Date : 19980507
Dossier : IMM-3591-97
ENTRE :
JAFAR RAHIMI,
demandeur,
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,
défendeur.
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
LE JUGE SUPPLÉANT HEALD
[1] Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire visant une décision de la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), en date du 30 juillet 1997. Dans cette décision, la Commission a conclu que le demandeur en l'espèce n'est pas un réfugié au sens de la Convention.
Les faits
[2] Le demandeur, citoyen iranien, occupait auprès des gardes révolutionnaires (le ministère de Sepah), l'emploi de chauffeur attitré. En août de 1996, le cousin germain du demandeur, membre des Mujahedin, mouvement clandestin d'opposition au régime, est venu habiter, à Téhéran, dans la famille du demandeur. Cela faisait quatre mois qu'il était entré dans la clandestinité après que son frère et son père eurent été arrêtés en raison de leur rôle auprès des Mujahedin. Depuis sa base militaire, le demandeur a téléphoné chez lui, parlant en turc à sa soeur de la crainte que leur inspirait la perspective de voir leur cousin germain loger chez eux.
[3] Il semblerait que les appels téléphoniques placés à partir de cette base aient été systématiquement interceptés. Le jour suivant, le demandeur était retenu, battu et interrogé par la sécurité de la base. Les gardes lui firent savoir qu'il serait remis aux autorités et, le jour suivant, il partait par bateau pour le port de Bandar Abbas sur la côte iranienne. Au cours du trajet, le demandeur s'est enfui en se jetant par-dessus bord, nageant jusqu'au rivage. Il a réussi à se faire prendre en auto-stop par un automobiliste qui passait et il a pu, par la suite, quitter l'Iran.
Les motifs de la Commission
[4] La Commission s'est montrée très sévère sur la question de la crédibilité du témoignage du demandeur. La Commission a estimé que le récit du demandeur n'était [traduction] " pas plausible ".1 À la page 7 du dossier du Tribunal, cette formation de la Commission s'est également interrogée sur [traduction] " ... le fait qu'auraient, semble-t-il, été par la suite envoyés au demandeur, certains documents de nature à confirmer ses dires. Or, il déclare avoir détruit ces documents, ne leur ayant guère attribué d'importance ".
[5] La Commission a fini par conclure que2; [traduction] " Nous ne saurions admettre l'existence d'une "possibilité raisonnable" ou "sérieuse possibilité" que le demandeur soit effectivement fondé à craindre d'être persécuté s'il rentrait en Iran, étant donné que nous n'avons tout simplement pas pu admettre les détails de l'arrestation et de la fuite dont il a fait état ".
Analyse
[6] La présente demande porte principalement sur la question de la crédibilité. Dans une demande de statut de réfugié, le Tribunal doit, en premier lieu, décider si la preuve a suffisamment de poids pour établir l'existence d'une crainte subjective d'être persécuté. Le demandeur doit par ailleurs établir l'existence d'une " possibilité raisonnable " ou " sérieuse possibilité " que la crainte qu'il ressent est objectivement fondée3. Pour décider ainsi, le Tribunal ne doit écarter, directement ou par inférence, aucune preuve non contredite, aucune preuve ayant tendance à confirmer les dires du demandeur, ni aucune preuve qui ne serait pas intrinsèquement suspecte ou improbable. Ajoutons que lorsque le Tribunal conclut à l'absence de crédibilité en raison d'un implausibilité intrinsèque et non en raison de contradictions internes ou d'inconséquences dans le témoignage, la norme de contrôle judiciaire est assouplie4.
[7] Dans ses motifs, la Commission ne formule aucune conclusion générale au niveau de la crédibilité. Elle s'arrête, plutôt, sur un certain nombre de détails " non plausibles ". L'on peut pour cela supposer que, hormis certaines invraisemblances, le demandeur était, à tous autres égards, un témoin digne de foi 5.
[8] Je ne suis guère convaincu par la manière dont la Commission a conclu à l'invraisemblance du témoignage du demandeur. La conclusion de la Commission, sur le fait qu'en Iran il est beaucoup plus difficile de faire de l'auto-stop qu'en Amérique, n'est que pure conjecture. Cette conjecture s'écarte de la présomption selon laquelle le témoignage non contredit fait sous serment par un demandeur est crédible. De même, en ce qui concerne le récit que le demandeur a fait de sa fuite, je conclus que c'est à tort que la Commission a refusé son témoignage. Il convient de noter que même l'agent chargé de la revendication a reconnu qu'une telle fuite [traduction] " n'est pas nécessairement invraisemblable "6.
[9] J'estime que le dossier ne contient aucun élément justifiant l'invraisemblance à laquelle a conclu la Commission.
Conclusion
[10] Par conséquent, et pour les motifs exposés ci-dessus, la Cour estime que la présente demande de contrôle judiciaire doit être accueillie, que la décision de la Commission en date du 30 juillet 1997 doit être annulée et l'affaire renvoyée, pour nouvelle audition et nouvelle décision, devant une autre formation de la section du statut.
Certification
[11] Aucun des avocats n'a proposé que la Cour certifie, conformément à l'article 83 de la Loi sur l'immigration, une question grave de portée générale. La Cour estime en effet qu'il n'a pas lieu de certifier une question en l'espèce.
" Darrel V. Heald "
juge suppléant
Toronto (Ontario)
Le 7 mai 1998
Traduction certifiée conforme :
Christiane Delon, LL.L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
Avocats et avocats inscrits au dossier
No DE GREFFE : IMM-3591-97
INTITULÉ DE LA CAUSE : JAFAR RAHIMI |
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
DATE DE L'AUDIENCE : LE 6 MAI 1998
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE : M. LE JUGE SUPPLÉANT HEALD
DATE : LE 7 MAI 1998
ONT COMPARU : Me Steven Beiles
pour le demandeur
Me David Tyndale
pour le défendeur
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER : Steven Beiles
Barristers & Solicitors
281, Eglinton Avenue East
Toronto (Ontario)
M4P 1L3
pour le demandeur
George Thomson
Sous-procureur général
du Canada
pour le défendeur
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
Date : 19980507
Dossier : IMM-3591-97
entre :
JAFAR RAHIMI,
demandeur,
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION,
défendeur.
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
__________________
1 Dossier du Tribunal, page 5.
2 Dossier du Tribunal, page 7.
3 Adjei c. Canada (M.E.I.), [1989] 2 C.F. 680
4 À comparer avec Giron c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 143 N.R. p. 238
5 Pathamanathan c. Canada (M.E.I.), le 24 juin 1993, Ottawa 93-A-67