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Date : 20200512


Dossier : T‑2085‑18

Référence : 2020 CF 614

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 12 mai 2020

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

EXPRESS GOLD REFINING LTD.

demanderesse

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Express Gold Refining Ltd. (la demanderesse) achète de la ferraille d’or et d’autres métaux précieux, puis les raffine pour les revendre sous forme pure. Elle paie la taxe sur les produits et services ou la taxe de vente harmonisée (TPS/TVH) sur ses achats, mais elle ne perçoit pas cette taxe sur ses ventes, parce que la vente de métaux précieux raffinés n’y est pas assujettie. La demanderesse a le droit de demander des crédits de taxe sur les intrants (CTI) pour la taxe qu’elle paie pour ces achats, et ces crédits dépassent la TPS/TVH qu’elle perçoit sur d’autres transactions. Elle est donc constamment en mesure de se faire rembourser une partie des taxes qu’elle a payées dans le cadre normal de ses activités commerciales.

[2]  La demanderesse a produit sa déclaration de revenus pour la période de déclaration d’août 2018, dans laquelle elle réclamait un remboursement de taxe nette de 9 128 196,67 $. Par la suite, l’Agence du revenu du Canada (l’ARC) a informé la demanderesse qu’une vérification de la déclaration avait commencé et que le remboursement de taxe nette pour ce mois était retenu. La portée de la vérification a par la suite été élargie pour couvrir la période du 1er juin 2016 au 31 octobre 2018, et l’ARC a informé la demanderesse qu’elle ne recevrait pas son remboursement de taxe nette d’août ni aucun remboursement pour les mois suivants pendant que la vérification était en cours.

[3]  La demanderesse prétend que le défendeur ne s’est pas conformé à l’obligation de payer le remboursement de taxe nette « avec diligence » conformément au paragraphe 229(1) de la Loi sur la taxe d’accise, LRC 1985, c E‑15 [la Loi]. Elle demande une ordonnance de mandamus pour obliger le défendeur à payer les remboursements avant la fin de la vérification.

[4]  Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

II.  Contexte

[5]  La demanderesse est une entreprise familiale fondée en 1994. Elle achète de la ferraille d’or et d’autres métaux précieux qui sont ensuite raffinés par des tiers en vue de la revente sous forme purifiée. Elle a un volume important de transactions, mais affirme que ses marges de profit sont très faibles.

[6]  La demanderesse produit des déclarations de TPS/TVH chaque mois, comme c’est permis pour les entreprises qui sont en situation de remboursement de la taxe. La demanderesse paie la TPS/TVH sur ses achats de ferraille auprès de fournisseurs, mais ses ventes de métaux précieux raffinés ne sont pas assujetties à la TPS/TVH, car il s’agit de transactions « détaxées ». Les déclarations mensuelles de TPS/TVH de la demanderesse comprennent habituellement d’importants montants de CTI, soit la TPS/TVH qu’elle a payée ou doit payer à ses fournisseurs et un montant beaucoup moins élevé de TPS/TVH perçue. Il en résulte un remboursement mensuel de taxe nette, conformément à l’alinéa 228(3)b) de la Loi.

[7]  En 2004 et de nouveau en 2010, l’ARC a lancé des vérifications des demandes de remboursement de la TPS/TVH nette de la demanderesse. L’ARC a retenu les remboursements de taxe nette de la demanderesse pendant de longues périodes pendant que ces vérifications étaient en cours. La seconde vérification a nécessité une décision de la Direction de l’accise et des décisions de la TPS/TVH, rendue en 2013, sur la façon dont le régime fiscal s’appliquait à certains aspects de l’entreprise, ce qui a retardé la réalisation de cette vérification. Les deux vérifications ont donné lieu à de nouvelles cotisations par l’ARC, plusieurs années après le début de chaque vérification. La première nouvelle cotisation a donné lieu à un remboursement de taxe de plus de 750 000 $ versé à la demanderesse, tandis que la seconde a montré qu’elle devait près de 900 000 $ en taxes.

[8]  De plus, l’ARC a eu des interactions continues et régulières avec la demanderesse au sujet de ses relations avec des tiers dans l’industrie de la ferraille d’or. La demanderesse affirme qu’elle a toujours coopéré avec l’ARC, que ce soit au sujet des deux vérifications ou de ces autres demandes d’information.

[9]  Le 6 septembre 2018, la demanderesse a produit sa déclaration de TPS/TVH pour la période de déclaration d’août 2018, dans laquelle elle demandait un remboursement de taxe nette de 9 128 196,67 $ sur des ventes de 30 954 282,40 $. Le 4 octobre 2018, l’ARC l’a informée que la déclaration d’août 2018 faisait l’objet d’une vérification. Le dossier a été transféré à un autre bureau de l’ARC et, le 6 novembre 2018, la demanderesse a été informée que la portée de la vérification était élargie pour couvrir la période du 1er juin 2016 au 31 octobre 2018. De plus, l’ARC a indiqué qu’elle ne paierait pas le remboursement de taxe nette pour la période d’août 2018 ou toute période subséquente, en attendant la fin de la vérification.

[10]  La déclaration de la demanderesse pour la période de déclaration d’août 2018 avait été initialement signalée par un système automatique en vue d’un examen approfondi. L’ARC avait établi que l’industrie de la ferraille d’or était une industrie à risque élevé. Un examinateur a passé en revue la déclaration d’août 2018, puis une analyse de risque supplémentaire a été effectuée. La déclaration a été sélectionnée aux fins de vérification en raison d’une augmentation importante des demandes de remboursement de taxe nette de la demanderesse, qui sont passées de 5,47 millions de dollars pour l’exercice se terminant le 31 mai 2015 à 74,7 millions de dollars pour l’exercice se terminant le 31 mai 2018.

[11]  Au début de novembre 2018, les représentants juridiques de la demanderesse ont écrit à l’ARC pour lui demander de payer le remboursement de taxe nette d’août 2018, conformément à l’obligation prévue à l’article 229 de la Loi.

[12]  Le vérificateur a répondu le 26 novembre 2018, confirmant que la portée de la vérification avait été élargie et que les remboursements de taxe nette de la demanderesse seraient retenus pour la durée de la vérification. La lettre explique que toutes les déclarations de TPS/TVH sont systématiquement examinées afin de relever les erreurs ou les preuves de non‑conformité, et que certains remboursements peuvent être retenus pendant l’examen du compte, [traduction« pour permettre à l’ARC de veiller à ce que les inscrits ne reçoivent que le bon montant de remboursement auquel ils ont droit afin de protéger l’assiette fiscale de la TPS/TVH ». Le fondement de la décision de retenir le remboursement est expliqué au paragraphe suivant :

[traduction]

L’article 229 de la Loi sur la taxe d’accise (la Loi) prévoit que le ministre verse « avec diligence » le remboursement à une personne après la production de la déclaration. L’expression « avec diligence » n’est pas définie dans la Loi. La période pendant laquelle le ministre peut retenir un remboursement relatif à une déclaration est déterminée par la complexité du dossier et le temps requis pour effectuer un examen de la déclaration produite. Cette période peut varier et est proportionnelle au risque décelé dans le dossier. À la lumière de notre examen du dossier de votre cliente pour la période visée par la vérification, nous avons déterminé qu’il serait inapproprié de verser le remboursement de taxe d’août 2018 que [la demanderesse] a demandé, ou en fait les remboursements subséquents, jusqu’à ce que notre vérification soit terminée. Avec la collaboration continue de votre cliente, nous avons l’intention de mener et de conclure cette vérification en temps opportun.

