Date : 20001219
Dossier : IMM-5455-99
OTTAWA (Ontario), le 19 décembre 2000
EN PRÉSENCE DE L'HONORABLE JUGE FRANÇOIS LEMIEUX
ENTRE :
KARALASINGAM SANDIRASEGARAM
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION
défendeur
ORDONNANCE
Pour les motifs déposés, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. L'affaire ne soulève pas de question qui mérite d'être certifiée.
« François Lemieux »
juge
Traduction certifiée conforme
Bernard Olivier, B.A., LL.B.
Date : 20001219
Dossier : IMM-5455-99
ENTRE :
KARALASINGAM SANDIRASEGARAM
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
LE JUGE LEMIEUX
Le contexte
[1] Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire dans laquelle Karalasingam Sandirasegaram (le demandeur) cherche à faire annuler la décision, datée du 20 octobre 1999, dans laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (le tribunal) a conclu qu'il n'était pas un réfugié au sens de la Convention.
[2] Le demandeur est né au Sri Lanka; il est un Tamoul. Il s'est enfui du Sri Lanka en compagnie de son épouse et sa fille en 1992; ils sont venus au Canada et y ont revendiqué le statut de réfugiés.
[3] La Section du statut de réfugié a rejeté leurs revendications le 3 août 1993, mais cette décision a été annulée par M. le juge McKeown de notre Cour le 4 août 1994. Leurs revendications ont été renvoyées pour qu'un tribunal différemment constitué statue à son tour sur celles-ci.
[4] Le demandeur a été réputé s'être désisté de sa revendication du statut de réfugié le 17 janvier 1995 après qu'il a omis à deux reprises de comparaître à des audiences.
[5] Le demandeur, qui avait quitté son épouse et sa fille, était rentré au Sri Lanka le 14 juin 1994 afin de s'occuper des funérailles de son oncle et il y est demeuré jusqu'en septembre 1998, alors qu'il est revenu au Canada pour y revendiquer de nouveau le statut de réfugié. Il ressort de son formulaire de renseignements personnels (FRP) qu'en novembre 1995, il s'était rendu en Inde et en Thaïlande, mais qu'il était rentré au Sri Lanka. Pendant son séjour au Sri Lanka, son ex-conjointe ne l'a pas informé de leur succès devant M. le juge McKeown et du fait qu'une nouvelle audience avait été ordonnée.
Le formulaire de renseignements personnels du demandeur
[6] Dans son FRP datédu 23 septembre 1998, le demandeur mentionne qu'il est né au Sri Lanka en octobre 1958 et qu'il est un Tamoul.
[7] Il dit qu'en juin 1983, il s'est enfui de Colombo en compagnie de son père alors que des Tamouls attaquaient des Cinghalais. Il a fondé une entreprise à Nelliady et pris souvent part aux activités du Tamil United Liberation Front, qui milite en faveur de la création d'un État tamoul par des moyens non violents.
[8] Le demandeur a ensuite décrit l'entente que le gouvernement du Sri Lanka et celui de l'Inde ont conclue en 1987, ainsi que l'arrivée au Sri Lanka de la Force indienne de maintien de la paix (FIMP). Il a dit que la population tamoule vivant dans la partie nord du pays a commencé à éprouver des problèmes terribles en raison de la présence de la FIMP et qu'il a été fait prisonnier en 1989, mais qu'il a été libéré, sous condition qu'il se présente périodiquement à la FIMP, après avoir versé un pot-de-vin.
[9] Il a dit qu'après le départ de la FIMP, les TLET (les Tigres) sont devenus plus puissants, et que les hostilités entre l'armée du Sri Lanka et les Tigres ont repris en 1990. Il a dit qu'au mois d'août cette année-là , les Tigres l'a amené à leur camp pour l'interroger au sujet de ses contacts avec la FIMP; il a été libéré après avoir versé un pot-de-vin.
[10] En 1991, il a célébré son mariage, et au cours du mois de septembre cette année-là , sa région a été attaquée par les forces aériennes du Sri Lanka; à cette occasion, son père a été tué. En août 1992, les Tigres l'ont amené à leur camp et lui ont dit de leur verser une somme d'argent considérable sinon il serait fusillé. Ils ont accepté qu'il fasse des paiements périodiques et l'ont libéré plus tard au cours du même mois; ils l'ont menacé de faire du mal à son épouse et son enfant s'il ne faisait pas ses paiements. C'est à cette époque-là qu'il s'est enfui à Colombo en compagnie des autres membres de sa famille.
[11] En octobre 1992, les autorités policières du Sri Lanka l'ont arrêté et mis en détention; il soutient qu'il a été battu, mais qu'il a été libéré deux semaines plus tard, sous condition qu'il se présente périodiquement aux autorités policières, après avoir versé un pot-de-vin. Il a dit qu'il a été agressé quand il s'est présenté par la suite aux autorités et que son épousé a été insultée et humiliée. Il a décidé de s'enfuir au Canada après avoir été arrêté lors d'une arrestation collective de Tamouls en novembre 1992 par suite de l'assassinat d'un commandant des forces navales du Sri Lanka. Il a été libéré au début de décembre après avoir versé un pot-de-vin, sous condition qu'il se présente chaque jour aux autorités. Il a dit qu'il a été agressé lors de son arrestation. Il s'est réfugié au Canada en compagnie des autres membres de sa famille.
[12] Il est rentré au Sri Lanka le 14 juin 1994. Il a dit qu'à son arrivée à l'aéroport de Colombo, il a été arrêté, puis interrogé sur la question de savoir s'il avait revendiqué le statut de réfugié au Canada. Il a dit qu'il n'avait pas revendiqué le statut de réfugié, mais il a été jeté en prison, où des officiers sri lankais se moquaient de lui et le battaient tant qu'ils le voulaient. Il a été libéré un mois plus tard, soit le 20 juillet 1994, n'ayant pu assister aux funérailles de son oncle.
[13] Il s'est rendu à Vanni, mais les Tigres se sont emparé de lui, l'ont interrogé et l'ont détenu pendant deux jours avant de le libérer.
[14] Puis, en janvier 1995, il a fondé une entreprise, se servant d'un camion qui avait été endommagé lors d'une attaque des forces du Sri Lanka.
[15] À la fin d'octobre 1995, les Tigres « nous » ont dit, écrit-il, de quitter Jaffna en raison de l'approche de l'Armée. En mars 1996, il est arrivé à Vavunya, où il a trouvé un emploi de chauffeur. C'est là que le PLOTE lui a demandé de faire des paiements, en août 1996, en plus d'exiger de lui qu'il transporte gratuitement leurs biens; il a reçu des demandes similaires de la part des Tigres.
[16] Il dit qu'en décembre 1996, l'Armée l'a arrêté [TRADUCTION] « car elle le soupçonnait de venir en aide aux Tigres » , battu et libéré une semaine plus tard à condition qu'il se présente aux autorités trois fois par semaine.
[17] En juillet 1997, il a quitté Vavunya, conformément aux directives du PLOTE. Il s'est rendu à Trincomalee. En septembre 1997, puis en octobre, deux Tamouls de son âge qui vivaient à Trincomalee ont été arrêtés et mis en détention par l'Armée lors d'une arrestation collective de Tamouls. Il a appris en juin 1998 qu'on ignorait toujours où se trouvait l'un d'entre eux.
[18] Les Tigres lui ont fait subir des difficultés, et en août 1998, il a tenté d'obtenir une permission de l'Armée afin de pouvoir sortir de la région. Cependant, au lieu de lui donner cette permission, l'Armée l'a mis en détention, battu et interrogé, car on le soupçonnait de prendre part à des activités militantes. Une semaine plus tard, les soldats cinghalais lui ont donné cette permission, et il s'est enfui à Colombo afin de se rendre au Canada.
La décision du tribunal
[19] Le tribunal a entaméet fait principalement porté son analyse de la revendication du demandeur, qui était fondée sur la crainte qu'il avait d'être persécuté au Sri Lanka s'il devait y retourner, soulignant qu'il y était retournéen 1994 pour y demeurer pendant quatre ans, un comportement qui ne paraît pas compatible avec la crainte qu'il avait exprimée d'être persécutédans son pays d'origine.
