Date : 20040426
Dossier : IMM-1281-03
Référence : 2004 CF 605
Ottawa (Ontario), le 26 avril 2004
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN
ENTRE :
ABDYL RRUKAJ
ARMANDO RRUKAJ
demandeurs
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire visant la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) en date du 31 janvier 2003, selon laquelle les demandeurs ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention ou des personnes à protéger crédibles.
LES FAITS
[2] Les demandeurs sont des citoyens albanais. Le demandeur principal, Abdyl Rrukaj, est âgé de 44 ans. L'autre demandeur, qui se fonde sur sa demande, est son fils de 15 ans, Armando Rrukaj. Le demandeur prétend craindre avec raison d'être persécuté par la police albanaise et le Parti socialiste (PS) qui est actuellement au pouvoir en Albanie du fait de ses opinions politiques. Il déclare qu'il a servi dans l'armée albanaise en qualité d'officier de carrière de 1982 à 1989, lorsqu'il a été renvoyé par le gouvernement communiste pour s'être déclaré en faveur d'élections libres et d'objectifs politiques démocratiques. Il soutient qu'il est devenu membre du Parti démocratique (PD) en 1990 et qu'il a organisé des manifestations en faveur de la démocratie auxquelles il a participé activement. Il allègue que son frère a été tué par un tireur embusqué pendant une manifestation qu'il avait organisée en 1991.
[3] Le demandeur affirme qu'après l'arrivée du PD au pouvoir en 1992 il est retourné dans l'armée, où il a été capitaine jusqu'à ce qu'il soit de nouveau renvoyé par le PS lorsque celui-ci a repris le pouvoir en 1997. Il soutient non seulement qu'il a été renvoyé arbitrairement de l'armée, mais aussi qu'il a été persécuté, la police l'ayant menacé, battu, interrogé et détenu à plusieurs reprises. Il dit qu'alors qu'il était vice-président du comité électoral local du PD il a été emmené dans un endroit inconnu par la police et sévèrement battu. On l'aurait aussi sommé de ne pas participer aux élections, à défaut de quoi on le tuerait. Le demandeur aurait quitté l'Albanie pour la Grèce le 15 septembre 2000. Il est arrivé au Canada le 24 décembre suivant.
[4] Après avoir entendu la demande, la Commission a conclu que le demandeur n'était pas un témoin crédible ou digne de foi et qu'il n'avait pas été persécuté du fait de ses opinions politiques. Elle a écrit, aux pages 18 et 19 de ses motifs :
J'ai conclu que le demandeur n'est pas un témoin crédible ni digne de foi en ce qui a trait à ses allégations au PDE. J'ai conclu que le demandeur n'est pas crédible ni digne de foi en ce qui a trait à ses allégations de persécution du fait de son opinion politique puisqu'il était un membre bien connu du PD. J'ai conclu que le demandeur n'est pas membre du PD. En conséquence, selon la prépondérance des probabilités, je conclus que le demandeur n'a pas subi de persécution en raison de son opinion politique comme il le soutient. [...] Je conclus qu'il n'y a pas de possibilité sérieuse que le demandeur risquerait d'être persécuté pour l'un des motifs de la Convention sur le statut des réfugiés s'il retournait en Albanie. En conséquence, je conclus que le demandeur n'a pas qualité de réfugié au sens de la Convention.
[5] La Commission est arrivée à cette conclusion parce qu'elle a relevé, dans la preuve du demandeur, plusieurs contradictions, omissions et invraisemblances. Celles-ci sont résumées ci-dessous :
(1) selon les notes prises au point d'entrée (PDE), le demandeur aurait écrit un article contre le gouvernement en 1996, ce qui l'aurait amené à fuir en Grèce en 1998; or, il a déclaré dans son témoignage qu'il avait été persécuté par la police en Albanie en 1999 et en 2000;
(2) il était invraisemblable que le demandeur ait été persécuté pour avoir écrit un article en 1996 puisque les lois albanaises garantissent la liberté d'expression et que la presse et les médias sont actifs et libres en Albanie;
(3) les raisons données par le demandeur pour expliquer pourquoi il n'a pas essayé d'obtenir des documents confirmant son renvoi de l'armée n'étaient pas acceptables puisque l'armée albanaise conserve les documents appropriés et que le demandeur savait qu'il devait obtenir des documents pour étayer sa demande;
(4) le demandeur n'a pas fait état, dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP), des actes de persécution graves dont son frère aurait été victime en 2000, alors qu'il est précisé dans le FRP que de tels actes doivent être mentionnés; en fait, le demandeur a parlé d'un incident survenu en 1991;
(5) le demandeur a produit une carte de membre du PD délivrée récemment, alors qu'il a indiqué être membre de ce parti depuis 1991; il n'a pas produit sa carte de membre originale;
(6) la carte de membre du PD du demandeur et son certificat d'attestation auraient été signés par le président de la branche de Skhoder du PD; or, deux signatures apparaissent sur ces documents, et le demandeur n'a pas été en mesure d'expliquer pourquoi;
(7) le certificat d'attestation du demandeur indique que ce dernier a été l'objet de [traduction] « pressions et [de] chantage » ; or, le demandeur n'a jamais parlé de chantage;
(8) le demandeur, qui était soi-disant un membre bien connu du PD, prétendait avoir signalé tous les actes de persécution commis par la police au président du parti de sa circonscription. Interrogé à ce sujet à l'audience, le demandeur ne savait pas qu'il y avait au sein du PD un organisme appelé le Forum des droits humains contre la brutalité policière, lequel signale de tels actes à Amnistie Internationale;
(9) la cause de la mort n'est pas précisée sur le certificat de décès du frère du demandeur, de sorte que l'on ne peut savoir avec certitude s'il est décédé des suites d'une attaque politique.
[6] En outre, la Commission a rappelé que les faux documents sont courants en Albanie. Compte tenu de ses doutes concernant la crédibilité du demandeur, elle a conclu que la carte de membre du parti de celui-ci et son certificat d'attestation étaient faux.
QUESTIONS EN LITIGE
[7] La présente demande soulève trois questions :
(1) La conclusion défavorable tirée par la Commission au regard de la crédibilité en raison des contradictions qu'elle a relevées entre les notes prises au PDE, le FRP du demandeur et le témoignage de celui-ci est-elle manifestement déraisonnable?
(2) La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en ne faisant pas référence à la traduction d'un document concernant l'appartenance du demandeur au PD et ses activités au sein de ce parti (le document de Minarolli)?
(3) Le fait que le demandeur n'a pas eu, après l'audience, la possibilité de répondre à l'allégation selon laquelle il se trouvait en Grèce et non en Albanie aux dates pertinentes était-il contraire aux principes de justice naturelle?
ANALYSE
Conclusion relative à la crédibilité et notes prises au PDE
[8] Ayant pris connaissance des motifs de la Commission et du dossier certifié, il m'est impossible de partager l'avis du demandeur. La norme de contrôle qui s'applique aux conclusions de fait de la Commission et à l'évaluation de la crédibilité est celle de la décision manifestement déraisonnable. Aussi, la Cour ne substituera son opinion à la décision de la Commission que si celle-ci est clairement erronée. Voir Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.), et De (Da) Li Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 49 Imm. L.R. (2d) 161 (C.A.F.). Je ne pense pas que la Commission a agi de manière déraisonnable en relevant de nombreuses contradictions et incohérences, vu la preuve dont elle disposait.
[9] Les notes prises au PDE sont crédibles. Le demandeur parlait grec, et il a été interrogé par un agent de Douanes Canada parlant cette langue. Les questions et les réponses étaient directes et simples. Je ne peux conclure que la Commission a commis une erreur manifestement déraisonnable en se fiant à ces notes.
[10] La Commission est notamment chargée d'évaluer la crédibilité. L'une des façons de le faire est de comparer trois éléments de preuve recueillis à différentes étapes du processus de détermination du statut de réfugié :
(1) les notes prises au PDE;
(2) le FRP;
(3) le témoignage rendu à l'audience.
Si les notes prises au PDE contiennent des erreurs, le demandeur a suffisamment de temps, avant l'audience, pour rassembler des éléments de preuve les expliquant et les corrigeant. Le demandeur ne peut ignorer les prétendues erreurs figurant dans les notes prises au PDE et, lorsqu'elles sont portées à son attention à l'audience, il ne peut s'attendre à ce que la Commission ajourne l'audience afin de lui permettre d'obtenir des éléments de preuve soi-disant manquants mais disponibles. La Commission entend environ 25 000 cas par année et a un arriéré gigantesque. Le demandeur doit être prêt à présenter sa preuve le jour fixé pour son audience.
Justice naturelle
[11] Le demandeur a reçu un préavis suffisant de l'audience, et la Commission ne contrevient pas aux principes de justice naturelle en ne lui donnant pas la possibilité d'obtenir et de présenter des éléments de preuve additionnels après l'audience dans le but de répondre aux questions qui ont surgi au cours de celle-ci et qu'il aurait dû prévoir.
[12] L'allégation selon laquelle le demandeur se trouvait en fait en Grèce entre 1998 et 2000 découlait des notes prises au PDE. Or, l'avocat du demandeur avait ces notes à sa disposition lorsqu'il s'est préparé en vue de l'audience. Le demandeur a eu deux ans pour se préparer. Il ne peut pas maintenant prétendre qu'il ignorait la teneur de ces notes jusqu'au moment de l'audience.
[13] Étant donné que, à mon avis, la Commission n'a pas commis d'erreur en rendant une conclusion défavorable concernant la crédibilité et qu'elle n'a pas contrevenu à l'équité procédurale ou aux principes de justice naturelle, la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.
[14] Aucun des avocats n'ayant recommandé la certification d'une question, aucune question ne sera certifiée.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.
« Michael A. Kelen » _______________________________
Juge
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-1281-03
INTITULÉ : ABDYL RRUKAJ, ARMANDO RRUKAJ
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE : LE MERCREDI 21 AVRIL 2004
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LE JUGE KELEN
DATE DES MOTIFS : LE LUNDI 26 AVRIL 2004
COMPARUTIONS :
Daniel L.Winbaum POUR LES DEMANDEURS
Deborah Drukarsh POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Daniel L.Winbaum POUR LES DEMANDEURS
Avocat
267, rue Pelissier, bureau 400
Windsor (Ontario)
N9A 1G9
Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada
COUR FÉDÉRALE
Date : 20040426
Dossier : IMM-1281-03
ENTRE :
ABDYL RRUKAJ, ARMANDO RRUKAJ
demandeurs
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE