Ottawa (Ontario), le 11 mars 2005
EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER
demandeur
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
LA JUGE SNIDER
[1] Le demandeur, M. Ataur Rahman Sarker, est citoyen du Bangladesh; il prétend craindre avec raison d'être persécuté par la police et par les membres d'un parti politique rival, la ligue awami (la Ligue), en raison de ses activités politiques comme membre du Parti nationaliste du Bangladesh (PNB).
[2] Dans la décision rendue le 2 juin 2004, un tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a décidé que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger. Le demandeur demande le contrôle judiciaire de cette décision.
La question en litige
[3] La seule question en litige en l'espèce est la suivante : la Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a décidé que le demandeur disposait d'une possibilité de refuge intérieur (PRI) hors de Bogra, sa ville d'origine au Bangladesh?
Analyse
[4] L'élément clef de la décision de la Commission était sa conclusion à l'existence d'une PRI. En l'occurrence, la Commission a conclu que la menace de préjudice que représentaient pour le demandeur certains hommes de main de la Ligue était circonscrite à la seule région de Bogra, et qu'il pouvait y échapper s'il s'installait ailleurs; de toute manière, cette menace était réduite parce que la Ligue n'était plus au pouvoir. La Commission a aussi conclu que les risques de persécution de la part de la police auxquels ferait face le demandeur à son retour au Bangladesh n'étaient rien de plus qu'une simple possibilité dans les régions autres que celle de Bogra.
[5] En l'espèce, le demandeur convient que si la conclusion rendue par la Commission quant à l'existence d'une PRI est bonne, il n'a plus de recours. J'abonde dans le même sens. En effet, que ce soit en vertu de l'article 96 ou de l'article 97 de la LIPR, le demandeur d'asile doit établir qu'il ne peut pas éviter les actes de persécution auxquels il peut être exposé dans sa région de résidence, en s'installant dans une autre région de son pays d'origine. Lorsque la Commission conclut que le demandeur d'asile dispose d'une PRI, elle conclut de ce fait qu'il ne sera pas exposé à des actes de persécution dans la PRI en question.
[6] Les parties ont débattu la question des inférences que l'on peut tirer dans les cas où la Commission conclut à l'existence d'une PRI, mais ne se prononce pas clairement sur les risques de persécution auxquels le demandeur d'asile est exposé dans sa région de résidence. En l'espèce, la Commission n'a pas clairement conclu que le demandeur craignait avec raison d'être persécuté à Bogra. Il soutient donc qu'il faut en déduire que la Commission a concédé de manière implicite qu'il craignait avec raison d'être persécuté à Bogra (Arunachalam c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 1091 (C.F. 1re inst.)).
[7] Je suis d'avis qu'il n'est pas important ni nécessaire que je me prononce sur le bien-fondé de cette prétention du demandeur pour rendre une décision sur la présente demande. La question de l'existence d'une PRI constitue un élément distinct de l'analyse de la Commission qui se suffit à lui-même (Tharmaratnam c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 92 (C.F. 1re inst.)). Pour dire les choses simplement, lorsqu'il est constaté que le demandeur dispose d'une PRI, ce demandeur n'est pas un réfugié ni une personne à protéger (Zalzali c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] 3 C.F. 605 (C.A.F.), Rasaratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 C.F. 706 (C.A.F.)). Lorsque la Commission s'est demandé si le demandeur disposait d'une PRI, elle pouvait conclure qu'il faisait face à un risque de persécution à Bogra, elle pouvait prendre pour hypothèse (sans se prononcer définitivement sur cette question) qu'il était exposé à un risque de persécution ou elle pouvait faire abstraction de l'ensemble de la question. Dans la mesure où :
a) la Commission a appliqué le bon critère dans son analyse de la question de la PRI;
b) sa conclusion sur l'existence d'une PRI n'était pas manifestement déraisonnable, dans le sens où elle n'était étayée par aucun élément de preuve (Chorny c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 1263 (C.F.)); Charway c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 701 (C.F.));
sa décision doit être confirmée.
[8] En l'espèce, la Commission s'est demandée si la notion de PRI était applicable au cas du demandeur, tant en vertu de l'article 96 que de l'article 97 de la LIPR. En vertu de l'article 96, la Commission s'est demandée si le demandeur d'asile aurait raison de craindre la persécution dans les régions censées lui offrir une PRI et s'il était raisonnable de s'attendre à ce qu'il s'y installe. En vertu de l'article 97, la Commission, en l'espèce, a déclaré que, pour décider si les régions en question offraient au demandeur une PRI, il lui suffisait de répondre aux questions suivantes : (i) sont-elles raisonnablement accessibles au demandeur d'asile; (ii) la vie du demandeur d'asile y serait-elle menacée de manière sérieuse ou risquerait-il d'y subir un traitement ou une peine inusités? Le demandeur ne remet pas en question l'approche selon laquelle la Commission a statué sur l'existence de la PRI. Le demandeur ne soutient pas non plus que la Commission a commis une erreur en ne se demandant pas si les régions censées lui offrir une PRI lui étaient raisonnablement accessibles.
[9] La question déterminante est donc la suivante : la décision rendue par la Commission au sujet de la PRI était-elle étayée par la preuve? Je suis d'avis qu'il faut répondre par l'affirmative.
[10] Le demandeur soutient que la Commission n'a pas tenu compte de la vraie nature de sa crainte : en effet, il craint que les hommes de main de la Ligue puissent corrompre la police où qu'il aille. Selon les observations du demandeur, la Commission n'a pas expressément analysé la preuve documentaire qui établit la corruption de la police. Je ne peux pas convenir que la Commission ait fait abstraction de la preuve ou de la vraie nature de la prétention du demandeur.
[11] En ce qui a trait à la PRI, le demandeur n'a pas dit, au cours de sa déposition, qu'il craignait les hommes de main de la Ligue à l'extérieur de Bogra mais qu'il craignait la police. Il a mentionné le mandat d'arrêt toujours en vigueur et la corruption policière. Je suis d'avis que c'est à bon droit que la Commission a porté son attention sur la question de savoir si le demandeur craignait avec raison la police en dehors de Bogra.
[12] Dans son analyse, la Commission a reconnu que la preuve documentaire montrait que, au Bangladesh, on se servait de la police à des fins politiques pour harceler les membres des partis d'opposition. Cependant, la Commission a déclaré que, puisque le PNB était à nouveau au pouvoir, les craintes du demandeur n'étaient plus justifiées. La Commission a déclaré qu'elle préférait s'en remettre à la preuve documentaire selon laquelle la police se contentait de servir les détenteurs du pouvoir, qui qu'ils soient, plutôt qu'au témoignage du demandeur, qu'un bon nombre des agents de police qui sont en poste dans les différents districts travaillent toujours de concert avec les hommes de main de la Ligue. La Commission a été motivée par le fait qu'elle « favorise la preuve documentaire puisqu'elle provient de sources neutres qui n'ont aucun intérêt dans l'issue de l'affaire qui nous intéresse » . Je conclus donc que la Commission a bien compris quelle était la teneur essentielle de la prétention du demandeur et qu'elle l'a étudiée.
[13] Le demandeur soutient aussi que, dans son analyse relative à la PRI, la Commission ne s'est pas demandé pourquoi les hommes de main de la Ligue le recherchaient. Selon lui, _TRADUCTION_ « vu l'importance capitale, pour l'élément refuge intérieur de sa demande d'asile, des raisons pour lesquelles la Ligue recherchait le demandeur, il était essentiel que la Commission mentionne cette preuve et explique pourquoi elle rejetait le témoignage du demandeur sur cette question lorsqu'elle a statué sur cette demande d'asile » .
[14] En ce qui concerne cet argument, je remarque d'abord que la Commission a bel et bien mentionné le témoignage du demandeur. Dans ses motifs, la Commission s'est exprimée en ces termes :
Il craint les hommes de main de la Ligue, particulièrement Mohom et son associé Robin. Ces personnes veulent que le demandeur leur cède ses droits sur un centre commercial à Bogra.
[15] Même si ce témoignage n'a pas été mentionné de manière distincte et répétée dans la partie consacrée à l'analyse de la question concernant la PRI, il est manifeste que la Commission l'a pris en compte. En outre, lorsqu'il a été demandé au demandeur s'il y avait une possibilité que les hommes de mains de la Ligue le pourchassent s'il quittait Bogra, il a répondu dans sa déposition que ceux-ci, au moins pour l'instant, ne le trouveraient pas (dossier du tribunal, à la page 950).
Conclusion
[16] En conclusion, si elle est considérée dans son ensemble, la décision est étayée par la preuve. Le demandeur ne m'a pas convaincue que la Commission a fait abstraction des points essentiels des prétentions du demandeur ou qu'elle ne s'est pas penchée sur eux. Le demandeur n'a pas établi l'existence d'une erreur susceptible de contrôle judiciaire relative à la conclusion de la Commission quant à l'existence d'une PRI, qui a été déterminante. L'erreur relative au maintien de la visibilité politique du demandeur n'a eu aucune incidence sur la décision.
[17] Le demandeur propose que je certifie la question suivante :
Lorsque la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié statue sur une demande d'asile, et qu'elle considère la possibilité de refuge intérieur sans se prononcer explicitement sur le risque auquel est exposé le demandeur d'asile dans son lieu de résidence, le fait de conclure explicitement que le demandeur dispose d'une possibilité de refuge intérieur constitue-t-il une concession de sa part qu'il craint avec raison d'être persécuté dans son lieu de résidence?
[18] Je suis d'avis que cette question n'a aucune incidence sur la demande dont je suis saisie. Je ne la certifierai donc pas.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE :
1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;
2. Aucune question n'est certifiée.
« Judith A. Snider »
Juge
Traduction certifiée conforme
François Brunet, LL.B., B.C.L.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-5515-04
INTITULÉ: ATAUR RAHMAN SARKER
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE
L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : WINNIPEG (MANITOBA)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 8 MARS 2005
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LA JUGE SNIDER
DATE DES MOTIFS : LE 11 MARS 2005
COMPARUTIONS:
David Matas POUR LE DEMANDEUR
Nalini Reddy POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:
Avocat POUR LE DEMANDEUR
Winnipeg (Manitoba)
John H. Sims, c.r. POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada