Date : 20041210
Dossier : T-21-03
Référence : 2004 CF 1731
Ottawa (Ontario), le 10 décembre 2004
EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE LAYDEN-STEVENSON
ENTRE :
SA MAJESTÉ LA REINE
demanderesse
et
EMILE MARGUERITA MARCUS MENNES
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] M. Mennes, un détenu de l'établissement de Warkworth, est une personne qui s'exprime avec aisance et dont la connaissance des dispositions de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, modifiée, (la Loi) et des Règles des Cours fédérales DORS/98-106, modifiées (les Règles) ferait l'envie de bien des avocats. La demanderesse, Sa Majesté la Reine, sollicite une ordonnance afin d'interdire à M. Mennes d'engager d'autres instances devant la Cour et de continuer devant la Cour une instance déjà engagée, sauf avec l'autorisation de la Cour. Le procureur général a consenti à ce que la demande soit présentée. J'ai décidé de faire droit à la demande de la demanderesse.
LA DEMANDE
[2] La présente demande est datée du 31 décembre 2002 et elle a été déposée le 7 janvier 2003. Il s'agit d'un dossier qui a toute une histoire. La demande est appuyée par l'affidavit signé par Angela McCarthy le 31 août 1999, de l'affidavit signé par Janice Rodgers le 24 août 2002, et de l'affidavit signé par Linda Ann Hall le 9 septembre 2002. L'avis de demande, ainsi que les affidavits à l'appui ont été signifiés à M. Mennes le 7 janvier 2003 et il a déposé un avis de comparution le 10 janvier 2003.
[3] Le 5 février 2003, M. Mennes a écrit à la Cour pour demander la tenue d'une session extraordinaire pour entendre une requête en suspension d'instance. Il n'a pas déposé d'avis de requête. Le 5 mars, il a parlé à Mme Martel, au bureau de l'administrateur judiciaire, et il a accepté de déposer le dossier de requête, sans date de présentation, au plus tard le 31 mars 2003.
[4] Le dossier de la demanderesse devait être produit le 21 mars 2003. Le 14 mars, la demanderesse a demandé des directives concernant les exigences du paragraphe 309(2) des Règles et, le 20 mars, le protonotaire Lafrenière a dit : [traduction] « par les présentes, la demanderesse est dispensée de reproduire les affidavits à l'appui, dans son dossier de demande, à cause de leur grand nombre » . La directive a été transmise à la demanderesse mais rien n'indique qu'elle ait été transmise à M. Mennes.
[5] Entre-temps, la demanderesse et le défendeur ont échangé des lettres et les deux parties ont également écrit à la Cour. Le 24 mars 2003, le juge Lutfy, alors juge en chef adjoint, a décidé que la requête en suspension d'instance serait entendue le 25 juin 2003 et que le dossier de requête devait être déposé au plus tard le 31 mars. Le juge Russell a, par la suite, accordé une prolongation du délai de dépôt et le protonotaire Lafrenière a dispensé la demanderesse de déposer son dossier de demande en attendant la décision concernant la requête en suspension. Le dossier de requête a été déposé le 22 avril 2003.
[6] L'audience relative à la « suspension » a commencé le 25 juin et elle devait reprendre le 24 février 2004. Le 24 février 2004, M. Mennes a demandé que trois requêtes ex parte soient entendues, pour des motifs d'urgence, avant la poursuite de l'audition de la requête en suspension d'instance. Il a produit un avis de « désistement conditionnel » de la requête en suspension jusqu'à l'audition de ses requêtes ex parte et il a présenté cinq volumes d'un dossier de requêtes ex parte au sujet desquels il était disposé à présenter des observations. Le juge O'Keefe a décidé que, compte tenu des circonstances en cause, l'affaire ne pouvait pas être entendue et il a donné instruction à M. Mennes de produire ses documents à Toronto, en la manière habituelle.
[7] Le 28 avril, le juge Shore a enjoint aux parties de signifier et de déposer, conjointement ou individuellement, au plus tard le 17 mai 2004, un avant-projet d'ordonnance établissant un échéancier révisé qui permettrait de compléter, en temps utile, les dernières étapes en rapport avec cette affaire. Le 7 mai, la demanderesse a envoyé un avant-projet d'ordonnance et elle a déposé le dossier de demande ainsi qu'une copie de sa lettre, datée du 6 mai 2004, à M. Mennes, dans laquelle il était mentionné notamment que le dossier de demande de Sa Majesté s'y trouvait. M. Mennes n'a pas respecté les directives du juge Shore.
[8] Le 25 mai, la protonotaire Tabib a ordonné que le dossier du défendeur, M. Mennes, soit déposé avant le 16 juin 2004 et que la demanderesse présente une demande d'audience dans les délais prescrits dans l'ordonnance. M. Mennes n'a pas déposé le dossier du défendeur. Le 28 juin, Sa Majesté a déposé une demande d'audience relativement à la demande, ainsi qu'une preuve de signification.
[9] Dans une ordonnance datée du 29 juillet 2004, le juge en chef Lutfy a décidé que la demande serait entendue les 5 et 6 octobre 2004, à Toronto. Le 19 août, la demanderesse a écrit à M. Mennes (copie du document a été déposée à la Cour) demandant que ce dernier décide, avant le 10 septembre, s'il voulait que la demanderesse dépose une demande d'ordonnance relative à sa comparution à l'audience et qu'il donne avis de sa décision. M. Mennes n'a pas répondu.
[10] M. Mennes n'ayant pas communiqué avec la demanderesse, cette dernière a demandé des directives à la Cour. J'ai demandé au greffier de contacter l'établissement de Warkworth, ce qu'il a fait. Lorsque le greffier a communiqué avec l'établissement et après la réception des lettres de M. Mennes, il est apparu que M. Mennes ne souhaitait pas comparaître en personne à Toronto, mais qu'il voulait bien comparaître par téléconférence depuis l'établissement de Warkworth. J'ai rendu une ordonnance à cette fin.
[11] Dès le début de l'audience, le 5 octobre, M. Mennes a demandé l'ajournement. Après avoir entendu les longues observations de M. Mennes, j'ai rejeté sa demande et j'ai expliqué mon refus. L'audience s'est poursuivie et la demanderesse a présenté ses observations sur le fond. Lorsque j'ai donné à M. Mennes la possibilité de réagir aux observations de Sa Majesté, il a réitéré son « objection » et il a demandé que l'instance soit reportée à une date ultérieure déterminée, à Peterborough.
[12] Pendant les plaidoiries des deux parties concernant le bien-fondé de la demande, il est devenu apparent que M. Mennes n'avait pas, en sa possession, le dossier de demande ni aucun des affidavits à l'appui. Cette révélation a tout de suite incité l'avocat de Sa Majesté à contacter l'établissement. Quand il a été confirmé que M. Mennes n'avait pas les documents, certaines dispositions ont été proposées pour que M. Mennes puisse les recevoir à la fin de l'après-midi. L'audience a été suspendue à 16 h 40.
[13] À la reprise de l'audience, le matin du 7 octobre, M. Mennes a encore une fois demandé un ajournement. En voulant obtenir une clarification au sujet de la documentation, j'ai appris que, la « recherche » (à défaut d'autres termes) des documents avait commencé à 21 h, le 6 octobre, et que M. Mennes n'avait pas encore tous les documents. Bref, j'ai modifié l'ordonnance que j'avais rendue refusant l'ajournement et j'ai donné les motifs du changement. J'ai ordonné que la question soit reportée au 30 novembre et au 1er décembre 2004, à Peterborough, à certaines conditions précises. Une copie de l'ordonnance, datée du 6 octobre 2004, est annexée aux présentes (annexe « A » ).
[14] Je ne dispose d'aucun affidavit explicatif, mais M. Mennes a déposé ses observations écrites le 15 novembre, conformément à l'ordonnance. L'audience a repris le 30 novembre. M. Mennes a présenté des observations détaillées et explicatives qui ont été suivies, comme d'habitude, par la réponse de la demanderesse. L'instance a pris fin le 1er décembre.
M. MENNES
[15] M. Mennes est né le 19 février 1950. Entre 1981 et 1996, il a été déclaré coupable d'avoir perpétré plusieurs infractions sexuelles à l'égard d'enfants. Le 13 novembre 1996, il a été déclaré délinquant dangereux et condamné à une peine d'emprisonnement indéfinie. Il purge sa peine à l'établissement de Warkworth.