[20] Le tribunal a examiné l'explication que le demandeur avait donnée au sujet de son retour au Sri Lanka, qui, selon lui, avait été forcé : 1) il devait organiser les funérailles de son oncle vu que tous les membres de la famille immédiate de ce dernier avaient été tués lors d'un bombardement; et 2) il n'était pas au courant de la décision de la Cour fédérale annulant la conclusion défavorable que la Section du statut de réfugié avait tirée, étant donné qu'il s'était séparé d'avec son épouse et que celle-ci ne lui avait pas transmis sa correspondance. Voici ce que le tribunal a conclu :
[TRADUCTION] La formation a tenu compte de l'omission du revendicateur de donner suite à sa revendication et de son retour au Sri Lanka dans le contexte de la rupture de son mariage et du choc psychologique qu'il avait éprouvéen apprenant le décès de son oncle. Néanmoins, la formation est perplexe quant à la période de quatre ans, soit de 1994 à 1998, au cours de laquelle le revendicateur a résidéau Sri Lanka. Le revendicateur soutient que l'armée l'a arrêtéet mis en détention pour une période d'un mois quand il est rentré au pays, et que par la suite, il a fait l'objet d'extorsion, de détentions et de vols de la part de l'Armée, des TLET et du PLOTE. Compte tenu des allégations du revendicateur, la formation peut difficilement croire qu'après s'être de nouveau réclaméde la protection de son pays, il ne l'a pas quittéavant 1998. Le revendicateur a témoignéqu' il avait tentédeux fois, en vain, de quitter le pays avant de revenir au Canada en 1998. Cependant, aucune de ces tentatives n'est mentionnée dans son FRP, ce qui fait douter du bien-fondéde l'allégation.
La formation doute de la crainte subjective du revendicateur d'être persécutéau Sri Lanka à l'heure actuelle, compte tenu de son retour et de son séjour de quatre ans dans son pays de 1994 à 1998. [Non souligné dans l'original.]
[21] Le tribunal a ensuite abordé un autre aspect de son analyse, concluant que le témoignage du demandeur concernant ses allégations par suite de son retour au Sri Lanka en 1994 [TRADUCTION] « était extrêmement vague et parseméde contradictions » (non souligné dans l'original), et que ses témoignages au sujet de ses déplacements au Sri Lanka après 1994 et son départ de la région nord pour se rendre à Colombo en 1998 étaient [TRADUCTION] « incompatibles avec le récit que contient son formulaire de renseignements personnels (FRP) » (non souligné dans l'original). Le tribunal a signalé une incohérence quant à la date de son arrivée à Trincomalee.
[22] Le tribunal a ensuite décrit les modifications du témoignage du demandeur au sujet des circonstances liées à son obtention d'une permission de se rendre à Colombo en 1998. Il a dit que dans son FRP, le demandeur a écrit qu'il avait obtenu la permission de l'Armée du Sri Lanka après avoir été arrêté et battu. Dans son témoignage, il a d'abord dit à l'agent chargé de la revendication (ACR) qu'il avait obtenu la permission par l'entremise de son agent, omettant de mentionner ce qu'il avait écrit dans son FRP. Le demandeur a par la suite, selon le tribunal, mentionné l'intervention de son ami. Après la pause, le tribunal a dit qu'il avait modifié son témoignage et qu'il soutenait maintenant qu'il avait été arrêté par l'Armée et que les soldats lui avaient dit de quitter la région en lui remettant la permission. Voici ce que le tribunal a conclu :
[TRADUCTION] Il est remarquable que le revendicateur n'a pas mentionné qu'il a été détenu ou battu par l'armée en raison de sa tentative d'obtenir une permission, comme il l'a dit dans son FRP, même si l'avocat lui a posé plusieurs questions précises à ce sujet. Il a également dit que c'était plutôt Ravindran [son ami], et non lui, qui avait obtenu la permission de l'armée. Ce n'est qu'après la pause que le revendicateur a mentionné qu'il avait été détenu par l'armée. Cependant, il a fourni cette réponse que lorsque l'avocat lui a directement demandé s'il avait eu du mal à obtenir la permission de l'armée.
[23] Le tribunal a ensuite analysé la question de l'arrestation de ses deux amis tamouls en septembre et octobre 1997. Le tribunal a dit que le demandeur ne se souvenait pas quand ni comment son premier ami tamoul avait été arrêté et qu'il avait dit dans son témoignage qu'il avait été mis au courant de son arrestation en août 1998. Le tribunal a également renvoyé au fait qu'il avait omis de mentionner dans son témoignage les arrestations collectives de Tamouls en parlant de la disparition de ses deux amis.
[24] Le tribunal a souligné à la fin de l'audition que son avocat avait demandéun ajournement, ce qui lui permettrait de fournir une expertise psychologique afin d'expliquer la difficultédu demandeur à témoigner; l'ajournement a étéaccordé. Un rapport a donc été produit, et il mentionnait que le demandeur [TRADUCTION] « est atteint d'un trouble de stress post-traumatique très prononcé » et que [TRADUCTION] « un tel trouble peut nuire à la capacité de l'individu de témoigner au sujet des événements traumatisants qu'il a subis » . Le tribunal a ensuite fait remarquer que le demandeur pouvait témoigner sans difficulté et sans divergence entre son témoignage oral et écrit à l'égard d'événements qui s'étaient produits avant 1992 et qui seraient aussi traumatisants et violents que ceux qu'il aurait subis, selon lui, après 1994, à propos desquels il avait témoigné avec beaucoup de difficulté et de façon très contradictoire.
[25] Le tribunal a dit que [TRADUCTION] « ces événements étaient, de l'avis de la formation, aussi traumatisants que les événements qu'il prétend avoir subis après 1994. L'expertise psychologique n'explique pas la divergence de la qualité de ces témoignages » . Puis, le tribunal a cité la décision que M. le juge Noël a rendue dans l'affaire Bula c. S.S.C. (A-794-92, 16 juin 1994), pour étayer sa proposition selon laquelle il a le pouvoir discrétionnaire d'apprécier le témoignage de l'expert et de déterminer le poids qu'il convient de lui accorder. Il a en outre cité la décision de M. le juge MacKay dans l'affaire Al-Khatami c. M.C.I., (IMM-2879-94, 13 mars 1996), pour étayer sa proposition que n'est pas déraisonnable la décision d'un tribunal de ne pas accorder de poids à un rapport psychiatrique concernant un trouble de stress post-traumatique au motif que le rapport était fondé sur des événements qui, selon le tribunal, n'étaient pas crédibles.
[26] Le tribunal a tiré la conclusion suivante :
[TRADUCTION] Le revendicateur n'a pas produit de preuve crédible ou digne de foi pour étayer sa prétention selon laquelle il a étépersé cutéà son retour au Sri Lanka en 1994. La formation a appréciéle rapport psychologique qu'on a demandé à la fin de l'audition. Bien que le témoin expert ait diagnostiqué chez le revendicateur un trouble de stress post-traumatique, la formation a conclu que les événements que le revendicateur soutient avoir subis ne sont pas crédibles, malgré l'évaluation psychologique.
Le revendicateur n'a pas établi qu'il y avait une possibilité raisonnable qu'il soit persécutéà son retour dans son pays. [Non soulignédans l'original.]
La position des parties
a) la position du demandeur
[27] Dans sa plaidoirie, l'avocate du demandeur a avancé que le droit du demandeur de se faire entendre n'avait pas été respecté pour un certain nombre de raisons.
[28] Premièrement, son client a appris au dernier moment, soit le jour de l'audition, que les circonstances de son désistement de sa première revendication du statut de réfugié et le fait qu'il s'était désisté de cette revendication constitueraient un facteur dont le tribunal tiendrait compte. Le demandeur dit que la communication tardive de ce renseignement a eu une incidence sur la conclusion que le tribunal a tirée en matière de crédibilité au sujet des événements survenus après 1994, alors qu'il se trouvait au Sri Lanka.
[29] Deuxièmement, le tribunal a substitué son opinion à celle du psychologue qui avait diagnostiqué chez le demandeur un trouble de stress post-traumatique. L'avocate du demandeur a soutenu que le tribunal avait infirmé le témoignage de l'expert sur la question de savoir ce qui avait été traumatisant et ce qui ne l'avait pas été.
[30] Troisièmement, le tribunal a mal interprété la preuve concernant son retour au Sri Lanka en 1994, et, en particulier, la raison pour laquelle il était forcé (contrainte) de rentrer dans son pays pour organiser les funérailles de son oncle. De plus, le demandeur dit qu'il ressort du dossier qu'il a mentionné dans son FRP qu'il a tenté à deux reprises de s'enfuir du Sri Lanka après son retour, en 1994.
