Date : 20010604
Dossier : IMM-2945-00
Référence neutre : 2001 CFPI 582
Ottawa (Ontario) le 4ième jour de juin 2001
EN PRÉSENCE DE L'HONORABLE EDMOND P. BLANCHARD
ENTRE :
PHOBA UMBA (alias JACOB DLAMINI) et
MPEMBE BELLINA UMBA (alias JUDITH TSHABALALA)
Demandeurs
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
Défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Dans cette affaire, la Cour est appelée à se pencher, en vertu d'une demande de contrôle judiciaire tel que stipulé par l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, c. F-7, telle qu'amendée, sur deux mesures d'exclusion datées du 9 mai 2000, prises par l'agent d'immigration principal R. Hildebrandt à l'encontre des demandeurs, Phoba Umba (Alias Jacob Dlamini) et Mpembe Bellina Umba (Alias Judith Tshabalala), en vertu du paragraphe 23(4) de la Loi sur l'immigration[1].
[2] Selon lesdites mesures d'exclusion, l'agent d'immigration principal en est venu à la conclusion que les demandeurs, appartiennent à la catégorie non-admissible aux termes de l'alinéa 19(2)d) de la Loi sur l'immigration parce qu'ils ne détiennent pas un passeport valide tel que requis par le paragraphe 14(3) des Règlements.
EXPOSÉ DES FAITS
[3] Le 9 mai 2000, les demandeurs sont arrivé en sol canadien. Ils se sont présentés à l'aéroport international de Toronto en possession de passeports swazilandais et ont cherché à entrer au Canada à titre de visiteurs.
[4] Les demandeurs ont répondu an anglais, aux questions posées en anglais par l'agent d'immigration ainsi que l'agent principal. L'agent d'immigration ainsi que l'agent principal affirment dans leurs déclarations écrites que durant leurs entrevues respectives, les demandeurs paraissaient comprendre les questions posées et répondaient sans hésitation.
[5] L'agent principal a confronté les demandeurs sur la validité des passeports swazilandais et les demandeurs ont persisté à soutenir que les passeports étaient valides.
[6] Les demandeurs ayant persisté à clamer la validité de leurs passeports, l'agent principal a référé les demandeurs au deuxième niveau d'interrogation à un agent d'immigration principal. Ce dernier, après avoir considéré les rapports fait par l'agent principal, conclut que les passeports ne sont pas valides. Il a offert aux demandeurs la possibilité de contacter un avocat et leur a fait remplir les documents nécessaires de renonciation à un avocat. Ensuite, conformément aux dispositions législatives susmentionnées, il a rédigé les ordonnances d'exclusion et les demandeurs les ont signées après avoir indiqué comprendre les conséquences d'un tel geste.
[7] De plus, les agents d'immigration soumettent que la politique de leur bureau est de permettre à la personne questionnée de parler dans leur langue de préférence et, s'il y a lieu, d'utiliser les services d'un interprète on d'un agent bilingue si la personne en question est incapable de communiquer en anglais ou paraît ne pas comprendre ce qui se passe.
[8] La preuve démontre que les demandeurs n'ont pas demandé les services d'un interprète; qu'ils ont persisté à dire qu'ils étaient du Swaziland; et enfin que l'agent d'immigration principal a demandé aux demandeurs respectivement, s'ils avaient peur d'être persécutés au Swaziland. Ils ont répondu par la négative.
PRÉTENTIONS DES DEMANDEURS
[9] Les demandeurs soumettent qu'ils sont citoyens de la République Démocratique du Congo (R.D.C.); que Phoba Umba (Alias Jacob Dlamini) est né à Bruxelles en Belgique le 16 février 1976 et que Mpembe Bellina Umba (Alias Judith Tshabalala) est née à Kinshasa le 19 septembre 1976.
[10] Les demandeurs soumettent que leur véritable identité est Zaïroise, qu'ils ont le même père, mais sont nés de mères différentes.
[11] Ils allèguent avoir quitté leur pays d'origine le 30 décembre 1999, parce qu'ils faisaient face à la persécution par le régime en place notamment dû au fait que leur père, sous le règne du Président Mobutu et vingt trois ans durant (1967-1990), a été sur la scène politique notamment comme ministre des Affaires étrangères.
