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Date : 20200604


Dossier : T‑358‑20

Référence : 2020 CF 670

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 4 juin 2020

En présence de monsieur le juge Pamel

ENTRE :

BRYAN RALSTON LATHAM

demandeur

et

SA MAJESTÉ LA REINE et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

ORDONNANCES ET MOTIFS

I.  Nature de l’affaire

[1]  M. Latham, âgé de 72 ans, est actuellement détenu à l’Établissement de Bowden [Bowden], un établissement fédéral à sécurité moyenne, à Innisfail, en Alberta. Il a déposé une requête urgente demandant sa mise en liberté immédiate, selon les conditions que fixera la Cour.

[2]  M. Latham affirme que son âge avancé et ses problèmes médicaux préexistants l’exposent à un risque élevé de succomber au nouveau coronavirus [COVID‑19], même si, au moment de l’audience, aucun cas de contamination par le virus n’avait été confirmé à Bowden.

[3]  La procédure sous‑jacente en l’espèce est la demande de contrôle judiciaire présentée par M. Latham à l’égard de la décision en date du 27 janvier 2020, par laquelle la Section d’appel de la Commission des libérations conditionnelles du Canada [la Section d’appel] a confirmé la décision rendue le 11 septembre 2019 par la Commission des libérations conditionnelles du Canada [la Commission des libérations conditionnelles], qui refusait la libération conditionnelle totale et la semi‑liberté à M. Latham. La décision qui fait l’objet du contrôle judiciaire n’est aucunement liée à un risque associé à la COVID‑19.

[4]  Dans la présente requête, M. Latham affirme que son maintien en prison constitue une atteinte aux articles 7, 9 et 12 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, Royaume‑Uni), 1982, c 11 [la Charte], compte tenu de sa vulnérabilité accrue face à la COVID‑19 et du risque élevé pour sa vie et pour sa sécurité que comporte sa détention en prison. Il vise à obtenir une réparation fondée sur le paragraphe 24(1) de la Charte, sous forme de libération temporaire de Bowden.

[5]  Selon M. Latham, Bowden n’est pas adapté pour protéger contre la COVID‑19 une personne ayant son âge avancé et son profil médical. De plus, et en dehors de toute question relative à la pandémie mondiale, M. Latham exprime sa frustration quant au fait qu’il n’a pas accès à un soutien administratif et juridique pour ses démarches visant à modifier la durée de sa peine, ou au moins, à améliorer sa situation.

[6]  Pour les motifs qui suivent, je dois rejeter la requête de M. Latham.

II.  Contexte

[7]  Le 22 janvier 2021, le demandeur, M. Bryan Ralston Latham, aura passé 50 ans en prison.

[8]  M. Latham a été déclaré coupable en 1971 d’une série d’infractions de nature sexuelle avec violence. En 1985, il a été accusé d’agression sexuelle sur une jeune fille de 15 ans, commise pendant qu’il était en liberté conditionnelle, et a par la suite été reconnu coupable. À la demande de la Couronne, le 20 mai 1987, la Cour du Banc de la Reine du Manitoba a conclu que M. Latham était un délinquant dangereux et, après avoir énoncé ses antécédents en matière d’infractions sexuelles, lui a imposé une peine d’une durée indéterminée afin de [traduction] « mieux protéger le public et M. Latham » (R c Latham, [1987] MJ no 263, 47 Man R (2d) 81, 1987 CanLII 7165 (MB QB), au par. 114).

[9]  Depuis 2013, M. Latham s’est vu accorder une semi‑liberté avec permission de sortir sans escorte [PSSE] au moins à trois occasions. À tort ou à raison (selon que l’on croie ou non M. Latham), la semi‑liberté a été suspendue ou révoquée à chacune de ces trois occasions en raison de la violation de ses conditions de mise en liberté.

[10]  Au cours des dernières années, M. Latham a à maintes reprises cherché à obtenir sa mise en liberté, mais en vain. En fait, sa ténacité a atteint un point où la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a finalement déclaré, en 2018, qu’il était un [traduction] « plaideur quérulent » (Latham (Re), 2018 ABQB 955; voir aussi Latham (Re), 2018 ABQB 522; Latham (Re), 2019 ABQB 223).

[11]  Le 11 septembre 2019, la Commission des libérations conditionnelles a refusé la libération conditionnelle totale et la semi‑liberté à M. Latham. Après avoir examiné les renseignements versés au dossier et les observations de M. Latham, la Commission des libérations conditionnelles a conclu que M. Latham présentait un risque de récidive s’il était mis en liberté, risque [traduction] « jugé par la Commission comme étant impossible à gérer dans la collectivité ».

[12]  La Section d’appel a confirmé la décision de la Commission des libérations conditionnelles le 27 janvier 2020. La demande de contrôle judiciaire de la décision en question présentée par M. Latham a été déposée à la Cour le 10 mars 2020.

[13]  Entre‑temps, en réponse à la situation sans précédent causée par la pandémie mondiale de la COVID‑19, la Cour a publié le 17 mars 2020 une Directive sur la procédure et ordonnance (COVID‑19), par laquelle elle a annulé toutes les audiences prévues et suspendu les délais fixés, notamment, aux termes des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, pour une période de suspension déterminée. La Directive sur la procédure et ordonnance (COVID‑19) a été remplacée le 4 avril 2020 par la Mise à jour de la directive sur la procédure et ordonnance (COVID‑19), qui a depuis été mise à jour le 29 avril 2020 par la Directive sur la procédure et ordonnance (COVID‑19) : Mise à jour no 2, et le 29 mai 2020 par la Directive sur la procédure et ordonnance (COVID‑19) : Mise à jour no 3; dans chaque cas, la période de suspension a été prolongée, y compris les délais fixés aux termes des Règles des Cours fédérales.

[14]  Préoccupé par l’effet que la suspension des délais procéduraux aurait sur sa capacité à obtenir une libération conditionnelle, alors que Bowden était confronté à la réalité de la pandémie mondiale, M. Latham a envoyé une lettre à la Cour, le 21 avril 2020 pour réclamer la tenue d’une audience par vidéoconférence pour qu’il puisse demander à la Cour de lui accorder une mise en liberté provisoire en attendant l’issue de sa demande de contrôle judiciaire.