[31] Quatrièmement, l'interprétation comportait des erreurs importantes qui ont été soulignées à plusieurs reprises au cours de l'audition.
[32] Cinquièmement, les communications, après l'audition, entre l'ACR et le tribunal qui ont mené à la prorogation de délai de la part du tribunal sans que le demandeur n'intervienne étaient inconvenantes et démontraient une apparence de partialité. Ces communications portaient sur une demande de prorogation, de la part de l'ACR, du délai applicable au dépôt d'observations en réponse au rapport d'expert du demandeur au sujet de ses troubles psychologiques.
b) la réponse du défendeur
[33] L'avocate du défendeur a répondu à chaque point.
[34] Premièrement, l'argument au sujet de partialité n'était pas fondé vu que la règle 40 desRègles de la section du statut de réfugiépermet que l'ACR et le tribunal communiquent de façon informelle pourvu que cela ne soit pas préjudiciable au revendicateur. Or, le demandeur n'a pas subi de préjudice en l'espèce, car il a eu l'occasion de faire des remarques sur le fait que le tribunal était disposé à accorder à l'ACR une prorogation du délai applicable au dépôt d'observations en réponse au rapport du psychologue que le demandeur a produit après l'audition. Le demandeur n'a, par la suite, formulé aucune objection.
[35] Deuxièmement, en ce qui concerne la question de la communication, l'avocate du défendeur a soutenu qu'il ressort de la page 400 du dossier certifié qu'une communication convenable a effectivement eu lieu. Cependant, l'avocate a fait valoir, de façon subsidiaire, que les Règles n'exigeaient pas une communication du type que le demandeur a décrit, soit une communication de question par opposition à une communication de preuve. Quoi qu'il en soit, l'avocate du défendeur ajoute que le demandeur connaissait les questions litigieuses et il savait ce qu'il devait établir selon la loi, soit qu'il avait une crainte fondée d'être persécuté s'il retournait au Sri Lanka. De toute façon, l'avocate du défendeur a soutenu que le tribunal n'a pas fondé sa décision sur la question du désistement.
[36] Troisièmement, en ce qui concerne les tentatives du demandeur de s'enfuir du Sri Lanka en 1995, le défendeur renvoie au FRP du demandeur et dit que bien que ce FRP renferme la mention [TRADUCTION] « 11/95 Inde, Thaïlande (par voie terrestre, depuis l'Inde) » , l'objet de ce voyage n'est pas mentionné, contrairement à la mention qui la précède immédiatement, soit [TRADUCTION] « de 12/92 à 6/94 Canada - but du voyage : revendiquer le statut de réfugié » .
[37] Enfin, en ce qui concerne la question de l'interprétation inexacte, l'avocate du défendeur a dit qu'il ressort d'un examen du dossier que le tribunal s'est assuré, dès le début, que les deux interprètes étaient compétents (il y a eu un interprète différent pour chacune des deux journées d'audition) et que le demandeur et les interprètes pouvaient se comprendre. En outre, le demandeur a dit à l'audition qu'il comprenait l'interprète, en réponse à une question du tribunal à cet effet; le tribunal a ensuite dit au demandeur que s'il avait du mal à comprendre l'interprète, il devait le signaler.
[38] Pour ce qui est des erreurs d'interprétation identifiées par le demandeur, qui disposait de l'enregistrement de l'audition examiné par un autre interprète après l'audition, l'avocate du défendeur a soutenu qu'aucune des différences mentionnées ne constituait une erreur importante qui privait le demandeur de son droit à une audition équitable.
L'analyse
[39] À mon avis, le demandeur ne saurait avoir gain de cause dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire étant donné qu'il n'a pas été en mesure d'étayer les erreurs que, selon lui, le tribunal a commises.
[40] L'avocate du demandeur a protesté contre la communication tardive d'une nouvelle question, soit que le demandeur s'était désisté de sa première revendication du statut de réfugié. Le dossier certifié, en page 400, n'étaye tout simplement pas cette prétention. Le désistement de la première revendication du statut de réfugié n'était pas une question que le président de l'audience avait identifiée, lui qui avait formulé la principale question litigieuse, savoir pourquoi le demandeur craignait de rentrer au Sri Lanka compte tenu des circonstances de son retour en 1994. En outre, le fait qu'il s'est désisté de sa première revendication du statut de réfugié n'a eu aucune incidence sur le rejet de sa deuxième revendication.