APERÇU DE LA POSITION DE LA DEMANDERESSE
[16] Sa Majesté soutient que M. Mennes est une personne qui engage des instances vexatoires. Depuis 1987, il a engagé plus de 74 instances judiciaires, dont 44 devant la Cour fédérale. Sa Majesté allègue que les dossiers ne sont pas fondés, qu'ils sont répétitifs et qu'ils constituent un abus de procédure. Elle fait valoir qu'une ordonnance en vertu du paragraphe 40(1) de la Loi est le seul moyen de protéger la Cour, le public et la Couronne contre le [traduction] « gaspillage constant de temps et d'argent de la part de M. Mennes » .
[17] La demanderesse présente trois affidavits qui décrivent les activités de M. Mennes devant les tribunaux. L'affidavit d'Angela McCarthy vise les dossiers du défendeur devant les Cours fédérales et les tribunaux de Colombie-Britannique de 1987 au milieu des années 1990. L'affidavit de Linda Hall décrit les quatre instances engagées devant la Cour fédérale en 1922 qui ont été déposées à Ottawa. L'affidavit de Janice Rodgers décrit les activités de M. Mennes devant la Cour fédérale et les tribunaux de l'Ontario de 1998 au mois d'août 2002, dans la région de Toronto.
[18] La preuve par affidavit révèle 64 instances distinctes entre février 1987 et août 2002. Il y a une concentration plus importante de dossiers au cours de deux périodes, soit de 1987 à 1992 et de 1998 à ce jour. M. Mennes n'a engagé que trois instances entre 1993 et 1997. Des 64 dossiers, 34 ont été présentés à la Cour fédérale, 26 devant les cours provinciales de la Colombie-Britannique et deux devant les cours provinciales de l'Ontario. Deux dossiers sont des demandes d'autorisation présentées à la Cour suprême du Canada.
[19] Des 34 dossiers (décrits en détail dans les affidavits) dont la Cour fédérale a été saisie, 15 sont des demandes, 11 des actions et huit dossiers sont des appels. Neuf de ces dossiers ont été radiés lors d'une étape préliminaire, six ont été rejetés par la Cour après une audience quelconque, trois ont été rejetés par la Cour à cause des délais, M. Mennes s'est désisté de cinq dossiers, dix dossiers n'ont pas été poursuivis à une quelconque étape de la procédure et il n'y a pas eu de décision définitive. Un des appels interjetés par M. Mennes a été accueilli. En outre, depuis août 2002, date à laquelle l'affidavit Rodgers a été signé, M. Mennes a engagé dix autres instances devant la Cour fédérale. Il s'agit de cinq nouvelles actions et de cinq nouvelles demandes.
RÉPONSE DE M. MENNES
[20] Tel que susmentionné, M. Mennes n'a pas présenté d'affidavit. Toutefois, il a présenté ses arguments contre la demande sur un ton plutôt hautain. Il a abordé la question à l'aide de deux approches. À des fins de commodité, je qualifierai la première approche, à défaut d'autre terme, d'approche « technique » . Ensuite, encore une fois pour des raisons de commodité, je qualifierai la deuxième, d' approche « sur le fond » . Voici, en résumé, une version simplifiée des arguments présentés.
[21] L'approche dite technique comporte plusieurs composantes. Premièrement, M. Mennes s'objecte au dossier de demande. Il souligne, à bon escient, que le dossier ne contient aucun des affidavits à l'appui de la demande de Sa Majesté, comme l'exige le paragraphe 309(2) des Règles. Il invoque l'article 55 des Règles qui autorise la Cour, sur requête, à dispenser une partie de l'observation d'une disposition, mais il mentionne le paragraphe 47(2), qui exige expressément que dans les cas où les règles prévoient l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire sur requête, la Cour ne peut exercer ce pouvoir que sur requête. Ainsi, selon M. Mennes, la demanderesse n'est pas régulièrement devant la Cour parce qu'il n'y a aucune preuve au dossier. Si la Cour a donné une instruction à cet égard, l'instruction aurait dû, elle aussi, faire partie du dossier (paragraphe 309(2) des Règles) et le dossier est donc doublement insuffisant.
[22] Ensuite, M. Mennes mentionne la citation de la demanderesse de la Loi sur la Cour fédérale. La demanderesse cite la Loi ainsi : « L.R.C. 1985, ch. F-7 » sans la mention « modifiée » . M. Mennes prétend que l'article 40 a été abrogé par les Lois du Canada, 1990, ch. 8, article 11 et que la Cour ne peut entendre une demande viciée et qui est fondée précisément sur une disposition qui, en fait, a été abrogée. En outre, le consentement du procureur général a été donné sur cette prémisse. Le résultat, selon M. Mennes, c'est que la demanderesse se fonde sur des dispositions inconnues en droit et que le principe contra proferentum s'applique.
[23] La troisième composante de l'approche dite « technique » soulève la question de la formule d'assermentation de l'affidavit McCarthy. À cet égard, M. Mennes renvoie à sa copie et il constate que la date précise du mois d'août 1999 n'est pas mentionnée. (La formule d'assermentation de l'affidavit original déposé à la Cour indique que l'affidavit a été signé le « 31 » août 1999 et au moins quelques copies sont conformes à l'original). M. Mennes prétend qu'il s'agit d'une « modification de documents » . Il dit qu'une personne a ajouté quelque chose au document et que cela est tout à fait irrégulier. Il mentionne également les paragraphes 2, 3, 142, 152, 162, 187, 195, 209, 214, 216, 223 et 224 de l'affidavit McCarthy et prétend qu'ils contreviennent au paragraphe 81(1) des Règles qui exige que les affidavits se limitent aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle. La demanderesse aurait dû produire les affidavits de déclarants qui avaient une connaissance personnelle des faits.
[24] La dernière partie de l'approche vise les pièces annexées aux affidavits Hall et Rodgers. En invoquant les « pages blanches » sur lesquelles apparaît la désignation de la pièce, M. Mennes soutient qu'il ne s'agit pas de pièces; il s'agit de pages blanches et donc, d'une irrégularité. En outre, l'affidavit Hall contient des renseignements et des opinions et l'affidavit Rodgers est irrégulier parce qu'il a été signé par un avocat du ministère de la Justice. M. Mennes dit qu'il n'y a pas lieu de distinguer entre un cabinet d'avocats et le ministère de la Justice aux fins de la présente instance. Puisque la loi interdit qu'un avocat soit à la fois l'auteur d'un affidavit et qu'il présente des arguments fondés sur cet affidavit à la Cour, la même règle s'applique au ministère.
[25] M. Mennes affirme, tout particulièrement, que l'approche axée sur le fond est soumise sous réserve des observations d'ordre technique. M. Mennes soutient que le dossier de la demanderesse n'est au fond qu'une charade et qu'elle est tout à fait illogique. Selon lui, la demanderesse choisit des [traduction] « petits détails croustillants dans diverses affaires, elle les met bout à bout et crée artificiellement une classification ou un stéréotype » . La demanderesse induirait en erreur par couches successives et présenterait à la Cour un point de vue biaisé. Quand on touche à l'essentiel, il n'y aurait rien dans les observations de Sa Majesté qui révèle autre chose qu'un litige ordinaire qui comporte des erreurs de procédure.
[26] M. Mennes distingue la jurisprudence sur laquelle Sa Majesté se fonde au motif qu'elle ne vise pas des détenus et que, dans ces affaires, les plaintes relatives à des instances « vexatoires » n'équivalent pas à un outrage comme dans la situation concernant les préjudices allégués par M. Mennes.
[27] Il prétend que la demande doit être rejetée pour quatre motifs distincts. Premièrement, l'article 221 des Règles propose une autre solution. Sa Majesté peut présenter une requête en radiation comme elle l'a souvent fait par le passé. Il s'agit d'une mesure rapide et peu coûteuse. Deuxièmement, il invoque la futilité de la déclaration demandée - qu'accomplira-t-elle sauf ajouter une étape supplémentaire au litige puisque la Cour devra se pencher sur la possibilité d'accorder son autorisation? Troisièmement, le temps qui s'est écoulé entre août 1999, quand l'affidavit McCarthy a été signé, et la présentation de la demande, constitue un acquiescement de la part de Sa Majesté. Quatrièmement, la demanderesse, selon M. Mennes, se présente à la Cour les mains sales. À cet égard, il me renvoie au contenu de ses requêtes ex parte.
[28] En outre, M. Mennes analyse en détail toutes les pièces annexées aux affidavits dans le but de justifier chacune de ses instances et de démontrer que, dans le contexte approprié, chacune d'elles était justifiable. Par exemple, il prétend qu'il a mentionné la Bible dans le contexte du serment du couronnement de Sa Majesté, serment qui, bien entendu, lie le gouvernement.
[29] Il conteste ensuite toutes les instances mentionnées dans l'affidavit McCarthy qui sont des instances devant les tribunaux de la Colombie-Britannique au motif qu'en l'espèce, il s'agit de la Cour fédérale. Il conteste également la mention, par Mme McCarthy, de toute procédure préalable à 1990, au motif que la demanderesse n'a pas régulièrement invoqué la loi. Dans le même ordre d'idées, il prétend que les actions devant les cours de l'Ontario qui sont mentionnées dans l'affidavit de Mme Rodgers doivent être écartées, à l'instar de toute procédure qui ne le vise pas personnellement. Enfin, en rapport avec les instances devant la Cour fédérale, il invoque l'affaire Foy c. Foy (no 2) (1979), 102 D.L.R. (3d) 342 (C.A. Ont.), autorisation d'interjeter appel rejetée [1979] 2 R.C.S. vii, et il affirme qu'il faut exclure toute procédure d'appel de l'examen en vertu de l'article 40 de la Loi.
[30] Somme toute, M. Mennes estime que la demande de Sa Majesté a pour objet de porter atteinte à son droit, en vertu de la common law, de comparaître devant les tribunaux et de faire échec à ses poursuites sans un examen de leur bien-fondé. Il estime que la demande est une attaque personnelle et il compare la situation à « l'hôpital qui se moque de la charité » .
ANALYSE PRÉLIMINAIRE
[31] Avant de décrire les diverses instances engagées par M. Mennes devant la Cour fédérale, il est utile de mentionner maintenant ses arguments pour que l'analyse qui suit soit plus cohérente et claire. La décision que j'ai prise relativement à plusieurs arguments d'ordre « technique » est fondée sur l'article 56 des Règles qui prévoit que l'inobservation d'une disposition n'entache pas de nullité l'instance, une mesure prise dans l'instance ou l'ordonnance en cause. Elle constitue une irrégularité régie par les articles 58 à 60. J'estime que les observations de M. Mennes ont pour objet de contester l'inobservation des Règles, par la demanderesse, et si cela s'avère nécessaire, j'estime que ces contestations sont des requêtes en vertu de l'article 58 des Règles.
[32] Concernant le dossier de la demanderesse, j'ai déjà mentionné que rien n'indique que M. Mennes ait été avisé des directives données par le protonotaire Lafrenière, le 20 mars 2003. Toutefois, il connaissait le contenu du dossier de la demanderesse le 6 mai 2004, quand ledit dossier lui a été signifié. La lettre du 6 mai de la demanderesse mentionnait les directives du tribunal concernant les affidavits. M. Mennes n'a pas contesté le dossier avant le 15 novembre lorsqu'il a déposé ses observations écrites, conformément à l'ordonnance que j'avais rendue. Il incombait à M. Mennes de présenter son objection concernant le dossier dès que possible après en avoir pris connaissance. M. Mennes n'a subi aucun préjudice puisque les affidavits à l'appui lui avaient été signifiés en janvier 2003. Je rejette donc l'argument ou la requête.
[33] Pour ce qui concerne l'omission, par la demanderesse, de mentionner qu'il s'agit de la Loi « modifiée » , j'estime qu'il n'y a pas eu pour autant inobservation des Règles, même eu égard à l'alinéa 301e). On tient pour avéré, lorsqu'on invoque une loi quelconque, qu'il s'agit de la loi telle que modifiée sauf mention expresse au contraire. La loi sur laquelle la demanderesse se fonde est claire et la réponse détaillée de M. Mennes à la demande révèle à coup sûr qu'il n'a subi aucun préjudice du fait que Sa Majesté n'a pas mentionné le mot « modifiée » en citant la Loi. Le principe contra proferentum qui s'applique en règle générale au droit des contrats et qui prévoit qu'en matière d'interprétation de documents, une ambiguïté doit être interprétée contre le rédacteur, ne s'applique pas en l'espèce.
[34] Cela dit, M. Mennes retirera néanmoins un certain avantage de ses observations. L'article 40 n'a pas été abrogé en 1990; il a été promulgué. Il n'existait pas jusqu'alors sous quelque forme que ce soit. La disposition a remplacé, au moment de sa promulgation, deux autres dispositions qui n'étaient liées d'aucune façon à la nouvelle. Je suis d'avis que, malgré l'absence de disposition précise relative aux instances vexatoires, la Cour a compétence pour exercer un contrôle sur sa procédure. Toutefois, dans les circonstances en cause, la demanderesse se fonde exclusivement sur l'article 40. Par conséquent, pour les fins de la présente affaire, la Cour ne tiendra pas compte des instances engagées par M. Mennes, devant quelque tribunal que ce soit, avant l'entrée en vigueur de l'article 40. Le chapitre F-8 des Lois du Canada, sanctionné le 29 mars 1990, est entré en vigueur le 1er février 1992 : décret TR/92-6, Gazette du Canada 1992 II 280.
[35] L'affidavit McCarthy ne sera pas écarté à cause de la date manquante sur la copie de M. Mennes. L'affidavit original comporte la date du « 31 » août 1999. L'avocat de la demanderesse a reconnu d'emblée que la copie de M. Mennes comportait une erreur qu'il n'a pas su expliquer sauf pour dire qu'un affidavit non assermenté lui avait peut-être été remis par inadvertance et de manière accidentelle. L'avocat s'est excusé et il a offert de remplacer l'affidavit par une copie régulière. Je rejette les allégations de « modification de documents » présentées par M. Mennes, ainsi que de contraventions au Code criminel du Canada qu'à dessein je n'ai pas mentionnées dans ma présentation de ses observations.
[36] Concernant l'inobservation du paragraphe 81(1) des Règles qui exige une connaissance personnelle du déclarant, la disposition a pour but d'empêcher une preuve de ouï-dire. Dans Éthier c. Canada (Commissaire de la G.R.C.), [1993] 2 C.F. 659 (C.A.), la Cour a dit que les documents obtenus du défendeur par l'entremise d'une demande en vertu des dispositions législatives sur l'accès à l'information respectaient les exigences en matière d'admissibilité de la preuve. En l'espèce, les paragraphes attaqués concernent les renseignements obtenus par le déclarant de Service correctionnel Canada (SCC) au sujet de la peine infligée à M. Mennes et le lieu de son incarcération, ainsi que les renseignements obtenus d'Agentis Information Services Inc. (une agence qui facilite la signification, la classification et la recherche de documents des tribunaux) concernant les poursuites intentées devant les tribunaux de la Colombie-Britannique. Il aurait certes été préférable et plus opportun de demander aux personnes nommément désignées de SCC et d'Agentis de signer les affidavits, mais les renseignements visés ne sont que des faits non contestés qui sont, pour la plupart, du domaine public. Selon le paragraphe 81(2) des Règles, la Cour peut accorder moins de poids à un affidavit qui ne contient pas la meilleure preuve. Je ne suis pas disposée à rayer les paragraphes contestés même si, comme je l'ai dit et quoi qu'il en soit, aucune instance antérieure à l'entrée en vigueur de l'article 40 ne sera prise en compte.
[37] En rapport avec les « pièces » jointes aux affidavits Hall et Rodgers, le paragraphe 80(3) règle la question. Les « pages blanches » comportant une désignation sont des « certificats » autorisés par la disposition.
[38] Concernant l'argument selon lequel Mme Rodgers, une avocate du ministre de la Justice, n'était pas autorisée à signer un affidavit, l'interdiction visée à l'article 82 des Règles s'applique à l'avocat qui est à la fois l'auteur d'un affidavit et celui qui présente des arguments fondés sur l'affidavit. La jurisprudence applicable, lorsqu'un autre avocat du même cabinet présente ses arguments relativement à une requête n'est pas fixée, sans doute parce que la question sera tranchée selon les circonstances de chaque affaire.
[39] Lorsqu'un affidavit a pour seul but de présenter des documents à la Cour et que la « preuve » n'est pas controversée, un avocat du même cabinet peut être autorisé à signer un affidavit, mais il ne peut présenter des arguments à cet égard. En l'espèce, Mme Rodgers était l'avocate chargée de la plupart des dossiers décrits dans son affidavit. Pour ce qui concerne les dossiers dont elle n'était pas responsable, elle les a examinés. Son affidavit ne fait que décrire l'historique des instances engagées par M. Mennes devant la Cour fédérale, pendant une période de temps précise, et elle y a annexé les pièces à l'appui. Même si M. Mennes conteste l'utilisation faite de ces documents par les avocats de Sa Majesté, cela n'a aucune lien avec le contenu des affidavits. Il ne s'agit pas d'une situation dans laquelle il serait inopportun qu'un avocat du ministère de la Justice soit l'auteur d'un affidavit.