[15]  Le défendeur s’est opposé à ce qu’une telle demande soit faite par lettre informelle, et, à la suite d’une série d’échanges entre les parties et de pas moins de trois directives de la Cour, M. Latham avait réussi, le 6 mai 2020, à déposer un dossier complet de requête contenant l’avis de requête visant à obtenir une réparation fondée sur le paragraphe 24(1) de la Charte, un affidavit non assermenté et ses observations écrites.

[16]  J’ai demandé au défendeur de déposer son dossier de requête en réponse au plus tard le 14 mai 2020, et, le 15 mai 2020, j’ai entendu par téléconférence la requête de M. Latham.

III.  Questions préliminaires

A.  Intitulé de la cause

[17]  Le défendeur demande la modification de l’intitulé de la cause pour que seul le procureur général du Canada soit désigné à titre de défendeur, et c’est ce qui sera donc ordonné, car je conviens qu’il y a lieu d’apporter cette modification (paragraphe 303(3) des Règles des Cours fédérales; Forest Ethics Advocacy Association c Canada (Office national de l’énergie), 2013 CAF 236, aux par. 18 à 21).

B.  Affidavit du demandeur

[18]  Le défendeur demande également que la Cour n’accorde aucun poids à l’affidavit du demandeur, car il est hypothétique, contient des allégations non fondées, n’a pas été fait sous serment et n’est pas de manière générale conforme à l’article 81 des Règles des Cours fédérales.

[19]  Comme le dit M. Latham, il n’a pas pu signer son affidavit, car il n’avait pas accès à un commissaire à l’assermentation, et il demande à la Cour de lui faire prêter serment ou d’authentifier son affidavit.

[20]  M. Latham n’est pas représenté par un avocat. Il se trouve dans un environnement où il ne dispose pas des mêmes commodités auxquelles les personnes sont habituées en dehors de la prison. Il a manifestement déployé de grands efforts pour présenter sa version des faits à la Cour; et la Cour a souvent donné aux parties qui agissent pour leur propre compte une certaine latitude pour ce qui est des aspects plus techniques de nos règles d’engagement en matière de procédure (Bird c Canada (Revenu national), 2014 CF 843, aux par. 36 à 42 [Bird]; Smith c Canada (Procureur général), 2018 CF 993, au par. 40; Gerrard c Canada (Procureur général), 2010 CF 1152, aux par. 22 et 23; voir aussi Thom c Canada, 2007 CAF 249, au par. 14).

[21]  Après avoir examiné l’affaire, j’exerce mon pouvoir discrétionnaire et accepte le contenu de l’affidavit non assermenté de M. Latham à titre d’élément de preuve relatif aux faits allégués (article 55 des Règles des Cours fédérales; Bird). Je crains toutefois que cet élément de preuve à lui seul ne donne pas le résultat que M. Latham recherche.

IV.  Analyse

[22]  M. Latham fait valoir qu’en raison de son âge et de son état de santé, il y a [traduction] « de fortes chances » qu’il ne survive pas s’il contracte la COVID‑19. Il affirme qu’il souffre d’une maladie pulmonaire obstructive chronique, d’un problème cardiaque pour lequel il s’est fait poser une endoprothèse, d’une arythmie cardiaque (fibrillation auriculaire) et de diabète, ce qui affecte sa capacité à se servir de ses jambes et pieds; il doit aussi se faire retirer une endoprothèse au rein gauche.

[23]  M. Latham estime qu’il ne peut pas contrôler son environnement ni respecter les consignes d’éloignement physique, à Bowden. Il affirme que la vie en prison l’expose à un risque encore plus élevé de contracter la COVID‑19, en raison de la taille de son unité (où se trouvent plus de 100 détenus), de l’entrée d’air à Bowden et de l’absence de contrôle en matière de salubrité de l’approvisionnement alimentaire dans l’établissement.

[24]  Je comprends également que M. Latham est appelé à subir bientôt une opération chirurgicale à un rein.

[25]  En ce qui concerne l’élaboration d’un quelconque plan de libération conditionnelle, M. Latham affirme que son fils lui a offert un endroit où rester pendant la période d’isolement imposé par la COVID‑19, soit une pièce au sous‑sol de son domicile, soit une petite roulotte sur sa propriété. M. Latham a également proposé d’être envoyé dans une collectivité métisse dans le nord de la Saskatchewan. Selon M. Latham, cette disposition lui permettrait de pratiquer l’éloignement social en toute sécurité, réduisant ainsi son risque de contracter le virus.

[26]  Outre le besoin immédiat de se placer en isolement, M. Latham indique également qu’il veut être transféré dans un établissement correctionnel fédéral en Colombie‑Britannique, ce qui facilitera son transfèrement dans l’un des établissements résidentiels communautaires gérés par le Service correctionnel du Canada [SCC] à Abbotsford, destinés aux délinquants à risque élevé. Pour y arriver, M. Latham a besoin de l’appui du SCC, en particulier de la chaîne de commandement de Bowden; même s’il continue de déployer des efforts, M. Latham dit que cet appui n’est tout simplement pas au rendez‑vous.

[27]  Le défendeur souligne que M. Latham n’a pas démontré qu’il a droit à une mise en liberté provisoire immédiate et soutient que la requête est prématurée, puisque M. Latham n’a pas épuisé tous les mécanismes de mise en liberté prévus par la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20 [la LSCMLC], tels que l’examen en vue d’une libération conditionnelle anticipée et la PSSE.

[28]  Pour ce qui est des arguments fondés sur la Charte présentés par M. Latham, le défendeur fait valoir que M. Latham n’a pas démontré comment le rejet de sa demande de libération conditionnelle ou les conditions de son maintien en incarcération à Bowden violent les droits qui lui sont conférés par la Charte.

[29]  Je pense qu’il est possible d’affirmer que les changements que la pandémie mondiale de COVID‑19 a entraînés dans nos vies n’ont été rien de moins que transformationnels. Pour ce qui est de la réalité des établissements d’hébergement collectif tels que les prisons, il faudrait une nouvelle approche pour les personnes à risque qui protégerait également l’intérêt public dans un environnement sûr et sain.

[30]  Il a été largement reconnu que la COVID‑19 pose un problème particulier pour les établissements correctionnels (R c TK, 2020 ONCS 1935, au par. 71 [TK]; R c CJ, 2020 ONCS 1933, au par. 9). En tant qu’établissements d’hébergement collectif, les établissements correctionnels sont d’importants lieux de transmission du virus, car les détenus se trouvent dans des espaces clos et communs, qui ne leur permettent pas ou presque pas de pratiquer l’éloignement social ou physique ou de prendre d’autres mesures de protection. En effet, les détenus passent une grande partie de leur journée dans des espaces restreints, partagent souvent dortoirs et salles à manger, et pourraient ne pas avoir accès aux produits d’hygiène de base (R c Hearns, 2020 ONCS 2365, au par. 11).