[13]  En ce qui concerne la préoccupation de la demanderesse au sujet de l’incidence du remboursement en retard sur son entreprise, le vérificateur a noté que l’une des ententes de la demanderesse avec ses fournisseurs stipulait qu’elle se réservait le droit de retarder le paiement de la taxe de vente due jusqu’à ce que l’ARC compense ou refuse le montant de la taxe. Compte tenu de ce fait, le vérificateur a déclaré que l’affirmation selon laquelle le retard forcerait l’entreprise à faire faillite semblait exagérée, à moins qu’il n’y ait d’autres circonstances dont il n’était pas au courant. Le vérificateur a affirmé que l’ARC [traduction« n’essaie pas de compromettre les activités [de la demanderesse], mais agit plutôt de bonne foi d’une manière conforme à son mandat législatif ». La lettre conclut ainsi : [traduction« Comme vous pouvez le constater, le raffinage des métaux précieux implique des transactions complexes avec de multiples fournisseurs. Par souci de diligence raisonnable, l’ARC est tenue de vérifier s’il y a des erreurs ou des omissions dans la déclaration de ces opérations. »

[14]  Le 6 décembre 2018, la demanderesse a déposé la présente demande d’ordonnance de mandamus afin d’obliger le défendeur à payer les remboursements de taxe nette immédiatement, ainsi qu’une demande d’ordonnance de certiorari annulant la décision de retenir les remboursements de taxe nette.

[15]  La vérification était toujours en cours, car les vérificateurs se sont rendus dans les bureaux de la demanderesse au cours de la semaine du 14 janvier 2019 pour mener des entrevues et examiner des documents.

[16]  L’instruction de l’affaire a eu lieu le 3 juillet 2019, puis le tribunal a pris l’affaire en délibéré. Le 30 août 2019, la demanderesse a écrit à la Cour pour indiquer qu’elle avait l’intention de présenter une requête en réouverture de l’audience afin de présenter de nouveaux éléments de preuve sur les mesures prises par le défendeur après l’audience. Par la suite, deux requêtes ont été déposées : la demanderesse a présenté sa requête en réouverture de l’audience pour présenter de nouveaux éléments de preuve, et le défendeur a présenté une requête en radiation de l’affidavit déposé par la demanderesse à l’appui de sa requête. Ces requêtes sont abordées ci‑dessous.

III.  Les questions en litige et la norme de contrôle

[17]  Il y a deux questions à trancher :

  1. La Cour devrait‑elle rendre une ordonnance de mandamus pour forcer le défendeur à payer les remboursements de taxe nette réclamés par la demanderesse?
  2. La Cour devrait‑elle accueillir la requête de la demanderesse visant la réouverture de l’audience en vue de produire de nouveaux éléments de preuve?

[18]  L’analyse traditionnelle de la norme de contrôle ne s’applique pas à l’une ou l’autre des questions, sauf en ce qui concerne la contestation de l’interprétation du paragraphe 229(1) de la Loi par l’ARC. La demanderesse a soutenu la question ci‑dessus était assujettie à la norme de contrôle de la décision correcte, mais à la lumière de la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, aux par. 108 à 124, elle est assujettie à un contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

IV.  Analyse

A.  La Cour devrait‑elle rendre une ordonnance de mandamus pour forcer le défendeur à payer les remboursements de taxe nette réclamés par la demanderesse?

(1)  Le cadre juridique

[19]  La présente affaire repose sur l’interprétation du paragraphe 229(1) de la Loi :

Paiement du remboursement de taxe nette

Payment of net tax refund

229 (1) Le ministre verse avec diligence le remboursement de taxe nette payable à la personne qui le demande dans sa déclaration produite en application de la présente section.

229 (1) Where a net tax refund payable to a person is claimed in a return filed under this Division by the person, the Minister shall pay the refund to the person with all due dispatch after the return is filed.

[20]  La demanderesse soutient que le défaut de l’ARC de payer son remboursement de taxe nette « avec diligence » devrait donner lieu à une ordonnance de mandamus. Le critère pour obtenir une ordonnance de mandamus a été établi par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Apotex Inc c Canada (Procureur général), [1994] 1 CF 742, [1993] ACF n1098 (QL) [Apotex], confirmé par l’arrêt [1994] 3 RCS 1100, [1994] ACS n113 (QL), et résumé récemment dans l’arrêt Canada (Santé) c The Winning Combination Inc, 2017 CAF 101 (autorisation d’interjeter appel à la CSC refusée : 2018 CanLII 30056), au paragraphe 60 :

(1) il doit exister une obligation légale d’agir à caractère public;

(2) l’obligation doit exister envers le requérant;

(3) il existe un droit clair d’obtenir l’exécution de cette obligation;

(4) lorsque l’obligation dont on demande l’exécution forcée est discrétionnaire, des principes additionnels s’appliquent;

(5) le requérant n’a aucun autre recours;

(6) l’ordonnance sollicitée aura une incidence sur le plan pratique;

(7) le tribunal estime que rien n’empêche d’obtenir le redressement demandé;

(8) compte tenu de la balance des inconvénients, une ordonnance de mandamus devrait être rendue.

(2)  La position de la demanderesse

[21]  La demanderesse soutient que le défendeur a appliqué aveuglément une politique imparfaite fondée sur son interprétation erronée du paragraphe 229(1) de la Loi. Elle soutient qu’elle a satisfait à tous les éléments du critère de l’arrêt Apotex pour obtenir une ordonnance de mandamus. La disposition crée une obligation légale publique pour l’ARC de payer un remboursement, et cette obligation est due à la demanderesse parce qu’elle a produit sa déclaration de TPS/TVH en réclamant un remboursement de taxe nette pour les périodes applicables, et qu’elle a donc satisfait aux deux premiers éléments du critère de l’arrêt Apotex.

[22]  Le cœur de l’argument de la demanderesse est qu’elle a clairement le droit d’être remboursée, parce que le paragraphe 229(1) exige que le remboursement soit effectué nonobstant tout examen ou toute vérification que l’ARC peut entreprendre. La demanderesse souligne l’approche acceptée de l’interprétation des lois établie par la Cour suprême du Canada, qui exige une analyse textuelle, contextuelle et téléologique pour déterminer le sens du paragraphe 229(1) d’une manière qui est harmonisée avec la Loi dans son ensemble (Hypothèques Trustco Canada c Canada, 2005 CSC 54, au par. 10 [Trustco Canada] et Copthorne Holdings Ltd c Canada, 2011 CSC 63, au par. 70). La demanderesse soutient que cette interprétation appuie la conclusion selon laquelle elle a satisfait au troisième élément du critère de l’arrêt Apotex. La demanderesse soutient que le libellé du paragraphe 229(1) est clair et sans ambiguïté. La version anglaise de la partie pertinente prévoit ce qui suit : « The Minister shall pay the refund to the person with all due dispatch after the return is filed ». Cela crée une obligation positive pour l’ARC de payer un remboursement de taxe nette une fois qu’il est demandé. La version française de la disposition confirme cette interprétation : « Le ministre verse avec diligence le remboursement de taxe nette payable à la personne qui le demande dans sa déclaration […] ».

[23]  Le contexte de cette disposition appuie également cette interprétation, selon la demanderesse. La disposition est énoncée dans la section de la Loi intitulée « Perception et versement de la taxe prévue à la section II », qui établit le système d’autodéclaration par lequel les inscrits produisent des déclarations périodiques qui calculent leur « taxe nette ». Ce système d’autodéclaration est distinct des pouvoirs de vérification et d’observation de l’ARC, qui sont établis dans une section distincte de la Loi. Cette architecture suggère que l’obligation de payer le remboursement de taxe nette devait découler de la présentation de la déclaration et non de l’exercice des pouvoirs de vérification et d’établissement de cotisations de l’ARC.

[24]  L’obligation de payer un remboursement est assujettie aux limites précises énoncées aux paragraphes 229(2) et (2.1); selon ces dispositions, l’ARC n’est pas tenue de procéder à un remboursement lorsque le demandeur n’a pas produit ses déclarations en vertu de diverses lois fiscales, ou lorsqu’elle n’est pas convaincue que les coordonnées du demandeur sont exactes. Si le Parlement voulait intégrer d’autres restrictions à l’obligation de payer le remboursement, il aurait pu le faire explicitement.

