Référence : 2020 CF 671
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 5 juin 2020
En présence de madame la juge Heneghan
CONSEIL DE RÉGLEMENTATION DES CONSULTANTS EN IMMIGRATION DU CANADA (LE)
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4. L’adjudication des dépens afférents à la présente requête;
5. Toute autre mesure de réparation que la Cour peut estimer équitable et appropriée.
I.
LE CONTEXTE
[3]
La demanderesse est une consultante en immigration. Elle a fait l’objet d’une procédure disciplinaire devant le Conseil de réglementation des consultants en immigration du Canada (le défendeur). Dans une décision datée du 20 janvier 2020, le Comité de discipline du défendeur a conclu que la demanderesse avait commis plusieurs manquements au Code d’éthique professionnelle du défendeur.
[5]
Dans une lettre datée du 6 février 2020, l’avocat du défendeur a informé la demanderesse que les dispositions de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), et des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22 (les Règles en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés), régissaient sa demande de contrôle judiciaire et qu’en conséquence, il fallait poursuivre l’instance au moyen d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. Le défendeur a invité la demanderesse à apporter les modifications nécessaires à son avis de demande et à constituer le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre) comme défendeur en vertu des Règles en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés.
IL EST DEMANDÉ AU DÉFENDEUR DE BIEN VOULOIR ACCORDER À LA DEMANDERESSE LA PERMISSION DE MODIFIER LE DOSSIER NO T‑186‑20
POUR
IL EST DEMANDÉ AU DÉFENDEUR DE BIEN VOULOIR NOUS ACCORDER LA PERMISSION.
[7]
Le 6 mars 2020, le protonotaire Aalto a rendu l’ordonnance suivante :
[9]
La demanderesse a déposé au soutien de son avis de requête, un affidavit dans lequel elle affirmait qu’elle ne saisissait pas les conséquences qu’entraînait sa demande informelle de convertir sa demande de contrôle judiciaire. Elle a précisé en outre qu’elle s’était fiée à l’interprétation de la jurisprudence que le défendeur avait donnée dans sa lettre du 6 février 2020, et qu’il l’avait induite en erreur. Elle affirme par ailleurs que le défendeur [traduction] « a probablement induit en erreur le protonotaire Aalto »
.
[13]
Le 17 avril 2020, l’avocat du défendeur a déposé son dossier de réponse. Ce dossier comprenait l’affidavit de Christine Le Dressay, auxiliaire juridique. Plusieurs pièces étaient jointes à cet affidavit, dont une copie de l’avis de demande et une copie de la demande informelle produite par la demanderesse.
[14]
La demanderesse a déposé ses observations en réplique le 23 avril 2020.
II.
LES OBSERVATIONS
A.
Les observations de la demanderesse
[15]
La demanderesse s’appuie sur Philipos c Canada (Procureur général), [2016] 4 RCF 268 (CAF), pour affirmer que la Cour, ayant plénitude de compétence, devrait « annuler »
l’ordonnance du protonotaire Aalto. Elle explique dans ses observations en réplique, qu’elle ne cherchait pas à interjeter appel de l’ordonnance ni à la faire annuler sur le fondement des articles 51 et 399 des Règles, respectivement.
B.
Les observations du défendeur
C.
Les observations du ministre
[20]
Le ministre fait valoir qu’il n’est pas opportun pour lui d’être constitué partie à l’instance et il demande à la Cour de rendre une ordonnance le mettant hors de cause. Il fait valoir par ailleurs qu’il n’existe aucune raison d’annuler l’ordonnance du protonotaire Aalto parce que la demanderesse n’a pas établi qu’elle satisfait aux exigences énoncées à l’article 399 des Règles.
III.
L’ANALYSE
[21]
Dans la présente requête, la demanderesse sollicite une ordonnance annulant l’ordonnance par laquelle le protonotaire Aalto a converti la présente instance en une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire régie par la Loi. Dans la demande qu’elle a initialement produite, la demanderesse sollicitait un contrôle judiciaire visé par la partie V des Règles.
[23]
L’article 399 des Règles permet à la Cour d’annuler ou de modifier une ordonnance, dans certaines circonstances. L’article 399 dispose :
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La demanderesse elle‑même a présenté une demande informelle visant à convertir sa demande de contrôle judiciaire « ordinaire »
en une demande de contrôle judiciaire en matière d’« immigration »
. Une telle demande est assujettie aux Règles en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, prises en vertu de la Loi.
