Date : 20030210
Dossier : T-626-96
Référence neutre : 2003 CFPI 140
ENTRE :
HUSSEIN FARZAM
demandeur
- et -
SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF
DU MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défenderesse
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
(Prononcés à l'audience à Ottawa (Ontario),
le 10 février 2003)
LE JUGE HUGESSEN
[1] Il s'agit en l'espèce d'une requête en jugement sommaire présentée par la défenderesse. Cette requête repose principalement sur des allégations de prescription de l'action du demandeur. À l'audience, la défenderesse a laissé tomber sa prétention secondaire selon laquelle elle n'avait aucune obligation de diligence (voir Anns c. Merton London Borough Council, [1978] A.C. 728, et Cooper c. Hobart, [2001] 3 R.C.S. 537) ou aucune obligation pouvant donner lieu à une poursuite. La défenderesse n'a évidemment pas laissé tomber cette prétention dans le sens où, s'il y a procès, elle pourra l'invoquer de nouveau.
[2] Le demandeur est un immigrant d'Iran arrivé au Canada en octobre 1988. Il a obtenu une autorisation d'emploi du ministère en janvier 1989 et le droit d'établissement en novembre 1991. Depuis le début - et, de toute évidence, même avant son arrivée au Canada -, le demandeur a dit clairement aux agents de l'Immigration qu'il voulait que son épouse, avec laquelle il s'était marié à Téhéran en 1984, vienne le rejoindre rapidement au Canada. Il y a eu des retards, mais un permis ministériel a finalement, et en partie à cause de ces retards, été délivré pour lui permettre de venir au Canada en janvier 1994.
[3] Malheureusement, comme le demandeur l'allègue, il était trop tard parce que les agents de l'Immigration à Téhéran avaient dit à plusieurs reprises à son épouse qu'aucune demande n'avait été faite afin qu'elle rejoigne son mari au Canada, alors que ce n'était apparemment pas le cas. Ce qui semble s'être passé en fait, c'est que, pour quelque raison que ce soit, deux dossiers ont été ouverts relativement à la demande de l'épouse et les documents qui ont été versés dans l'un de ces dossiers ne figuraient pas dans l'autre. C'est pour cette raison que l'épouse du demandeur a été mal informée au sujet des démarches entreprises par son mari pour qu'elle le rejoigne au Canada. Quoi qu'il en soit, elle ne faisait plus confiance au demandeur et a apparemment divorcé de lui en décembre 1993.
[4] La présente action a été introduite devant la Cour supérieure de l'Ontario en août 1995. À la demande de la défenderesse, la Cour a suspendu l'action et a permis qu'elle soit reprise devant notre Cour, ce qui a été fait en bonne et due forme. Mais, comme la défenderesse le reconnaît - et que je ne contesterai certainement pas -, la date pertinente aux fins du calcul du délai de prescription des actions est la date du dépôt de l'action devant la Cour supérieure de l'Ontario, soit le mois d'août 1995.
[5] La déclaration du demandeur peut être divisée en trois parties à des fins de commodité. Le demandeur invoque d'abord les déclarations inexactes qu'aurait faites un agent de l'Immigration à l'étranger avant son arrivée au Canada. Il prétend ensuite qu'il a perdu des possibilités d'emploi parce que, après son arrivée au Canada, il a été traité comme un revendicateur du statut de réfugié, de sorte qu'il ne pouvait pas travailler sans autorisation. Finalement, il invoque le dommage causé par la prétendue rupture de son mariage qui serait attribuable à la négligence de la défenderesse.
[6] À mon avis, la présente action semble fonder uniquement sur la négligence. L'avocat du demandeur a tenté, dans son argumentation, de faire valoir qu'il y avait eu manquement aux obligations de fiduciaire. Or, non seulement un tel manquement n'a pas été allégué et ne peut, de ce fait, être invoqué maintenant, mais, à mon avis, le demandeur n'a exposé aucun fait pouvant étayer une telle prétention. Le demandeur n'a pas démontré qu'il était particulièrement vulnérable, et les éléments dont je dispose indiquent assez clairement que, peu de temps après son arrivée au Canada, le demandeur a obtenu de l'aide juridique et des avis juridiques. Selon moi, bien qu'il soit exact que les différentes catégories d'obligations de fiduciaire ne sont pas limitées, celles-ci n'incluent pas les obligations que les agents de l'Immigration ont à l'égard des immigrants qui sont en mesure d'obtenir de l'aide juridique lorsqu'ils traitent avec le ministère et qui obtiennent effectivement une telle aide.
