Date: 19980423
Dossier: T-2329-97
Entre :
CHANTALE DESBIENS
Partie demanderesse
ET
MINISTRE DU REVENU NATIONAL
Partie défenderesse
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE
Introduction
[1] Il s'agit d'une requête de la demanderesse sous la règle 470 des Règles de la Cour fédérale (les règles) en vue d'obtenir une ordonnance afin que le défendeur garde et conserve jusqu'à la fin du procès le véhicule automobile de la demanderesse que le défendeur a saisi en mars 1997 en vertu de la Loi sur les douanes, L.R.C. 1985, ch. 1 (2e supp.), telle qu'amendée (la Loi).
Contexte
[2] Comme trame factuelle pertinente, on relève de la déclaration que le 18 mars 1997, les agents douaniers canadiens ont avisé la demanderesse qu'ils saisissaient son véhicule automobile de marque Honda Civic au motif que ledit véhicule aurait servi de moyen de transport pour l'importation de biens non déclarés._)
[3] Ces biens consistaient en des stupéfiants qu'une connaissance de la demanderesse transportait à l'intérieur d'elle-même alors qu'elle se trouvait passagère dans le véhicule de la demanderesse. La demanderesse aurait cueilli cette personne à sa demande à l'aéroport John F. Kennedy de New York afin de lui permettre de regagner la région de Montréal. La saisie du véhicule, et des stupéfiants, doit-on croire, serait survenue au poste frontalier de Lacolle lors du retour.
[4] La demanderesse a eu vent récemment que le défendeur s'apprêtait en vertu de l'article 119.1 de la Loi à vendre le véhicule de la demanderesse. La procureure du défendeur a admis que telle était l'intention de son client. L'article 119.1 se lit comme suit:
119.1 (1) Le ministre peut autoriser l'agent à vendre ou à détruire des marchandises saisies en vertu de la présente loi ou à en disposer autrement. |
(2) Le ministre conserve le produit de la vente effectuée en vertu du paragraphe (1). Le produit tient lieu de confiscation. |
(3) S'il est impossible de restituer des marchandises à une personne qui y aurait droit par ailleurs, il lui est versé la somme suivante: |
a) si les marchandises ont été vendues, le produit de la vente; |
b) sinon, la somme représentant la valeur des marchandises. |
[5] Quant à la règle 470, on retient les alinéas (1) et (5):
470. (1) Avant ou après l'introduction d'une action, la Cour pourra, à la demande d'une partie, rendre une ordonnance pour la détention, la garde ou la conservation de biens qui font ou doivent faire l'objet de l'action, ou au sujet desquels peut se poser une question dans l'action; et une telle demande doit être appuyée par un affidavit établissant les faits qui rendent nécessaire la détention, la garde ou la conservation de ces biens et doit être faite par voie de requête dont avis doit être donné à toutes les autres parties. |
... |
(5) Une ordonnance rendue en vertu de l'alinéa (1) doit avoir exclusivement pour objet la protection des biens jusqu'à la fin du procès. |
(mes soulignés) |
Analyse
[6] Il est acquis que si l'on rentre dans l'application de la règle 470, l'on devra évaluer les trois étapes que les tribunaux doivent appliquer quand ils examinent une demande de suspension d'instance ou d'injonction interlocutoire. Premièrement, une étude préliminaire du fond du litige devrait établir qu'il y a une question sérieuse à juger. Deuxièmement, il faudrait déterminer si la demanderesse subirait un préjudice irréparable si sa demande était rejetée. Enfin, il faudrait déterminer laquelle des deux parties subirait le plus grand préjudice selon que l'on accorde ou refuse le redressement en attendant une décision sur le fond. (Voir Perini America Inc. et al. v. Alberto Consani North America Inc. et al. (1992), 57 F.T.R. 139, page 143.)
[7] Je ne crois toutefois pas que dans le cas sous étude l'on doive se rendre jusqu'à cette analyse. En effet, tel que soumis par la procureure du défendeur, la requête en garde et conservation de la demanderesse échappe à mon avis au but visé par la règle 470.
[8] Tel que le suggère le texte des alinéas 470(1) et (5) des règles et comme il fut rappelé par cette Cour dans l'arrêt Perini, en page 146:
What is being sought under rule 470 is tantamount to an order preserving evidence to enable the plaintiff to have facts upon which he can rely to prove his claim at trial. |
[9] Dans le cas qui nous occupe, je peux difficilement voir comment la conservation du véhicule de la demanderesse est nécessaire à cette dernière pour établir sa cause d'action.
[10] En effet, conformément à l'article 135 de la Loi et aux décisions tirées dans l'arrêt Time Data Recorder International Ltd. et al. v. Minister of National Revenue (Customs and Excise) (1993), 66 F.T.R. 253 (1ère instance) et, dans le cas de la Cour d'appel, décision non rapportée du 21 avril 1997, dossier A-518-93, l'action de la demanderesse doit être vue comme un appel de la décision du défendeur sous l'article 131 de la Loi relativement à l'existence d'un motif d'infraction à la Loi ou à ses règlements. Dans ce contexte, le véhicule de la demanderesse n'est pas un élément de preuve sur lequel la demanderesse cherchera à se reposer pour établir sa cause d'action. La conservation de ce véhicule n'aidera en rien cette dernière à établir en preuve les allégués que l'on retrouve à sa déclaration d'action.
[11] La situation ici est donc très différente de celle prévalant dans l'affaire Perini où il fut jugé d'appliquer la règle 470 puisque l'on devait éviter pendant le procès le démantèlement d'une pièce d'équipement si l'on entendait permettre aux demandeurs d'établir leur cause d'action.
[12] D'autre part, il existe également une autre raison pour rejeter la présente requête même si en théorie l'on admettait que la règle 470 puisse s'appliquer. On doit reconnaître que la vente du véhicule de la demanderesse est carrément permise par l'article 119.1 de la Loi. Or, tel que l'a rappelé cette Cour dans l'arrêt Fisher c. La Reine, [1978] 1 C.F. 301, page 307, une règle de la Cour "ne peut certainement pas être utilisée pour faire obstacle à une disposition expresse d'une loi". Dans cette affaire, on tentait par le biais de la règle 470 de faire échec à une situation permise par l'article 135 de la Loi sur l'expropriation, S.R.C. 1970 (1er supp.), c. 16, soit la mise de la couronne fédérale en possession d'un immeuble par l'exécution d'un mandat de la Cour à cet effet.
[13] Pour ces motifs, cette requête de la demanderesse sera rejetée, le tout frais à suivre.
Richard Morneau
protonotaire
MONTRÉAL (QUÉBEC),
le 23 avril 1998
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
NOMS DES AVOCATS ET DES PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER
NO DU DOSSIER DE LA COUR:
INTITULÉ DE LA CAUSE:
T-2329-97
CHANTALE DESBIENS
Partie demanderesse
ET
MINISTRE DU REVENU NATIONAL
Partie défenderesse
LIEU DE L'AUDIENCE:Montréal (Québec)
DATE DE L'AUDIENCE:le 20 avril 1998
MOTIFS DE L'ORDONNANCE de Me Richard Morneau, protonotaire
DATE DES MOTIFS DE L'ORDONNANCE:le 23 avril 1998
COMPARUTIONS:
Me Marie-France Vincent pour la partie demanderesse
Me Julie Patry pour la partie défenderesse
PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER:
Claude F. Archambault & Associés pour la partie demanderesse
Montréal (Québec)
Me George Thomson pour la partie défenderesse
Sous-procureur général du Canada
Ottawa (Ontario)