Date : 20011102
Dossier : IMM-829-01
Référence neutre : 2001 CFPI 1197
ENTRE :
MANUEL DE JESUS CORTEZ
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
[1] Le 13 juillet 1992, la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que le demandeur était un réfugié au sens de la Convention. Le 7 février 2001, la Commission a, en vertu de l'article 69.2 de la Loi sur l'immigration, annulé sa décision du 13 juillet 1992. C'est cette décision que le demandeur cherche à faire annuler par sa demande de contrôle judiciaire.
[2] Le demandeur invoque les deux moyens suivants à l'appui de sa demande :
(1) La Commission a commis une erreur en fondant sa décision sur une conclusion de fait erronée, qu'elle a tirée sans tenir compte des éléments dont elle disposait;
(2) La Commission a commis une erreur en refusant d'exercer son pouvoir discrétionnaire en tenant compte des événements antérieurs à octobre 2000 pour conclure au désistement de la demande du ministre.
[3] Je commence par le second moyen. Le 7 mai 1997, le ministre a demandé à la Commission l'autorisation d'introduire une demande d'annulation et, le 2 juin 1997, cette autorisation lui a été accordée. En conséquence, le ministre a, en vertu du paragraphe 69.2(2) de la Loi sur l'immigration, demandé à la Commission de réexaminer et d'annuler sa décision du 13 juillet 1992.
[4] Le 17 décembre 1998, la Commission a rejeté la demande d'annulation du ministre, mais le 21 janvier 2000, le juge Pinard a annulé la décision de la Commission et a renvoyé l'affaire à la Commission pour qu'elle la réexamine.
[5] Une nouvelle date d'audience a été fixée au 23 octobre 2000. L'affaire n'a cependant pas été instruite ce jour-là, étant donné que l'avocat du ministre a alors demandé un ajournement parce qu'il venait tout juste de prendre connaissance du dossier et qu'il n'avait pas encore reçu d'instructions. Le 25 octobre 2000, la Commission a envoyé au ministre un avis de convocation à une audience relative au désistement devant avoir lieu le 20 décembre 2000. Ce jour-là, la Commission a entendu les arguments des avocats des deux parties et a rendu l'ordonnance suivante :
[TRADUCTION]
LE PRÉSIDENT : Revenons au dossier. Nous allons rendre notre décision sur la demande de justification.
Ayant eu l'occasion d'écouter les explications fournies par Me Tucci au nom du service du contentieux du ministre et celles que Me Riecken a données en réponse, nous allons annuler la demande de justification et allons entendre la preuve de l'avocat du ministre. J'aimerais expliquer brièvement comment nous en sommes arrivés à cette décision.
À notre avis, la Section de première instance de la Cour fédérale a suivi la progression de ce dossier jusqu'à son renvoi au présent tribunal. Le défaut d'agir à la date prévue en octobre 2000 n'était pas, si nous avons bien compris, volontaire de la part de l'avocat du ministre, mais elle était plutôt imputable à de mauvaises consignes administratives en matière de gestion de dossiers. Nous vous croyons sur parole, Me Tucci, lorsque vous dites que ces problèmes ont été abordés et nous espérons qu'il continuera à en être ainsi.
L'avocat du ministre avait précisé qu'il était prêt à commencer. Les diligences que l'avocat du ministre a faites jusqu'à maintenant dans ses rapports avec le présent tribunal démontrent son intention générale de faire instruire l'affaire et c'est précisément ce que nous allons faire.
Bon, nous allons maintenant passer à... oui, et je demande à mes collègues s'ils sont d'accord avec ce que je viens de dire.
COMMISSAIRE GIBBS : Je suis d'accord avec les propos du président.
COMMISSAIRE ROSS : Je suis du même avis et j'ajouterais que les agissements du ministre aux diverses étapes démontrent qu'il a effectivement l'intention de faire instruire la présente affaire.
[6] Au cours de l'audience qui s'est déroulée devant moi, j'ai informé l'avocat du demandeur qu'à mon avis, il ne pouvait plus contester la décision que la Commission a rendue le 20 décembre 2000, étant donné que cette décision n'a fait l'objet d'aucune demande de contrôle judiciaire. La question de savoir si la Commission a fondé sa décision sur des motifs légitimes ne présente pas le moindre intérêt à cette étape-ci. La décision de la Commission est sans appel et elle ne peut plus être contestée. La demande de contrôle judiciaire dont je suis saisi ne vise pas l'annulation de la décision que la Commission a rendue le 20 décembre 2000, mais uniquement celle qu'elle a prononcée le 7 février 2001.
[7] Je passe maintenant au premier moyen invoqué par le demandeur pour affirmer que, pour en arriver à sa conclusion, la Commission s'est fondée sur des conclusions de fait erronées tirées sans tenir compte des éléments dont elle disposait. Pour les motifs qui suivent, je suis d'avis que la Commission n'a commis aucune erreur qui justifierait mon intervention.
