Date : 20041129
Dossier : IMM-113-04
Référence : 2004 CF 1675
Ottawa (Ontario), le 29 novembre 2004
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'REILLY
ENTRE :
MARWA TAHA
demanderesse
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Mme Marwa Taha affirme que les membres de sa famille ont menacé de la tuer afin de protéger leur honneur. Elle a demandé l'asile au Canada parce qu'elle ne croit pas pouvoir retourner au Liban en toute sécurité.
[2] Mme Taha, une Palestinienne, affirme qu'elle était mariée à un Palestinien mais qu'elle était tombée amoureuse d'un chrétien pour ensuite devenir sa maîtresse. C'est ce comportement qui a mis sa famille en colère.
[3] Un tribunal de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande d'asile de Mme Taha. La Commission n'a pas cru qu'elle avait déjà été mariée. Elle n'a pas cru non plus que les membres de sa famille la tueraient si elle retournait au Liban. Mme Taha fait valoir que la Commission a commis de graves erreurs dans son analyse de la preuve. Elle m'a demandé d'ordonner une nouvelle audience devant un tribunal différemment constitué de la Commission. Toutefois, je ne vois aucun motif pour infirmer la décision de la Commission et je dois donc rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.
I. Les questions en litige
1. La Commission a-t-elle commis une erreur quand elle a conclu que Mme Taha n'avait pas fait la preuve de son mariage?
2. La Commission a-t-elle conclu à tort qu'il était peu probable que Mme Taha soit violentée par les membres de sa famille?
II. Analyse
[4] Je ne peux infirmer les conclusions de fait de la Commission que si j'estime qu'elles étaient manifestement déraisonnables, en ce sens qu'elles étaient complètement contraires à la preuve.
1. La Commission a-t-elle commis une erreur quand elle a conclu que Mme Taha n'avait pas fait la preuve de son mariage?
[5] Mme Taha affirme qu'elle s'est mariée en 2000 au Liban. Le mariage a été célébré par un cheik, lequel a obtenu un certificat civil après la cérémonie. Son mari était un résident des États-Unis et Mme Taha l'a rejoint là-bas en 2001. Son ami chrétien a suivi. Son mari a découvert leur liaison et il a alerté sa famille.
[6] La Commission a émis des doutes quant au fait que Mme Taha ait déjà été mariée et elle a conclu que le reste de son histoire n'était pas plausible. Pour faire la preuve de son mariage, elle a produit un ensemble de photographies non datées prises lors d'une réception après son arrivée aux États-Unis. Elle avait également un anneau portant ses initiales et celles de son mari, ainsi que la date du mariage.
[7] La Commission a estimé que la demande de Mme Taha dépendait en grande partie de la preuve du mariage. Pourtant, le témoignage de Mme Taha ne l'a pas convaincue et elle a conclu que sa preuve corroborante était faible. La Commission a conclu que l'omission de Mme Taha de soumettre le certificat de mariage et l'absence d'explication convaincante quant aux raisons pour lesquelles elle ne l'avait pas obtenu des membres de sa famille ont miné sa crédibilité.
[8] Mme Taha fait valoir que la Commission a commis une erreur en exigeant une preuve documentaire de son mariage au lieu d'accepter sans réserve son témoignage et les autres éléments de preuve à l'appui. À mon avis, il était de la prérogative de la Commission de tirer une inférence défavorable de l'omission de Mme Taha de produire un certificat de mariage.
[9] Il incombait à Mme Taha d'établir le bien-fondé de sa demande. Elle avait l'obligation de fournir la preuve documentaire à son appui (article 7 des Règles). Sa demande était centrée sur son mariage. Selon son témoignage, elle avait accès au certificat de mariage du fait qu'il était conservé par sa famille. Pourtant, elle n'a pas expliqué pourquoi elle ne l'avait pas obtenu. Dans ces circonstances, je ne peux conclure que l'insatisfaction de la Commission à l'égard des éléments de preuve de Mme Taha était déraisonnable. C'est ce qui permet de distinguer l'espèce de l'affaire Ahortor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 705 (1re inst.) (QL), dans laquelle la Cour a critiqué un commissaire pour avoir tiré une inférence défavorable de l'omission d'un demandeur de produire un document qui n'était pas raisonnablement disponible.
[10] La Commission a également conclu que, dans l'ensemble, le scénario décrit par Mme Taha n'était pas plausible. Par exemple, la Commission estimait peu probable que Mme Taha se soit rendue aux États-Unis avec un faux passeport américain, qu'elle a prétendu avoir détruit à son arrivée, alors qu'elle avait un document de voyage libanais valide. On s'est posé des questions à savoir pourquoi Mme Taha et son mari n'avaient pas confirmé leur mariage aux États-Unis de manière à confirmer leur statut là-bas. On s'est demandé pourquoi, après que Mme Taha a quitté son mari, son amant était retourné au Liban, au moment même où ils pouvaient être ensemble. La Commission a trouvé curieux que, alors que Mme Taha n'était plus en communication avec son amant depuis quelques temps, elle avait réussi à le joindre sur son téléphone cellulaire le jour précédant l'audience.
[11] Encore une fois, la Commission n'a pas été convaincue par les explications de Mme Taha. Elle a conclu que non seulement Mme Taha n'avait jamais été mariée, mais qu'elle n'avait jamais eu d'amant chrétien non plus.
[12] L'analyse de la Commission découlait de la preuve dont elle disposait. Je ne vois aucun motif pour conclure qu'elle n'a pas tenu compte des éléments de preuve dont elle disposait ou qu'elle les a gravement mal interprété.
2. La Commission a-t-elle conclu à tort qu'il était peu probable que Mme Taha soit violentée par les membres de sa famille?
[13] La Commission a entendu le témoignage d'un témoin expert qui a déclaré que Mme Taha pourrait bien être exposée à un grave danger si elle retournait au Liban. Il a mentionné que, sur le plan culturel, l'honneur de la famille musulmane reposait sur la conduite chaste de ses femmes. Toutefois, l'expert ne pouvait pas parler directement de la situation au Liban. De ce fait, la Commission a préféré la preuve documentaire dont elle disposait, laquelle donnait à penser que les meurtres commis pour sauver l'honneur sont rares au Liban. Ils sont en général limités aux familles chiites non instruites dans les zones rurales. Mme Taha est une sunnite issue d'une famille instruite de Saïda. Sa famille l'a envoyée étudier dans une école mixte et multiconfessionnelle où, en fait, elle a rencontré son ami chrétien.
[14] Mme Taha fait valoir que la Commission a eu tort de considérer que la situation au Liban était distincte de celle du reste de la communauté palestinienne dans tout le Moyen-Orient. Elle maintient que cette communauté est tout à fait homogène et que la tolérance à l'égard des meurtres commis pour sauver l'honneur y est la même partout.
[15] Toutefois, de l'examen que j'ai fait de la preuve documentaire, il ressort que la Commission avait des motifs pour étayer sa conclusion selon laquelle Mme Taha n'était pas en danger. Le Liban est décrit comme le pays le plus occidental du Moyen-Orient. Les meurtres commis pour sauver l'honneur sont rares et limités à un petit segment de la population rurale. Certains rapports ont noté la fréquence des meurtres en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, mais ne faisaient pas mention du Liban.
[16] Encore une fois, je ne puis conclure que la conclusion de la Commission n'était pas étayée par la preuve.
[17] Par conséquent, je dois rejeter la présente demande de contrôle judiciaire. Les parties n'ont proposé aucune question de portée générale aux fins de certification, et aucune question n'est énoncée.
JUGEMENT
LA COUR STATUE :
1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;
2. Aucune question de portée générale n'est énoncée.
« James W. O'Reilly »
Juge
Traduction certifiée conforme
Christian Laroche, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-113-04
INTITULÉ : MARWA TAHA
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 23 NOVEMBRE 2004
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : LE JUGE O'REILLY
DATE DES MOTIFS : LE 29 NOVEMBRE 2004
COMPARUTIONS :
Edward C. Corrigan POUR LA DEMANDERESSE
Bernard Assan POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Edward C. Corrigan POUR LA DEMANDERESSE
London (Ontario)
Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada
Toronto (Ontario)