[25]  La demanderesse compare le libellé impératif du paragraphe 229(1) à d’autres dispositions qui font expressément référence au fait que l’ARC établit une cotisation avant de payer un montant dû. Par exemple, l’article 297 de la Loi, qui établit le processus d’obtention d’un remboursement de la TPS/TVH, prévoit au paragraphe 297(1) que « [s]ur réception de la demande [de remboursement] […] le ministre examine, avec diligence, la demande et établit une cotisation visant le montant du remboursement ». Le paragraphe 297(3) prévoit que le « ministre rembourse un montant à une personne s’il détermine, lors de l’établissement d’une cotisation […], que le montant est payable à cette personne ». Cette disposition est semblable au paragraphe 152(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e supp.) [la LIR], qui énonce que « [l]e ministre, avec diligence, examine la déclaration de revenu d’un contribuable pour une année d’imposition, fixe l’impôt pour l’année […] et détermine : a) le montant du remboursement éventuel […] pour l’année; b) le montant d’impôt […] pour l’année ». Dans le même ordre d’idées, le paragraphe 152(1) et l’alinéa 164(1)b) de la LIR précisent que l’obligation de rembourser un contribuable ne survient qu’à la suite d’une cotisation.

[26]  La demanderesse compare ces dispositions, qui comprennent une obligation expresse pour le ministre d’établir avec diligence une cotisation à l’égard des demandes afin de déterminer le montant payable ou dû, avec le paragraphe 229(1), qui prévoit simplement que le ministre doit payer un remboursement une fois qu’il est demandé. Il faut tenir compte de la différence dans le libellé de ces dispositions afin de refléter l’intention claire qu’avait le législateur en les adoptant; autrement, la Cour reformule en fait l’article 229, ce qui est contraire aux principes bien établis d’interprétation des lois fiscales (Friesen c Canada, [1995] 3 RCS 103, au par. 27; Markevich c Canada, 2003 CSC 9, au par. 16).

[27]  En outre, l’article 296 de la Loi confère au ministre le pouvoir d’établir les obligations relatives à la TPS/TVH des inscrits et l’oblige à payer un remboursement à la suite de l’établissement d’une cotisation indiquant qu’un montant est dû à un inscrit. Cela signifie que l’ARC a déjà l’obligation de rembourser un inscrit à la suite d’une cotisation. Par conséquent, une interprétation du paragraphe 229(1) qui permet à l’ARC de reporter le remboursement jusqu’à la fin d’une vérification rendrait l’article 296 redondant, ce qui est également contraire aux principes acceptés d’interprétation des lois (Placer Dome Canada Ltd c Ontario (Ministre des Finances), 2006 CSC 20, au par. 45).

[28]  La demanderesse soutient que l’objet de la disposition dans le contexte du régime global de la TPS/TVH exige également que l’obligation de l’ARC de payer les remboursements de taxe nette ne soit pas retardée jusqu’à l’achèvement d’une vérification. La TPS/TVH est une taxe sur la consommation qui doit être payée par le consommateur final, et non par la personne qui fournit les biens ou les services. À cette fin, le projet de loi incorpore le concept des CTI, au titre desquels les entreprises enregistrées obtiennent des crédits pour la TPS/TVH payée sur leurs intrants. L’obligation pour l’ARC de payer les CTI en temps opportun a été intégrée à la conception du système, et il a été reconnu que certaines entreprises se trouveraient dans une situation de remboursement continu de taxe nette (Ministre des Finances, « Taxe sur les produits et services : Vue d’ensemble », août 1989, page 4). Cela explique pourquoi ces entreprises peuvent choisir de soumettre des déclarations mensuelles (ministre des Finances, « Taxe sur les produits et services : Document technique », août 1989, partie C, par. 1 et 2.8a)).

[29]  La jurisprudence au Canada et d’ailleurs appuie également une interprétation qui exige le paiement du remboursement avant la fin de toute vérification ou cotisation. La demanderesse fait remarquer que le paragraphe 229(1) n’a été examiné que dans deux décisions, qui étaient interreliées. Dans la décision Nautica Motors Inc c Canada (Ministre du Revenu national), 2002 CFPI 422 [Nautica Motors], la Cour a rendu une ordonnance de mandamus obligeant l’ARC à traiter les déclarations de TVH produites par l’entreprise, mais elle n’a pas ordonné à l’ARC d’accorder les crédits qui étaient dus. Dans l’affaire connexe Cambridge Leasing Ltd c Canada (Ministre du Revenu national), 2003 CFPI 112 [Cambridge Leasing], la Cour a refusé d’accorder une ordonnance de mandamus, parce qu’au moment où l’affaire a été entendue, l’ARC avait délivré un avis de cotisation et l’entreprise avait déposé un avis d’opposition. Il n’était donc pas approprié d’accorder un redressement fondé en equity.

[30]  La demanderesse soutient la valeur de ces décisions à titre de précédent est limitée en l’espèce, car les entreprises dans ces deux affaires n’avaient pas invoqué le paragraphe 229(1) de la Loi dans leurs avis de demande et, par conséquent, l’interprétation de cette disposition n’a pas été directement soumise à la Cour.

[31]  De même, la demanderesse soutient que les précédents judiciaires dans lesquels le terme « avec diligence » au sens de la LIR a été interprété sont d’application limitée en l’espèce, parce que ces affaires comportaient l’obligation d’établir avec diligence une cotisation à l’égard de déclarations de revenus, et sont donc différentes de l’obligation énoncée au paragraphe 229(1) (Ginsberg c Canada, [1994] 2 CCI 2063; Madore c Canada (Procureur général), 2018 CF 244 [Madore]).

[32]  La demanderesse invoque plutôt la jurisprudence d’autres administrations. Dans l’arrêt Multiflex Pty Ltd c Commissioner of Taxation, [2011] FCA 1112, la Cour fédérale d’Australie a rendu une ordonnance de mandamus relativement à une disposition semblable au paragraphe 229(1), dans une situation où les autorités fiscales avaient retenu un remboursement en attendant une enquête en raison de soupçons de fraude. La Cour a conclu que l’obligation de payer le remboursement ne dépendait pas de l’établissement d’une cotisation et n’était pas touchée par celle‑ci, et que l’obligation de payer avant une telle cotisation rendait prévisibles et immédiats les besoins en liquidités à court terme de l’entreprise enregistrée. Cette décision a été confirmée en appel ([2011] FCAFC 142), et l’autorisation d’interjeter appel a été refusée ([2011] HCATrans 344).

[33]  Dans le même ordre d’idées, la Cour de justice européenne a également examiné une affaire dans laquelle une administration fiscale a retenu une partie d’un remboursement de taxe nette et a conclu que la législation pertinente n’autorisait pas l’autorité à reporter le remboursement en attendant l’examen de la déclaration du contribuable (Mednis c Valsts, [2012] ECJ C‑525/11, au par. 33).

[34]  Enfin, la demanderesse soutient que les autres éléments du critère de l’arrêt Apotex pour obtenir une ordonnance de mandamus sont satisfaits : l’ARC a une obligation de payer les remboursements; elle a satisfait aux conditions préalables pour déclencher l’obligation légale et l’ARC n’a pas fourni de justification raisonnable pour son défaut de payer; il n’y a pas d’autre recours adéquat disponible; l’ordonnance aura une valeur pratique, parce que le retard dans la réception du remboursement a une incidence considérable sur l’entreprise de la demanderesse, et une ordonnance obligeant l’ARC à payer le remboursement de taxe nette est justifiée par l’équité et la prépondérance des inconvénients. L’ARC n’a ni allégué ni établi que la demanderesse avait commis des actes répréhensibles.

[35]  La demanderesse ne conteste pas le fait que l’ARC a le droit d’entreprendre une vérification si elle le souhaite, après avoir payé le remboursement de taxe nette. Toutefois, elle soutient que [traduction« la confiscation de tous les remboursements de CTI pendant un an ou plus sans autorisation légale est manifestement injuste et déraisonnable ».

(3)  La position du défendeur

[36]  Le défendeur avance trois arguments : (i) l’interprétation du paragraphe 229(1) de la demanderesse est erronée; (ii) la demande d’ordonnance de mandamus est prématurée, et (iii) même si la demande n’est pas prématurée, la demanderesse n’a pas satisfait au critère pour obtenir une ordonnance de mandamus. Elle soutient que, dans le contexte de la présente affaire, la demanderesse n’a pas démontré qu’elle mérite qu’on lui accorde la réparation extraordinaire que constitue le mandamus.