[12] Les demandeurs soumettent qu'avec la chute du régime de Mobutu, les nouvelles autorités au pouvoir s'en sont prises aux anciens dignitaires du régime de Mobutu. C'est ainsi que le 15 septembre 1997, des militaires sont venus arrêter leur père, qui alerté par la sentinelle, a pu s'enfuir par la porte de derrière. Ce jour-là , toute la famille a été tabassée, maltraitée et torturée par ces militaires qui voulaient savoir où se cachait leur père. De plus, la mère de la demanderesse et elle-même, Mpembe Bellina Umba (Alias Judith Tshabalala), ont été violées par les militaires sous le regard impuissant de toute la famille.
[13] En ce qui a trait aux événements reliés à leur entrée au Canada, les demandeurs soumettent que parce qu'ils ont une compréhension insuffisante de l'anglais, en R.D.C. le français étant la langue officielle, et étant donné que l'interrogatoire s'est déroulé en anglais, les demandeurs n'ont pas apprécié à leur juste valeur la portée et la raison d'être des questions qui leur ont été posées par les agents d'immigration. Pour l'ensemble de ces raisons, les demandeurs soutiennent que les décisions d'exclusion violent les principes fondamentaux d'équité procédurale.
QUESTION EN LITIGE
[14] L'agent d'immigration principal, lors du second interrogatoire, a-t-il violé les règles de justice naturelle ou les principes de justice fondamentale lorsqu'il a interrogé les demandeurs et a rendu les ordonnances d'exclusion, fondées sur les rapports de l'agent principal du premier interrogatoire et ce sans avoir informé les demandeurs qu'ils avaient droit à un interprète (français-anglais)?
ANALYSE
[15] Le présent dossier porte essentiellement sur les obligations des agents d'immigration lors de leurs interrogatoires aux postes douaniers. Il est important de placer le présent litige dans son contexte. En l'espèce, il s'agit d'un interrogatoire qui a eu lieu à l'aéroport par des agents d'immigration qui contrôlent chaque jour des milliers de visiteurs et qui ont donc l'obligation première de surveiller nos frontières. La Cour suprême du Canada s'est prononcée, dans l'affaire Dehghani, sur les obligations des agents dans ce contexte. Comme devait l'affirmer Monsieur le juge Iacobucci :
Le juge en chef Dickson affirme...
...Il n'y a rien d'infamant à être l'un des milliers de voyageurs qui font, chaque jour, l'objet de ce type de contrôle de routine à leur entrée au Canada et aucune question constitutionnelle n'est soulevée à cet égard. Il serait absurde de laisser entendre qu'une personne qui se trouve dans une telle situation est détenue au sens constitutionnel du terme et a le droit, en conséquence, d'être informée de son droit à l'assistance d'un avocat.
(...)
Comme le juge Mahoney l'a fait remarquer au nom de la Cour d'appel fédérale à la majorité, il ne serait pas raisonnable de s'attendre à ce que le processus de sélection applicable à toutes les personnes qui cherchent à entrer au Canada se déroule à l'étape de l'examen primaire. Dans le cas des personnes qui sont incapables de produire immédiatement des documents indiquant qu'elles ont le droit d'entrer au pays, le processus de sélection prend plus de temps et un renvoi à un examen secondaire est donc nécessaire. Le caractère de l'examen ne change toutefois pas simplement parce qu'il est nécessaire, pour des raisons de temps et d'espace, de le poursuivre plus tard dans une autre partie de la section de traitement. L'examen continue de faire partie systématiquement du processus général de sélection des personnes qui cherchent à entrer au Canada.
(...)
...Le juge La Forest fait aussi remarquer cela dans l'arrêt Lyons, à la p. 361 :
Il est également clair que les exigences de la justice fondamentale ne sont pas immuables; elles varient selon le contexte dans lequel on les invoque. Ainsi, certaines garanties en matière de procédure pourraient être requises par la Constitution dans une situation donnée et ne pas l'être dans une autre.
(...)
D'après le juge Heald dans l'arrêt Montfort c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1980] 1 C.F. 478 (C.A.), à la p. 482, permettre le recours aux services d'un avocat dans les interrogatoires effectués aux points d'entrée « aurait pour effet d'entraîner la tenue d'une autre « mini-enquête » ou « enquête initiale » qui serait peut-être aussi longue et complexe que celle prévue par la Loi et le Règlement » . Cela ferait inutilement double emploi. L'interrogatoire effectué au point d'entrée avait pour but, comme je l'ai déjà fait remarquer, de faciliter le traitement de la demande d'admission de l'appelant et de déterminer la procédure qu'il conviendrait d'appliquer pour examiner sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention. Les principes de justice fondamentale ne comprennent pas le droit à l'assistance d'un avocat quand il s'agit de recueillir des renseignements de routine.[2]
[16] C'est donc dans ce contexte qu'il faut analyser les faits de la présente affaire. En l'espèce, une analyse des événements et de la preuve au dossier démontrent que les demandeurs se sont présentés à l'aéroport international de Toronto en possession de passeports swazilandais; que les demandeurs ont répondu en anglais aux questions posées en anglais par l'agent d'immigration principal ainsi que l'agent principal; les demandeurs n'ont pas demandé les services d'un interprète; que les demandeurs, ont persisté à dire qu'ils étaient du Swaziland et que ce n'est qu'après avoir signé les ordonnances d'exclusion que les demandeurs ont revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention.
[17] Quant aux conséquences engendrés par l'ordonnance d'exclusion, il était du devoir des demandeurs de ne pas mentir aux autorités canadiennes à leur arrivée. Monsieur le juge Pinard a traité de la question d'une entrevue de deuxième étape dans Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. No. 719 en ligne: QL, où il a affirmé au par. 7 :
(...) [E]n réalité, c'est le manque de franchise de la requérante qui lui a fait perdre le droit de revendiquer le statut de réfugié (voir, par exemple, les arrêts Mbulu c. Canada (M.C.I.) (1995), 94 F.T.R. 81, et Nayci c. Canada (M.C.I.) (1995), 105 F.T.R. 122). Dans les circonstances de la présente affaire, je suis donc d'avis qu'il n'était pas nécessaire, au nom de l'équité, d'aviser la requérante de la nature et des conséquences du deuxième interrogatoire. En réalité, la requérante aurait dû savoir qu'elle risquait de ne pas être autorisée à entrer au Canada.
[18] De plus, la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Raman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (A-30-97, 4 juin 1999), un cas similaire à la présente affaire en ce que l'omission du demandeur de revendiquer le statut de réfugié dès son arrivée au pays l'a privé des droits qui y sont reliés, la Cour affirmait ceci aux paragraphes 14 et 16 :
(...) Bien que l'on puisse soutenir que l'appelant a été mal informé concernant le moment le plus approprié pour revendiquer le statut de réfugié, je ne vois pas comment cela peut le décharger de son obligation de dire la vérité quand il se présente à la frontière d'un pays. Un agent principal n'a aucunement l'obligation de reconsidérer les déclarations de personnes qui refusent de se prévaloir de la possibilité de revendiquer le statut de réfugié.
(...)
En l'espèce, on a demandé à l'appelant s'il souhaitait revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention, et il a décliné cette offre. (...) le refus conscient et volontaire de revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention doit être suffisant pour décharger l'agent principal de ses obligations au niveau constitutionnel. Il est de droit constant que les principes de justice fondamentale dictent des procédures différentes selon les circonstances. (...) Toute personne autre qu'un citoyen canadien, toutefois, doit avoir le droit de revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention. Si une personne revendique à bon droit un tel statut au moment opportun, la Charte lui offre des protections procédurales importantes, mais, en l'espèce, cette revendication n'a pas été faite.