[7] Comme je l'ai dit au début, la requête repose sur le fait que les délais de prescription étaient expirés lorsque l'action a été introduite. Deux délais de prescriptions sont allégués. Le premier est le délai de six mois prévu par la Loi sur l'immunité des personnes exerçant des attributions d'ordre public (L.S.O. 1990, ch. P.38). Cette loi s'applique aux procédures intentées devant la Cour par le jeu de l'article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux (L.R.C. (1985), ch. C-50). La protection qu'elle offre ne s'étend cependant qu'aux actes ou omissions commis en Ontario. Pour les actes et omissions survenant à l'extérieur de cette province, la même disposition de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux fixe à six ans le délai de prescription.
[8] À mon avis, il ressort clairement de la lecture de ces lois que les deux premières prétentions du demandeur étaient prescrites au moment où l'action a été introduite. Peu importe ce qui a pu lui être dit ou non avant son arrivée au Canada, en octobre 1988. L'action intentée en août 1995 était prescrite. De même, peu importe les possibilités d'emploi dont il peut ne pas avoir profité parce qu'il était un revendicateur du statut de réfugié et qu'il n'était pas autorisé à travailler, cette situation a pris fin lorsqu'une autorisation d'emploi lui a été délivrée en janvier 1989. Ainsi, le délai de prescription applicable soit de six mois ou de six ans n'a aucune importance puisque ces délais étaient expirés depuis longtemps lorsque l'action a été introduite. J'ajouterais seulement qu'il n'y a absolument rien dans le dossier qui démontre, comme on l'allègue, qu'il a été impossible de découvrir ce qui s'est passé à cause des prétendus problèmes de santé du demandeur. En fait, il n'y a au dossier aucune preuve médicale.
[9] En ce qui concerne les prétentions du demandeur concernant les actes et les omissions de la défenderesse et de ses agents quant au traitement de la demande qu'il a présentée afin que sa femme soit autorisée à venir au Canada, la Cour dispose d'éléments de preuve lui permettant de conclure que le retard dans le traitement de cette demande était attribuable à la négligence du bureau de la défenderesse situé à Téhéran ou à Damas. Les agents de l'Immigration travaillant dans ces bureaux ne jouissent pas de la protection de la Loi sur l'immunité des personnes exerçant des attributions d'ordre public quant aux actes ou aux omissions qu'ils commettent. Par conséquent, la prétention fondée sur la prétendue négligence des agents travaillant dans les bureaux d'outre-mer du ministère semble être faite en temps opportun et ne devrait pas être rejetée.
[10] Toutefois, cette prétention doit être limitée aux actes ou aux omissions qui sont commis à l'étranger par des agents du ministère, de sorte qu'elle devrait être rejetée pour ce qui est des actes ou des omissions commis par des agents en Ontario.
[11] Par conséquent, la requête sera accueillie en partie seulement, et l'action du demandeur sera rejetée pour ce qui est des prétendus dommages relatifs à la perte de possibilités d'emploi, aux déclarations inexactes qui lui ont été faites avant son arrivée au Canada et aussi au défaut d'admettre son épouse au Canada, dans la mesure où ces prétentions reposent sur la prétendue négligence des agents de la défenderesse qui n'a pas été commise à l'extérieur du Canada.
(Plus tard)
[12] Les dépens de 1 500 $ de la défenderesse seront payés sans délai, quelle que soit l'issue de la cause.
ORDONNANCE
L'action du demandeur est rejetée pour ce qui est des dommages relatifs à la perte de possibilités d'emploi et aux déclarations inexactes qui lui ont été faites avant son arrivée au Canada. Les prétentions du demandeur fondées sur le défaut d'admettre son épouse au Canada sont également rejetées dans la mesure où elles reposent sur la prétendue négligence des agents de la défenderesse qui n'a pas été commise à l'extérieur du Canada.
Des dépens de 1 500 $ sont payables sans délai à la défenderesse, quelle que soit l'issue de la cause.
« James K. Hugessen »
Juge
Ottawa (Ontario)
Le 10 février 2003
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-626-96
INTITULÉ : HUSSEIN FARZAM c. SA MAJESTÉ LA REINE
DATE DE L'AUDIENCE : Le 10 février 2003
LIEU DE L'AUDIENCE : Ottawa (Ontario)
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : Monsieur le juge Hugessen
DATE DES MOTIFS : Le 10 février 2003
COMPARUTIONS :
David Hughes POUR LE DEMANDEUR
Michael Roach POUR LA DÉFENDERESSE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Barnes Sammon LLP POUR LE DEMANDEUR
Ottawa (Ontario)
Morris Rosenberg POUR LA DÉFENDERESSE
Sous-procureur général du Canada