[29]
La preuve ne démontre pas non plus que l’ordonnance en cause a été obtenue par fraude.
[30]
L’ordonnance du protonotaire emporte comme conséquence pour la demanderesse l’obligation d’obtenir l’autorisation de la Cour pour qu’il soit donné suite à sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, conformément au paragraphe 72(1) de la Loi. L’obligation d’obtenir une autorisation n’est pas un facteur prévu à l’article 399 des Règles qui justifie l’annulation ou la modification de l’ordonnance du protonotaire.
[32]
Selon l’article 51 des Règles, il peut être interjeté appel de l’ordonnance d’un protonotaire dans les dix jours suivant la date de l’ordonnance. L’article 51 dispose :
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Il ressort clairement du dossier que la demanderesse n’a pas interjeté appel de l’ordonnance du protonotaire Aalto dans le délai prescrit de dix jours. Il n’est pas clair, dans la présente requête, qu’elle demande une prorogation du délai pour interjeter appel.
(1) Le requérant a‑t‑il démontré une intention constante de poursuivre l’instance?
(4) Le requérant a‑t‑il une explication raisonnable pour justifier le retard?
[35]
La demanderesse, c’est‑à‑dire la requérante, a démontré une intention constante de poursuivre l’instance dans laquelle elle sollicitait le contrôle judiciaire de la décision du défendeur. L’ordonnance en cause ne l’a pas privée de ce recours.
[40]
Or, si la demanderesse reproche au protonotaire d’avoir commis une telle erreur, la voie de recours qu’elle doit exercer est un appel de l’ordonnance. Elle fait valoir dans le cadre de la présente requête qu’elle ne cherche pas à obtenir une prorogation du délai pour interjeter appel. À mon avis, les mesures qu’elle a prises ne concordent pas avec ses observations et son témoignage.
[42]
Enfin, je fais miennes les remarques de la Cour d’appel fédérale dans Curtis c Banque de la Nouvelle-Écosse (le 3 mai 2019), 19‑A‑18, où la Cour a rejeté une requête en prorogation du délai pour le dépôt d’un avis d’appel, après avoir examiné les facteurs pertinents. Au paragraphe 4, la Cour a précisé que [traduction] « le caractère définitif des décisions judiciaires constitue un principe important; les délais ne sont pas capricieux »
.
[43]
Selon la demanderesse, la Cour est [traduction] « pleinement compétente »
pour accorder la réparation demandée. Elle s’appuie sur l’arrêt Philipos, précité, de la Cour d’appel fédérale.
[44]
Dans Philipos, précité, la Cour d’appel était saisie d’une requête en vue d’obtenir une ordonnance autorisant l’appelant à réintroduire l’appel dont il s’était désisté. Le juge Stratas, dans des motifs qu’il a rendus au nom de la Cour d’appel fédérale en tant que juge siégeant seul, a énoncé le critère à satisfaire pour réintroduire une instance qui a fait l’objet d’un désistement, et y donner suite. Selon lui, un « événement d’une importance fondamentale »
doit s’être produit.
[48]
La demanderesse a elle‑même sollicité la conversion de sa demande de contrôle judiciaire en une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire en matière d’« immigration »
. Au moment du dépôt de sa requête informelle, elle n’a présenté aucun élément de preuve permettant d’établir qu’on l’avait induite en erreur. Elle a plutôt affirmé dans l’affidavit qu’elle a produit au soutien de la présente requête qu’elle ne saisissait pas les conséquences de sa requête informelle.
[49]
La demanderesse pouvait consulter un avocat avant le dépôt de sa demande initiale de contrôle judiciaire et avant la présentation de sa requête informelle. Elle ne l’a pas fait. À mon avis, la demanderesse a l’obligation de se conformer aux pratiques et aux procédures de la Cour.
[50]
L’alinéa 46(1)i) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, dispose :
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[51]
Les Règles ne constituent pas de « simples lignes directrices »
qu’une partie peut ignorer : voir Abi‑Mansour c Canada (Passeport), 2015 CF 363. Dans cette décision, la Cour fédérale a déclaré au paragraphe 32 que « [l]es Règles sont donc des instruments minutieusement élaborés ayant force de loi qui s’appliquent de manière égale à toutes les parties qui comparaissent devant la Cour d’appel fédérale et la Cour fédérale, y compris les parties qui se représentent elles‑mêmes [sic] […] »
.
[52]
Dans Canada c Hamer Gauge & Tool Co. Ltd., (1985), 3 WDCP 280, la Cour a fait observer que les règles de pratique qui établissent les pratiques et les procédures conformément à l’article 46 ne peuvent l’emporter sur une loi fédérale. En l’espèce, la « loi fédérale »
est la Loi.
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[55]
Dans Watto, précité, le demandeur était un consultant en immigration inscrit auprès du défendeur qui a fait l’objet d’une plainte. Il a opposé plusieurs objections préliminaires lors de son audience disciplinaire. Le défendeur les a rejetées et sa décision a fait l’objet d’un contrôle judiciaire. La compétence de la Cour fédérale pour entendre le contrôle judiciaire a été examinée à titre de question préliminaire, et la Cour a conclu qu’elle avait compétence.
[14] Comme la Cour d’appel fédéral l’a fait valoir, le fait que le CRCIC tire son pouvoir de réglementer les professionnels de l’immigration de la désignation de l’organisation par le ministre en application du paragraphe 91(5) de la LIPR est suffisant pour l’assujettir à la compétence des Cours fédérales. Toutefois, la Cour n’explique pas en détail pourquoi elle a également conclu que les décisions du CRCIC, un ordre professionnel autoréglementé, sont des « questions » assujetties à la LIPR au sens du paragraphe 72(1) de cette loi et, par conséquent, sont assujetties au processus judiciaire plus restrictif qui y est énoncé.
[sic]
[61]
Dans Zaidi, précité, la Cour d’appel fédérale a jugé que la décision sous‑jacente visée par le contrôle, c’est‑à‑dire sa conclusion sur la question de savoir si l’appelant ne satisfaisait pas aux exigences linguistiques d’enregistrement à titre de consultant en immigration, était « au cœur même du mandat du CRCIC consistant à agréer les personnes aptes à exercer la profession ». Elle a conclu que le pouvoir du défendeur prend sa source dans une loi fédérale, c’est‑à‑dire la Loi, et qu’il est de nature publique.
[63]
À mon avis, la demanderesse n’affirme pas nécessairement que le défendeur n’est pas un « office fédéral »
, mais plutôt que le contrôle de sa décision n’est pas subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation exigé au paragraphe 72(1) de la Loi. Or, en optant pour une demande de contrôle judiciaire qui relève de la partie V des Règles, la demanderesse a reconnu que le défendeur est un « office fédéral »
parce que ces demandes de contrôle judiciaire ne visent que les décisions rendues par ces organismes.
[64]
À mon avis, dans Zaidi, précité, la décision de la Cour d’appel fédérale de décliner compétence pour entendre l’appel en l’absence d’une question certifiée signifie que le contrôle d’au moins certaines décisions du défendeur est assujetti à la demande d’autorisation visée au paragraphe 72(1) de la Loi.
[65]
La Cour d’appel fédérale a expressément fait observer que le défendeur avait le pouvoir de réglementer la profession des consultants en immigration. J’estime que le pouvoir de prendre une mesure disciplinaire fait partie de ce processus de réglementation. En l’espèce, la demanderesse sollicite le contrôle judiciaire d’une décision disciplinaire.
[68]
Dans Apotex Inc. c Allergan Inc., 2012 CAF 308, la Cour d’appel fédérale a précisé que selon le principe du stare decisis, « le juge doit suivre l’enseignement des décisions rendues par les tribunaux supérieurs »
. Compte tenu de cette directive, je suis liée par la conclusion de la Cour d’appel fédérale dans Zaidi, précité, selon laquelle le défendeur est un « office fédéral »
.
[73]
Selon lui, comme il n’est pas une partie dont la présence est nécessaire en l’espèce, il ne devrait pas être constitué partie à l’instance. J’adhère à son point de vue. Le ministre ne sera donc pas constitué partie à la présente instance.
IV.
Conclusion
[75]
Le défendeur sollicite les dépens afférents à la présente requête. Conformément au paragraphe 400(1) des Règles, les dépens relèvent entièrement du pouvoir discrétionnaire de la Cour.
ORDONNANCE dans le dossier no IMM‑1744‑20
LA COUR ORDONNE : La requête est rejetée, et les dépens, fixés à 250 $ – TPS et débours compris – sont adjugés au Conseil de réglementation des consultants en immigration du Canada.
Traduction certifiée conforme
Ce 17e jour de juin 2020.
Linda Brisebois, LL.B.