[40] Je ne voudrais pas que l'on croie, à partir de ces conclusions, que je tolère l'inobservation des Règles. M. Mennes souligne, à bon escient, les commentaires de la juge Dawson dans Canada c. Olympia Interiors Ltd. (2001), 209 F.T.R. 182 (1re inst.) confirmé (2004), 323 N.R. 191 (C.A.F.) qui a dit que l'inobservation des Règles de la Cour n'était jamais un fait anodin. J'abonde dans le même sens et fais miens ses commentaires. Toutefois, il y a inobservation et inobservation. Les irrégularités commises par la demanderesse ne sont ni flagrantes, ni intentionnelles. Au contraire, elles révèlent un manque d'attention aux détails, et Sa Majesté, de toutes les parties, devrait être plus attentive et soignée. Cela dit, les articles 3 et 56 des Règles n'ont pas été adoptés en vain et j'estime que cette question doit être tranchée sur le fond.
[41] Je rejette l'argument de M. Mennes, fondé sur la décision Foy, précitée, selon lequel a) l'affidavit Rodgers ne devrait pas mentionner des instances qui ne visent pas M. Mennes et b) il faudrait exclure toute procédure d'appel. Dans l'arrêt Foy, la Cour, en interprétant la disposition ontarienne qui est semblable mais non identique à l'article 40, a dit qu'elle ne s'appliquerait pas à [traduction] « une instance engagée en réponse à une instance engagée par une autre partie ou la participation à une telle instance » . M. Mennes interprète cette décision comme voulant dire qu'il faut exclure toute instance à laquelle il aurait participé en tant que codemandeur ou toute instance engagée en son nom personnel et au nom de « tous les détenus du Canada qui sont pris en charge et gardés par le Service correctionnel du Canada en vertu de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition » . Selon moi, la décision Foy n'a pas le sens que lui donne M. Mennes. Dans les circonstances où M. Mennes est un demandeur, même avec d'autres parties, l'instance n'est pas exclue de l'examen parce qu'il ne s'agit pas d'une instance introduite par une autre partie, mais plutôt d'une instance introduite par M. Mennes et d'autres parties.
[42] Quant aux instances introduites par un autre détenu, lorsque, dans une demande ou une action, M. Mennes se propose de représenter un détenu dont il a obtenu une procuration, on peut dire que le raisonnement de la décision Foy s'applique. Toutefois, les Règles interdisent cette pratique et la jurisprudence de la Cour fédérale que nous examinerons plus tard dans les présents motifs donne une interprétation plus large de l'article 40 des Règles que la Cour d'appel de l'Ontario dans l'affaire Foy.
[43] Dans le même ordre d'idées, pour ce qui concerne l'exclusion des appels, la Cour fédérale a donné une interprétation plus large de l'expression « introduit des instances vexatoires » que celle donnée dans Foy. Aux termes de l'article 2 des Règles, une « action » est une instance visée à l'article 169, une « demande » est une instance visée à l'article 300 et un « appel » est une instance visée à l'article 355. En outre, les observations du juge Blair, au nom de la Cour, dans l'affaire Mascan Corp. c. French (1988) 49 D.L.R. (4th) 434 (C.A. Ont.) sont sans équivoque. La loi de l'Ontario a été modifiée par suite de la décision Foy, précitée, et aujourd'hui une décision rendue par les cours de l'Ontario concernant une partie qui introduit des instances vexatoires comporte une [traduction] « appréciation réaliste de toutes les instances, qu'il s'agisse d'une instance initiale, interlocutoire ou par voie d'appel [...] » . Je conclus donc que les appels ne peuvent être exclus de l'examen dans une demande relative à l'article 40 de la Loi.
[44] Quant à la question de savoir si l'article 221 des Règles propose une autre solution, telle solution doit être adéquate. L'article 221, en soi, n'enlève pas l'obligation d'un défendeur ou d'un intimé de prendre l'initiative dans une instance. Si l'article 221 prévoyait la solution mentionnée par M. Mennes, l'article 40 de la Loi serait redondant. Le législateur n'est pas censé s'exprimer inutilement. Je conviens avec le défendeur que, lorsqu'il existe un grand nombre d'instances, l'article 221 des Règles propose une approche au coup par coup et l'article 40 de la Loi prévoit une approche plus globale. Le même raisonnement s'applique à l'argument concernant la futilité d'une telle déclaration qui ne ferait qu'ajouter une autre étape au litige. L'autorisation sera accordée lorsqu'il s'agit d'une instance fondée sur des motifs raisonnables qui ne constitue pas un abus de procédure.
[45] Il n'y a aucun délai de prescription relativement à une demande en vertu de l'article 40 de la Loi. La disposition peut être invoquée lorsque les litiges constituent un problème continu. Elle a pour objet de protéger l'intérêt public, l'administration de la justice et l'administration judiciaire, ainsi que les intérêts d'une partie soumise à des instances vexatoires. Il n'est pas pertinent de savoir qu'aucune demande n'a été présentée avant 2003, alors qu'un affidavit décrivant les activités de M. Mennes devant la Cour pendant les années 1990, pour les fins des présentes, a été signé en août 1999. Ce n'est pas parce que la demanderesse n'a pris aucune mesure avant janvier 2003 qu'elle a donné son accord.
[46] Concernant l'argument des « mains nettes » , M. Mennes mentionne ses requêtes ex parte et il demande que je les examine. Je l'ai fait parce que j'avais promis à M. Mennes de le faire. Je vais brièvement commenter les requêtes plus loin dans les présents motifs. Toutefois, comme le prévoit l'ordonnance que j'ai rendue le 6 octobre 2004, la présente demande vise une seule question et aucun argument ni observation relativement à des questions accessoires ne sera examiné. L'argument selon lequel Sa Majesté ne s'est pas présentée les « mains nettes » devant la Cour n'a pas été étayé par la preuve dont je suis saisie.
INSTANCES DEVANT LA COUR FÉDÉRALE
[47] Je vais maintenant examiner l'historique des instances introduites par M. Mennes devant la Cour fédérale depuis l'entrée en vigueur de l'article 40. Pour ce qui touche les instances devant la Cour fédérale décrites dans l'affidavit McCarthy, l'historique exclut les instances mentionnées aux paragraphes 4 à 79 et 114 à 116 de l'affidavit.
[48] Certaines des instances décrites dans l'historique ci-dessous ont un rapport avec les directives du juge en chef de la Cour fédérale données le 7 mai 1992 et, pour des raisons de commodité, j'en parle à l'instant. Les directives ordonnent, en partie, « [q]ue tout document que M. Mennes présente pour dépôt ne soit pas versé au dossier avant d'avoir été préalablement examiné par un protonotaire qui établira s'il contient des propos scandaleux, insultants ou injurieux qui ne devraient pas être versés à un dossier de la Cour » . Le 16 février 1998, l'administratice judiciaire du juge en chef a avisé M. Mennes par écrit que les directives demeuraient en vigueur et s'appliquaient à tout document que M. Mennes tenterait de déposer à la Cour.
[49] Les limites de temps ne permettent pas un examen exhaustif de chacun des dossiers. Par conséquent, j'ai décidé d'examiner le premier dossier en détail et je constate que, dans l'ensemble, il est représentatif des divers dossiers mentionnés dans l'historique.
Dossier de la Cour no T-289-91
[50] Cette instance a été introduite le 6 février 1991, mais plusieurs mesures ont été prises après l'entrée en vigueur de l'article 40. L'acte introductif d'instance n'est mentionné que pour décrire le contexte des mesures prises après le 1er février 1992. Aucune demande interlocutoire déposée avant cette date n'est mentionnée.
[51] Le 6 février 1991, M. Mennes a déposé une déclaration en vue de demander une ordonnance de restitution, pour lui-même ainsi que pour plusieurs de ses sociétés, notamment de sa santé et de sa jeunesse, ainsi que sa réintégration dans diverses organisations. La déclaration a été modifiée à trois reprises. Le 6 avril 1992, M. Mennes a déposé un avis de requête en vue d'obtenir une ordonnance condamnant [Pierre Untel], c.r., pour outrage au tribunal; une ordonnance lui accordant l'autorisation d'obtenir et de faire exécuter un bref de contrainte à l'égard de [Pierre Untel]; une ordonnance d'ajournement des autres parties de sa requête en attendant l'exécution du bref de contrainte; une ordonnance d'incarcération de [Pierre Untel] et d'autres ordonnances. Il a également déposé une mise en demeure exigeant des excuses immédiates de la part de [Pierre Untel] et avisant la Cour des mesures que M. Mennes et le ministre de la Justice allaient prendre ou avaient prises.
[52] Le 21 avril 1992, M. Mennes a déposé un avis de requête relativement à la réparation demandée dans sa nouvelle déclaration modifiée. Le 29 avril 1992, le juge Rouleau a dit qu'une ordonnance [traduction] « rendue par le juge en chef adjoint radiant la déclaration de M. Mennes dans le dossier de la Cour no T-1231-91 s'applique également en l'espèce » . Le juge Rouleau a rejeté la demande d'outrage au tribunal présentée en vertu de l'article 324 relativement à [Pierre Untel] et il a interdit à M. Mennes de présenter toute autre demande devant la Cour fédérale sans le consentement exprès d'un juge de la Cour.
[53] Le 22 juin, M. Mennes a déposé un avis de requête afin d'obtenir une ordonnance lui permettant de retirer les pièces originales du dossier. Le 27 juin 1994, le protonotaire Hargrave a ordonné que la carte de citoyenneté et le certificat commémoratif de citoyenneté de M. Mennes lui soient rendus à condition qu'une photocopie des documents soit versée au dossier. Il a rejeté le reste de la requête. Le 15 janvier 1997, le juge Joyal a rejeté la demande d'ordonnance de M. Mennes afin d'annuler l'ordonnance du juge Rouleau datée du 29 avril 1992.
[54] Le 18 septembre 1997, le juge en chef adjoint Jerome a radié tous les actes de procédure dans cette action, avec effet rétroactif. Le 23 septembre 1997, M. Mennes a acheminé les documents à l'administrateur de la Cour l'avisant qu'il allait bientôt déposer des documents et des instructions concernant les autres requêtes. Le 2 décembre 1997, le juge Joyal a rejeté une demande d'ordonnance de justifier.
Dossier de la Cour no A-566-92
[55] Le 29 avril 1992, M. Mennes a déposé un avis d'appel de l'ordonnance du juge Rouleau, datée du 28 avril 1992, dans le dossier de la Cour no T-289-91. Avant l'audition de l'appel, M. Mennes a déposé six requêtes et écrit plusieurs lettres. La Cour a donné quatre directives, émis quatre certificats et rendu sept ordonnances. Quant à la décision prise, le 9 septembre 1997, la Cour d'appel fédérale a accueilli l'appel et renvoyé l'affaire devant le juge en chef adjoint pour signature d'une ordonnance avec effet rétroactif, dans le dossier de la Cour no T-289-91, afin de mettre en oeuvre les motifs du 24 juillet 1991. La Cour d'appel a également renvoyé l'affaire devant la Section de première instance pour décision concernant la requête de M. Mennes en vertu de l'ancien article 1733 des Règles. La demande de suspension d'instance a été rejetée.
Dossier de la Cour no A-306-92
[56] Le 3 mars 1992, M. Mennes a déposé un avis d'appel en rapport avec la décision de la juge Reed dans le dossier de la Cour no T-7-92. M. Mennes a déposé deux autres requêtes et la Cour a rendu cinq ordonnances en rapport avec cette question. Le 9 septembre 1997, l'appel a été rejeté.
Dossier de la Cour no T-1724-92
[57] Le 7 août 1997, M. Mennes a déposé un avis de requête introductif d'instance en contrôle judiciaire afin d'obtenir un bref de certiorari et de mandamus en rapport avec un transfèrement à l'établissement de Warkworth et son grief de détenu. M. Mennes a déposé deux requêtes interlocutoires; le tribunal a donné quatre directives; le juge Muldoon a rejeté la demande de contrôle judiciaire le 7 mai 1998. Le 9 juin 1998, M. Mennes a tenté de déposer un dossier de requête afin de demander une réparation en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte, savoir une recommandation concernant l'ordonnance du juge Muldoon.
Dossier de la Cour no T-253-98
[58] Le 13 février 1998, M. Mennes a déposé un avis de requête introductif d'instance. Il demandait un pardon en vertu de l'article 690 du Code criminel, une ordonnance de certiorari et une suspension de l'instance dans le dossier de la Cour no T-289-91. Encore une fois, il y a eu plusieurs requêtes et ordonnances. Le 21 juillet 1998, le protonotaire Hargrave a ordonné que le dossier de requête soit rejeté au motif que les documents « cont[enaient] une question scandaleuse, insultante ou abusive » . Il a autorisé la présentation d'un dossier de requête modifié. Le 10 novembre 1998, le protonotaire Hargrave a annulé la procédure sans autorisation de la modifier. M. Mennes a par la suite continué de tenter de déposer des documents en rapport avec ce dossier, notamment des requêtes et avis de questions constitutionnelles.
Dossier de la Cour no T-538-98
[59] Le 16 mars 1998, M. Mennes a demandé le contrôle judiciaire de la directive du juge en chef datée du 7 mai 1992. Le juge Richard, alors juge de la Cour fédérale, a rejeté la demande.
Dossier de la Cour no A-402-98
[60] Le 26 juin 1998, M. Mennes a interjeté appel de l'ordonnance rendue dans le dossier de la Cour no T-538-98. Il a demandé une ordonnance en vue d'obliger Mme Rodgers à comparaître afin de répondre à une accusation d'outrage pour avoir déposé une requête qui, selon M. Mennes, était illégale. Il a demandé la même réparation en rapport avec le juge Richard pour avoir ordonné la radiation de l'avis de requête introductif d'instance. Le 14 août 1998, M. Mennes a présenté une requête dans laquelle il demandait notamment une ordonnance afin d'obliger Robert Biljan, administrateur judiciaire, à comparaître afin de répondre à une accusation d'outrage à cause du délai allégué de deux semaines entre la date de l'ordonnance du juge Richard et la date à laquelle ladite ordonnance avait été envoyée à M. Mennes. La requête a été rejetée et l'appel a été rejeté le 21 septembre 1999.
Dossier de la Cour no T-1844-98
[61] Le 23 septembre 1998, M. Mennes a signifié une déclaration au procureur général dans laquelle il sollicitait une déclaration portant que le paragraphe 70(2) des Règles contrevenait à diverses dispositions de la Charte. Par suite d'une requête en vue d'obtenir une gestion spéciale, le dossier de requête a été rejeté à deux reprises au motif qu'il contenait des documents insultants et abusifs. M. Mennes s'est désisté de la procédure le 20 décembre 2001.
Dossier de la Cour no T-1845-98
[62] Le 23 septembre 1998, M. Mennes a signifié une déclaration au procureur général dans laquelle il demandait des dommages-intérêts en alléguant faute et violation de la Charte, par le SCC, en rapport avec son refus de l'autoriser à acheter un ordinateur d'un autre détenu, ainsi qu'en rapport avec le résultat de griefs accessoires. Il lui a été refusé de déposer son dossier de requête relativement à la demande de gestion spéciale de l'affaire. La procédure a été abandonnée le 20 décembre 2001.
Dossier de la Cour no T-2019-98
[63] Le 16 octobre 1998, M. Mennes a déposé un avis de demande de contrôle judiciaire de la décision qui aurait été rendue par le gouverneur en conseil et SCC concernant la procédure de grief des détenus du SCC. Les documents afférents à la requête demandant que la question fasse l'objet d'une gestion spéciale n'ont pas été acceptés au dossier. Le procureur général a présenté une requête en irrecevabilité et M. Mennes a répondu en déposant une requête demandant notamment des directives permettant que la demande devienne une action et un injonction pour empêcher SCC d'exiger qu'il paye les photocopies. Le 3 février 1999, le juge Blais a rejeté la requête incidente, il a accordé la requête du procureur général et a rejeté la demande avec dépens.
Dossier de la Cour no A-146-99
[64] Le 26 février 1999, M. Mennes a interjeté appel de la décision du juge Blais dans le dossier no T-2019-98. L'audience devait avoir lieu le 10 septembre 2001 et, le 1er août 2001, le juge en chef a ordonné [traduction] « la comparution du détenu » . M. Mennes a écrit à deux reprises à la Cour pour demander que son appel soit entendu sur dossier sans qu'il soit obligé de comparaître en personne. Avant d'avoir reçu une réponse, il a signifié et déposé un avis de désistement. Le 16 août 2001, il a écrit au procureur général pour lui faire part de son intention de se désister de toutes ses actions devant la Cour fédérale en réponse à l'ordonnance du juge en chef lui enjoignant de comparaître à l'audience de l'appel. Il a prétendu que l'ordonnance du juge en chef Richard était illégale et qu'il s'agissait en quelque sorte d'un enlèvement. Il a dit qu'il avait l'intention de porter une accusation contre le juge en chef, de le poursuivre et peut-être d'intenter une poursuite en dommages-intérêts contre lui pour une conduite que M. Mennes a qualifiée de criminelle. Le 25 septembre 2001, M. Mennes a voulu annuler le désistement. Le juge Noël a ordonné l'annulation du désistement et, le 20 décembre 2001, M. Mennes s'est désisté de la procédure.
Dossier de la Cour no T-033-99
[65] Le 8 janvier 1999, M. Mennes a intenté une action en libelle diffamatoire contre le ministère de la Justice en se fondant sur certaines déclarations dans les arguments présentés dans d'autres instances lorsque la Cour avait dit que M. Mennes intentait des instances frivoles et vexatoires. La Cour a accueilli la requête en radiation du défendeur. Dans une ordonnance datée du 1er mars, la juge Reed a ordonné la radiation de la déclaration.
Dossier de la Cour no T-207-00
[66] Le 3 février 2000, M. Mennes a demandé un jugement déclaratoire affirmant que le Comité de la justice et des droits de la personne, un comité de la Chambre des communes qui n'avait pas entendu M. Mennes pendant son examen de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, avait violé ses droits en vertu de la Charte. Le 24 mai 2000, le protonotaire Giles a accueilli la requête en radiation présentée par le procureur général. Le 28 mai 2000, M. Mennes a présenté une déclaration modifiée; le protonotaire Aronovitch a dit que la déclaration ne pouvait pas être déposée. M. Mennes a déposé une requête en autorisation de modifier l'ordonnance du protonotaire Giles pour qu'il soit autorisé à modifier la déclaration. La juge Tremblay-Lamer a rejeté la requête dans l'ordonnance datée du 6 novembre 2000.
Dossier de la Cour no A-752-00
[67] M. Mennes a interjeté appel de l'ordonnance de la juge Tremblay-Lamer dans le dossier de la Cour no T-207-00, mais il s'est désisté de la procédure le 18 février 2002.
Dossier de la Cour no T-2351-00
[68] Le 19 décembre 2000, M. Mennes a déposé une demande de contrôle judiciaire qui visait plusieurs défendeurs dont le commissaire du Service correctionnel du Canada, le SCC, la Bibliothèque nationale du Canada et le ministre de la Santé. La demande visait le rejet, par le SCC, d'un grief de M. Mennes concernant les draps de lit. Conformément à l'ordonnance du juge Pelletier, une requête ex parte a été annexée au dossier de la Cour. Dans une ordonnance datée du 7 décembre 2001, le juge Blais a rejeté la demande de contrôle judiciaire.
Dossier de la Cour no A-366-01
[69] Le 12 juin 2001, M. Mennes a interjeté appel de l'ordonnance du juge Pelletier et il a demandé notamment que la Cour accueille la requête ex parte. Le 13 juillet 2001, il a demandé une prolongation du délai de signification de son avis d'appel. La prolongation a été accordée le 14 septembre 2001 et, le 18 février 2002, M. Mennes s'est désisté de l'appel.
Dossier de la Cour no A-9-02
[70] Le 8 janvier 2002, M. Mennes a interjeté appel de l'ordonnance du juge Blais datée du 7 décembre 2001. Aucune entente n'a pu être conclue concernant le contenu du dossier d'appel. Le 15 juillet 2002, un avis d'examen de l'état de l'instance a été émis. Le 12 août 2002, M. Mennes a demandé une prolongation du délai qui a été accordée ainsi que d'autres mesures demandées, le 9 septembre. Le 10 septembre, il a demandé le réexamen de l'ordonnance du 9 septembre. La requête a été rejetée le 5 décembre 2002. Le 18 février 2003, l'appel a été rejeté. La demande d'autorisation d'interjeter appel devant la Cour suprême a été rejetée le 18 septembre 2003.
Dossier de la Cour no T-598-02
[71] Le 12 avril 2002, M. Mennes a déposé une déclaration sollicitant une ordonnance déclaratoire de Sa Majesté selon laquelle il avait droit à ce que la défenderesse respecte [traduction] « les lois de Dieu, la profession véritable de l'Évangile le plus possible » . Dans une ordonnance datée du 24 juin 2002, le juge Blais a radié l'ensemble de la déclaration au motif qu'elle ne présentait aucune cause d'action raisonnable et qu'elle était frivole et vexatoire et qu'elle constituait un abus de procédure.
Dossier de la Cour no A-440-02
[72] Le 25 juillet 2002, M. Mennes a déposé un avis d'appel relativement à l'ordonnance du 24 juin du juge Blais dans le dossier T-598-02. Le 12 novembre 2002, il a demandé une prolongation du délai qui lui a été accordée le 3 décembre 2002. Le 24 février 2003, M. Mennes a déposé une requête sollicitant une ordonnance de la Cour pour que soit déposé un recueil conjoint de jurisprudence et de doctrine et que le recueil de la défenderesse soit retiré du dossier de la Cour. Dans une lettre datée du 24 février 2003, il a demandé que son appel soit entendu sur les documents écrits qu'il avait déposés sans sa comparution personnelle. Le 31 mars 2003, les deux requêtes relatives aux recueils de jurisprudence et de doctrine ont été rejetées et, conformément à sa demande, M. Mennes a obtenu l'autorisation de déposer un recueil distinct qui ne contenait que le paragraphe 861, Vol. 8, de Halsbury's Laws of England (4th). Le 17 juin 2003, son appel a été rejeté. Le 17 novembre 2003, la demande d'autorisation d'interjeter appel devant la Cour suprême a été rejetée.
[73] En outre, M. Mennes a tenté, dans le dossier de la Cour no T-80-98, ainsi que dans le dossier de la Cour no T-879-96, de représenter d'autres détenus dans des actions et demandes devant la Cour, contrairement aux articles 119 et 121 des Règles. Il a soutenu qu'il en avait le droit en vertu d'une procuration que lui avait donnée les détenus. M. Mennes aurait apparemment cessé cette pratique.
[74] Tel que susmentionné, M. Mennes a institué d'autres instances depuis la signature des affidavits et le dépôt de la présente demande. Plus précisément, il a intenté cinq actions, savoir les dossiers de la Cour nos T-2051-02, T-1324-03, T-318-03, T-1436-03 et T-477-04 et demandé cinq contrôles judiciaires, savoir les dossiers de la Cour nos T-2167-02, T-1980-02, T-458-03, T-405-03 et T-97-03. Je n'ai pas compté le nombre de requêtes interlocutoires en rapport avec ces questions.
[75] DISPOSITION LÉGISLATIVE
L'article 40 de la Loi sur les Cours fédérales prévoit :
40. (1) La Cour d'appel fédérale ou la Cour fédérale, selon le cas, peut, si elle est convaincue par suite d'une requête qu'une personne a de façon persistante introduit des instances vexatoires devant elle ou y a agi de façon vexatoire au cours d'une instance, lui interdire d'engager d'autres instances devant elle ou de continuer devant elle une instance déjà engagée, sauf avec son autorisation. |
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40. (1) If the Federal Court of Appeal or the Federal Court is satisfied, on application, that a person has persistently instituted vexatious proceedings or has conducted a proceeding in a vexatious manner, it may order that no further proceedings be instituted by the person in that court or that a proceeding previously instituted by the person in that court not be continued, except by leave of that court. |
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(2) La présentation de la requête visée au paragraphe (1) nécessite le consentement du procureur général du Canada, lequel a le droit d'être entendu à cette occasion de même que lors de toute contestation portant sur l'objet de la requête. |
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(2) An application under subsection (1) may be made only with the consent of the Attorney General of Canada, who is entitled to be heard on the application and on any application made under subsection (3). |
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(3) Toute personne visée par une ordonnance rendue aux termes du paragraphe (1) peut, par requête au tribunal saisi de l'affaire, demander soit la levée de l'interdiction qui la frappe, soit l'autorisation d'engager ou de continuer une instance devant le tribunal. |
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(3) A person against whom a court has made an order under subsection (1) may apply to the court for rescission of the order or for leave to institute or continue a proceeding. |
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(4) Sur présentation de la requête prévue au paragraphe (3), le tribunal saisi de l'affaire peut, s'il est convaincu que l'instance que l'on cherche à engager ou à continuer ne constitue pas un abus de procédure et est fondée sur des motifs valables, autoriser son introduction ou sa continuation. |
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(4) If an application is made to a court under subsection (3) for leave to institute or continue a proceeding, the court may grant leave if it is satisfied that the proceeding is not an abuse of process and that there are reasonable grounds for the proceeding.(5) La décision du tribunal rendue aux termes du paragraphe (4) est définitive et sans appel. L.R. (1985), ch. F-7, art. 40; 1990, ch. 8, art. 11; 2002, ch. 8, art. 39. |
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(5) A decision of the court under subsection (4) is final and is not subject to appeal. R.S., 1985, c. F-7, s. 40; 1990, c. 8, s. 11; 2002, c. 8, s. 39.