[37]  Premièrement, le défendeur soutient qu’une interprétation raisonnable du paragraphe 229(1) exige que l’ARC établisse avec diligence si un remboursement est payable. Il n’exige pas que le remboursement soit effectué lorsque rien n’est établi en ce sens. Au titre de l’article 275 de la Loi, le ministre a l’obligation d’établir la TPS conformément à la Loi, et la Loi n’accorde aucun pouvoir discrétionnaire pour établir cette cotisation (Agence du revenu du Canada c Société Télé‑Mobile, 2011 CAF 89, aux par. 4 et 5 [Télé‑Mobile]; Canada (Ministre du Revenu national) c JP Morgan Asset Management (Canada) Inc, 2013 CAF 250, aux par. 77 et 78 [JP Morgan]). Une fois cette cotisation établie, si un remboursement de taxe nette est payable à l’inscrit, il doit être payé avec diligence.

[38]  Cette interprétation est conforme à la jurisprudence, en particulier aux décisions Nautica Motors et Cambridge Leasing.

[39]  Cette interprétation est également conforme à l’esprit et à l’objet de la Loi. La Cour suprême a conclu que la Loi « n’a d’autre but que de procurer des recettes au gouvernement fédéral » (Renvoi relatif à la taxe sur les produits et services, [1992] 2 RCS 445, p. 468). Conformément à cet objectif, le gouvernement a adopté la loi afin d’augmenter les recettes et de prévenir les pertes de recettes. Bien que l’obligation de verser des remboursements soit reconnue, le gouvernement a également indiqué, lorsqu’il a créé le régime, que [traduction] « les paiements exacts des déclarations de crédit et des demandes de remboursement doivent être effectués le plus rapidement possible » (Michael H. Wilson, « Taxe sur les produits et services : Vue d’ensemble », Ottawa, Ministère des Finances, 1989, section 15.5.2). Cela ne concorde pas avec la position de la demanderesse, qui exhorte la Cour à interpréter le paragraphe 229(1) comme s’il imposait un régime fonctionnant selon le principe [traduction« payer d’abord, vérifier plus tard ».

[40]  Le défendeur soutient qu’il agit avec toute la diligence voulue pour tenter de terminer la vérification. Dans la décision Jolicoeur c Canada (Ministre du Revenu national), [1961] ExCR 85 [Jolicoeur], la Cour a interprété l’expression « avec diligence » et conclu qu’elle ne pouvait être interprétée comme établissant une période fixe pour une cotisation, compte tenu de la diversité des contribuables, des demandes et des questions qui peuvent surgir dans l’administration de la loi. Dans une autre affaire, la Cour d’appel fédérale l’a décrite comme « une norme souple qui confère au ministre le pouvoir discrétionnaire de décider qu’une déclaration de revenus en particulier doit faire l’objet d’un examen détaillé avant que la cotisation ne soit établie » (Canada c Imperial Oil Ltd, 2003 CAF 289, au par. 9 [Imperial Oil]).

[41]  L’affaire Nautica Motors concernait des déclarations déposées en 1998 pour une période allant de mars à mai. La vérification a commencé en juillet 1998 et la demande d’ordonnance de mandamus a été entendue en décembre 2001, soit trois ans plus tard. La Cour a fait droit à la demande de mandamus, ordonnant ainsi au ministre d’établir des cotisations et de trancher la question de savoir si un remboursement était dû ou non.

[42]  Ce délai peut être comparé à la situation en l’espèce : la demanderesse a déposé sa déclaration d’août 2018 au début de septembre 2018, et la vérification a été lancée en octobre 2018; la demanderesse a demandé par écrit le paiement immédiat du remboursement au début de novembre 2018, et elle déposé la présente demande en décembre 2018.

[43]  L’ARC prévoyait que la vérification serait terminée d’ici septembre 2019, soit 11 mois après son début. Il s’agit d’un délai raisonnable pour effectuer cette vérification. L’industrie de la ferraille d’or a été désignée comme présentant un risque élevé (voir TricomCanada Inc. c La Reine, 2016 CCI 8). La demanderesse a déclaré des ventes de plus de 348 millions de dollars pour l’exercice 2017 et de plus de 364 millions de dollars pour l’exercice 2018. Ces ventes comprennent un grand nombre de transactions, et le vérificateur doit recueillir des renseignements auprès de la demanderesse et de tiers. Il s’agit d’une vérification complexe, qui est effectuée « avec diligence ».

[44]  Deuxièmement, le défendeur soutient que la demande d’ordonnance de mandamus est prématurée. Selon l’une des exigences énoncées dans l’arrêt Apotex, le requérant doit donner au décideur un délai raisonnable pour se conformer à sa demande d’exécution de l’obligation légale. Le défendeur reconnaît qu’il a une obligation légale envers la demanderesse au titre du paragraphe 229(1) de la Loi d’établir si un remboursement de taxe nette est dû ou non, et il convient que cela doit être fait avec diligence. Toutefois, à la lumière de la séquence des événements examinée ci‑dessus, le défendeur soutient que le délai raisonnable pour l’exécution de cette obligation n’était pas écoulé avant la présentation de la demande d’ordonnance de mandamus.

[45]  Le défendeur soutient que la situation est semblable à celle dans l’affaire Madore, où la Cour a refusé de délivrer une ordonnance de mandamus au motif qu’elle était prématurée. La Cour a refusé d’accorder l’ordonnance de mandamus parce que le ministre agissait sans retard indu.

[46]  Le défendeur soutient que la demande de la demanderesse est prématurée, parce qu’il entreprend une vérification complexe avec toute la diligence voulue et que la demanderesse a exigé le remboursement de taxe nette avant qu’un délai raisonnable ne se soit écoulé, puis il a déposé la présente demande.

[47]  Enfin, subsidiairement, le défendeur soutient que l’ordonnance de mandamus ne devrait pas être rendue, parce qu’une telle ordonnance n’aurait pas de valeur pratique pour la demanderesse. En outre, la prépondérance des inconvénients milite contre l’octroi d’un tel redressement.

[48]  Le défendeur soutient que même si une ordonnance de mandamus est accordée, le ministre doit quand même évaluer l’obligation fiscale de la demanderesse; la Cour ne peut pas empêcher le ministre de s’acquitter de cette obligation légale, et le ministre n’a aucun pouvoir discrétionnaire dans l’application de la loi (JP Morgan, au par. 78; Télé‑Mobile, au par. 4). Par conséquent, si les constatations de la vérification jusqu’à maintenant n’appuient pas les demandes de remboursement de taxe nette de la demanderesse, le ministre n’a pas le pouvoir discrétionnaire de payer le montant réclamé. Sans connaître le résultat de la vérification, le ministre ne peut pas donner suite à la demande. La demanderesse peut exercer ses droits d’appel devant la Cour canadienne de l’impôt lorsque la vérification est terminée et que la cotisation est établie.

[49]  Enfin, le défendeur soutient que la prépondérance des inconvénients milite en faveur du refus d’accorder l’ordonnance de mandamus, car une telle ordonnance entraînera probablement une demande de paiement immédiat de tout remboursement dû à la demanderesse et aux autres inscrits, sans donner au ministre suffisamment de temps pour établir une cotisation à leur égard. Cela rendrait le régime fiscal vulnérable aux abus et pourrait créer un incitatif à produire une déclaration de revenus frauduleuse, sachant que le remboursement serait versé automatiquement et que le processus de vérification et d’exécution subséquent prendrait du temps. Cela pourrait entraîner une perte de revenus pour le gouvernement du Canada, ce qui irait à l’encontre d’un des objectifs de la loi.

(4)  Analyse

[50]  Il n’est pas contesté que les deux premiers éléments du critère de l’arrêt Apotex sont réunis en l’espèce, à savoir que le paragraphe 229(1) énonce clairement une obligation légale et que le défendeur n’a pas affirmé que la demanderesse n’est pas admissible à un remboursement si un remboursement est dû.

