Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20200709


Dossier : T-671-19

Référence : 2020 CF 744

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 9 juillet 2020

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

NORMA DELA CRUZ

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS MODIFIÉS

[1]  La Cour est saisie du contrôle judiciaire de la décision par laquelle la division d’appel (la DA) du Tribunal de la sécurité sociale (le TSS) a rejeté la demande d’autorisation d’interjeter appel de la décision de la division générale (la DG) du TSS présentée par Mme Dela Cruz. Mme Dela Cruz se représente seule dans la présente affaire.

[2]  Les parties ont présenté des observations orales dans le cadre du présent contrôle judiciaire devant le juge Boswell le 9 mars 2020, à Toronto, et ce dernier a pris l’affaire en délibéré. J’ai été nommée par le Juge en chef en vertu de l’article 39 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, pour instruire à nouveau la demande. La nouvelle audience a eu lieu le 25 juin 2020, lors d’une séance spéciale de la Cour tenue par téléconférence.

[3]  Au cours de l’audience du 25 juin 2020, j’ai informé Mme Dela Cruz et l’avocat du défendeur, M. Vens, que j’avais examiné tous les documents déposés dans le cadre du contrôle judiciaire et que j’avais écouté un enregistrement des observations orales présentées au cours de l’audience du 9 mars 2020 devant le juge Boswell.

[4]  J’ai informé les parties que j’étais prête à rendre ma décision sur le fondement des documents au dossier et des observations orales présentées au cours de l’audience du 9 mars 2020. À l’audience du 25 juin 2020, Mme Dela Cruz a présenté des observations réitérant les mêmes points qu’elle avait soulevés lors de l’audience du 9 mars 2020.

[5]  M. Vens a répondu aux observations de Mme Dela Cruz et a accepté que la Cour s’appuie par ailleurs sur le dossier déposé en vue de l’audience du 9 mars 2020 et sur les observations orales présentées ce jour‑là.

Contexte

[6]  Mme Dela Cruz a 72 ans et est retraitée de la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail. Elle s’est mariée en 1968 et affirme qu’elle s’est séparée de son mari le 7 juin 1995. Leur divorce a été prononcé le 15 mai 1997. Son ex‑mari est décédé en 2014.

[7]  Le 3 février 2017, Mme Dela Cruz a présenté une demande de partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension (PGNAP ou partage des crédits) avec son défunt mari auprès du ministre de l’Emploi et du Développement social (le ministre) sur le fondement du Régime de pensions du Canada, RSC 1985, c C-8 (le RPC).

[8]  Le 16 juin 2017, Service Canada a approuvé sa demande, et le partage des crédits a entraîné une réduction de ses prestations de retraite de 31,12 $ (passant de 585,31 $ à 554,19 $).

[9]   Mme Dela Cruz a envoyé une lettre à Service Canada le 26 juin 2017, dans laquelle elle demandait l’annulation du partage des crédits et indiquait qu’elle n’aurait pas fait la demande si elle avait su que le partage entraînerait une réduction de ses prestations.

[10]  Service Canada a réexaminé la décision le 12 juillet 2017 et a maintenu sa décision. Dans la lettre de réexamen, le ministre a informé Mme Dela Cruz que, suivant le paragraphe 55.1(1) du RPC, le partage des crédits est obligatoire pour toute personne divorcée après le 1er janvier 1987. Service Canada a également avisé Mme Dela Cruz que l’exception prévue au paragraphe 55.1(5) visant à annuler le partage des crédits ne s’appliquait pas à elle.

[11]  Mme Dela Cruz a interjeté appel de la décision de Service Canada auprès de la DG du TSS. Le 14 juillet 2018, la DG a rejeté son appel au motif qu’il n’avait aucune chance raisonnable de succès en application du paragraphe 53(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, LC 2005, c 34 (la LMEDS), et de la décision Miter c Canada (Procureur général), 2017 CF 262.

[12]  La DG a fait remarquer que l’alinéa 55.1(1)a) du RPC prévoit qu’il doit y avoir partage des crédits lorsqu’est rendu un jugement accordant un divorce dès que le ministre est informé du jugement. La DG a fait remarquer que l’exception prévue au paragraphe 55.1(5) ne s’appliquait pas à Mme Dela Cruz puisque rien ne démontrait que le montant des prestations payables aux deux personnes, Mme Dela Cruz et son ex‑mari décédé, avait diminué au moment du partage.

[13]  La DG a statué qu’à la réception de la demande de Mme Dela Cruz, le partage des crédits a été effectué conformément à l’alinéa 55.1(1)a) et que la loi ne permettait pas à Service Canada d’annuler ou d’infirmer sa décision.

