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Date : 20001129


Dossier : IMM-4925-99

Entre :



     MANANA BADOEVA

     LEVAN BADOEV

     KHATIA BADOEVA

     ROMAN BADOEV

     Partie demanderesse


Et :


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

     Partie défenderesse



     MOTIFS D'ORDONNANCE


LE JUGE ROULEAU


[1]      Cette demande de contrôle judiciaire a été déposée à l'encontre d'une décision de la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (ci-après la "section du statut"), rendue le 27 août 1999, selon laquelle les demandeurs ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention.



[2]      La demanderesse principale Manana Badoeva (ci-après: « la demanderesse » ) et ses trois enfants mineurs sont citoyens de la Géorgie et ont revendiqué le statut de réfugié au Canada, alléguant une crainte bien fondée de persécution dans leur pays en raison de leur nationalité kurde et de leur religion Ezid.

[3]      La demanderesse a allégué avoir reçu des menaces de la part de parents d'enfants de l'école où elle travaillait en mai 1996, en raison du fait qu'elle enseignait aux enfants certains faits sur la religion Ezid. La demanderesse a enseigné dans une autre école à compter de septembre 1996.

[4]      En février 1997, elle a dû transférer son fils d'une école à une autre parce que des enfants l'auraient battu. Les enseignants se seraient rangés du côté des enfants qui avaient battu son fils.

[5]      En octobre 1997, la demanderesse, en distribuant des journaux kurdes, auraient été questionnée et insultée par les policiers. Elle a logé une plainte auprès du ministère de l'intérieur qui, par la suite, lui aurait répondu que les activités des policiers auraient été dans la norme.

[6]      Au mois de décembre de la même année, on aurait vandalisé le centre Ezid et la police n'aurait rien fait pour trouver les coupables.

[7]      La demanderesse a aussi allégué avoir été arrêtée, en février 1998, par trois individus qui l'auraient menacée de mort. La police n'aurait pas mené d'enquête sérieuse. La demanderesse a été licenciée peu de temps après.

[8]      En septembre 1998, le fils de la demanderesse aurait de nouveau été battu par des enfants géorgiens.

[9]      Le 15 octobre 1998, la demanderesse et trois autres personnes qui étaient au centre Ezid ont été agressés par un groupe de géorgiens. Ayant eu peur pour sa vie et celle de ses enfants, la demanderesse a quitté la Géorgie pour venir au Canada.

    

[10]      La section du statut a-t-elle pris en compte un document non pertinent? La section du statut a-t-elle omis de considérer des éléments de la preuve? La décision de la section du statut est-elle basée sur de la spéculation?     

[11]      Les demandeurs prétendent que la section du statut a erré en droit en rejetant le témoignage non contredit de la demanderesse concernant la persécution des kurdes en Géorgie en raison de leur appartenance à la foi Ezid. Selon les demandeurs, la section du statut aurait pris en compte un document non pertinent qui ne traite pas de la religion Ezid, une religion païenne, mais concerne plutôt l'Église Orthodoxe, les missionnaires étrangers de foi chrétienne ainsi que l'anti-sémitisme.

[12]      Selon les demandeurs, la section du statut a erré en droit en n'appliquant pas correctement la présomption de protection de l'État de l'arrêt Ward. La section du statut aurait omis de se prononcer sur le fait que les incidents vécus par la demanderesse pouvaient constituer de la persécution, compte tenu de l'absence de protection par les forces de l'ordre. Selon les demandeurs, la section du statut aurait dû déterminer s'il y avait une possibilité de persécution future et si l'État géorgien était incapable de ou ne désirait pas les protéger. La section du statut n'a pas tenu compte du fait que la demanderesse avait été persécutée par la police et par des nationalistes géorgiens, et non de simples inconnus, ce qui distingue la situation de celle de l'arrêt Smirnov c. Canada (Secrétaire d'État), [1995] 1 C.F. 780 (1re inst.). De plus, l'arrêt Smirnov est inapplicable en l'espèce, puisque dans cette affaire, il n'y avait aucune preuve que les attaques vécues par les revendicateurs étaient fondées sur des motifs ethniques et religieux, alors qu'en l'espèce, la preuve démontrait que les policiers refusaient d'intervenir en raison de leurs préjugés à l'endroit des Kurdes de religion Ezid. La section du statut aurait omis de considérer les incidents qui impliquaient les policiers géorgiens, ce qui expliquait qu'elle ne pouvait obtenir de protection de la part des autorités.

[13]      Les demandeurs prétendent qu'en ce qui concerne le traitement de la minorité kurde de foi Ezid en Géorgie, la section du statut a rendu une décision basée sur de la spéculation sans leur donner l'occasion de répondre à ces hypothèses. Ils rappellent que le témoignage sous serment est présumé vrai s'il n'existe aucune preuve à l'effet contraire. Selon les demandeurs, la section du statut a omis de prendre en compte des éléments vitaux de la preuve présentée.     

[14]      Selon le défendeur, la section du statut a analysé dans leur ensemble les faits soumis par la demanderesse au soutient de sa crainte de persécution pour des motifs religieux pour en conclure qu'ils n'équivalaient pas à de la persécution. De l'avis du défendeur, cette conclusion s'appuie raisonnablement sur les éléments pertinents du témoignage de la demanderesse, notamment sur le fait qu'elle enseignait, à l'encontre des avis de la direction, les principes de la religion Ezid dans une maternelle où il n'y avait pas de programme éducatif spécifique ni d'entente avec les parents des enfants à l'effet que le sujet de la religion serait approfondi. De plus, la section du statut a noté que la preuve documentaire était silencieuse sur la persécution basée sur la religion et a même relevé l'attitude permissive des autorités géorgiennes à cet égard. La présomption qui veut que le témoignage du demandeur fait sous serment soit vrai est toujours réfutable, notamment lorsque la preuve documentaire ne contient pas l'information qui devrait normalement s'y trouver.

[15]      En ce qui concerne l'incident survenu durant l'été 1998, où la demanderesse aurait critiqué ouvertement le gouvernement et à la suite duquel elle aurait été convoquée à la police, la section du statut a analysé les actes de la demanderesse et des autorités dans leur contexte pour en conclure, preuve documentaire à l'appui, que les autorités se préoccupent de l'élément criminel ordinaire de sa conduite et que leurs actions ne sont pas motivées par l'un des motifs énoncés à la définition de réfugié. La crainte de poursuites pour la transgression d'une loi d'application générale ne constitue pas, en soi, une crainte raisonnable de persécution. La section du statut n'était aucunement liée par les inférences proposées par la demanderesse relativement aux incidents survenus dans son pays et en particulier, quant aux raisons qui ont motivé les incidents dont elle aurait été victime. Selon le défendeur, les demandeurs n'ont pas démontré en quoi la conclusion de la section du statut serait erronée ou déraisonnable ou qu'elle a été tirée de façon absurde, arbitraire ou sans égard à la preuve.

[16]      Le défendeur rappelle qu'il est établi que le seul fait que les autorités ne sont pas en mesure d'accorder une protection entièrement efficace à ses citoyens n'est pas suffisant pour fonder une revendication de statut de réfugié. La demanderesse n'a pas démontré qu'il y avait un effondrement complet de l'État géorgien. En ce qui concerne les menaces et agressions subies aux mains des nationalistes en février 1998, la demanderesse ne connaît pas les agresseurs et n'a pu en donner une description précise. Il était dès lors impossible pour les policiers d'agir en raison de l'inexistence d'informations essentielles à l'enquête. Quant à l'événement d'octobre 1997, la section du statut a correctement estimé qu'il était impossible de tirer des conclusions de cet incident, compte tenu du fait que la demanderesse ne pouvait fournir de détails sur la raison pour laquelle les policiers auraient confisqué des journaux kurdes. Enfin, en ce qui concerne l'incident du 15 octobre 1998, horrible, aux dires de la demanderesse, cette dernière n'a pas déposé de plainte auprès de la police même s'il y avait des témoins et qu'elle avait un certificat d'hospitalisation susceptible de corroborer l'incident. Le défendeur considère que la demanderesse n'a pas chercher à épuiser les recours qui s'offraient à elle. Il estime que le défaut de la demanderesse de s'être acquittée de son obligation de prouver l'incapacité de l'État géorgien de lui assurer une protection entraîne à lui seul le rejet de sa demande.

[17]      La décision de la section du statut traite de trois aspects de la revendication des demandeurs.

[18]      La section du statut s'attarde d'abord à la crainte de persécution en raison de l'appartenance des demandeurs à la religion Ezid. Elle indique qu'en ce qui concerne les menaces reçues en raison de l'enseignement, par la demanderesse, d'éléments de la foi Ezid à l'école, il ne pouvait s'agir de persécution étant donné l'absence d'entente préalable entre les parents et la demanderesse quant à l'opportunité d'enseigner la religion à l'école.

[19]      La section du statut a par ailleurs retenu le document: « Georgia: Profiles of Asylum Claims and Country Conditions for 1995/6, The Most Common Asylum Claims, Claims Based on Religion, UNHCR Centre for Documentation and Research, 2 mars 1998 » , afin de déterminer que les demandeurs n'étaient pas susceptibles d'être victimes de persécution en raison de leur religion. Le passage suivant a été jugé pertinent:

     « The religious practices of Armenians, Azerbaijanis and Jews generally follow ethnic lines. They are unrestricted. [...] »


[20]      De même, les passages suivants du document intitulé: « Georgia Country Report on Human Rights Practices for 1998, Discrimination Based on Race, Sex, Religion, Disability, Language, or Social Status, Religious Minorities, Bureau of Democracy, Human Rights, and Labor, 26 février 1999 » ont été retenus:

     « The Georgian Orthodox Church has argued that foreign Christian missionaries should confine their activities to non-Christian areas. Foreign missionaries continued to report some incidents of harassment in rural areas and small towns on the part of Orthodox priests and their supporters, local police, and security officials. Jehovah's Witnesses indicate that they have experienced no problems in Tbilisi and only occasional problems in rural areas.
     There is no pattern of anti-Semitism. [...]
     The Georgian Orthodox Church has lobbied Parliament and the Government for laws that would grant it special status and restrict the activites of missionaries from "nontraditional religions. Various draft laws, some modeled on the Russian law on religion, have been rejected by Parliament. »



[21]      En l'absence de documentation se rapportant spécifiquement à la situation particulière des pratiquants de la foi Ezid, la section du statut a dû procéder par analogie et prendre en compte le sort réservé aux autres religions en Géorgie afin de déterminer la possibilité objective d'une quelconque persécution pour des motifs religieux. Les demandeurs prétendent essentiellement que la comparaison n'était pas justifiée, compte tenu de la vulnérabilité particulière des pratiquants de la foi Ezid.

[22]      Il est pourtant bien établi que la section du statut, à titre de tribunal spécialisé, a pleine compétence pour apprécier le contenu de la preuve documentaire de sorte que seule une conclusion absurde, arbitraire ou déraisonnable pourrait justifier une intervention de cette Cour. En l'espèce, les documents étaient silencieux sur la persécution que pourraient subir les Ezid en Géorgie. À mon avis, la section du statut était tout à fait justifiée de vérifier l'existence de répression à l'égard de pratiquants d'autres religions afin de déterminer si les demandeurs avaient des chances raisonnables d'être persécutés à leur retour en Géorgie.

[23]      La section du statut a ensuite examiné les circonstances concernant les menaces et les agressions subies aux mains des nationalistes en février 1998. Elle a noté que la demanderesse avait témoigné qu'elle ne connaissait pas les agresseurs et que, vu les circonstances, il était difficile de donner une description particulière. La demanderesse n'aurait pas reçu d'aide de la police.