[51]  Le nœud de la question est de savoir si une interprétation raisonnable du paragraphe 229(1) exige qu’un remboursement soit versé avant l’établissement d’une cotisation ou la fin d’une vérification. La demanderesse soutient que c’est ce qu’on entend par la référence au paiement « avec diligence » dans cette disposition. Subsidiairement, la demanderesse soutient qu’en l’espèce, le délai nécessaire pour effectuer une vérification avec diligence est expiré. Je ne suis pas convaincu.

[52]  L’approche acceptée en matière d’interprétation des lois exige une évaluation du libellé, du contexte et de l’objet de la disposition. En l’espèce, la version anglaise du paragraphe 229(1) de la Loi est claire et sans ambiguïté : « [w]here a net tax refund […] is claimed in a return […] the Minister shall pay the refund […] with all due dispatch after the return is filed » (la version française est tout aussi claire : « Le ministre verse avec diligence le remboursement […] »). Le défendeur convient avec la demanderesse qu’il a l’obligation de payer un remboursement de taxe nette avec diligence. Le seul point litigieux consiste à savoir si une interprétation raisonnable de cette disposition signifie que le remboursement doit être payé avant que toute cotisation ou vérification de la demande ne soit effectuée.

[53]  Un examen du libellé dans son contexte comporte l’examen des autres paragraphes de la même disposition, ainsi que des dispositions connexes. Tout d’abord, il convient de noter que les paragraphes 229(2) et (2.1) prévoient tous deux que le ministre vérifie si les déclarations ont été produites et si les autres renseignements commerciaux sont exacts. Ces dispositions prévoient un examen de la déclaration par le ministre. Le point plus important encore, à mon avis, est que le paragraphe 229(3) prévoit que des intérêts doivent être payés sur un remboursement de taxe nette après une période de trente jours qui suivent la production de la déclaration. Cette disposition indique que le Parlement avait envisagé que certains remboursements ne seraient pas versés immédiatement et que certains le seraient plus d’un mois après la présentation de la déclaration. Il s’agit sans aucun doute d’une mesure visant à assurer l’équité fiscale pour les inscrits, mais c’est aussi une indication claire qu’il a été envisagé que, dans certains cas, un délai suffisant s’écoulerait entre la production de la déclaration et le paiement d’un remboursement de taxe nette pour exiger que des intérêts soient payés sur le montant dû au contribuable.

[54]  La demanderesse soutient que la différence de libellé entre le paragraphe 229(1) et d’autres dispositions semblables est pertinente, parce que d’autres articles qui exigent qu’un paiement ou un remboursement soit versé « avec diligence » indiquent clairement que le remboursement est effectué après l’établissement d’une cotisation à l’égard de la déclaration. L’absence de ces mots au paragraphe 229(1) doit signifier que l’obligation de payer le remboursement est distincte de tout processus de vérification. Bien que la demanderesse ne conteste pas le pouvoir de l’ARC d’entreprendre une vérification, elle soutient qu’elle ne devrait pas avoir à attendre la fin de la vérification pour obtenir son remboursement.

[55]  À mon avis, le contexte des dispositions établit clairement qu’il n’est pas déraisonnable de conclure que l’obligation de payer le remboursement avec diligence ne visait pas à déplacer l’obligation du ministre de vérifier la demande. Le défendeur a adopté une interprétation raisonnable de la disposition, qui exige que le ministre agisse avec diligence pour établir si un remboursement est dû et, le cas échéant, qu’il le verse sans délai.

[56]  La taxe nette d’un inscrit pour une période donnée est calculée conformément à l’article 225 de la Loi et reflétée dans la déclaration produite par cette personne pour la période pertinente. Le ministre a l’obligation d’établir la TPS exigible (ou la déclaration exigible) en vertu de l’article 275 (Télé‑Mobile, aux par. 4 et 5; JP Morgan, aux par. 77 et 78). Le paragraphe 296(1) prévoit ce qui suit : « Le ministre peut établir une cotisation […] pour déterminer : a) la taxe nette d’une personne, prévue à la section V, pour une période de déclaration; b) la taxe payable par une personne en application des sections II, IV ou IV.1 […] » (le paragraphe 229(1) figure à la section V). Une fois ce processus terminé, le ministre enverra une cotisation à l’inscrit, qui pourra alors s’opposer en vertu de l’article 301 de la Loi et interjeter appel auprès de la Cour canadienne de l’impôt en vertu de l’article 302.

[57]  Je ne suis pas convaincu par l’argument de la demanderesse selon lequel une interprétation du paragraphe 229(1) qui permet au ministre de retarder le paiement d’un remboursement de taxe nette en attendant les résultats d’une vérification a pour effet de rendre redondant le paragraphe 296(1). Les deux dispositions doivent plutôt être interprétées ensemble. Les termes doivent être lus « dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (Trustco Canada, au par. 10, citant l’arrêt 5302 British Columbia Ltd c Canada, [1999] 3 RCS 804, au par. 50). Le but est de « dégager un sens qui s’harmonise avec la Loi dans son ensemble » (Trustco Canada, au par. 10).

[58]  Le paragraphe 229(1) impose l’obligation de payer avec diligence un remboursement de taxe nette, s’il est déterminé qu’un remboursement est dû. Le paragraphe 296(1) confirme que le ministre peut établir une cotisation à l’égard d’une demande de remboursement de taxe nette. Cela ne remplace pas l’exigence selon laquelle tout remboursement dû doit être payé sans délai.

[59]  D’autres dispositions obligent le ministre à évaluer une demande ou à payer un remboursement à la suite d’une cotisation, et à le faire avec diligence ou sans délai. Cela ne veut pas dire que le libellé différent du paragraphe 229(1) doit mener inexorablement à une interprétation qui interdit un tel examen avant d’établir une cotisation ou de mener une vérification. Les différentes dispositions jouent des rôles différents dans les régimes législatifs, et il convient de noter que certaines dispositions, comme l’alinéa 164(1)b) de la LIR, correspondent au libellé du paragraphe 229(1). Ce point est abordé ci‑dessous dans l’analyse de la décision Madore. Il n’y a pas d’approche uniforme pour le libellé des différentes dispositions, et le régime doit être examiné dans son ensemble.

[60]  Cette interprétation du paragraphe 229(1) est renforcée par le libellé du paragraphe 299(1) de la Loi :

Ministre non lié

Minister not bound

299 (1) Le ministre n’est pas lié par quelque déclaration, demande ou renseignement livré par une personne ou en son nom; il peut établir une cotisation indépendamment du fait que quelque déclaration, demande ou renseignement ait été livré ou non.

299 (1) The Minister is not bound by any return, application or information provided by or on behalf of any person and may make an assessment, notwithstanding any return, application or information so provided or that no return, application or information has been provided.

[61]  Dans son contexte législatif, une interprétation raisonnable du paragraphe 299(1) est que le ministre peut choisir de vérifier une demande de remboursement de taxe nette afin d’établir si le montant est dûment réclamé. Le ministre doit faire une telle chose, et payer tout remboursement dû, avec diligence. De même, le ministre peut décider de procéder à un examen superficiel de la déclaration et de payer le remboursement sans autre examen. C’est au ministre d’en décider. Il ne s’agit pas d’un système fondé sur le principe [traduction« payer d’abord, vérifier plus tard », comme le propose la demanderesse.

[62]  L’historique de la présente affaire démontre bien le fonctionnement du système énoncé dans la loi. La déclaration d’août 2018 de la demanderesse a d’abord été examinée par un système automatisé, qui l’a repérée pour un examen plus approfondi. Cela avait été fait pour de nombreuses déclarations antérieures, qui avaient ensuite été payées sans autre examen. Toutefois, la déclaration d’août 2018 a été examinée par un examinateur de l’ARC qui a effectué une analyse de risque plus poussée, laquelle a révélé que les demandes annuelles de remboursement de taxe nette de la demanderesse étaient passées de 5,47 millions de dollars pour l’exercice se terminant le 31 mai 2015 à 74,7 millions de dollars pour l’exercice se terminant le 31 mai 2018. À la lumière de cette augmentation, la déclaration a été sélectionnée pour vérification. Tout cela doit être examiné dans le contexte où l’ARC considère le secteur de la ferraille d’or comme une industrie à risque élevé.

