Date : 19990923
Dossier : IMM-6521-98
ENTRE :
KEVIN RICHARD ALYEA,
demandeur,
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,
défendeur.
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
LE JUGE CAMPBELL
[1] Cette demande de contrôle porte sur une décision du délégué du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration en date du 20 novembre 1998, dans laquelle il exprimait l'avis que le demandeur constitue un danger pour le public au Canada, en vertu du paragraphe 70(5) et du sous-alinéa 46.01(1)e)(iv) de la Loi sur l'immigration.
Contexte
[2] Kevin Richard Alyea a reçu le droit d'établissement le 27 mai 1983 et il a le statut de résident permanent au Canada.
[3] Suite à des incidents qui se sont produits entre 1990 et 1995, le 9 janvier 1997, après un procès devant juge et jury, M. Alyea a été déclaré coupable sous deux chefs d'accusation d'agression sexuelle et trois de contacts sexuels, en vertu des articles 271 et 151 du Code criminel. Le Dr Ian Postnikoff a préparé un rapport psychiatrique avant le prononcé de la sentence.
[4] Le 3 avril 1997, M. Alyea a été condamné à 30 mois d'emprisonnement sous chacun des chefs d'accusation d'agression sexuelle et à 18 mois d'emprisonnement sous chacun des chefs de contacts sexuels, les peines devant être purgées concurremment. Au cours de sa détention, les rapports suivants ont été préparés pour les Services correctionnels du Canada :
A) Le 5 mai 1997, un " Rapport sur le profil criminel ", par l'agent de règlement des cas D. Warren. |
B) Le 23 juin 1997, un " Rapport de placement pénitentiaire ", par les Services correctionnels du Canada. |
C) Le 7 août 1997, un rapport " psychologique/psychiatrique ", par Patricia Zapf, une interne en psychologie. |
[5] Le 10 novembre 1997, la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a annulé deux des déclarations de culpabilité pour contacts sexuels, mais a confirmé deux déclarations de culpabilité pour agression sexuelle et une pour contacts sexuels.
[6] Le 2 juillet 1998, un agent d'immigration a délivré un rapport prévu à l'alinéa 27(1)d) de la Loi sur l'immigration. On y note le fait que M. Alyea est un résident permanent du Canada.
[7] Le 7 septembre 1998, l'avocat de M. Alyea a présenté ses premiers arguments au sujet de l'Avis de danger, dans lesquels il soulignait que deux des cinq déclarations de culpabilité visant M. Alyea avaient été annulées par la Cour d'appel. Ces plaidoiries comprenaient le rapport pré-sentenciel du Dr Postnikoff ainsi que des lettres de référence. L'avocat a demandé une prorogation de délai, afin de permettre au Dr Postnikoff de se livrer à un deuxième examen.
[8] Le 20 octobre 1998, un rapport de 14 pages portant sur ce deuxième examen a été remis au ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration. On y trouve une vive critique de l'exactitude et du sérieux de la préparation des rapports des Services correctionnels du Canada, notamment le rapport psychologique/psychiatrique de Patricia Zapf. Le Dr Postnikoff déclare aussi qu'à son avis, M. Alyea présente un risque très faible de répéter ses crimes de violence à l'avenir.
[9] Le jour suivant, soit le 21 octobre 1998, un agent d'immigration a recommandé qu'on demande un avis ministériel portant que M. Alyea constitue un danger pour le public. Le 20 novembre 1998, le délégué du ministre a signé la documentation portant qu'il était d'avis que M. Alyea constitue un danger pour le public, en vertu du paragraphe 70(5) et de l'alinéa 46.01(1)e)(iv) de la Loi sur l'immigration.
La documentation soumise au délégué du ministre
[10] La documentation soumise au délégué du ministre comprend un formulaire normalisé où on trouve une liste des documents qui peuvent accompagner le résumé d'Avis de danger, avec des cases prévues pour l'apposition d'un X dans la marge vis-à-vis des documents se trouvant au dossier.
[11] En l'instance, bien qu'il y ait dans la partie F les intitulés " ÉVALUATIONS PSYCHIATRIQUES OU CERTIFICATS " et " RAPPORTS PRÉ-SENTENCIELS ", il n'y a pas de X dans la marge à l'espace prévu qui indiquerait que ces documents ont été soumis au délégué du ministre, nonobstant l'existence des deux rapports préparés par le Dr Postnikoff.
