑04 et IMM‑1467‑04 soient instruites comme s’il s’agissait d’actions, conformément au paragraphe 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales, et que les deux instances ainsi converties soient jointes à deux autres actions, numéros du greffe IMM‑576‑04 et IMM‑10140‑03 : voir la décision Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 3 C.F. 82. Le juge autorisait aussi les parties à modifier leurs actes de procédure pour qu’ils reflètent la jonction des instances et des parties. Les demandeurs ont ultérieurement déposé une déclaration unifiée (la déclaration), laquelle est l’objet de ladite requête en communication de détails.
[3] À l’époque où les instances furent converties et jointes par le juge Russell, le redressement sollicité par les demandeurs dans les demandes de contrôle judiciaire était assez bien défini et il était de nature essentiellement déclaratoire. Le contrôle sollicité devait porter sur la carte de résident permanent (la carte RP) et sur la question de savoir si les demandeurs avaient été trop lents à présenter leurs demandes de cartes RP. La Cour était priée de contraindre le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre) à traiter les demandes de cartes de résident permanent présentées par les demandeurs en se demandant s’ils avaient l’intention de ne plus faire du Canada leur lieu de résidence permanente. Les demandes de contrôle judiciaire soulevaient aussi le point de savoir si les dispositions de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés qui concernent les exigences et obligations de résidence sont appliquées rétroactivement, d’une manière qui contrevient aux articles 7 et 15 de la Charte.
[4] Les instances se sont maintenant transformées en prétentions où est alléguée une panoplie de causes d’action, notamment : 1) violation de droits prévus par la loi, 2) méfait public, 3) abus de pouvoir et de procédure, 4) complot visant à nier les droits conférés aux demandeurs par la loi et la Constitution, 5) ingérence dans des obligations contractuelles et incitation à rupture de contrat, 6) infliction de dommages moraux, 7) déclarations inexactes, 8) faute des défendeurs dans l’accomplissement de leurs obligations légales, 9) atteinte aux droits conférés aux demandeurs par la Grande Charte, et 10) violation des articles 7, 8 et 15 de la Charte. L’ampleur et la portée de l’action des demandeurs ne semblent pas avoir été envisagées par le juge Russell, qui concluait ainsi, au paragraphe 22 de sa décision :
Compte tenu des mesures de redressement que les demandeurs tentent d’obtenir dans les demandes de contrôle judiciaire - en grande partie d’une nature déclaratoire (comme il est énoncé dans les demandes et dans leur exposé des arguments additionnel) - il y a dans le présent dossier des vides et des ambiguïtés à l’égard de la preuve qui, à mon avis, ne permettent pas un examen satisfaisant des motifs de la plainte et de la disponibilité des mesures de redressement demandées […]
[5] Quoi qu’il en soit, les défendeurs voudraient aujourd’hui obtenir les détails de l’acte de procédure assez volumineux déposé par les demandeurs.
Analyse
[6] Selon les défendeurs, les demandeurs n’ont pas donné, dans leur déclaration, le détail d’allégations essentielles, et il est donc impossible aux défendeurs de répondre adéquatement à leurs prétentions. Les demandeurs rétorquent que la requête des défendeurs en communication de détails n’est rien d’autre qu’une tactique dilatoire et que les défendeurs connaissent fort bien, au vu de « l’avalanche des pièces », la nature des prétentions des demandeurs.
[7] Les défendeurs ont établi qu’une requête en communication de détails a été présentée, mais ils n’ont produit aucune preuve par affidavit attestant que des détails sont nécessaires. La preuve d’une telle nécessité est généralement requise dans une requête en communication de détails, lorsqu’il est clair, au vu d’un acte de procédure, que des détails sont manquants, mais la communication de détails peut néanmoins être ordonnée. C’est à la Cour qu’il appartient en dernier ressort de décider si des détails sont nécessaires, en se fondant sur le dossier et sur les faits portés à sa connaissance.
[8] Lorsqu’elle est saisie d’une requête portant sur le caractère suffisant ou non d’un acte de procédure, la Cour doit garder à l’esprit que l’objet des actes de procédure est de définir les points litigieux qui séparent les parties. Les détails ont un objet quelque peu différent, en ce sens qu’ils sont censés donner à la partie adverse des renseignements suffisants sur les allégations qui sont faites, afin qu’elle soit ainsi en mesure de savoir comment y répondre au procès et de préparer à cette fin des pièces écrites complètes et cohérentes. Les détails sont donnés pour rendre clair ce qui ne l’est pas et pour permettre à une partie de dire si l’acte de procédure révèle une cause d’action ou s’il y a lieu de le qualifier de déroutant. Si l’acte de procédure n’est pas valide en droit, les détails ne sauraient le racheter. S’il n’est pas valide en tant qu’acte de procédure, les détails ne l’amélioreront pas.