[41] L'allégation qu'il y a eu un manque d'impartialité en raison des communications entre l'ACR et le tribunal après la tenue de l'audition au sujet de la prorogation du délai n'est pas étayée. Des communications ont effectivement eu lieu, mais ces communications ont été divulguées à l'avocate du demandeur, qui a été invitée, en cas de préjudice, à faire des observations sur la question de savoir pourquoi la prorogation accordée devait être retirée. Le demandeur n'a pas fait d'observations. À mon avis, la divulgation de la part du tribunal et le fait qu'il ait invité le demandeur à faire des observations à cet égard démontrent que le tribunal traitait de la question avec un esprit ouvert. Dans les circonstances, je ne vois pas de violation de la justice naturelle sur le plan de l'apparence de partialité, quoique ces communications aient pu constituer une violation technique des Règles, à laquelle il a toutefois été remédié.
[42] Je suis d'accord avec l'avocate du défendeur que l'argument du demandeur selon lequel le tribunal a substitué son propre point de vue à celui du psychologue n'est pas fondé. Le tribunal n'a pas accordé de poids au rapport du psychologue parce qu'il n'estimait que les faits qui sous-tendaient ce rapport étaient crédibles, faits qui avaient été exposés au psychologue par le demandeur lui-même.
[43] Pour ce qui est des erreurs d'interprétation, je ne suis pas convaincu, ayant examiné l'ensemble de la transcription de même que les incohérences identifiées par l'interprète qui a évalué cette dernière après l'audition, que les arguments du demandeurs qu'il n'a pas eu le bénéfice d'une audition équitable étaient fondés. Je fais remarquer que la plus grande partie de l'audition a été consacrée à un interrogatoire du demandeur par son avocate, qui, même si elle connaissait l'affaire, n'a pas été troublée par l'une ou l'autre des réponses du demandeur à laquelle elle ne s'attendait pas. Au surplus, il ressort de la transcription que le demandeur a plusieurs fois été invité à clarifier des réponses qui ne semblaient pas claires à ceux qui prenaient part à l'audition, ce qu'il a fait.
[44] Ayant examiné la transcription, je suis convaincu que le tribunal disposait d'éléments de preuve lui permettant de raisonnablement conclure que le témoignage du demandeur était évasif et, parfois, contradictoire, notamment sur la question du moment de son départ de Jaffna, de la façon dont son camion a été volé et sur les circonstances de l'obtention de sa permission.
[45] Je suis convaincu que le demandeur était au courant de la question fondamentale à laquelle il devait répondre, savoir comment pouvait-il expliquer son retour au Sri Lanka et son séjour de quatre ans là -bas, alors qu'il craignait d'y être persécuté par l'Armée et les Tigres. Il n'a pas convaincu le tribunal, qui pouvait légitimement conclure que le demandeur n'avait pas établi la composant subjective de sa crainte d'être persécuté. Il a bel et bien réussi à s'enfuir du Sri Lanka au début de 1996, se rendant jusqu'en Inde et en Thaïlande. Cependant, il est retourné au Sri Lanka après que son agent n'a pas réussi à trouver un pays où il pourrait se réfugier.
Le dispositif
[46] Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question qui mérite d'être certifiée n'a été proposée.
« François Lemieux »
juge
OTTAWA (Ontario)
Le 19 décembre 2000.
Traduction certifiée conforme
Bernard Olivier, B.A., LL.B.
COUR FÉDÉ RALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
NO DU GREFFE : IMM-5455-99
INTITULÉ DE LA CAUSE : KARALASINGAM SADIRASEGARAM c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration
LIEU DE L'AUDIENCE : MONTRÉAL (QUÉBEC)
DATE DE L'AUDIENCE : le 23 octobre 2000
MOTIFS D'ORDONNANCE EXPOSÉS PAR L'HONORABLE JUGE FRANÇOIS LEMIEUX
EN DATE DU : 19 décembre 2000
ONT COMPARU :
Mme Sarah Piven POUR LE DEMANDEUR
Mme Sherry Rafai Far POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Mme Sarah Piven t POUR LE DEMANDEUR
Montréal (Québec)
M. Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada