Dossier : IMM‑5575‑19
Référence : 2020 CF 703
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, RÉVISÉE PAR L’AUTEUR]
Ottawa (Ontario), le 18 juin 2020
En présence de monsieur le juge Sébastien Grammond
ENTRE :
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RAHEELA JABEEN
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demanderesse
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
[1]
Mme Jabeen demande le contrôle judiciaire du rejet de sa demande de parrainer son mari afin qu’il devienne résident permanent. Sa demande de parrainage a été rejetée parce qu’elle ne résidait pas au Canada. Je rejette sa demande de contrôle judiciaire, puisque le décideur n’a pas appliqué le mauvais critère lors de son analyse de la question de la résidence et qu’il n’a pas omis de prendre en considération la preuve pertinente. En conséquence, la décision contestée est raisonnable.
I.
Contexte
[2]
Mme Jabeen est une citoyenne du Pakistan et une résidente permanente du Canada. En 2014, elle a épousé M. Hussain, un citoyen du Pakistan qui réside aux États‑Unis et qui y détient un permis de travail. En mai 2017, Mme Jabeen a parrainé la demande de résidence permanente de M. Hussain au Canada.
[3]
En juillet 2018, Mme Jabeen et M. Hussain ont eu une entrevue avec un agent des visas, qui a par la suite rejeté leur demande. Dans sa lettre de refus, l’agent a énoncé plusieurs raisons liées aux antécédents d’immigration de M. Hussain au Canada et aux États‑Unis. Quant à la question qui est au cœur du présent litige, l’agent a conclu que Mme Jabeen ne résidait pas au Canada. Elle ne satisfaisait donc pas à l’exigence énoncée à l’alinéa 130(1)b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le Règlement], soit celle de résider au Canada.
[4]
Mme Jabeen a interjeté appel devant la Section d’appel de l’immigration [la SAI] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. La SAI a d’abord tiré une conclusion négative quant à la crédibilité de Mme Jabeen et de M. Hussain. M. Hussain a avoué à l’agent des visas qu’il avait présenté une demande d’asile non fondée au Canada en 1997 et qu’il ne craignait pas de retourner au Pakistan à cette époque. Cependant, devant la SAI, M. Hussain et Mme Jabeen ont affirmé qu’il s’agissait d’une erreur, que l’agent des visas les avait soumis à une pression indue lors de l’entrevue et que la demande d’asile de M. Hussain avait effectivement un fondement valide. La SAI n’a pas cru le témoignage de Mme Jabeen et de M. Hussain à cet égard et a conclu que leur crédibilité faisait généralement défaut.
[5]
La SAI a ensuite examiné les éléments de preuve concernant la résidence de Mme Jabeen. Elle a remarqué que Mme Jabeen avait avoué à l’agent des visas qu’elle avait passé la majeure partie de son temps aux États‑Unis depuis son mariage. La SAI a aussi examiné la preuve documentaire soumise par Mme Jabeen, mais a conclu qu’elle ne suffisait pas à prouver qu’elle résidait au Canada. Elle a donc conclu que Mme Jabeen ne s’était pas acquittée de son fardeau de démontrer qu’elle résidait au Canada.
[6]
Mme Jabeen demande maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la SAI.
II.
Analyse
A.
Le « mauvais critère »
[7]
Mme Jabeen allègue tout d’abord que la SAI n’a pas appliqué le critère relatif à la résidence énoncé dans l’affaire Iao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1253 [Iao].
[8]
Dans cette affaire, le juge en chef de notre Cour a conclu qu’il était raisonnable de déterminer la résidence en se basant sur l’examen d’un certain nombre de facteurs allant au‑delà de la simple présence effective et en tenant compte du désir légitime du demandeur de passer du temps avec son conjoint qui réside à l’étranger. Le juge en chef a souligné que « d’autres facteurs peuvent être pris en considération, dans la mesure où ils aident à établir si le répondant “a centralisé son mode de vie au Canada” »
(Iao, au paragraphe 32).