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ANALYSE
[76] Une ordonnance en vertu du paragraphe 40(1) est une réparation extraordinaire. Toutefois, dans les dossiers opportuns, le réparation s'impose pour maintenir le respect du processus judiciaire et pour protéger d'autres personnes contre les litiges frivoles et inutiles : Olympia Interiors, précité. Puisque la disposition de la Loi est semblable à la disposition correspondante de la loi ontarienne, les jugements rendus par les tribunaux ontariens peuvent nous guider : Vojic c. Canada (Ministre du Revenu national), [1992] AC.F. no 902 (1re inst.).
[77] Dans l'affaire Re Lang Michener et al. and Fabian et al. (1987), 37 D.L.R. (4th) 685, le juge Henry a examiné la jurisprudence ontarienne et il en a extrait les principes suivants concernant les instances vexatoires :
[traduction]
a) constitue une procédure vexatoire le fait d'intenter une ou plusieurs actions pour décider d'une question qui a déjà été tranchée par un tribunal compétent;
b) l'action est vexatoire s'il est évident qu'une action ne peut aboutir, ou bien si celle-ci ne peut absolument rien donner de bon, ou bien si aucune personne raisonnable ne peut raisonnablement s'attendre à obtenir un moyen de redressement;
c) l'action est vexatoire notamment si elle a un but inopportun, notamment le harcèlement et l'oppression d'autres parties par une multitude d'instance qui n'ont pas pour objet de revendiquer des droits légitimes;
d) les instances vexatoires présentent cette caractéristique générale que les motifs et questions soulevés tendent à être repris dans d'autres actions subséquentes, où ils sont répétés et apprêtés de rajouts, souvent de pair avec des poursuites contre les avocats qui ont représenté la partie ou la partie adverse par le passé;
e) en décidant si une instance est vexatoire, la Cour doit tenir compte de toute l'historique de l'affaire et non seulement de savoir si, à l'origine, il s'agissait d'une bonne cause d'action;
f) le fait que la personne qui institue la procédure ne paie pas les dépens lorsqu'elle n'a pas gain de cause est un des facteurs dont il faut tenir compte pour décider si l'instance est vexatoire;
g) la conduite du défendeur qui persiste à interjeter appel de décisions judiciaires tout en n'ayant jamais gain de cause peut constituer une conduite vexatoire.
[78] Les catégories d'instances vexatoires ne sont pas délimitées : Vojic, précité. Outre les circonstances établies dans Re Lang Michener, précité, les instances suivantes ont été jugées vexatoires :
- la Cour n'a pas compétence pour accorder la réparation demandée : Foy, précité;
- l'instance a pour but de retarder d'autres instances : Mascan Corp. précité;
- la partie au litige a institué une action, mais elle n'a pas poursuivi un grand nombre d'instances avec diligence : Yorke c. Canada (1995), 102 F.T.R. 189 (1re inst.);
- les plaidoiries contiennent un grand nombre d'allégations outrancières ou exagérées qui ne sont pas fondées : ibid.;
- la partie a fait preuve de mépris à l'égard de la Cour : Vojic, précité;
- la partie a distribué des documents judiciaires à des individus qui n'avaient rien à voir avec l'affaire, et ce pour des motifs étrangers au litige : Société canadienne des postes c. Varma (2000), 192 F.T.R. 278 (C.F. 1re inst.);
- la partie a eu recours à des tactiques abusives pendant le litige : Nelson c. Canada, 2002 CFPI 77, confirmé (2003), 301 N.R. 359 (C.A.F.), autorisation d'interjeter appel rejetée, [2003] C.S.C.R. no 139.
[79] La question de savoir si une instance est vexatoire doit être tranchée en appliquant des normes objectives plutôt que subjectives : Foy, précité. En prenant sa décision, la Cour peut admettre d'office ses propres dossiers et les instances qui s'y trouvent : ibid.; Varma, précité.
[80] Les instances que j'ai mentionnées démontrent qu'à plusieurs reprises, les instances introduites par M. Mennes ont été radiées par suite d'une requête préliminaire au motif qu'elles ne révélaient aucune cause raisonnable d'action ou parce qu'elles étaient frivoles, vexatoires et qu'elles constituaient un abus de procédure (T-289-91, T-253-98, T-538-98, T-2019-98, T-033-99, T-207-00, T-598-02).
[81] Depuis le dépôt de la présente demande, d'autres actions ont été radiées. Lorsque l'avis de la présente demande a été signifiée à M. Mennes, il a déposé une nouvelle demande indépendante de contrôle judiciaire du consentement du procureur général à entendre la demande en vertu du paragraphe 40(1). En radiant la demande de M. Mennes, le protonotaire Lafrenière a conclu qu'elle n'aurait aucune possibilité d'être accueillie. Le protonotaire a souligné que l'approche de M. Mennes en matière de litige était une stratégie [traduction] « qui avait pour objet précis de retarder et de contrecarrer systématiquement la poursuite de la demande en vertu de l'article 40 » .
[82] Dans le dossier no T-97-03, M. Mennes sollicitait un jugement déclaratoire selon lequel les défendeurs auraient perpétré certains actes criminels et qu'ils devaient faire l'objet de poursuites par la Gendarmerie royale du Canada. Le 29 juillet 2003, la protonotaire Tabib a dit que la Cour n'avait pas compétence pour accorder la réparation demandée.
[83] Dans le dossier A-146-99 (mentionné plus haut), M. Mennes a demandé notamment que la Cour d'appel déclare que six juges de la Cour fédérale avaient violé le livre du Deutéronome. Dans le dossier T-1844-98 (susmentionné), l'affidavit de M. Mennes contenait la demande suivante :
[traduction]
Je demande que les juges suivants ne soient pas choisis :
M. le juge Rouleau;
M. le juge Cullen;
M. le juge Nadon;
M. le juge Joyal;
M. le juge Hugesson;
M. le juge Richard;
M. le juge Gibson;
Madame la juge Tremblay-Lamer;
Madame la juge Reed.
La Canadian Prison Law Association et le groupe de revendications des détenus, Chambre des communes, ont fait circuler le nom de tous les juges susnommés au motif qu'ils ont la réputation d'être hostiles et injustes envers les parties défavorisées qui poursuivent en personne, de leur causer des difficultés d'ordre procédural et de leur occasionner des dépenses. De plus en plus de renseignements précis sont recueillis au sujet de ces juges et d'autres juges semblables pour que leur nom ainsi que les problèmes qu'ils causent soient signalés au comité permanent sur la justice et les droits de la personne, Chambre des communes ,et pour que la Chambre des communes et le Sénat examinent la possibilité de les démettre de leurs fonctions.
[84] Dans le dossier no A-146-99 (susmentionné), alors qu'il menaçait de porter des accusations contre le juge en chef Richard, de le poursuivre et peut-être d'intenter une action en dommages-intérêts contre ce dernier, M. Mennes a transmis une copie de ses documents à 28 autres personnes et organisations, notamment le Globe and Mail, divers députés et les Nations Unies.
[85] Dans le dossier no T-2351-00 (susmentionné), M. Mennes a prétendu que parce que la poésie d'Irving Layton établit [traduction] « la norme d'expression » obligatoire sur le plan juridique au Canada, il ne fallait pas rejeter un de ses griefs au motif qu'il contenait des termes obscènes. Dans le dossier no T-253-98 (susmentionné), le protonotaire Hargrave a radié la demande de M. Mennes au motif qu'elle était fondamentalement entachée. Le protonotaire a dit que parmi les quatre affidavits de M. Mennes, l'un comportait des _ accusations diffamatoires et non pertinentes » , l'autre était « une resucée des poursuites pénales passées » qui « consiste en grande partie en divagations incohérentes et un autre renfermait « un fouillis de références à la jurisprudence, à la loi écrite et à la Bible » .
[86] M. Mennes, quand on lui signifie une requête contraire à ses intérêts, au lieu d'y répondre avec des documents pertinents, dépose fréquemment une nouvelle requête en radiation de la première ou pour citer son adversaire pour outrage au tribunal. Il introduit également l'objet du dossier d'un litige dans un autre dossier. Au cours de la présente demande, il a commencé par déposer une requête en suspension de l'instance et, plus tard, il a présenté trois requêtes ex parte. Les requêtes présentaient des allégations dont la Cour avait déjà été saisie dans des instances engagées par M. Mennes. Il s'agit notamment de l'utilisation d'un ordinateur dans un pénitencier (déjà soulevée dans le dossier no T-1324-03) et de la saisie de contrebande (déjà soulevée dans le dossier no T-1436-03). Ces questions ont de nouveau été soulevées récemment dans une nouvelle demande (T-477-03).
[87] Il a également souvent déposé des requêtes ex parte en vertu de l'article 467 pour demander que des fonctionnaires, avocats, employés du SCC, membres du personnel administratif judiciaire et juges soient cités pour outrage au tribunal. Ses requêtes ex parte en rapport avec la présente demande sollicitent précisément ce dénouement.