[19] En ce qui concerne l'argument selon lequel l'agent d'immigration principal avait l'obligation d'aviser le demandeur de son droit à l'interprète et aux conséquences éventuelles de l'entrevue avant le début de cette dernière, j'ai conclu, après avoir réfléchi à la question, que les demandeurs ne peuvent tout simplement pas faire valoir ces arguments. Une analyse des notes prises par l'agent principal le 9 mai 2000 démontre que les demandeurs ont bien compris l'ensemble des événements et n'on pas manifester de signe d'incompréhension[3]. De plus, avec des passeports swazilandais, il est tout à fait raisonnable de la part des agents d'immigration de s'attendre à ce que les défendeurs puissent avoir une compréhension suffisante de l'anglais.
[20] Enfin, l'agent d'immigration principal R. Hildebrandt, qui a autorisé les ordonnances et qui a interrogé les demandeurs a affirmé solennellement que les demandeurs ont démontré une connaissance suffisante de l'anglais :
My review of Ms. Umba's case was conducted entirely in English. In my opinion, her degree of English fluency was high enough that I believed her to be a citizen of an African country where the English language either is the official language or is widely spoken.
Altough she spoke English with an accent, I did not believe that the assistance of an interpreter was required, nor did Ms. Umba request an interpreter. She responded to all my questions and statements without any hesitation and did not appear to demonstrate any difficulty in understanding or communicating with me.
(...)
Mr. Umba did not at any time give me the impression that he was having difficulty either expressing himself or understanding me. He responded to all questions put to him without hesitation and readily provided other information.[4]
[21] Je suis satisfait dans l'espèce que les demandeurs n'ont pas déchargé le fardeau d'établir que l'agent d'immigration principal, R. Hildebrandt, a commis une erreur en émettant les deux mesures d'exclusion ou a violé l'équité procédurale.
[22] Pour l'ensemble de ces raisons la demande de contrôle judiciaire à l'égard des deux demandeurs sera rejetée.
[23] Les demandeurs ont soumis pour certification les questions suivantes:
1. Est-ce qu'une personne originaire d'un pays frappé par le décret du ministre interdisant le renvoi (moratoire) et qui a revendiqué le statut de réfugié au Canada après avoir été informée de son exclusion du territoire canadien, peut-elle être retournée vers un pays tiers (dernière escale) d'où il peut être renvoyé vers son pays d'origine?
2. Peut-on considérer le moratoire (interdiction de renvoi des ressortissants congolais vers leur pays d'origine) comme une autre exception l'article 23(4) de la Loi sur l'immigration?
[24] Le défendeur soutient que les deux questions soumises ne sont pas déterminatives de questions en litige devant cette Cour en l'espèce et ne peuvent être certifiées en vertu du paragraphe 83(1) de la Loi sur l'immigration.
[25] J'accepte les propos du juge Décary dans Liyanagamage c. Canada (M.C.I.) (1994), 176 N.R. 4 (F.C.A.), qui a déclaré à la page 5 :
In order to be certified pursuant to s. 83(1), a question must be one which, in the opinion of the motions judge, transcends the interests of the immediate parties to the litigation and contemplates issues of broad significance or general application ... but it must also be one that is determinative of the appeal. The certification process contemplated by s. 83 of the Immigration Act is neither to be equated with the reference process established by s. 18.3 of the Federal Court Act, nor is it to be used as a tool to obtain from the Court of Appeal declaratory judgments on fine questions which need not be decided in order to dispose of a particular case.
[26] En l'espèce la question en litige a porté sur les deux mesures d'exclusion à l'encontre des demandeurs en raison de leur inadmissibilité au Canada. À mon avis, les deux questions soumises pour certification ne portent aucunement sur la question en litige et, par conséquent, ne sont pas déterminatives.
[27] Pour ces raisons, je ne suis pas en mesure de certifier une question sérieuse de portée générale.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE que :
1. La demande de contrôle judiciaire, à l'encontre des deux mesures d'exclusion datées du 9 mai 2000, prises par l'agent d'immigration principal R. Hildebrandt à l'encontre des demandeurs, Phoba Umba (Alias Jacob Dlamini) et Mpembe Bellina Umba (Alias Judith Tshabalala), en vertu du paragraphe 23(4) de la Loi sur l'immigration est rejetée.
"Edmond P. Blanchard"
Juge