Décision de la division d’appel faisant l’objet du contrôle

[14]  Les questions à trancher par la DA consistaient à savoir si la DG avait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée concernant l’entente des anciens époux de ne pas partager leurs crédits du RPC au moment du divorce, et si la DG avait commis une erreur en ne tenant pas compte de la situation financière de Mme Dela Cruz.

[15]  Conformément au paragraphe 58(1) de la LMEDS, la DA ne peut examiner que trois motifs d’appel, à savoir : (1) la DG n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence; (2) la DG a rendu une décision entachée d’une erreur de droit; ou (3) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte de la preuve.

[16]  En appel, Mme Dela Cruz a fait valoir que la DG avait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée parce que son ex‑mari et elle avaient convenu de ne pas partager leurs crédits du RPC à la dissolution de leur mariage. À ce sujet, la DA a fait remarquer que, puisque la DG ne s’était pas appuyée sur cette entente pour rendre sa décision, cette question ne pouvait constituer un motif d’appel. Quoi qu’il en soit, la DA a fait remarquer que le partage des crédits du RPC est obligatoire pour tout couple divorcé après le 1er janvier 1987 et que Mme Dela Cruz et son mari ont divorcé en 1997.

[17]  De plus, la DA a fait remarquer que comme Mme Dela Cruz réside en Ontario et que l’Ontario n’a pas édicté de loi pour permettre aux parties de se soustraire par contrat à l’exigence obligatoire relative au partage des crédits, les modalités de leur entente de séparation n’étaient pas valides. La DA a déterminé que même si la DG avait examiné leur entente, celle‑ci n’aurait eu aucune incidence sur l’issue de l’appel en raison des dispositions obligatoires du RPC.

[18]  La DA a également examiné les arguments de Mme Dela Cruz selon lesquels la réduction de ses prestations de retraite du RPC a des conséquences financières désastreuses pour elle. Or, la DA a fait remarquer que la loi ne prévoit pas d’exception au partage obligatoire des crédits du RPC pour les personnes en difficulté financière. Par conséquent, la DA a conclu que la DG n’avait pas commis d’erreur en ne tenant pas compte de la situation financière de Mme Dela Cruz.

[19]  L’appel a été rejeté le 12 avril 2019, puisque la DA a conclu que la DG n’avait tiré aucune conclusion de fait erronée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve portés à sa connaissance.

Question en litige

[20]  Mme Dela Cruz avance plusieurs arguments; toutefois, la question principale est celle de savoir si la décision de la DA est raisonnable.

Norme de contrôle

[21]  Lorsqu’elle procède au contrôle de la décision de la DA du TSS, la Cour doit appliquer la norme de la décision raisonnable. Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable s’intéresse à la fois au processus décisionnel et à son résultat. La Cour examine le « raisonnement intrinsèquement cohérent », « la justification, la transparence et l’intelligibilité » et détermine si la décision est « justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, aux para 12, 86 et 99 [Vavilov]; Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au para 47).

Analyse

[22]  Mme Dela Cruz soulève plusieurs questions dans sa demande de contrôle judiciaire. Elle soutient que la date de sa séparation est mal consignée dans certains documents. Elle allègue que le ministre a eu tort de ne pas exercer son pouvoir discrétionnaire d’infirmer la décision parce que son mari était décédé. Elle fait également valoir que la DA a commis une erreur en affirmant qu’une conférence préparatoire à l’audience avait eu lieu.

[23]  Malgré ces divers arguments, Mme Dela Cruz n’a pas abordé la question des dispositions législatives claires qui s’appliquent à sa situation. Les paragraphes 55(1) et 55.1(1) et l’article 55.11 du RPC établissent que le partage des crédits est obligatoire lorsque les conjoints obtiennent le divorce après le 1er janvier 1987. Mme Dela Cruz a divorcé bien après l’année 1987; par conséquent, ces dispositions s’appliquent à sa situation.

[24]  Par application de l’alinéa 55.1(1)a) du RPC, le partage des crédits est obligatoire et automatique à la suite d’un divorce (Dominie c Canada (Ministre du Développement social), 2005 CAF 242, aux para 3 et 4 [Dominie]). Il en est ainsi même si l’une des parties est décédée et que le partage entraîne un désavantage et une réduction de la pension pour l’époux survivant (Strezov c Canada (Procureur général), 2007 CF 417).

[25]  Étant donné que les dispositions législatives du RPC sont obligatoires, les arguments de Mme Dela Cruz selon lesquels la DA n’a pas tenu compte des modalités de son entente de séparation avec son ex‑mari sont sans fondement. Peu importe les modalités de son entente de séparation, puisqu’elle réside en Ontario, il n’était pas possible pour elle de « se soustraire par contrat » à l’application automatique des dispositions du RPC en matière de partage des crédits.