[88] Concernant les instances que j'ai examinées, M. Mennes n'a eu gain de cause dans aucune d'elles. À ma connaissance, il n'a eu gain de cause qu'une seule fois, devant la Cour d'appel (A-566-92). Dans cette affaire, la Cour d'appel a décidé que le juge du procès avait outrepassé sa compétence en déclarant que M. Mennes instituait des instances vexatoires alors qu'il n'avait été saisi d'aucune demande en ce sens.
[89] Selon moi, et avec tout le respect que je dois à M. Mennes, il est inconcevable de prétendre que les instances que j'ai examinées ne sont que [traduction] « des litiges ordinaires qui comportent d'inévitables erreurs de jugement » . La preuve établit, d'une manière irréfutable, que M. Mennes a de façon persistante introduit des instances vexatoires ou qu'il a agi de façon vexatoire au cours d'une instance.
[90] Pour tirer cette conclusion, j'ai tenu compte des observations de M. Mennes et j'ai examiné les récentes requêtes ex parte, tel que demandé. Malheureusement, il me semble que ces requêtes, ainsi que les instances décrites dans les présents motifs sont très semblables.
[91] M. Mennes affirme qu'il a été très minutieux en rédigeant ses documents et qu'il a [traduction] « consulté et respecté les modèles de plaidoiries de Bullen, de Leake et Jacob » . J'en suis convaincue. La forme des documents qu'il a présentés ne soulève aucun problème. C'est leur contenu qui est offensant. Les requêtes ex parte sur lesquelles il se fonde en grande partie font valoir les motifs de rendre une ordonnance pour outrage au tribunal contre l'administrateur judiciaire, le sous-ministre de la Justice, divers employés du SCC, divers procureurs du ministère de la Justice et ainsi de suite. M. Mennes me demande en outre de tenir compte du fait que le juge Pelletier ne l'aurait pas renseigné au sujet du droit applicable quand il a rendu son ordonnance dans le dossier de la Cour no T-2351-00, ainsi que [traduction] « l'omission délibérée de la part de Sygias et al. de mentionner l'affaire Mennes c. Canada (1988) dans leur ouvrage sur la procédure devant la Cour fédérale » . Il sollicite des dommages-intérêts ou un dédommagement de divers demandeurs pour des montants qui vont de 10 000 $ à 80 000 $ et l'imposition d'[traduction] « une peine d'emprisonnement de 5 ans moins un jour s'ils ne respectent pas l'ordonnance de payer » .
[92] M. Mennes insiste pour dire qu'il a été victime de fautes qui auraient été perpétrées par le personnel de SCC et qu'il faut en tenir compte. Les requêtes ex parte mentionnent également notamment, les dossiers juridiques, l'ordinateur et les ouvrages de droit qui auraient été saisis ainsi que la violation de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition concernant son courrier et l'imposition de mesures disciplinaires et du processus de grief. Il ne m'appartient pas, en l'espèce, de décider si M. Mennes a subi un quelconque préjudice. Il a peut-être raison, en tout ou en partie. Le SCC n'a pas agi avec beaucoup d'intelligence quand il ne lui a pas remis les documents dont il avait besoin pour la téléconférence organisée dans le cadre de la présente instance. Toutefois, en décidant si des instances sont de nature vexatoire, il faut tenir compte de la procédure telle qu'elle existe et même les allégations les mieux fondées ne justifient pas des mesures abusives : Nelson, précité; Re Lang Michener et al. and Fabian et al., précité.
[93] J'ai également examiné, à la demande de M. Mennes, les commentaires du juge Muldoon dans Mennes c. Canada (1988), 23 F.T.R. 181 (1re inst.) selon lesquels : « la Cour prêtera toujours l'oreille aux demandes de redressement provenant de derrière les barreaux d'une prison » car personne ne doit se voir refuser « l'accès à la cour » . Le juge Muldoon, je le constate, a également dit qu'il y avait des limites. En outre, ce n'est pas parce que la déclaration demandée est accordée que M. Mennes n'a pas le droit de comparaître devant le tribunal; il faudra veiller à ce que les instances qu'il instituera à l'avenir ne sont pas un abus de procédure et qu'il existe des motifs raisonnables de les accueillir. Le juge Sedgwick, dans Mishra, précité, a mentionné le droit de comparaître devant un tribunal et il a dit que ce droit devait être [traduction] « exercé d'une manière raisonnable et en tenant dûment compte des règles de procédure et de l'intégrité de l'administration de la justice, notamment la protection des autres qui font l'objet, à tort et à travers, d'instances vexatoires » .
[94] M. Mennes est très compétent pour ce qui touche la forme des documents judiciaires. S'il souhaite obtenir réparation au sujet de certains « préjudices » allégués, il doit s'efforcer d'obtenir une connaissance comparable pour ce qui concerne le fond. Jusqu'à maintenant, il s'est montré incapable de faire la différence entre ce qui est raisonnable et ce qui ne l'est pas tant à l'égard des plaintes qu'il a formulées qu'à l'égard des réparations demandées.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE :
(1) Il est interdit à Emile Marguerita Marcus Mennes d'engager d'autres instances devant la Cour ou de continuer devant elle une instance déjà engagée, sauf avec l'autorisation de la Cour.
(2) La Cour adjuge les dépens en faveur de la demanderesse, lesquels dépens sont établis à 750 $ qui devront être payés par le défendeur à la demanderesse.
_ Carolyn A. Layden-Stevenson _
Juge
Traduction certifiée conforme
Jacques Deschênes, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-21-03
INTITULÉ : SA MAJESTÉ LA REINE
c.
EMILE MARGUERITA MARCUS MENNES
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE : LES 5, 6 ET 30 NOVEMBRE
ET LE 1ER DÉCEMBRE 2004
AUTRES OBSERVATIONS : DATÉES DU 1ER DÉCEMBRE 2004
REÇUES LE 8 DÉCEMBRE 2004
(PAR LE DÉFENDEUR)
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LA JUGE LAYDEN-STEVENSON
DATE DES MOTIFS : LE 10 DÉCEMBRE 2004
COMPARUTIONS :
Matthew Sullivan POUR LA DEMANDERESSE
Emile Mennes POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Morris Rosenberg POUR LA DEMANDERESSE
Sous-procureur général du Canada
Emile Mennes POUR LE DÉFENDEUR
ANNEXE « A »
des
Motifs de l'ordonnance rendue le 10 décembre 2004
par Madame la juge Carolyn Layden-Stevenson
dans
SA MAJESTÉ LA REINE
c.
EMILE MARGUERITA MARCUS MENNES
T-21-03
Date : 20041006
Dossier : T-21-03
Toronto (Ontario), le 6 octobre 2004
EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE LAYDEN-STEVENSON
ENTRE :
SA MAJESTÉ LA REINE
demanderesse
et
EMILE MARGUERITA MARCUS MENNES
défendeur
ORDONNANCE
VU les observations orales de la demanderesse dans la présente affaire;
ET VU la promesse de l'avocat de la demanderesse de produire une nouvelle copie des documents inscrits ci-dessous et de les remettre sans tarder au défendeur :
Le dossier de la demanderesse y compris l'affidavit signé par Angela McCarthy le 31 août 1999 et les pièces y annexées (5 volumes); l'affidavit signé par Linda Hall le 9 septembre 2002 et les pièces y annexées (1 volume); l'affidavit signé par Janice Rodgers le 27 août 2002 et les pièces y annexées (2 volumes); le recueil de jurisprudence et de la doctrine et la demande dans le dossier de la Cour no T-477-04;
LA COUR ORDONNE QUE l'audition de la présente question soit reportée au 30 novembre et au 1er décembre à 9 h 30 à Peterborough (Ontario) pendant une journée et demie, aux conditions suivantes :
(1) L'ajournement a pour objet de permettre au défendeur de préparer sa réponse aux arguments et observations de la demanderesse qui se trouvent dans le mémoire de faits et de droit et la plaidoirie en rapport avec la présente demande;
(2) Les observations du défendeur se limiteront aux questions soulevées en rapport avec la présente demande;
(3) La Cour n'entendra ni questions ni requêtes accessoires;
(4) Le défendeur devra préparer une consolidation écrite de ses arguments en réponse, laquelle consolidation ne dépassera pas 30 pages;
(5) Le défendeur fera signifié la consolidation écrite visée au paragraphe (4) ci-dessus et la déposera au plus tard le 15 novembre 2004;
(6) Les arguments qui porteront sur des questions autres que celles qui ont été soulevées en l'espèce ne seront pas examinés.
_ Carolyn Layden-Stevenson _
Juge
Traduction certifiée conforme
Jacques Deschênes, LL.B.