[63]  Compte tenu de ce qui précède, il est évident que l’ARC avait une raison valable d’entreprendre la vérification. Il n’y a aucune allégation selon laquelle la vérification a été entreprise à des fins cachées qui ne sont pas liées au mandat de l’ARC d’assurer la bonne administration du régime fiscal.

[64]  Comme il a été mentionné précédemment, conformément à sa politique, l’ARC a ensuite élargi la vérification pour couvrir la période du 1er juin 2016 au 31 octobre 2018. Encore une fois, d’après les éléments de preuve, il semble que cela ait été fait conformément à une politique générale de l’ARC concernant la couverture des vérifications. De plus, le défendeur fait remarquer qu’il avait déjà versé 74,7 millions de dollars en remboursements de taxe nette pour l’exercice se terminant le 31 mai 2018 et que, par conséquent, la demanderesse avait reçu ses remboursements pour 26 des 29 périodes de déclaration visées par la vérification élargie.

[65]  L’interprétation du paragraphe 229(1) est également conforme à la jurisprudence pertinente. La jurisprudence a toujours conclu que l’expression « avec diligence » et les expressions semblables n’établissent pas de délai précis dans lequel le ministre doit s’acquitter d’une obligation énoncée dans la Loi ou la LIR. On a plutôt interprété cela comme une « norme souple » qui doit être examinée dans le contexte des faits particuliers de chaque affaire (Imperial Oil, au par. 9; Jolicoeur, au par. 47).

[66]  Dans la décision Ficek c Canada (Procureur général), 2013 CF 502 [Ficek], la question était de savoir si le ministre s’était acquitté de l’obligation d’examiner la déclaration de revenus de la demanderesse « avec diligence » en vertu de la LIR. Le juge Michael Phelan a examiné la décision Jolicoeur en détail et a conclu au paragraphe 19 que « [l]es conclusions principales sont que cette expression est l’équivalent de l’expression “avec toute la diligence raisonnable” ou “dans un délai raisonnable”, et qu’il n’y a pas de délai fixe pour l’accomplissement de l’obligation d’établir une cotisation ». Le juge Phelan a toutefois conclu que le retard dans la tenue de l’examen dans cette affaire n’était pas attribuable à l’obligation de déterminer le montant d’impôt dû, mais qu’il visait plutôt une fin autre, soit de décourager les contribuables de demander un certain type de déduction pour dons de bienfaisance.

[67]  Dans une décision subséquente portant sur une question semblable (McNally c Canada (Ministre du Revenu national), 2015 CF 767, au par. 33 [McNally], le juge Sean Harrington a cité la décision dans l’affaire Ficek pour formuler la proposition suivante :

L’expression « avec diligence » n’impose pas une date butoir. Pour appliquer correctement la Loi, le ministre possède un certain pouvoir discrétionnaire. La question à savoir si une déclaration de revenus a été examinée « avec diligence » est une question de fait. Toutefois, comme l’a indiqué le juge Phelan au paragraphe 21, en invoquant la décision J Stoller, précitée : « Toutefois, le pouvoir discrétionnaire n’est pas absolu; il doit être raisonnable et utilisé dans le but adéquat d’établir et de fixer la dette fiscale du contribuable. »

[68]  Dans la décision McNally, le juge Harrington a conclu que la vérification des abris fiscaux qui avaient servi de base à la déduction pour don de bienfaisance demandée avait été effectuée à des fins autres que celles prévues, et que les résultats de la vérification étaient une conclusion établie bien avant la fin du processus. Par conséquent, il a accueilli la demande de contrôle judiciaire et a ordonné au ministre de procéder à l’examen et de délivrer un avis de cotisation dans les 30 jours.

[69]  Ces décisions confirment que la décision à savoir si le ministre a agi avec diligence constitue une conclusion de fait. Elles confirment également que si le ministre décidait d’entreprendre une vérification à des fins autres que l’obligation de déterminer le montant d’impôt dû (ou payable), le retard pourrait être jugé au‑delà de ce qui est raisonnable dans les circonstances. Ce n’est pas le cas en l’espèce : comme il a été mentionné précédemment, le ministre avait une raison légitime d’entreprendre la vérification de la déclaration de la demanderesse.

[70]  L’interprétation du paragraphe 229(1) adoptée par l’ARC est également conforme à l’approche adoptée par le juge John O’Keefe dans la décision Nautica Motors. La demanderesse a soutenu qu’il ne s’agissait pas d’un précédent utile. Je ne suis pas de cet avis. Malgré le fait que le paragraphe 229(1) n’ait pas été expressément invoqué dans l’avis de requête de la demanderesse qui avait lancé cette affaire, le défendeur s’est appuyé sur ce paragraphe (voir Nautica Motors, au par. 32), et il en est question en détail dans la décision. Par conséquent, j’estime que cette décision constitue un précédent utile.

[71]  La demanderesse dans l’affaire Nautica Motors a demandé une ordonnance de mandamus pour obliger l’ARC à traiter ses déclarations de TVH et à lui accorder les crédits qu’elle avait demandés. Les déclarations avaient été produites pour une période allant de mars à mai 1998; une vérification a été entreprise en juillet 1998 et l’affaire a été entendue en décembre 2001. L’entreprise a soutenu que le paragraphe 297(1) de la Loi créait une obligation légale publique pour le ministre d’examiner une demande de remboursement et d’établir une cotisation à son égard avec diligence, et que le délai dans lequel elle avait procédé était déraisonnable. Le défendeur a soutenu que le paragraphe 229(1) n’imposait pas l’obligation de payer le crédit déclaré immédiatement ou le plus tôt possible, mais qu’il exigeait plutôt que le ministre examine chaque cas en fonction des faits qui lui sont propres. Il a soutenu que le délai était raisonnable, parce qu’il attendait les renseignements demandés à la demanderesse qui étaient nécessaires pour terminer la vérification.

[72]  Dans cette affaire, l’ARC avait établi une « cotisation provisoire » pour la déclaration de TVH en novembre 2001 (peu avant l’audience), et le défendeur a soutenu que la demande devait être rejetée, parce qu’il n’y avait pas de litige actuel devant la Cour. Le juge O’Keefe a rejeté cet argument en faisant remarquer que le paragraphe 229(1) exige que le ministre paie tout remboursement demandé « dans un délai raisonnable après la production de la déclaration » (au paragraphe 42). Comme le défendeur n’avait établi qu’une cotisation provisoire et que, par conséquent, le montant final dû n’avait pas été déterminé, il y avait une question en litige entre les parties et la demande a donc été examinée sur le fond.

[73]  Le juge O’Keefe a conclu que le premier élément du critère de l’arrêt Apotex était satisfait. Au paragraphe 45, la Cour décrit l’obligation imposée au ministre par l’article 229 : « Il ne fait aucun doute que le paragraphe 229(1) de la [Loi] impose au défendeur une obligation légale d’agir à caractère public, puisque le ministre doit établir une cotisation pour déterminer si un remboursement est dû ou non à la personne ».

[74]  La Cour a également conclu qu’il y avait un droit clair à l’exécution de l’obligation, étant donné que la vérification avait commencé en 1998 et se poursuivait toujours en 2001. Le juge O’Keefe a conclu que le défendeur avait eu suffisamment de temps pour traiter les déclarations (au paragraphe 47), et que l’exécution de cette obligation n’était pas discrétionnaire (au paragraphe 48) :

L’obligation dont on demande l’exécution n’est pas de nature discrétionnaire, en ce sens que le défendeur doit examiner la déclaration pour déterminer si le remboursement réclamé est effectivement payable aux demanderesses. Pour procéder au remboursement, le défendeur doit établir une cotisation. Tout ce que le défendeur a produit en l’instance, c’est une « cotisation provisoire » qui est susceptible d’être modifiée.

[75]  À la lumière de ces constatations, le juge O’Keefe a accordé l’ordonnance de mandamus pour obliger le défendeur à traiter les déclarations, mais a refusé de rendre une ordonnance pour que le défendeur paie les déclarations de crédit dues aux demanderesses au motif suivant : « [i]l serait prématuré d’accorder cette ordonnance, puisque seules des cotisations provisoires ont été établies à l’égard des comptes de TVH et que l’établissement de la cotisation n’est pas terminé » (au par. 54).

[76]  À mon avis, l’interprétation du paragraphe 229(1) énoncée dans l’arrêt Nautica Motors est convaincante. L’article 275 de la Loi impose au ministre l’obligation de déterminer la taxe ou le remboursement exigible relativement à la déclaration d’août 2018 de la demanderesse (Télé‑Mobile, au par. 5; JP Morgan, aux par. 77 et 78). Le ministre doit le faire sans délai. Le ministre n’est pas tenu de payer le remboursement simplement parce qu’il a été réclamé dans la déclaration, et il n’est pas non plus interdit au ministre d’établir une cotisation ou de mener une vérification de la déclaration, pourvu que cela soit fait de bonne foi pour les besoins de la détermination des taxes dues ou du remboursement dû (Ficek et McNally), et avec diligence.

[77]  Je ne commenterai pas en détail les décisions de l’Australie et de l’Union européenne citées par la demanderesse. Compte tenu des différences entre les régimes, et en l’absence d’une analyse détaillée du fonctionnement des dispositions particulières dans le contexte de ces régimes, je ne suis pas convaincu que ces décisions judiciaires devraient être utilisés pour les besoins de l’interprétation du paragraphe 229(1) (Manrell c Canada, 2003 CAF 128, au par. 58).

[78]  Le défendeur soutient que la demande est prématurée parce que, dans le cas présent, la vérification est menée « avec diligence » et qu’il n’a pas encore pris un temps déraisonnable pour la terminer. Il soutient que l’ordonnance de mandamus est une réparation extraordinaire et que la demanderesse n’a pas satisfait au critère pour l’obtenir (Coombs c Canada (Revenu national), 2015 CF 869, au par. 20).

[79]  Dans l’arrêt Apotex, qui demeure la principale autorité sur les critères à appliquer dans l’examen d’une demande d’ordonnance de mandamus, la Cour d’appel a décrit l’élément clé de cette affaire de la façon suivante (au paragraphe 55) :

3. Il existe un droit clair d’obtenir l’exécution de cette obligation, notamment :

a) le requérant a rempli toutes les conditions préalables donnant naissance à cette obligation; O’Grady c. Whyte, précité; Hutchins c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1993] 3 C.F. 505 (C.A.); et voir Nguyen c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), précité;

b) il y a eu (i) une demande d’exécution de l’obligation, (ii) un délai raisonnable a été accordé pour permettre de donner suite à la demande à moins que celle‑ci n’ait été rejetée sur‑le‑champ, et (iii) il y a eu refus ultérieur, exprès ou implicite, par exemple un délai déraisonnable; voir O’Grady c. Whyte, précité, citant Karavos c. Toronto & Gillies, précité; Bhatnager c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 2 C.F. 315 (1re inst.); et Fédération canadienne de la faune Inc. c. Canada (Ministre de l’Environnement), précité.

[Souligné dans l’original.]

[80]  Il s’agissait là du fondement pour refuser d’accorder le mandamus dans la décision Madore, une affaire concernant une demande visant à forcer l’ARC à traiter l’opposition du contribuable à son avis de cotisation. L’ARC avait décidé de reporter sa décision sur l’opposition en attendant une vérification de l’employeur du demandeur. Je conviens avec le défendeur qu’il est important de noter que cette décision avait été prise sous le régime de l’alinéa 164(1)b) de la LIR, compte tenu des similitudes entre le libellé de cette disposition et celui du paragraphe 229(1) de la Loi. La partie pertinente de l’alinéa 164(1)b) prévoit que le ministre doit payer le remboursement réclamé par un contribuable avec diligence.

[81]  Dans la décision Madore, la Cour a conclu que l’ARC avait agi avec diligence dans les circonstances de l’affaire et a conclu au paragraphe 27 que « [l]e délai imputable à la vérification ne constitue par une circonstance exceptionnelle qui justifierait que la Cour s’ingère dans le processus administratif du ministre ». Par conséquent, la Cour a rejeté la demande, la jugeant prématurée.

[82]  Compte tenu des faits en l’espèce, je ne suis pas convaincu qu’il s’est écoulé suffisamment de temps pour que la vérification soit effectuée avant la présentation de la demande en l’espèce. Il convient de rappeler que l’argument est centré sur la vérification de la déclaration d’août 2018, qui a été déposée le 6 septembre 2018. La demanderesse a été informée le 4 octobre 2018 qu’une vérification avait commencé. Le 7 novembre 2018, le représentant de la demanderesse a écrit pour exiger le paiement du remboursement de taxe nette, et il a introduit la présente instance le 6 décembre 2018. Contrairement à la situation dans l’affaire Nautica Motors, je n’estime pas que le délai était suffisant pour terminer la vérification. Il s’agit d’une situation qui ressemble davantage à celle dans l’affaire Madore.

[83]  Les parties conviennent que la question de savoir si le processus est terminé avec diligence doit être évaluée dans le contexte particulier de la présente affaire – principalement le fait que la demanderesse produit ses déclarations mensuellement parce qu’elle est en situation de remboursement continu de taxe nette. Je conviens qu’il s’agit d’un facteur pertinent pour évaluer la rapidité de la réponse de l’ARC. En outre, la complexité et la portée de la vérification sont d’autres considérations pertinentes. En l’espèce, il est évident que l’entreprise de la demanderesse effectue un volume élevé de transactions avec de multiples tiers, ce qui, en soi, ajoute à la complexité de l’opération.

[84]  Dans les circonstances de la présente affaire, et à la lumière des considérations susmentionnées, je ne suis pas convaincu que l’ARC n’a pas entrepris la vérification avec diligence.

[85]  Compte tenu de ma conclusion sur cette question, il n’est pas nécessaire d’examiner les autres arguments des parties.

[86]  Pour cette raison, la demande d’ordonnance de mandamus est rejetée.

B.  La Cour devrait‑elle accueillir la requête de la demanderesse visant la réouverture de l’audience en vue de produire de nouveaux éléments de preuve?

[87]  La présente affaire a été entendue le 3 juillet 2019 et mise en délibéré. Le 30 août 2019, la demanderesse a écrit à la Cour pour l’informer qu’elle souhaitait présenter une requête en réouverture de l’audience et proposer un échéancier pour le dépôt des documents relatifs à cette requête. Dans une lettre datée du 3 septembre 2019, le défendeur s’est opposé à la demande. La Cour a convoqué une téléconférence pour discuter de la question, et un calendrier a été fixé pour que la demanderesse signifie et dépose son avis de requête, et pour que le défendeur réponde.

[88]  La demanderesse a signifié sa requête et son affidavit à l’appui au défendeur le 20 septembre 2019, et ces documents ont été déposés le 1er octobre 2019. Le défendeur a ensuite déposé des observations demandant la radiation de l’affidavit à l’appui et répondant à la demande de réouverture de l’audience. Diverses pièces de correspondance, qui n’ont pas besoin d’être résumées en détail, ont suivi.

[89]  La demande présentée par la demanderesse afin de rouvrir l’audience découle du fait que, quatre jours après l’audience, l’ARC l’a informée que la portée de la vérification était élargie pour couvrir les périodes de déclaration allant du 1er novembre 2018 au 31 mai 2019. Le 1er août 2019, elle a appris que la vérification serait élargie pour couvrir la période de déclaration de juin 2019, et le 26 août 2019, elle a appris que la vérification s’étendrait également à la période de juillet 2019. La demanderesse déclare qu’elle a été informée que la vérification allait continuer d’être élargie pour couvrir les périodes subséquentes, bien qu’il n’y ait pas de confirmation écrite à cet égard.

[90]  La demanderesse soutient que l’ARC agit de mauvaise foi, puisque la vérification a été élargie pour la première fois quelques jours après l’audience, et elle souligne qu’à l’audience, des questions ont été posées aux avocats du défendeur au sujet de l’autorisation légale de retenir les remboursements de taxe nette pour les périodes non couvertes par la vérification. Pour mettre les choses en contexte, au moment de l’audience, la vérification couvrait la période du 1er juin 2016 au 31 octobre 2018. À ce moment‑là, l’ARC avait informé la demanderesse qu’elle retenait le remboursement de taxe nette pour la période d’août 2018, ainsi que tout remboursement de taxe nette subséquent demandé par la demanderesse. À l’époque, il était évident que des remboursements de taxe nette étaient retenus pour des périodes de déclaration qui ne relevaient pas de la portée de la vérification, et les avocats du défendeur se sont fait poser des questions au sujet de l’autorisation légale de retenir des remboursements pour des périodes qui ne faisaient pas alors l’objet d’une vérification.

[91]  La demanderesse soutient que l’élargissement le plus récent de la vérification a servi de moyen d’autoriser légalement la retenue des remboursements et de moyen de compenser toute responsabilité que le défendeur aurait pu engager s’il avait agi sans autorisation légale. Elle soutient qu’elle a satisfait au critère pour la réouverture de l’audience, de sorte que la Cour aura le dossier complet à sa disposition.

[92]  Le critère pour la réouverture d’une audience de contrôle judiciaire est énoncé dans l’arrêt Natopn Tsleil‑Waututh c Canada (Procureur général), 2018 CAF 104, aux par. 17 à 21 [Tsleil‑Waututh] :

  1. L’issue du procès aurait‑elle vraisemblablement été différente si l’élément de preuve en cause avait été présenté?
  2. Aurait‑il été possible d’obtenir l’élément de preuve avant le procès en faisant preuve de diligence raisonnable?
  3. La réouverture du dossier de la preuve serait‑elle dans l’intérêt public?

[93]  Il n’est pas contesté que le deuxième élément du critère est satisfait, parce que la preuve n’aurait pas pu être obtenue plus tôt, compte tenu du moment des événements en question.

[94]  Je ne suis toutefois pas convaincu que la demanderesse a satisfait au premier ou au troisième élément du critère.

[95]  Compte tenu de ma conclusion selon laquelle la demande a été présentée avant que la demanderesse n’ait accordé au défendeur un délai raisonnable pour effectuer sa vérification, je ne conclus pas que cette nouvelle preuve, même si elle avait été admise dans son intégralité, aurait changé l’issue du procès.

[96]  Il faut se rappeler que la vérification initiale ne portait que sur la période de déclaration d’août 2018, mais qu’elle a ensuite été élargie conformément à la politique de l’ARC. Par sa nature, une vérification peut être élargie en cours de route, compte tenu des constatations qui sont faites au cours du processus. Rien ne donne à penser que l’élargissement de la vérification s’explique par la mauvaise foi ou par une fin autre.

[97]  De plus, bien qu’elle ait posé des questions au défendeur au sujet du pouvoir légal de retenir des remboursements pour des périodes qui ne font pas l’objet d’une vérification, la demanderesse n’a pas demandé de redressement particulier à cet égard et, par conséquent, la question n’est pas traitée dans ma décision sur le fond.

[98]  Comme la Cour l’a fait remarquer dans l’arrêt Tseil‑Waututh au paragraphe 13 : « le pouvoir discrétionnaire de rouvrir un procès doit être exercé [traduction] “avec modération et la plus grande prudence” de façon à éviter “le recours abusif aux tribunaux” ». La Cour d’appel fait remarquer que cela s’applique avec autant ou plus de force dans le contexte des demandes de contrôle judiciaire devant la Cour, qui doivent être « entendues et tranchées à bref délai » conformément au paragraphe 18.4(1) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7 (au paragraphe 20). La Cour a résumé l’approche ainsi, au paragraphe 21 :

[21]  Le besoin d’entendre des demandes de contrôle judiciaire et de statuer sur celles‑ci à bref délai et selon une procédure sommaire signifie que le pouvoir discrétionnaire de rouvrir une demande de contrôle judiciaire dont l’audition est terminée doit être exercé avec beaucoup de prudence, en tenant compte de la nécessité de ne pas retarder indûment le règlement des questions importantes, lesquelles sont souvent des questions d’intérêt public importantes. Les parties reconnaissent que les demandes réunies soulèvent des questions d’intérêt public importantes. Ainsi, nous ajouterions un troisième volet au critère relatif à la réouverture : la réouverture du dossier de la preuve serait‑elle dans l’intérêt public?

[99]  Compte tenu de ma conclusion quant à la première question et de ma conclusion selon laquelle les nouveaux éléments de preuve n’auraient pas changé l’issue du procès, il n’est pas dans l’intérêt public de retarder davantage la décision dans cette affaire en rouvrant l’audience.

[100]  Pour ces motifs, la requête de la demanderesse visant à rouvrir l’audience est rejetée.

[101]  Il n’est pas nécessaire de traiter la requête du défendeur visant à radier tout ou partie de l’affidavit à l’appui déposé par la demanderesse. Toutefois, s’il avait été nécessaire de le faire, j’aurais fait remarquer ma conclusion selon laquelle bon nombre des objections du défendeur à l’affidavit étaient fondées.

V.  Conclusion

[102]  Pour les motifs susmentionnés, la demande en vue d’obtenir une ordonnance de mandamus est rejetée, et la demande de réouverture de l’audience est également rejetée.

[103]  J’ai conclu qu’il est raisonnable que l’ARC effectue une vérification des déclarations de taxe nette produites par la demanderesse avant de payer un remboursement de taxe nette, mais elle doit le faire avec diligence, conformément au paragraphe 229(1) de la Loi. Il s’agit en grande partie d’une question de fait. En l’espèce, il n’y a aucune preuve indiquant que la vérification a été entreprise ou élargie à des fins illégitimes, et la preuve du défendeur indique que la vérification est en cours et qu’elle sera terminée dans un délai raisonnable compte tenu de la complexité de la vérification.

[104]  Dans les circonstances de la présente affaire, j’ai conclu que la demanderesse avait présenté sa demande avant l’expiration d’un délai raisonnable pour l’exécution de l’obligation, et je rejette donc la demande. Ce faisant, il convient de souligner que si la demanderesse a ou obtient la preuve que l’ARC agit dans un but ultérieur, ou que la vérification est continuellement élargie de mauvaise foi, ou qu’elle n’avance pas dans un délai raisonnable, elle peut présenter une autre requête. Mes conclusions en l’espèce ont trait à la preuve et aux circonstances dont j’étais saisi.

[105]  Les parties ont demandé la possibilité de présenter des observations sur les dépens si elles ne sont pas en mesure de parvenir à une entente. Dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire qui m’est conféré par l’article 400 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, il n’y a aucune raison de déroger à la règle habituelle, et j’adjuge donc les dépens au défendeur, conformément à la colonne III du tarif B. Si les parties ne sont pas en mesure de s’entendre sur le montant des dépens, elles peuvent présenter des observations d’au plus cinq (5) pages (à l’exclusion d’un projet de facture) dans les 20 jours suivant la date du présent jugement.

 


JUGEMENT au dossier T‑2085‑18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de réouverture de l’audience est rejetée.

  2. La demande en vue d’obtenir une ordonnance de mandamus est rejetée.

  3. La demanderesse doit payer les dépens du défendeur, conformément à la colonne III du tarif B. Si les parties ne sont pas en mesure de s’entendre sur le montant des dépens, elles peuvent présenter des observations d’au plus cinq pages (à l’exclusion d’un projet de facture) dans les 20 jours suivant la date du présent jugement.

« William F. Pentney »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 2e jour de juillet 2020

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑2085‑18

INTITULÉ :

EXPRESS GOLD REFINING LTD c LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 3 JUILLET 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PENTNEY

DATE :

LE 12 MAI 2020

COMPARUTIONS :

Jacques Bernier

Bryan Horrigan

pour la demanderesse

Henry Gluch

Jasmeen Mann

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Baker & McKenzie LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

pour la demanderesse

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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