[8] Les motifs que la Commission a invoqués pour justifier sa décision d'annuler l'ordonnance du 13 juillet 1992 sont, à mon avis, limpides. En premier lieu, la Commission a conclu que le demandeur avait obtenu le statut de réfugié par des moyens frauduleux, par de fausses indications sur des faits importants et par la suppression de faits importants. En second lieu, la Commission s'est dit d'avis qu'en raison de sa conclusion au sujet des déclarations frauduleuses faites par le demandeur, il n'y avait pas suffisamment d'éléments de preuve pour lui permettre de rendre une décision favorable. La contestation formulée par le demandeur en l'espèce concerne le second volet de la décision de la Commission.
[9] Le demandeur ne peut nier - et il n'a pas tenté de le faire - qu'il a fait d'importantes fausses déclarations en 1992 au tribunal qui a instruit sa revendication du statut de réfugié. Après avoir examiné les faits pertinents et après avoir relevé les fausses déclarations que le demandeur avait faites en 1992, la Commission a tenu les propos suivants, aux pages 7 et 8 de sa décision :
[TRADUCTION]
ANALYSE
L'instruction des demandes d'annulation se fait en deux étapes.
Dans un premier temps, le tribunal doit décider si le défendeur a obtenu le statut de réfugié par des moyens frauduleux, par une fausse indication sur un fait important ou par la suppression ou la dissimulation d'un fait important.
À la seconde étape, le tribunal est appelé à décider s'il y a lieu de rejeter la demande de l'avocat du ministre s'il estime que, malgré la conclusion qu'il a tirée à la première étape, il existait suffisamment d'autres éléments de preuve sur lesquels la décision était ou aurait pu être fondée. Le tribunal ne peut tenir compte d'éléments de preuve qui n'avaient pas été portés à la connaissance du premier tribunal.
Si le récit donné par le revendicateur au sujet de son retour au Salvador après 1988 n'est pas crédible, le récit du meurtre de son frère et des mauvais traitements qu'il a lui-même subis en 1990 de la part de l'ESAF ne peut être crédible. J'en conclus donc qu'il n'existe pas d'éléments de preuve postérieurs à 1988 sur lesquels la décision initiale aurait pu être fondée. Les éléments de preuve relatifs aux événements survenus avant 1988 n'auraient pas été suffisants lors de l'audience de 1992 pour établir que le revendicateur avait raison de craindre d'être persécuté.
[10] Un examen attentif des motifs de la Commission m'amène à conclure que la Commission a estimé que le demandeur n'était pas une personne crédible. Il n'est pas nécessaire d'insister longuement sur ce point, puisque le demandeur a lui-même reconnu qu'il n'avait pas dit la vérité à plusieurs égards en 1992.
[11] Il est intéressant de s'arrêter sur la réponse que le demandeur a donnée à la question no 37 du formulaire de renseignements personnels qu'il a signé le 4 octobre 1991. Dans sa réponse, le demandeur a beaucoup insisté sur les événements qui s'étaient produits en 1990 et en 1991, à une époque où, suivant la Commission, il ne se trouvait pas au Salvador mais bien aux États-Unis. Pour ce qui est des événements qui seraient survenus avant 1988, le demandeur est demeuré très vague dans sa réponse à la question no 37. Ainsi que l'avocat du demandeur l'a signalé au cours de l'audience, la décision que la Commission a rendue le 13 juillet 1992 reposait en grande partie sur la conclusion que le demandeur était un témoin crédible et que son témoignage était, de ce fait, digne de foi. Or, nous savons maintenant avec certitude que cette conclusion a été tirée sur la foi de fausses déclarations.
[12] Aux paragraphes 11, 12, 13 et 18 de ses observations écrites, l'avocat du ministre, Me Namazi, déclare ce qui suit :
[TRADUCTION]
11. En conséquence, la Section du statut de réfugié a jugé non crédible le récit de Cortez au sujet de son retour au Salvador après 1988, du meurtre de son frère et des mauvais traitements qu'il aurait lui-même subis de la part de l'ESAF en 1990. La Section du statut de réfugié a par conséquent conclu qu'il n'y avait aucun élément de preuve postérieur à 1988 qui lui aurait permis de faire droit à la revendication originale. De plus, les éléments de preuve relatifs aux incidents antérieurs à 1988 auraient été insuffisants lors de l'audience de 1992 pour démontrer que Cortez avait raison de craindre d'être persécuté.
12. En fait, il restait peu ou point d'éléments de preuve qui n'étaient pas viciés par les fausses déclarations de Cortez :
a) Cortez était un directeur de la construction au Salvador;
b) À compter de 1982, Cortez a aidé d'autres personnes à créer un groupe de bénévoles chargé de distribuer des biens aux pauvres;
c) L'ESAF harcelait à l'occasion les bénévoles.
