Fredericton (Nouveau-Brunswick), le 12 juin 2006
EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE HENEGHAN
ENTRE :
VERONICA MARIA PERLO RUFFINATO,
MAGDALENA AILEN ZAMORA PERLO et
DAVID FACUNDO ZAMORA PERLO
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] M. Pablo Ariel Zamora Gallegos (le demandeur principal), sa femme Veronica Maria Perlo Ruffinato, leur fille Magdalena Ailen Zamora Perlo et leur fils David Facundo Zamora Perlo (les demandeurs) demandent le contrôle judiciaire d’une décision d’une agente d’immigration, rendue le 15 août 2005, qui rejetait leur demande d’établissement à partir du Canada pour des motifs d’ordre humanitaire (demande CH), présentée en vertu de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, modifiée (la Loi).
[2] Le demandeur principal, sa femme et sa fille sont citoyens de l’Argentine. Leur fils David est citoyen des États‑Unis. Leur troisième enfant, Nicolas Ariel Zamora Perlo, est né au Canada; il n’est pas partie en l’espèce.
[3] Le demandeur principal allègue qu’on l’a menacé en Argentine parce que son frère Mario, qui travaillait officieusement comme chauffeur de taxi, était la cible de gangs de criminels. À une occasion en 1998, le demandeur principal s’est fait aborder par un groupe d’hommes qui l’ont confondu avec son frère. Ils l’ont insulté et menacé.
[4] En juin 1999, il a reçu un appel qui menaçait sa famille de mort, y compris un petit bébé.
[5] L’année suivante, en juin 2000, la famille s’est enfuie aux États-Unis et s’est installée en Utah. David est né alors que la famille y résidait. Après les événements du 11 septembre 2001, le demandeur principal et sa famille craignaient d’être expulsés en Argentine et ont décidé de venir au Canada pour y demander l’asile. La famille est arrivée au Canada le 12 novembre 2002 et a demandé l’asile le jour même.
[6] Le 9 juin 2003, la Section de la protection des réfugiés a rejeté leur demande, au motif que la crainte du demandeur principal et des demandeurs d’être persécutés en Argentine pour un motif énoncé dans la Convention n’était pas fondée.
[7] Le demandeur principal et les demandeurs ont demandé un examen des risques avant renvoi (ERAR). L’examen s’est conclu défavorablement le 3 mars 2005. L’agent d’ERAR a conclu qu’il n’y avait aucune preuve attestant que la possibilité de refuge intérieur (PRI), qui avait été signalée par la Section de la protection des réfugiés, n’était plus viable.
[8] Le 5 mars 2004, le demandeur principal et les demandeurs ont déposé une demande CH. Ils ont fondé cette demande sur les difficultés auxquelles ils feraient face s’ils devaient présenter une demande de résidence permanente de l’extérieur du Canada. Ils ont mentionné l’intérêt supérieur de leurs enfants, en particulier celui de Nicolas, qui est citoyen canadien. Le demandeur principal et sa femme ont affirmé qu’ils craignaient de retourner en Argentine parce qu’ils pourraient être aux prises avec un gang de criminels.
[9] Au cours du processus de la demande CH, un examen des risques a été effectué. Cet examen a permis de conclure que le demandeur principal et les demandeurs ne courraient raisonnablement pas de risque de persécution en Argentine et qu’il ne leur serait pas trop difficile de déménager là où ils avaient une PRI, soit Buenos Aires. Le demandeur principal et sa famille résidaient à Cordoba avant de quitter l’Argentine.
[10] Le demandeur principal et les demandeurs ont eu la possibilité de réagir à cet examen des risques. Ils ont présenté des preuves supplémentaires qui étaient centrées sur la pauvreté et sur les faibles perspectives d’études auxquelles les demandeurs mineurs feraient face en Argentine. Ces observations n’ont pas convaincu l’agent d’ERAR qu’il devait changer d’avis.
[11] Le demandeur principal et les demandeurs ont présenté des observations supplémentaires à l’appui de leur demande CH. Ils ont mentionné leur degré d’établissement au Canada ainsi que le fait qu’ils feraient face à des difficultés indues, injustifiées ou excessives s’ils se voyaient refuser l’exemption que le paragraphe 25(1) de la Loi prévoit. Ils ont ajouté que l’intérêt supérieur des enfants était primordial.
[12] L’agente d’immigration a rendu une décision défavorable au sujet de la demande CH le 15 août 2005. Elle a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves permettant d’établir que les demandeurs feraient face à des difficultés indues, injustifiées ou excessives, qui justifieraient l’exemption à l’exigence de la Loi selon laquelle une demande d’établissement au Canada doit être présentée de l’extérieur du pays.
[13] L’agente d’immigration a tenu compte de l’établissement de la famille au Canada, de la crainte de retourner en Argentine, du bouleversement affectif qui serait causé par le départ du Canada, des conditions de vie en Argentine et de l’intérêt supérieur des enfants.
[14] L’agente d’immigration a aussi tenu compte du fait que les demandeurs n’auraient pas droit à des visas de résidents permanents même s’ils déposaient une demande de l’extérieur du pays. Après avoir examiné tous les facteurs pertinents, elle a conclu qu’elle ne pouvait pas leur accorder d’exemption pour des motifs d’ordre humanitaire.
[15] Le demandeur principal et les demandeurs contestent la décision aux motifs que l’agente d’immigration a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, qu’elle n’a pas tenu compte de l’intérêt supérieur des enfants et qu’elle n’a pas tenu compte de tous les éléments de preuve dont elle était saisie.
III. Analyse et dispositif
[16] Les paragraphes 11(1) et 25(1) de la Loi sont pertinents et prévoient :
11. (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement, lesquels sont délivrés sur preuve, à la suite d’un contrôle, qu’il n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.
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11. (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document shall be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.
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25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — ou l’intérêt public le justifient. |
25. (1) The Minister shall, upon request of a foreign national who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on the Minister's own initiative, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations. |
[17] Il faut ensuite examiner quelle est la norme de contrôle appropriée. La conclusion en question a été tirée par une décisionnaire administrative exerçant un pouvoir délégué en vertu de la Loi. Afin de déterminer quelle est la norme de contrôle applicable en l’espèce, je dois effectuer une analyse pragmatique et fonctionnelle. Il y a quatre facteurs à considérer : l’existence d’une disposition privative, l’expertise de la décisionnaire, l’objet de la législation et la nature de la question.
[18] Le premier facteur est neutre, puisque la Loi ne prévoit aucune disposition privative ni d’appel de plein droit. Le contrôle judiciaire est disponible, s’il est autorisé.
[19] Les agents d’immigration doivent constamment évaluer des demandes CH. Leur expertise relativement plus importante que celle de la Cour mérite la déférence.
[20] L’objectif général de la Loi est de réglementer l’admission des immigrants au Canada et de maintenir la sécurité de la société canadienne. Ceci implique qu’il faut examiner divers intérêts qui pourraient entrer en conflit. Il faut faire preuve d’une certaine déférence envers les décisions prises dans un contexte polycentrique.
[21] Le dernier facteur à considérer porte sur la nature de la question. En l’espèce, l’agente d’immigration devait exercer son pouvoir discrétionnaire et tirer des conclusions de fait. Ce pouvoir discrétionnaire doit s’inspirer de la Loi et du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés et il comprend un élément d’interprétation de la législation. L’application des dispositions légales et réglementaires à la preuve donne lieu à une question mixte de fait et de droit. La norme de contrôle pour une telle question est la décision raisonnable simpliciter.
[22] La décision qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire est de nature discrétionnaire. La caractéristique d’une décision de nature discrétionnaire est que son issue n’est pas inévitable. Le décisionnaire doit suivre la norme décrite dans l’affaire Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, comme suit :
C'est aussi une règle bien établie que les cours ne doivent pas s'ingérer dans l'exercice qu'un organisme désigné par la loi fait d'un pouvoir discrétionnaire simplement parce que la cour aurait exercé ce pouvoir différemment si la responsabilité lui en avait incombé. Lorsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, si on ne s'est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l'objet de la loi, les cours ne devraient pas modifier la décision.
[23] Les demandeurs soutiennent que l’agente d’immigration a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en ce qui a trait à l’évaluation de la preuve de leur établissement au Canada parce qu’elle a accordé trop d’importance au fait qu’ils faisaient l’objet de mesures de renvoi. Compte tenu du dossier, je ne suis pas convaincue que l’agente d’immigration ait commis une erreur susceptible de révision en ce qui a trait à la façon dont elle a traité la question de l’établissement, y compris celle des mesures de renvoi en instance. L’agente d’immigration devait examiner l’existence de ces mesures de renvoi et en tenir compte dans son évaluation du degré d’établissement des demandeurs au Canada. Je suis convaincue qu’elle n’a pas commis d’erreur dans son évaluation des faits pertinents.
[24] Je suis aussi convaincue que l’agente d’immigration était réceptive et attentive à l’intérêt supérieur des demandeurs mineurs, conformément aux directives de la jurisprudence pertinente, soit l’arrêt Baker et l’affaire Hawthorne. Un des demandeurs mineurs est citoyen des États-Unis. L’agente d’immigration a tenu compte de ce fait, ainsi que du fait que le troisième enfant de la famille est citoyen canadien. Le fait que les demandeurs mineurs aient un meilleur niveau de vie au Canada qu’en Argentine ne signifie pas que l’agente doit exercer de façon favorable le pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 25(1) de la Loi.
[25] Essentiellement, les mêmes arguments ont été soulevés dans l’affaire Serda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 356. Dans ses motifs détaillés, le juge de Montigny a traité de chacun des arguments et a rejeté la demande de contrôle judiciaire. Je ne vois aucune raison de suivre un raisonnement différent en l’espèce.
[26] Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Aucune question de portée générale n’est énoncée et aucune ne sera certifiée.
ORDONNANCE
La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question de portée générale n’a été énoncée et aucune n’est certifiée.
Traduction certifiée conforme
Evelyne Swenne, traductrice
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-5199-05
INTITULÉ : Pablo Ariel Zamora Gallegos et al. c. MCI
LIEU DE L’AUDIENCE : Calgary (Alberta)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 9 mars 2006
ET ORDONNANCE : LA JUGE HENEGHAN
DATE DES MOTIFS : Le 12 juin 2006
COMPARUTIONS :
Alicia Backman-Beharry |
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Rick Garvin |
POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Caron & Partners LLP Calgary (Alberta)
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John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada Ottawa (Ontario) |
POUR LE DÉFENDEUR |