[26]  Comme l’a fait remarquer la DA, Mme Dela Cruz n’est pas visée par l’exception prévue au paragraphe 55.2(3) parce qu’elle réside en Ontario et que l’Ontario n’a pas édicté de loi qui permettrait aux parties de se soustraire au partage obligatoire des crédits. Par conséquent, son entente n’aurait pas eu d’incidence sur l’issue de l’appel parce que de telles ententes n’ont aucune validité juridique (Hamilton c Hamilton, [2005] OJ No 3050 (QL), au para 130; Lowe c Lowe, [2006] OJ No 132 (QL), au para 16; Mignella c Federico, 2012 ONSC 5696, au para 99; M. A. c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2017 TSSDASR 25, au para 31).

[27]  Mme Dela Cruz fait également valoir que le ministre a commis une erreur en n’exerçant pas son pouvoir discrétionnaire d’annuler le partage des crédits. Malheureusement pour Mme Dela Cruz, sa situation n’était pas visée par l’exception qui permet au ministre d’exercer son pouvoir discrétionnaire limité d’annuler le partage des crédits en vertu du paragraphe 55.1(5). Cette disposition ne s’applique pas à sa situation, car rien ne démontrait que le montant des prestations du RPC payables à elle et à son ex‑mari décédé aurait diminué au moment du partage.

[28]  Les dispositions législatives donnent une réponse complète aux questions soulevées par Mme Dela Cruz. Les autres arguments qu’elle soulève sont des questions secondaires qui ne concernent pas le nœud du litige. Par exemple, son argument selon lequel la date de sa séparation aurait été mal consignée ne change rien pour l’application des dispositions du RPC. De plus, les modalités de son entente de séparation ne sont pas pertinentes en raison de l’application automatique des dispositions législatives.

[29]  De même, le fait que la DA a indiqué qu’une conférence préparatoire à l’audience avait eu lieu, alors qu’en fait, aucune conférence de cette nature n’a eu lieu, n’a rien à voir avec les questions en litige. La conférence préparatoire à l’audience n’est pas obligatoire, et la preuve démontre que Mme Dela Cruz a refusé d’y participer et a choisi de répondre aux questions par écrit. Par conséquent, la DA a annulé la conférence préparatoire et a indiqué qu’elle statuerait sur l’appel en se fondant sur les documents au dossier. La DA a commis une erreur en mentionnant qu’une conférence préparatoire avait eu lieu, mais il s’agit d’une erreur mineure qui n’a aucune incidence sur son analyse et sur sa décision (Bose c Canada (Procureur général), 2018 CAF 220, aux para 10 à 12).

[30]  Mme Dela Cruz est insatisfaite de l’issue de la demande de partage des crédits du RPC qu’elle a présentée en 2017. Elle perçoit la réduction de 30 $ de sa pension du RPC comme une injustice et une erreur. Je comprends qu’elle regrette d’avoir demandé le partage des crédits et je comprends qu’elle aimerait annuler cette demande. Or, le partage des crédits du RPC a été effectué par application de la loi et non en raison d’une erreur de la part de Service Canada.

[31]  Par conséquent, Mme Dela Cruz n’a pas établi que la DA a commis une erreur qui se rapporte au fond de l’affaire. Il appert que Mme Dela Cruz refuse d’accepter l’effet des dispositions de la loi et l’incidence de ces dispositions sur sa situation.

[32]  Mme Dela Cruz demande à la Cour d’annuler l’effet de la loi. Là n’est pas le rôle de la Cour. La question en litige dans la présente demande de contrôle est très restreinte. Les dispositions du RPC exigeaient le partage des prestations de retraite. L’exception permettant au ministre de déroger à la loi ne s’applique pas à Mme Dela Cruz. Par conséquent, la décision de la DA est raisonnable, et la Cour n’a aucune raison d’intervenir.

[33]  La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[34]  Le défendeur n’a pas réclamé de dépens, et aucuns dépens ne sont adjugés.


JUGEMENT dans le dossier T-671-19

LA COUR DÉCLARE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée sans frais.

« Ann Marie McDonald »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-671-19

 

INTITULÉ :

NORMA DELA CRUZ c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR TÉLÉCONFÉRENCE ENTRE TORONTO (ONTARIO) ET OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 25 juin 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

le 3 juillet 2020

COMPARUTIONS :

Norma Dela Cruz

la demanderesse

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Matthew Vens

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

-  AUCUN -

la DEMANDERESSE (POUR SON PROPRE COMPTE)

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Ministère de la Justice

Gatineau (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.