[9] Les défendeurs ont disséqué la déclaration d’une manière assez détaillée pour y distinguer ce qu’ils considèrent comme des lacunes dans l’acte de procédure, en particulier pour ce qui concerne les éléments constitutifs de certaines des allégations. À titre d’exemple, les défendeurs signalent le paragraphe 2e) de la déclaration, où les demandeurs affirment que les défendeurs ont refusé de les autoriser à revenir au Canada, ont délibérément confisqué leurs fiches de droit d’établissement et ont ordonné aux compagnies aériennes de ne pas embarquer les demandeurs avec leurs fiches de droit d’établissement. Les demandeurs affirment tout bonnement que tels agissements constituent un abus de pouvoir, un méfait public, un complot visant à nier les droits conférés aux demandeurs par la loi et par la Constitution, une ingérence dans des obligations contractuelles et une incitation à rupture de contrat, une violation des articles 7, 8 et 15 de la Charte et un manquement aux obligations légales, outre des déclarations inexactes.
[10] Les défendeurs déplorent que les demandeurs ne précisent pas lesquels des prétendus agissements (confiscation de fiches, refus d’autoriser les demandeurs à revenir au Canada, ou ordre donné aux compagnies aériennes de ne pas embarquer les demandeurs) s’appliquent à tel ou tel des présumés manquements et/ou à tel ou tel des demandeurs. Les défendeurs disent aussi que les demandeurs n’ont pas plaidé les éléments constitutifs des diverses allégations, par exemple le préjudice prévisible en ce qui a trait au méfait public, et n’ont pas exposé les faits à l’origine des obligations contractuelles, ou à l’origine de l’incitation à rupture de contrat à laquelle ils font référence au paragraphe 2e)(iv). Les défendeurs relèvent d’autres lacunes, par exemple le fait que les demandeurs n’évoquent aucun fait ni ne plaident, au paragraphe 2e)(v) de leur déclaration, les éléments nécessaires des présumées violations de la Charte, ne précisent pas au paragraphe 2e)(vi) les obligations légales qui, selon eux, n’ont pas été respectées, ne précisent pas l’obligation légale qui est à l’origine de la présumée faute, enfin ne plaident pas, au paragraphe 2e)(vii), les éléments constitutifs d’une faute, ni, au paragraphe 2e)(viii), l’un quelconque des faits se rapportant aux présumées déclarations inexactes.
[11] Les demandeurs font valoir que les défendeurs doivent, en raison d’une « avalanche » de pièces produites dans des instances antérieures, connaître les faits véridiques du dossier, mais cette objection traduit une méprise. Chacune des parties est fondée à connaître les grandes lignes de l’argumentation que son adversaire entend avancer contre elle et elle peut le contraindre à exposer clairement sa version des faits. Un défendeur n’est nullement tenu de deviner où veut en venir le demandeur. Les demandeurs en l’espèce devaient préciser le quoi, le qui, le comment et le quand, à moins de pouvoir montrer, ce qu’ils n’ont pas cherché à faire, que l’information requise relevait de la connaissance exclusive des défendeurs.
[12] Au vu de la procédure écrite, je suis convaincu que les défendeurs ont prouvé la nécessité des détails qu’ils demandent. Des détails sont requis pour plusieurs paragraphes indiqués dans la requête des défendeurs en communication de détails, notamment les paragraphes suivants, qui donnent une idée des lacunes de la déclaration :
a) Au paragraphe 3b)(i), on ne sait pas à quel droit prévu à l’article 15 les défendeurs auraient contrevenu, et les demandeurs n’ont pas non plus plaidé les éléments requis d’une prétention fondée sur l’article 15, par exemple un groupe analogue ou groupe de référence. De simples affirmations selon lesquelles les droits conférés aux demandeurs par l’article 15 n’ont pas été respectés ne suffisent tout simplement pas.
b) Au paragraphe 3e), les demandeurs disent que leur droit à une justice équitable et indépendante n’a pas été respecté, en raison de règlements ultra vires et inconstitutionnels, mais les demandeurs ne disent pas sur quels règlements ils se fondent pour faire une telle affirmation. Si la constitutionalité de règlements doit être contestée dans la présente instance, il faut savoir de quels règlements il s’agit.
c) Au paragraphe 12, les demandeurs prétendent qu’ils ne sont pas en mesure d’exercer leur droit d’appel parce qu’ils ont été privés de leurs droits. Les demandeurs ne disent rien sur le qui, le quoi ou le comment. Les défendeurs ont le droit de savoir si les demandeurs soutiennent qu’ils ont été privés de leurs droits d’appel par la loi, ou en conséquence d’un prétendu abus de pouvoir ou d’un prétendu méfait de la part d’un fonctionnaire. Dans ce dernier cas, les demandeurs devraient donner le détail des prétendus abus et dire qui, selon eux, les a commis.