13. Les autres éléments de preuve étaient manifestement insuffisants pour appuyer la revendication du statut de réfugié de Cortez. Les autres éléments de preuve ne démontraient pas qu'il y avait plus qu'une simple possibilité que Cortez obtienne gain de cause lors de l'audience de 1992. Il est de jurisprudence constante qu'une revendication du statut de réfugié au sens de la Convention doit comporter à la fois un fondement objectif et un fondement subjectif. Compte tenu de l'analyse que la Section du statut de réfugié a faite des événements survenus après 1988, analyse que Cortez ne conteste pas, le présumé incident déclencheur qui se trouve au coeur de la crainte de persécution de Cortez a été jugé non crédible. En ce qui concerne les événements antérieurs à 1988, Cortez se trouvait souvent aux États-Unis. Compte tenu des fausses déclarations faites par Cortez et des autres éléments de preuve, la décision de la Section du statut de réfugié était raisonnable.
[...]
18. En réponse aux paragraphes 19 à 22 du mémoire du demandeur, outre ses conclusions sur les fausses déclarations relatives aux événements survenus après 1988, la Section du statut de réfugié a effectivement déclaré que Cortez avait été absent des États-Unis à compter de 1977. De plus, même si la Section du statut de réfugié a accepté le témoignage de Cortez au sujet des événements antérieurs à 1988, il n'y a aucun élément qui appuie une revendication du statut de réfugié au sens de la Convention. Même si l'on devait accepter les autres éléments de preuve tels qu'ils sont formulés au paragraphe 20 du mémoire du demandeur, il manque certains éléments essentiels à la revendication de Cortez. Tout d'abord, il n'y a pas eu de persécution. L'événement déclencheur est vicié et ne fait plus partie de la revendication. Les événements antérieurs à 1988 qu'a relatés Cortez ne constituent pas de la persécution. En second lieu, la revendication ne comporte pas de fondement subjectif. Lors de l'audience de 1992, Cortez a témoigné que ce n'est qu'à la suite du présumé événement déclencheur, et pas avant, qu'il avait décidé de partir.
[13] À mon avis, Me Namazi a raison. Pour refuser de donner gain de cause au demandeur, la Commission a déclaré que les événements survenus avant 1988 qu'invoquait le demandeur [TRADUCTION] « auraient été insuffisants lors de l'audience de 1992 pour démontrer que Cortez avait raison de craindre d'être persécuté » . À mon avis, compte tenu des éléments de preuve soumis à la Commission et plus précisément des éléments de preuve qui avaient été portés à la connaissance des commissaires saisis de l'affaire en 1992, cette conclusion n'était pas déraisonnable.
[14] Le demandeur affirme que la Commission n'a pas tenu compte d'un certain rapport médical et d'une certaine évaluation psychologique. Cet argument est à mon avis mal fondé. Ayant conclu que le demandeur n'était pas crédible, la Commission n'était pas tenue, selon moi, d'expliquer pourquoi elle ne pouvait se fonder sur ces documents ou leur accorder de la valeur. Il n'est pas nécessaire que je reproduise les arguments que le demandeur a formulés à ce sujet et que l'on trouve aux paragraphes 32 et suivants de son mémoire. Le demandeur y affirme notamment que ces rapports renferment des éléments de preuve médicaux et psychologiques qui expliqueraient les raisons pour lesquelles il a trompé les commissaires qui étaient saisis de l'affaire en 1992. Quoi qu'il en soit, il est évident que le second tribunal n'a pas cru les explications fournies par le demandeur au sujet de son témoignage de 1992.
[15] Ce que le demandeur a essayé de faire, c'est de soulever des objections « techniques » pour contester la décision de la Commission. Il n'en demeure pas moins qu'il a menti à la Commission en 1992 et qu'il a de nouveau menti à la Commission en 2000 sur d'autres points. Comme il a été pris, le demandeur a cherché à expliquer ou à justifier ses déclarations trompeuses. La Commission n'a pas accepté ses explications et, en conséquence, elle a écarté une très grande partie de la preuve que le demandeur avait présentée en 1992. Dans ces conditions, la conclusion qui en découlait était presque inévitable.
[16] Malgré les tentatives énergiques faites par Me Riecken pour me persuader du contraire, je suis d'avis que la présente demande doit être rejetée.
« Marc Nadon »
Juge
Vancouver (Colombie-Britannique)
Le 2 novembre 2001
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL. L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-829-01
INTITULÉ : Manuel De Jesus Cortez c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration
LIEU DE L'AUDIENCE : Vancouver (Colombie-Britannique)
DATE DE L'AUDIENCE : 31 octobre 2001
MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE LA COUR : LE JUGE NADON
DATE DES MOTIFS : 2 novembre 2001
COMPARUTIONS:
Me Guy Riecken POUR LE DEMANDEUR
Me Manada Namazi POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:
Legal Services Society POUR LE DEMANDEUR
Vancouver (Colombie-Britannique)
Sous-procureur général du Canada POUR LE DÉFENDEUR
Ministère de la Justice
Vancouver (Colombie-Britannique)