[24]      À mon avis, le fondement des attaques, qu'il soit d'ordre religieux, ethnique ou politique, n'est, en première analyse, absolument pas pertinent aux fins de déterminer si la police est en mesure ou non d'enquêter sur les événements. Encore faut-il que la victime soit en mesure de fournir aux policiers des informations essentielles à la tenue d'une enquête.

[25]      Le second volet de la décision de la section du statut concerne la protection de l'État.

[26]      Je rappelle qu'il est bien établi qu'en l'absence d'une preuve claire et convaincante de l'incapacité des autorités d'un pays de protéger ses ressortissants, l'État est présumé capable de les protéger et une revendication sera nécessairement vouée à l'échec (Ward c. Canada (Procureur général du Canada), [1993] 2 R.C.S. 689).

[27]      La section du statut a d'abord examiné le comportement des policiers à la suite de l'incident d'octobre 1997. Elle a conclu qu'elle était dans l'impossibilité de donner une juste valeur probante à cet incident, compte tenu du fait que la demanderesse n'avait pu fournir des détails et n'avait pu expliquer ce qui motivait les policiers à confisquer ces journaux en particulier, surtout si plus de 200 journaux indépendants à circulation très réduite étaient également distribués en Géorgie. La section du statut a tout de même noté que les autorités avaient répondu à sa plainte, lui expliquant par écrit que le comportement des policiers était conforme à la norme. Je vois difficilement comment cette Cour pourrait revenir sur cette conclusion qui se fonde directement sur la preuve au dossier. La section du statut était tout à fait justifiée de considérer cet événement comme non concluant.

[28]      L'événement que la demanderesse a qualifie de « plus horrible » , l'agression du 15 octobre 1998, a également fait l'objet d'un examen par la section du statut. Celle-ci a insisté sur le fait que la demanderesse n'avait déposé aucune plainte auprès de la police même s'il y avait des témoins et qu'elle avait un certificat médical qui corroborait son histoire. Elle était par ailleurs fort consciente que la demanderesse ne croyait pas que sa plainte aurait donné le résultat voulu. Dans ces circonstances, la demanderesse n'a pas raison de prétendre que la section du statut n'a pas tenu compte de ce dernier fait. La section du statut a mentionné, sans citer de passage particulier, l'arrêt de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire M.E.I. c. Villafranca, (C.A.F., no. A-69-90), Marceau, Hugessen, Décary, 18 décembre 1992. À mon avis, il est utile de reproduire le passage suivant, qui convient parfaitement à la présente affaire:

     « The burden of showing that one is not able to avail oneself of the protection of one's own state is not easily satisfied. The test is an objective one and involves the claimant showing either that he is physically prevented from seeking his government's aid (clearly not the case here) or that the government itself is in some way prevented from giving it.
     No government that makes any claim to democratic values or protection of human rights can guarantee the protection of all of its citizens at all times. Thus, it is not enough for a claimant merely to show that his governement has not always been effective at protecting persons in his particular situation. »


[29]      En l'espèce, les documents portant sur le statut de la protection accordée aux droits de la personne en Géorgie démontrent que des progrès notables ont eu lieu au cours des dernières années. De plus, la documentation n'indique nulle part que les pratiquants de la foi Ezid sont plus sujets à répression que les autres minorités religieuses. Dans ces circonstances, cette Cour serait mal venue d'intervenir sur cette conclusion par ailleurs entièrement raisonnable.

[30]      Le dernier aspect de la décision attaquée concerne l'allégation de crainte de persécution en raison de la nationalité kurde.

[31]      Contrairement à ce que prétend le procureur de la demanderesse, la section du statut n'a pas émis d'hypothèse sur le traitement de la minorité Kurde-Ezid en Géorgie, mais a plutôt rendu une décision raisonnable, fondée sur la preuve soumise.

[32]      Cette demande de contrôle judiciaire est rejetée.






                                 JUGE

OTTAWA, Ontario

Le 29 novembre 2000

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