[12] En fait, ce n'est que dans un document de deux pages intitulé " DEMANDE D'UN AVIS MINISTÉRIEL " préparé par un agent de réexamen de l'immigration en date du 22 octobre 1998, que l'on trouve mention du deuxième rapport psychiatrique préparé par le Dr Postnikoff. Sous l'intitulé " Profil de danger ", rien ne porte sur le contenu des avis exprimés par le Dr Postnikoff. On y trouve seulement ceci :
[traduction]
- référence au rapport d'évaluation psychologique/psychiatrique des Services correctionnels qui explique le contexte des actes criminels de l'intéressé et qui fournit une évaluation quant au risque de récidive. |
[13] En fait, la seule brève référence au rapport du Dr Postnikoff dans tout le résumé se trouve sous l'intitulé " Risque en cas d'expulsion ". L'agent de réexamen mentionne alors :
[traduction]
Je note qu'à la page 6 de son rapport, le Dr Postnikoff déclare que
M. Alyea a déclaré qu'il n'y avait rien pour lui aux États-Unis. Il indique que s'il est expulsé vers les États-Unis, il cherchera probablement un emploi comme camionneur, ou comme conducteur d'une chargeuse ou d'un chariot de levage dans une scierie. Il dit qu'il pourrait toujours retourner trapper en forêt, mais que ce n'est pas ce qu'il a envie de faire. Il indique qu'il s'installerait probablement au Montana ou en Idaho. |
Analyse
[14] L'avocat du demandeur s'appuie sur la décision du juge McKeown dans Ngo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)1, où ce dernier déclare au paragraphe 31 que : " ...il est permis aux fonctionnaires de la ministre d'interpréter la preuve, dans la mesure où cette interprétation est sensiblement exacte dans le résumé qu'il présente à la ministre en vue d'obtenir une décision ".
[15] Le juge McKeown ajoute que les résumés fournis au ministre du rapport concernant l'avis ministériel (initial) et de la " Demande d'un avis ministériel " subséquente ne peuvent être contestés " ...dans la mesure où les deux rapports n'introduisent pas de nouveaux éléments de preuve ou ne qualifient pas erronément la preuve sur un élément important ".
[16] L'avocat du demandeur s'appuie aussi sur la décision du juge Blais dans Lee c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration). En examinant une situation semblable à celle de la présence instance, le juge Blais a dit être préoccupé par le fait que dans la partie F du rapport concernant l'avis ministériel, on n'avait pas porté de X vis-à-vis de documents très importants. En annulant la décision du délégué du ministre, il a déclaré ceci : " je ne suis pas convaincu que tous les documents disponibles ont été fournis au décideur, et il s'agit là d'une erreur donnant ouverture au contrôle judiciaire ".
Conclusion
[17] Au vu de la preuve qui m'est présentée, j'ai des préoccupations analogues à celles qui ont été exprimées dans Ngo et Lee.
[18] Le fait que la partie F du rapport concernant l'avis ministériel ne mentionne pas que les rapports pré-sentenciels et psychiatriques du Dr Postnikoff ont été transmis au délégué du ministre, me donne à penser qu'ils ne l'ont pas été.
[19] De plus, je conclus que la brève référence au sujet du deuxième rapport psychiatrique du Dr Postnikoff que l'on trouve dans la demande d'un avis ministériel qualifie erronément la preuve, en ce qu'elle ne donne pas l'essence de l'avis circonstancié qui s'y trouve en faveur de M. Alyea.
[20] Pour ces deux motifs, je conclus à une erreur donnant ouverture au contrôle judiciaire. En conséquence, la décision du délégué du ministre est annulée.
Douglas Campbell |
Juge
Vancouver (Colombie-Britannique)
Le 23 septembre 1999
Traduction certifiée conforme
Laurier Parenteau, B.A., LL.L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
DIVISION D'IMMIGRATION
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
No DU GREFFE : IMM-6521-98
INTITULÉ DE LA CAUSE : KEVIN RICHARD ALYEA
c.
MCI
LIEU DE L'AUDIENCE : VANCOUVER (C.-B.)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 15 SEPTEMBRE 1999
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DU JUGE CAMPBELL
EN DATE DU : 23 SEPTEMBRE 1999
ONT COMPARU
M. ZOOL SULEMAN POUR LE DEMANDEUR |
M. KIM SHANE POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
SULEMAN & COMPANY
VANCOUVER (C.-B) POUR LE DEMANDEUR |
MORRIS ROSENBERG
SOUS-PROCUREUR
GÉNÉRAL DU CANADA POUR LE DÉFENDEUR |