[31]  La nature restreinte et commune des lieux dans les établissements correctionnels fait de l’éloignement social et physique un défi pour les détenus et pour le personnel des établissements. Pourtant, il y a un besoin vital en matière de santé publique de respecter l’éloignement social afin de protéger les détenus ainsi que la collectivité dans son ensemble. Cette situation pose un problème de santé publique. L’éclosion de la COVID‑19 dans un établissement correctionnel pourrait se transformer en un problème sociétal plus important, puisque le virus peut être transmis par le personnel de l’établissement et le personnel d’entretien lorsqu’ils quittent les lieux.

[32]  Par conséquent, il y a un intérêt public à gérer la population carcérale afin de réduire la propagation du virus et de maintenir la disponibilité des précieux services de soins de santé (R c Kazman, 2020 ONCA 251, au par. 18 [Kazman]; R c JR, 2020 ONCS 1938, au par. 50).

[33]  Il a également été reconnu que certaines tranches de la population sont particulièrement vulnérables à la COVID‑19. En particulier, les membres les plus âgés de la société sont plus susceptibles de subir les effets les plus graves de la COVID‑19 (R c Nelson, 2020 ONCS 1728, au par. 35; R c Wilson, 2020 ONCJ 176, au par. 23 [Wilson]). De plus, les personnes ayant des maladies cardiaques et pulmonaires ou d’autres problèmes de santé ont également tendance à être exposées à un plus grand risque dans le cas d’une infection (R c Cahill, 2020 ONCS 2171, au par. 20; R c Yzerman, 2020 ONCJ 224, au par. 12). En l’espèce, M. Latham fait partie des deux catégories de population à haut risque; il est âgé et a des problèmes de santé liés à son cœur et à ses poumons.

[34]  Cela dit, le risque que le virus puisse atteindre Bowden ou que M. Latham soit infecté, ne lui donne pas à lui seul droit à une carte blanche pour sa sortie de prison (TK, au par. 73; voir aussi R c Hassan, 2020 ONCS 2265, aux par. 74 et 75; R c Mantes, 2020 ONCS 2259, aux par. 32, 40 et 41). Il y a un processus à suivre, à défaut de quoi la confiance que nous avons tous en l’administration de la justice pourrait bien être largement minée si les tribunaux commençaient à mettre simplement en liberté dans la population générale les détenus qui continuent à présenter un risque sérieux de commettre des crimes ou de mettre le public en danger d’une autre manière.

A.  Recours en vertu de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition

[35]  La LSCMLC prévoit clairement que la compétence pour accorder la libération conditionnelle revient à la Commission des libérations conditionnelles. Voici le libellé du paragraphe 107(1) de la LSCMLC :

Compétence

Jurisdiction of Board

 

107(1) Sous réserve de la présente loi, de la Loi sur les prisons et les maisons de correction, de la Loi sur le transfèrement international des délinquants, de la Loi sur la défense nationale, de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre et du Code criminel, la Commission a toute compétence et latitude pour :

 

107(1) Subject to this Act, the Prisons and Reformatories Act, the International Transfer of Offenders Act, the National Defence Act, the Crimes Against Humanity and War Crimes Act and the Criminal Code, the Board has exclusive jurisdiction and absolute discretion

 

a) accorder une libération conditionnelle;

 

(a) to grant parole to an offender;

 

b) mettre fin à la libération conditionnelle ou d’office, ou la révoquer que le délinquant soit ou non sous garde en exécution d’un mandat d’arrêt délivré à la suite de la suspension de sa libération conditionnelle ou d’office;

(b) to terminate or to revoke the parole or statutory release of an offender, whether or not the offender is in custody under a warrant of apprehension issued as a result of the suspension of the parole or statutory release;

 

c) annuler l’octroi de la libération conditionnelle ou la suspension, la cessation ou la révocation de la libération conditionnelle ou d’office;

(c) to cancel a decision to grant parole to an offender, or to cancel the suspension, termination or revocation of the parole or statutory release of an offender;

 

d) examiner les cas qui lui sont déférés en application de l’article 129 et rendre une décision à leur égard;

 

(d) to review and to decide the case of an offender referred to it pursuant to section 129; and

 

e) accorder une permission de sortir sans escorte, ou annuler la décision de l’accorder dans le cas du délinquant qui purge, dans un pénitencier, une peine d’emprisonnement, selon le cas :

 

(e) to authorize or to cancel a decision to authorize the unescorted temporary absence of an offender who is serving, in a penitentiary,

 

(i) à perpétuité comme peine minimale ou à la suite de commutation de la peine de mort,

(i) a life sentence imposed as a minimum punishment or commuted from a sentence of death,

 

(ii) d’une durée indéterminée,

(ii) a sentence for an indeterminate period, or

 

(iii) pour une infraction mentionnée à l’annexe I ou II.

(iii) a sentence for an offence set out in Schedule I or II.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[Emphasis added.]

[36]  M. Latham est une personne qui répond à la description donnée au sous‑alinéa 107(1)e)(ii) de la LSCMLC.

[37]  Les critères pour accorder une libération conditionnelle sont énoncés à l’article 102 de la LSCMLC :

Critères

 

Criteria for granting parole

102 La Commission et les commissions provinciales peuvent autoriser la libération conditionnelle si elles sont d’avis qu’une récidive du délinquant avant l’expiration légale de la peine qu’il purge ne présentera pas un risque inacceptable pour la société et que cette libération contribuera à la protection de celle‑ci en favorisant sa réinsertion sociale en tant que citoyen respectueux des lois.

[Non souligné dans l’original.]

102 The Board or a provincial parole board may grant parole to an offender if, in its opinion,

(a) the offender will not, by reoffending, present an undue risk to society before the expiration according to law of the sentence the offender is serving; and

(b) the release of the offender will contribute to the protection of society by facilitating the reintegration of the offender into society as a law‑abiding citizen.

[Emphasis added.]

 

[38]  Normalement, une demande de semi‑liberté ou de libération conditionnelle totale ne peut être présentée qu’au moins un an après la date de tout refus intérieur, sous réserve du pouvoir discrétionnaire de la Commission des libérations conditionnelles (paragraphes 122(4) et 123(6) de la LSCMLC). Par conséquent, le défendeur affirme qu’un examen en vue d’une libération conditionnelle anticipée, appuyé par des éléments de preuve concernant les problèmes de santé liés à la COVID‑19, pourrait être accordé à M. Latham, à la discrétion de la Commission des libérations conditionnelles, même si la Commission des libérations conditionnelles avait refusé de lui accorder la semi‑liberté et la libération conditionnelle totale il y a moins d’un an.

[39]  De manière similaire, selon le défendeur, une PSSE pourrait être accordée pour des raisons médicales. La LSCMLC définit les conditions d’octroi des PSSE. L’article 116 de la LSCMLC prévoit notamment ce qui suit :

Motifs de l’octroi

 

Conditions for authorization

116(1) La Commission peut autoriser le délinquant visé à l’alinéa 107(1)e) à sortir sans escorte lorsque, à son avis, les conditions suivantes sont remplies :

116(1) The Board may authorize the unescorted temporary absence of an offender referred to in paragraph 107(1)(e) where, in the opinion of the Board,

 

a) une récidive du délinquant pendant la sortie ne présentera pas un risque inacceptable pour la société;

(a) the offender will not, by reoffending, present an undue risk to society during the absence;

 

b) elle l’estime souhaitable pour des raisons médicales, administratives, de compassion ou en vue d’un service à la collectivité, ou du perfectionnement personnel lié à la réadaptation du délinquant, ou pour lui permettre d’établir ou d’entretenir des rapports familiaux notamment en ce qui touche ses responsabilités parentales;

 

(b) it is desirable for the offender to be absent from the penitentiary for medical, administrative, community service, family contact, including parental responsibilities, personal development for rehabilitative purposes or compassionate reasons;

 

c) sa conduite pendant la détention ne justifie pas un refus;

(c) the offender’s behaviour while under sentence does not preclude authorizing the absence; and

 

d) un projet de sortie structuré a été établi.

(d) a structured plan for the absence has been prepared.

 

Idem

 

Idem

(2) Le commissaire ou le directeur du pénitencier peut accorder une permission de sortir sans escorte à tout délinquant, autre qu’un délinquant visé à l’alinéa 107(1)e), lorsque, à son avis, ces mêmes conditions sont remplies.

 

(2) The Commissioner or the institutional head may authorize the unescorted temporary absence of an offender, other than an offender referred to in paragraph 107(1)(e), where, in the opinion of the Commissioner or the institutional head, as the case may be, the criteria set out in paragraphs (1)(a) to (d) are met.

 

Raisons médicales

 

Medical reasons

 

(3) Les permissions de sortir sans escorte pour raisons médicales peuvent être accordées pour une période illimitée.

 

(3) An unescorted temporary absence for medical reasons may be authorized for an unlimited period.

 

[Non souligné dans l’original.]

[Emphasis added.]

 

[40]  Par conséquent, l’octroi d’une PSSE relève du directeur de l’Établissement de Bowden, sauf que M. Latham est un détenu qui purge une peine d’une durée indéterminée, auquel cas c’est la Commission des libérations conditionnelles qui a le pouvoir d’octroyer une PSSE (sous‑alinéa 107(1)e)(ii) et paragraphe 116(2) de la LSCMLC).

[41]  Je me suis renseigné auprès de M. Latham pour savoir s’il avait demandé un examen en vue d’une libération conditionnelle anticipée, compte tenu de la pandémie, ou une PSSE pour raisons médicales.

[42]  M. Latham a déclaré qu’il n’avait pas présenté de demande spécifique pour obtenir l’une ou l’autre forme de libération en invoquant des préoccupations liées à la COVID‑19, mais il a toutefois ajouté qu’il avait demandé à son agent de libération conditionnelle s’il lui était possible d’obtenir une semi‑liberté ou une libération conditionnelle totale en raison de [traduction] « ce qui se passe », ce qui me semble être une référence aux mesures entreprises par l’Établissement de Bowden pour faire face à la réalité du virus.

[43]  M. Latham a été avisé qu’il ne satisfaisait pas aux exigences relatives à l’octroi d’une telle réparation en raison de son profil, puisqu’il a été déclaré délinquant dangereux et qu’il purge une peine d’une durée indéterminée.

[44]  M. Latham n’a pas présenté de demande de contrôle judiciaire à l’égard de cette décision.

[45]  M. Latham a ajouté que, même si la Commission des libérations conditionnelles pouvait envisager de lui accorder une libération conditionnelle anticipée, cela nécessiterait l’appui du SCC, en particulier de la chaîne de commandement de Bowden, y compris de l’équipe de gestion de cas de M. Latham, qui comprend, entre autres personnes, son agent de libération conditionnelle et le gestionnaire, Évaluation et interventions. M. Latham estimait que sa demande de libération ne serait pas appuyée par son équipe de gestion de cas. Je suppose qu’une telle absence de soutien rendrait l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Commission des libérations conditionnelles plutôt improbable.

[46]  Pour ce qui a trait à une PSSE pour raisons médicales, il se pourrait que M. Latham ait besoin de l’appui du personnel médical de Bowden et qu’il doive donner son consentement pour la communication de son dossier médical. Cependant, M. Latham n’a présenté aucune demande spécifique de PSSE pour raisons médicales.

[47]  À la fin de l’audience, j’ai demandé au conseil du défendeur de se renseigner sur la nature et le statut de toute demande de mise en liberté provisoire qui aurait été présentée par M. Latham ou qui serait en suspens.

[48]  Le 19 mai 2020, j’ai reçu du conseil du défendeur une réponse confirmant que M. Latham n’avait pas demandé une PSSE pour raisons médicales fondée sur les préoccupations relatives à la COVID‑19, même s’il avait demandé une libération conditionnelle totale et une semi‑liberté à un certain moment, ce qui, je suppose, fait référence à la [traduction] « demande » présentée par M. Latham, mentionnée plus haut aux paragraphes 42 et 43, et par rapport à laquelle il a été établi que M. Latham ne correspondait pas au [traduction] « profil » grâce auquel sa situation pourrait faire l’objet d’un examen au motif de préoccupations liées à la COVID‑19. Comme il a été indiqué, aucune demande de contrôle judiciaire n’a été déposée par M. Latham à l’égard de cette décision.

[49]  Bien que je compatisse avec M. Latham, il demeure qu’il n’a présenté aucune demande officielle pour se prévaloir de l’un des mécanismes administratifs prévus en vertu de la LSCMLC, à la lumière des risques liés à la COVID‑19, y compris une demande d’examen en vue d’une libération conditionnelle anticipée ou de PSSE pour raisons médicales compte tenu de ses préoccupations quant à la possibilité de contracter le virus.

[50]  L’article 107 de la LSCMLC prévoit clairement que la Commission des libérations conditionnelles a la compétence exclusive d’accorder la libération conditionnelle. À titre de tribunal spécialisé, la Commission des libérations conditionnelles est l’entité appropriée pour superviser la mise en liberté et le maintien en détention des personnes détenues depuis de nombreuses années (Steele c Établissement Mountain, [1990] 2 RCS 1385, 1990 CanLII 50 (CSC), aux par. 1418 et 1419). Tant que M. Latham ne présente pas une demande de libération comme le prévoit la LSCMLC, il serait généralement prématuré de demander réparation aux tribunaux.

[51]  Selon la règle générale, une partie peut demander réparation à la Cour seulement après avoir épuisé toutes les voies de recours dont elle dispose en droit administratif (Harelkin c Université de Regina, [1979] 2 RCS 561, 1979 CanLII 18 (CSC); Canada (Agence des services frontaliers) c CB Powell Limited, 2010 CAF 61, aux par. 30 à 33). Même si M. Latham laisse entendre que de tels efforts seraient probablement vains étant donné l’absence de soutien de la chaîne de commandement de l’Établissement de Bowden, je ne suis pas convaincu d’après les éléments de preuve dont je dispose qu’il existe une raison en l’espèce de s’écarter de cette règle générale du droit administratif canadien.

[52]  Une demande de mise en liberté fondée sur des raisons médicales liées au virus permettrait à M. Latham de demander éventuellement la révision par la Cour d’une décision défavorable dans le cadre d’un contrôle judiciaire. S’il y a des retards excessifs dans le prononcé de la décision pour une telle demande, M. Latham pourrait recourir à une ordonnance de mandamus en vue d’obtenir le prononcé de la décision.

[53]  Abstraction faite des questions relatives à la Charte, M. Latham doit comprendre qu’il existe des processus de demande de mise en liberté dont il ne s’est pas encore prévalu, et que la difficulté pour la Cour est qu’elle ne peut pas, comme M. Latham demande qu’elle le fasse, simplement se substituer à la Commission des libérations conditionnelles pour lui accorder une mise en liberté.

[54]  Dans l’état actuel des choses, M. Latham met la charrue devant les bœufs.

B.  Violation des droits garantis par la Charte

[55]  Le demandeur cherche à obtenir réparation au titre du paragraphe 24(1) de la Charte, qui prévoit des recours contre un acte inconstitutionnel du gouvernement une fois que la violation de la Charte est établie (R c 974649 Ontario Inc., 2001 CSC 81, [2001] 3 RCS 575, au par. 14 [Dunedin]) et qui confère à la Cour un large pouvoir discrétionnaire, lui permettant d’accorder une réparation convenable qui empêche, de façon efficace et adaptée à la situation, la violation des droits garantis par la Charte (Mills c La Reine, [1986] 1 RCS 863, 1986 CanLII 17 (CSC), au par. 965; Dunedin, au par. 20; Canada (Procureur général) c PHS Community Services Society, 2011 CSC 44, [2011] 3 RCS 134, aux par. 142, 145 [PHS Community Services]; Doucet‑Boudreau c Nouvelle‑Écosse (Ministre de l’Éducation), 2003 CSC 62, [2003] 3 RCS 3, au par. 25 [Doucet‑Boudreau]).

[56]  Dans l’arrêt Doucet‑Boudreau, la Cour suprême a énoncé les principes généraux concernant les réparations fondées sur le paragraphe 24(1) de la Charte :

54. Bien qu’il ne soit pas sage, à ce stade, de tenter de donner une définition détaillée de l’expression « convenable et juste » ou d’établir une distinction rigoureuse entre les deux mots, il existe néanmoins des facteurs généraux dont les juges devraient tenir compte en évaluant le caractère convenable et juste d’une réparation potentielle.  Ces principes généraux peuvent s’inspirer de la jurisprudence relative aux réparations accordées hors du contexte de la Charte, notamment celle où la règle du functus officio et les réparations trop vagues sont analysées, même si, comme nous l’avons dit, cette jurisprudence est strictement inapplicable aux ordonnances fondées sur le par. 24(1).

55. Premièrement, la réparation convenable et juste eu égard aux circonstances d’une demande fondée sur la Charte est celle qui permet de défendre utilement les droits et libertés du demandeur.  Il va sans dire qu’elle tient compte de la nature du droit violé et de la situation du demandeur.  Une réparation utile doit être adaptée à l’expérience vécue par le demandeur et tenir compte des circonstances de la violation ou de la négation du droit en cause.  Une réparation inefficace ou « étouffé[e] dans les délais et les difficultés de procédure » ne permet pas de défendre utilement le droit violé, et ne saurait donc être convenable et juste (voir Dunedin, précité, par. 20, la juge en chef McLachlin, citant Mills, précité, p. 882, le juge Lamer (plus tard Juge en chef)).

56. Deuxièmement, la réparation convenable et juste fait appel à des moyens légitimes dans le cadre de notre démocratie constitutionnelle.  Comme nous l’avons vu, le tribunal qui accorde une réparation fondée sur la Charte doit s’efforcer de respecter la séparation des fonctions entre le législatif, l’exécutif et le judiciaire et les rapports qui existent entre ces trois pouvoirs.  Cela ne signifie pas que la ligne de démarcation entre ces fonctions est très nette dans tous les cas.  Une réparation peut être convenable et juste même si elle peut toucher à des fonctions ressortissant principalement au pouvoir exécutif.  L’essentiel est que, lorsqu’ils rendent des ordonnances fondées sur le par. 24(1), les tribunaux ne s’écartent pas indûment ou inutilement de leur rôle consistant à trancher des différends et à accorder des réparations qui règlent la question sur laquelle portent ces différends.

57. Troisièmement, la réparation convenable et juste est une réparation judiciaire qui défend le droit en cause tout en mettant à contribution le rôle et les pouvoirs d’un tribunal.  Il ne convient pas qu’un tribunal se lance dans des types de décision ou de fonction pour lesquels il n’est manifestement pas conçu ou n’a pas l’expertise requise.  Les capacités et la compétence des tribunaux peuvent s’inférer, en partie, de leurs tâches normales pour lesquelles ils ont établi des règles de procédure et des précédents.

58. Quatrièmement, la réparation convenable et juste est celle qui, en plus d’assurer pleinement la défense du droit du demandeur, est équitable pour la partie visée par l’ordonnance. La réparation ne doit pas causer de grandes difficultés sans rapport avec la défense du droit.

59. Enfin, il faut se rappeler que l’art. 24 fait partie d’un régime constitutionnel de défense des droits et libertés fondamentaux consacrés dans la Charte.  C’est ce qui explique pourquoi, en raison de son libellé large et de la multitude de rôles qu’il peut jouer dans différentes affaires, l’art. 24 doit pouvoir évoluer de manière à relever les défis et à tenir compte des circonstances de chaque cas.  Cette évolution peut forcer à innover et à créer au lieu de s’en tenir à la pratique traditionnelle et historique en matière de réparation, étant donné que la tradition et l’histoire ne peuvent faire obstacle aux exigences d’une notion réfléchie et péremptoire de réparation convenable et juste. Bref, l’approche judiciaire en matière de réparation doit être souple et tenir compte des besoins en cause.

[57]  Conformément à ces principes, différentes formes de réparation ont été jugées accessibles en vertu du paragraphe 24(1), y compris la réparation de nature déclaratoire (Canada (Premier ministre) c Khadr, 2010 CSC 3, [2010] 1 RCS 44, aux par. 46 et 47; Association des parents de l’école Rose‑des‑vents c Colombie‑Britannique (Éducation), 2015 CSC 21, [2015] 2 RCS 139, aux par. 61 à 68); le mandamus (PHS Community Services, au par. 150), la réparation par voie d’injonction (Doucet‑Boudreau, au par. 70; RJR‑MacDonald Inc c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311, 1994 CanLII 117 (CSC)), les injonctions structurelles (Doucet‑Boudreau, aux par. 72 à 74), l’arrêt des procédures (R c O’Connor, [1995] 4 RCS 411, 1995 CanLII 51 (CSC), aux par. 68, 82), l’habeas corpus (R c Gamble, [1988] 2 RCS 595, 1988 CanLII 15 (CSC), à la p. 646), la modification de la peine (R c Nasogaluak, 2010 CSC 6, [2010] 1 RCS 206, aux par. 48 et 49, 63 à 65).

[58]  Dans le contexte de la pandémie de la COVID‑19, je dirais que la souplesse inhérente prévue au paragraphe 24(1) permet aux tribunaux d’adapter les réparations en tenant compte des particularités et des risques liés à une pandémie mondiale sans précédent qui a de nombreuses conséquences.

[59]  Dans l’abstrait, je reconnais que le défaut de fournir des soins de santé adéquats aux détenus ou de protéger leur santé et leur sécurité peut, dans certaines circonstances, constituer une violation des droits garantis par l’article 7 (PHS Community Services, au par. 93; Chaoulli c Québec (Procureur général), 2005 CSC 35, [2005] 1 RCS 791, au par. 43; Nouveau‑Brunswick (Ministre de la Santé et des Services communautaires) c G. (J.), [1999] 3 RCS 46, 1999 CanLII 653 (CSC); Blencoe c Colombie‑Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44, [2000] 2 RCS 307).

[60]  Un tel défaut constituerait également un manquement à l’obligation légale d’un établissement de fournir un environnement sûr et sain aux détenus (articles 70, 86 et 87 de la LSCMLC; Pawliw c Canada (Procureur général), 2007 CF 614, au par. 26; Reddock c Canada (Procureur général), 2019 ONCS 5053, aux par. 72 et 73).

[61]  De plus, je reconnais que les décideurs doivent exercer leur pouvoir discrétionnaire à la lumière de la situation liée à la COVID‑19 et conformément à la Charte (Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 RCS 3; PHS Community Services, aux par. 117, 128).

[62]  Cependant, même si je reconnais les importantes considérations relatives la Charte qui entrent en jeu en l’espèce, je ne suis pas convaincu que M. Latham s’est acquitté du fardeau qui lui incombait d’établir qu’il y a eu atteinte aux articles 7, 9 ou 12 de la Charte en raison d’une quelconque décision du SCC ou d’une autre personne, à Bowden.

[63]  Le simple fait que le demandeur est détenu dans un établissement correctionnel pendant la pandémie de la COVID‑19 et qu’il serait vulnérable à l’exposition à la COVID‑19 ne saurait à lui seul constituer un manquement à la Charte; il faut davantage d’éléments de preuve (Mackay c Manitoba, [1989] 2 RCS 357, 1989 CanLII 26 (CSC) [Mackay]).

[64]  En l’espèce, M. Latham n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve concernant les mesures de santé et de sécurité à Bowden (protocoles d’éloignement, protocoles de nettoyage, mesures de traçage des contacts, protocoles d’isolement, désinfectant pour les mains, équipement de protection personnelle, produits de nettoyage), les initiatives administratives prises à l’Établissement de Bowden, ses conditions de logement à l’Établissement de Bowden (dimensions de la cellule, lits superposés, salle à manger commune, etc.), ses dossiers médicaux et ses antécédents de comportement et les détails logistiques additionnels quant à son projet structuré de sortie.

[65]  Des éléments de preuve relatifs à ces facteurs seraient, selon moi, nécessaires si je dois déterminer s’il y a eu atteinte aux droits conférés à M. Latham par la Charte et si un tel manquement peut être considéré comme une limite raisonnable au sens de l’article 1 de la Charte. Les contestations fondées sur la Charte ne peuvent pas être tranchées dans un vide factuel (Mackay, au par. 361), et je crains que ce ne soit exactement le cas du peu d’information que renferme l’affidavit de M. Latham.

[66]  En plus des affirmations figurant dans l’affidavit de M. Latham, les seuls éléments de preuve concernant son état de santé se trouvent dans un formulaire de demande du détenu dûment rempli, joint à son affidavit.

[67]  Pendant l’audience, M. Latham a indiqué qu’il avait demandé aux Services de santé de l’Établissement de Bowden de rédiger un rapport sur son état de santé. Le 28 avril 2020, n’ayant pas reçu le rapport, M. Latham a demandé au médecin traitant de l’Établissement de Bowden d’informer son équipe de gestion de cas, en particulier son agent de libération conditionnelle, du fait qu’il est exposé à un risque élevé de mourir s’il contracte le virus de la COVID‑19; par voie de conséquence, il demandait que le médecin recommande qu’il soit mis en liberté, dans le cadre des démarches déjà en cours à l’Établissement de Bowen pour évaluer la population carcérale afin de déceler les personnes à plus haut risque.

[68]  Le 28 avril 2020, une infirmière autorisée a répondu que l’agent de libération conditionnelle de M. Latham avait été informé des [traduction] « multiples problèmes médicaux » qui exposeraient M. Latham [traduction] « à un risque plus élevé de complications graves » s’il contractait le virus. La réponse comprenait une déclaration indiquant qu’il n’y avait aucun cas de COVID‑19 actif dans l’Établissement de Bowden, et que [traduction« les Services de santé ne font aucune recommandation en matière de sécurité ».

[69]  En ce qui concerne la question du plan de libération conditionnelle approprié, je crains que le simple fait d’affirmer qu’il y a une place pour M. Latham qui l’attend au domicile de son fils ne soit pas suffisant pour dissiper les préoccupations soulevées quant au risque de danger que la libération de M. Latham pourrait représenter pour la collectivité. M. Latham n’explique pas non plus comment cet environnement serait pour lui moins risqué que le maintien en prison, étant donné les nouveaux protocoles adoptés par l’Établissement de Bowden.

[70]  M. Latham propose d’être assigné à résidence, et que la Gendarmerie royale du Canada [la GRC] soit chargée de faire appliquer cette mesure, ou d’imposer à une personne de l’Établissement de Bowden, à son agent de libération conditionnelle ou au fils de M. Latham ou à la partenaire de ce dernier l’obligation de le surveiller ou d’être en permanence avec lui s’il devait quitter la maison.

[71]  Je ne suis pas convaincu qu’imposer à la GRC l’obligation de surveiller l’assignation volontaire à résidence de M. Latham soit la bonne réponse. Quoi qu’il en soit, je doute que je sois même en mesure de proposer un plan qui serait satisfaisant. En fin de compte, il n’appartient pas aux tribunaux d’assumer l’obligation d’évaluer et de planifier la libération des détenus. La LSCMLC prévoit les mécanismes permettant d’entreprendre de telles démarches.

[72]  Il est clair que M. Latham a des problèmes médicaux qui entraîneraient pour lui un risque plus élevé dans le cas où il était exposé à la COVID‑19. Cependant, même en le prenant au pied de la lettre, je ne peux pas conclure que le témoignage présenté par M. Latham dans son affidavit atteint le seuil nécessaire pour démontrer soit qu’il est privé de sa liberté et qu’il n’est pas en sécurité, ce qui contrevient au principe de justice fondamentale, soit qu’il est soumis à des traitements ou peines cruels et inusités ou détenu ou emprisonné arbitrairement.

[73]  Il convient de rappeler que mon rôle n’est pas de réviser la décision de la Section d’appel du 27 janvier 2020. La décision en question fait l’objet d’une demande de contrôle judiciaire sous‑jacente.

[74]  Je ne peux pas non plus changer le fait que M. Latham a été déclaré délinquant dangereux et qu’il a été condamné à une peine d’une durée indéterminée, avec les restrictions et les limitations légales que cela suppose. Dans les circonstances actuelles, il ne peut obtenir la libération conditionnelle que si la Commission des libérations conditionnelles détermine qu’il ne représente plus un risque pour la société, ou plus particulièrement que tout risque est d’une manière ou d’une autre gérable en toute sécurité au sein de la collectivité.

[75]  Pendant l’audience, je me suis renseigné auprès du conseil du défendeur pour savoir si l’une des options prévues par la LSCMLC qu’il proposait serait raisonnablement accessible à M. Latham, compte tenu de son statut de délinquant dangereux, de sa peine de prison de durée indéterminée et du fait que la Commission des libérations conditionnelles et la Section d’appel ont récemment établi que le risque qu’il représente pour la collectivité serait [traduction« excessif » et ne pourrait pas être raisonnablement géré en dehors de la prison.

[76]  Le conseil a reconnu que la situation de M. Latham était particulièrement difficile, car toute demande de libération devait passer par la Commission des libérations conditionnelles et que celle‑ci devait être convaincue que tout plan de libération conditionnelle mis en place protégerait le public.

[77]  J’accepte que l’élément relatif au danger pour le public est toujours une préoccupation majeure pour la Commission des libérations conditionnelles. Par conséquent, il me semble clair que, si la Commission des libérations conditionnelles estimait que M. Latham continuait de représenter un danger pour le public et que le risque associé à sa libération ne pouvait être atténué ni géré de façon raisonnable, les options que le défendeur propose d’offrir à M. Latham en vertu de la LSCMLC relèvent de la fantaisie.

[78]  Que ferait donc une personne dans la situation de M. Latham? M. Latham laisse entendre qu’il est abandonné à son sort. Il est clair qu’il fait face à un risque élevé, s’il contracte le virus, mais il purge également une peine d’une durée indéterminée en plus d’être désigné délinquant dangereux. En outre, il conteste actuellement une décision de la Commission des libérations conditionnelles qui a conclu que le risque auquel serait exposée la collectivité s’il était libéré n’est pas gérable.

[79]  Je pense que, à défaut d’éléments de preuve plus significatifs pour appuyer la conclusion selon laquelle les droits de M. Latham garantis par la Charte ont été violés, c’est à la Commission des libérations conditionnelles et au SCC qu’il incombe d’élaborer les mécanismes nécessaires pour protéger les personnes comme M. Latham des difficultés et des dangers extrêmes causés par la COVID‑19.

[80]  La pandémie actuelle exige que nos établissements correctionnels et les tribunaux qui supervisent leurs décisions emploient de nouveaux moyens pour tenir compte des risques spécifiques posés par le virus. La pertinence de chaque moyen dépend de la nature de la demande, du statut du demandeur et des faits de l’affaire.

[81]  Nous avons constaté qu’il y a de nouvelles approches axées sur le risque dans le contexte des décisions de mise en liberté sous caution et de détermination de la peine, qui tiennent compte de la réalité de la COVID‑19, sous le régime du Code criminel, LRC 1985, c C‑46.

[82]  Par exemple, dans le contexte de la libération sous caution, les tribunaux canadiens ont considéré la COVID‑19 comme étant un facteur pertinent pour l’évaluation du motif relatif à « la confiance du public envers l’administration de la justice », conformément à l’alinéa 515(10)c) du Code criminel, en raison des risques encourus pour les détenus et des retards dans le système judiciaire qui résulteront de la pandémie (p. ex. R c JS, 2020 ONCS 1710, au par. 18; R c TL, 2020 ONCS 1885, au par. 36; R c Forbes, 2020 ONCS 1798, au par. 33).

[83]  La pandémie de la COVID‑19 peut également constituer un important changement des circonstances justifiant une révision de la mise en liberté sous caution, au titre de l’article 520 du Code criminel (p. ex., R c Cain, 2020 ONCS 2018, au par. 8; R c Rajan, 2020 ONCS 2118, au par. 18; R c Brown, 2020 ONCS 2626, aux par. 34 à 45), ou un facteur qui atténue la nécessité de la détention « pour la protection ou la sécurité du public », conformément à l’alinéa 515(10)b) du Code criminel (p. ex., TK, au par. 60).

[84]  Dans le contexte de la détermination de la peine, les tribunaux ont fait preuve d’une certaine clémence en adaptant la durée et les conditions de la peine pour tenir compte de la pandémie de la COVID‑19 (p. ex., Wilson, au par. 37; R c Reynolds, 2020 BCSC 732, au par. 48; R c McConnell, 2020 ONCJ 177, aux par. 35 à 37).

[85]  Les tribunaux d’appel ont accepté que la pandémie de la COVID‑19 soit un facteur atténuant en faveur de la mise en liberté en attendant l’issue d’un appel, en conformité avec l’article 679 du Code criminel (p. ex., R c Shingoose, 2020 SKCA 45, au par. 52; Kazman, aux par. 17 à 19; R c Stojanovski, 2020 ONCA 285; Egorho c Minister of Justice Canada, 2020 QCCA 568).

[86]  Ces circonstances exceptionnelles pourraient bien exiger que les Services de santé de l’Établissement de Bowden appuient la demande de PSSE pour raisons médicales de M. Latham plutôt que de simplement conclure qu’ils [traduction] « ne font aucune recommandation en matière de sécurité ».

[87]  M. Latham soutient qu’en raison de ses efforts constants en vue de faire valoir ses droits, de son approche souvent combative et des défis que posent sa peine et son statut de délinquant, il est placé en bas de la liste dans les démarches actuellement en cours à l’Établissement de Bowden pour gérer la population carcérale dans ces circonstances extrêmes.

[88]  Que ce soit vrai ou pas, le fait demeure que les éléments de preuve qui ont été présentés par M. Latham sont insuffisants pour m’amener à tirer la conclusion qu’il recherche.

[89]  Enfin, le défendeur conteste la compétence de la Cour pour ordonner la mise en liberté de M. Latham. Je ne me prononcerai pas sur cette question; compte tenu de mes conclusions concernant les éléments de preuve, point n’est besoin de l’examiner.

V.  Conclusion

[90]  Même si j’éprouve une grande sympathie pour la situation de M. Latham, je dois rejeter sa requête visant à obtenir la mise en liberté de sa détention actuelle.

[91]  Cela dit, je reconnais que la situation de M. Latham revêt un caractère relativement urgent. Par conséquent, j’ordonne que les délais prévus par les Règles des Cours fédérales pour le dépôt de documents et le recours à d’autres démarches procédurales continuent de s’appliquer en ce qui concerne la demande de contrôle judiciaire de M. Latham, en dépit de la période de suspension actuellement imposée par la Mise à jour de la directive sur la procédure et ordonnance (COVID‑19) du 4 avril 2020, telle que mise à jour le 29 avril et le 29 mai 2020.

[92]  Ma décision a pour seul but de traiter la chronologie des procédures à l’avenir, et n’aura aucune incidence sur le délai lié au dépôt initial de la demande de contrôle judiciaire par M. Latham, le 10 mars 2020, ou sur la validité de l’avis de comparution déjà déposé par le défendeur.

[93]  Si M. Latham a besoin de plus de temps pour présenter d’autres affidavits que ne le prévoit l’article 306 des Règles des Cours fédérales, il est libre de demander une prolongation à la Cour.

[94]  Je tiens à souligner que l’issue de la présente affaire n’a aucune incidence sur la légalité de l’incarcération de M. Latham ou sur la demande de contrôle judiciaire sous‑jacente.


ORDONNANCE dans le dossier T‑358‑20

LA COUR STATUE que :

  1. L’intitulé de la cause est modifié de façon à indiquer que le procureur général du Canada est le seul défendeur.

  2. La demande de contrôle judiciaire sous‑jacente doit être considérée comme urgente suivant la Mise à jour de la directive sur la procédure et ordonnance (COVID‑19) en date du 4 avril 2020, telle que mise à jour le 29 avril et le 29 mai 2020.

  3. La suspension des délais pour le dépôt de documents et le recours à d’autres démarches procédurales prévus dans les Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, y compris la période tampon supplémentaire de 14 jours, établie dans la Mise à jour de la directive sur la procédure et ordonnance (COVID‑19) en date du 4 avril 2020, telle que mise à jour le 29 avril et le 29 mai 2020, cesse de s’appliquer à la présente instance.

  4. Les délais relatifs à la demande de contrôle judiciaire sous‑jacente de M. Latham s’appliquent de la même manière que si l’avis de demande de contrôle judiciaire avait été signifié au défendeur, conformément à l’article 304 des Règles des Cours fédérales à la date de la présente ordonnance.

  5. Tous les documents nécessaires à la décision liée à la demande de contrôle judiciaire sous‑jacente doivent être déposés par voie électronique auprès de la Cour. Les parties doivent se reporter à la section Dépôt et signification des documents de la Mise à jour de la directive sur la procédure et ordonnance (COVID‑19), en date du 4 avril 2020.

  6. L’obligation de déposer des documents par voie électronique ne s’applique pas au demandeur, sauf s’il souhaite se prévaloir de cette méthode.

  7. Autrement, la présente requête est rejetée, sans frais.

« Peter G. Pamel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 20e jour de juillet 2020.

Semra Denise Omer, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑358‑20

 

INTITULÉ :

BRYAN RALSTON LATHAM c SA MAJESTÉ LA REINE ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AFFAIRE ENTENDUE PAR TÉLÉCONFÉRENCE À Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 MAI 2010

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE jUGE PAMEL

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 4 JUIN 2010

 

COMPARUTIONS :

Bryan Ralston Latham

 

pour le demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Keelan Sinnott

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Calgary (Alberta)

 

pour LES DÉFENDEURS

 

 

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