d) Au paragraphe 12b), les demandeurs allèguent que les défendeurs ont donné ordre aux compagnies aériennes, sous peine de sanctions, de ne pas laisser les demandeurs, en raison de leurs fiches de droit d’établissement, embarquer dans leurs avions. Les demandeurs ne donnent pas cependant les détails requis à propos des ordres en question, et ne précisent pas, par exemple, qui les a donnés, quand ils ont été donnés ou comment ils ont été donnés.
e) Aux paragraphes 12e) et f), les demandeurs soutiennent qu’ils ont été lésés par le fait que le ministre n’a pas traité leurs cas rapidement, et ils affirment avoir été également lésés par les déclarations erronées du ministre. La déclaration erronée, assimilable à la fraude, devrait être plaidée d’une manière très détaillée. Les éléments essentiels du délit de déclaration erronée sont les suivants : i) déclaration erronée substantielle, ii) crédit raisonnable accordé à la déclaration erronée, et iii) préjudice causé directement par la déclaration erronée. Le détail des déclarations erronées, la date à laquelle elles ont été faites et les circonstances dans lesquelles elles ont été faites devraient être donnés, de même que l’identité de celui qui les a faites.
[13] Les demandeurs sont d’avis que la requête des défendeurs en communication de détails est excessive et déplacée et qu’elle constitue un abus de la procédure. Je ne partage pas leur avis. En rédigeant un acte de procédure imprécis, incohérent et embrouillé, et en ne plaidant pas adéquatement les éléments essentiels de plusieurs causes d’action, les demandeurs n’ont qu’eux seuls à blâmer. Ils auraient dû prévoir que les défendeurs riposteraient d’une manière bien sentie.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE :
1. Les détails suivants, énumérés dans la requête des défendeurs en communication de détails portant la date du 6 juillet 2005, n’ont pas à être fournis par les demandeurs, au motif qu’il n’est pas évident, au vu de la déclaration, que des détails sont requis :
a) paragraphe 1a) – points (v) et (vi);
b) paragraphe 1d);
c) paragraphe 2d) – point (iii) – « les principes pertinents de justice fondamentale qui n’ont pas été respectés », et point (vi);
d) paragraphe 3 – Aucun détail n’est requis en ce qui a trait à l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1867;
e) paragraphe 3b)(ii) – points (ii) et (iii);
e) paragraphe 3c) – […] et les principes applicables de justice fondamentale;
f) paragraphe 3e) – points (i) et (iv);
g) paragraphes 3f)(i) et (ii) – points (ii) et (iii);
h) paragraphe 3g);
i) paragraphe 3i);
j) paragraphe 4a);
k) paragraphe 4b);
l) paragraphe 5;
m) paragraphe 7;
n) paragraphe 9;
o) paragraphe 11;
p) paragraphe 12d);
q) paragraphe 15(iv);
r) paragraphe 16;
s) paragraphe 19;
t) paragraphe 21;
u) paragraphe 25;
v) paragraphe 28b);
w) paragraphe 28c);
x) paragraphe 28f).
2. Les demandeurs fourniront le reste des détails demandés dans la requête des défendeurs en communication de détails portant la date du 6 juillet 2005, et cela dans un délai dont les parties conviendront. Dans le cas où les parties ne peuvent s’entendre sur un délai de communication des détails, les demandeurs solliciteront immédiatement une conférence de gestion de l’instance pour qu’un délai soit fixé.
3. Les défendeurs sont dispensés de l’obligation de signifier et de produire une défense jusqu’à ce que la Cour en ordonne autrement.
4. Les dépens de la requête suivront l’issue de la cause.
« Roger R. Lafrenière »
Protonotaire
Traduction certifiée conforme
David Aubry, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM‑577‑04
INTITULÉ : CHEN, Tsai‑Cheng ET AUTRES
c.
SA MAJESTÉ LA REINE ET AUTRES
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO), par conférence téléphonique
DATE DE L’AUDIENCE : LE 6 MARS 2006
MOTIFS DE L’ORDONNANCE : LE PROTONOTAIRE LAFRENIÈRE
DATE DES MOTIFS : LE 27 MARS 2006
COMPARUTIONS :
Lawrence Wong Rocco Galati
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POUR LES DEMANDEURS |
Brenda Carbonell
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POUR LES DÉFENDEURS |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Wong Pederson Law Offices Avocats Vancouver (Colombie‑Britannique)
Galati, Rodrigues & Associés Avocats Toronto (Ontario)
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POUR LES DEMANDEURS |
John H. Sims, c.r. Sous‑procureur général du Canada Vancouver (Colombie‑Britannique) |
POUR LES DÉFENDEURS |