[9]
Depuis, dans de nombreuses décisions portant sur la résidence, la SAI fait référence à l’affaire Iao, indiquant que celle-ci offre des lignes directrices utiles. D’autres décisions de la SAI ne mentionnent pas l’affaire Iao, mais ne s’en écartent pas de manière significative et n’adoptent pas une approche différente, pour autant que je puisse le constater.
[10]
Dans la mesure où Mme Jabeen reproche à la SAI de ne pas citer explicitement l’affaire Iao et de ne pas effectuer une analyse distincte de chacun des facteurs énoncés dans cette affaire, elle conteste le caractère suffisant des motifs de la SAI. Cependant, tant que la cour de révision est en mesure de comprendre le raisonnement du décideur, il n’est pas nécessaire d’énoncer le critère applicable ou de procéder de manière mécanique à une analyse de chaque facteur. Quoi qu’il en soit, les observations que Mme Jabeen a présentées devant la SAI ne faisaient aucune mention de l’affaire Iao. Il est donc difficile de reprocher à la SAI de ne pas avoir mentionné cette affaire.
[11]
En ce qui concerne le fond de l’analyse, Mme Jabeen ne m’a pas convaincu que la SAI a adopté une approche déraisonnable pour déterminer sa résidence. Les facteurs que la SAI a pris en considération étaient raisonnablement liés à la question. Mme Jabeen n’a pas démontré que la SAI a omis d’aborder un facteur pertinent qui était étayé par la preuve.
[12]
La décision rendue par la SAI dans cette affaire est assez courte, mais cette concision reflète sans doute la faiblesse de la preuve soumise par Mme Jabeen. Plutôt que d’énoncer le critère établi dans l’affaire Iao et d’effectuer une analyse de chaque facteur, la SAI a examiné les principaux éléments de preuve soumis par Mme Jabeen et a expliqué pourquoi ils ne permettaient pas à celle‑ci de s’acquitter de son fardeau de prouver sa résidence. Si je lis ces motifs en corrélation avec le dossier dont disposait la SAI, je ne peux conclure que celle-ci a adopté une approche déraisonnable pour trancher la question de la résidence ou qu’elle a omis de tenir compte de facteurs pertinents.
B.
Omission de tenir compte d’éléments de preuve pertinents
[13]
Mme Jabeen soutient également que la SAI a omis de prendre en considération les éléments de preuve qu’elle a présentés. Cependant, cette affirmation constitue en réalité une demande de réévaluation du poids que la SAI a accordé à la preuve et ce n’est pas là le rôle de la Cour. Néanmoins, j’examinerai sommairement les éléments de preuve que la SAI aurait prétendument ignorés.
(1)
Présence au Canada
[14]
Mme Jabeen a fourni à la SAI l’historique de ses voyages à l’aide des timbres d’entrée apposés par les États‑Unis dans son passeport ainsi que ses antécédents de voyage figurant au Système intégré d’exécution des douanes (le SIED) qui documentent ses entrées au Canada. Ces éléments de preuve, qui ne sont pas contestés par le défendeur, montrent que Mme Jabeen a passé un peu plus de temps au Canada qu’aux États‑Unis de la fin de 2013 jusqu’au milieu de 2019. Par contre, ils démontrent également qu’elle a passé beaucoup de temps aux États‑Unis immédiatement après avoir présenté sa demande de parrainage en mai 2017.
[15]
La détermination de la résidence d’une personne, aux fins de l’article 130 du Règlement, ne dépend pas d’un calcul mathématique fondé sur la présence effective. Bien que la présence effective soit certainement un facteur pertinent, il était loisible à la SAI d’accorder plus de poids à l’aveu de Mme Jabeen selon lequel elle vivait principalement aux États‑Unis. Un tel aveu est certainement pertinent quant à la question de savoir si elle avait centralisé son mode de vie au Canada, pour employer la terminologie de l’affaire Iao. Cet aveu était également étayé par la présence de Mme Jabeen aux États‑Unis durant la période la plus pertinente, soit celle allant du dépôt de la demande de résidence permanente jusqu’à la décision de l’agent des visas.
(2)
Emploi
[16]
Mme Jabeen a présenté des avis de cotisation démontrant qu’elle touchait un revenu modeste en 2016 et en 2017. Elle a également déposé une lettre de son employeur datée de 2018 confirmant qu’elle occupait un poste de commis à la réception depuis 2016. La SAI a écarté ces éléments de preuve, puisque Mme Jabeen n’était pas en mesure de produire des formulaires T4 ni aucune autre preuve d’emploi et qu’elle était [traduction] « payée au noir »
. (Dans son témoignage, Mme Jabeen a en réalité déclaré qu’elle était « payée en argent comptant »
, mais je ne vois pas de différence significative.)
[17]
Même si la SAI aurait pu être plus explicite, je suis d’avis qu’il était raisonnable qu’elle conclue que la preuve fragmentaire que Mme Jabeen a présentée à propos de son emploi ne jouait pas en sa faveur.
(3)
Logement
[18]
Le maintien d’un logement permanent au Canada peut être un facteur pertinent à prendre en considération pour établir la résidence. Devant la SAI, Mme Jabeen a fourni une lettre de son propriétaire indiquant qu’elle louait une chambre pour une période d’un an depuis le 1er février 2018. Elle a déclaré payer son loyer en argent comptant. La SAI a cependant noté l’absence de bail ou de preuve de paiement.
[19]
Encore une fois, je ne suis pas convaincu que la décision de la SAI soit déraisonnable à cet égard. Bien entendu, Mme Jabeen devait rester quelque part lorsqu’elle se trouvait au Canada. Toutefois, la SAI pouvait raisonnablement conclure que la maigre preuve fournie par Mme Jabeen ne tendait pas à démontrer qu’elle avait l’intention de faire du Canada son lieu de résidence.
(4)
Autres éléments de preuve
[20]
Mme Jabeen a également fourni un relevé bancaire affichant un solde important dans un compte canadien, ainsi que des relevés d’appels téléphoniques et de conversations sur l’application Whatsapp censés démontrer qu’elle entretenait des conversations avec M. Hussain. Cette preuve démontre toutefois peu de choses. Le fait que Mme Jabeen ait possédé à un moment donné un montant important dans un compte canadien ne nous permet pas de savoir si elle a l’intention de faire du Canada le centre de sa vie. Les relevés d’appels téléphoniques et de conversations Whatsapp ne visent qu’une courte période. En conséquence, la SAI était en droit d’écarter ces éléments de preuve.
C.
Crédibilité
[21]
Mme Jabeen conteste également la conclusion défavorable quant à sa crédibilité. J’ai lu les notes d’entrevue de l’agent des visas et la transcription de l’audience tenue devant la SAI. Sur la foi de ce dossier, la SAI pouvait raisonnablement conclure que Mme Jabeen et M. Hussain s’étaient contredits et que cela a nui à leur crédibilité. De plus, la SAI a examiné et a raisonnablement rejeté les allégations de comportement inadéquat et de partialité formulées par Mme Jabeen à l’égard de l’agent des visas.
III.
Décision
[22]
Puisque la décision de la SAI est raisonnable, la demande de contrôle judiciaire de Mme Jabeen sera rejetée.
JUGEMENT dans le dossier IMM‑5575‑19
LA COUR STATUE que :
1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
2. Aucune question n’est certifiée.
« Sébastien Grammond »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
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Dossier :
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IMM‑5575‑19
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INTITULÉ :
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RAHEELA JABEEN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE OTTAWA (ONTARIO) ET TORONTO (ONTARIO)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 15 JUIN 2020
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE GRAMMOND
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DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :
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LE 18 JUIN 2020
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COMPARUTIONS :
Nasir Maqsood
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Pour la demanderesse
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Lucan Gregory
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Pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Nasir Law Office
Mississauga (Ontario)
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Pour la demanderesse
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Procureur général du Canada
Ottawa (Ontario)
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Pour le défendeur
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