Ottawa (Ontario), le 8 décembre 2005
EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH
ENTRE :
et
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle le président de l'Agence canadienne d'inspection des aliments (ACIA) a refusé de donner suite à la décision d'une examinatrice indépendante, désignée en vertu de la Politique sur le recours en dotation de l'ACIA, concernant une plainte déposée par le Dr Zul Nanjee. Le président a justifié son refus de donner suite à la décision en disant que l'examinatrice indépendante avait [traduction] « outrepassé sa compétence en examinant les activités de dotation qui ont eu lieu après le processus de sélection à l'étude » .
[2] La Politique sur le recours en dotation de l'ACIA assimile les décisions des examinateurs indépendants à des décisions finales, sauf dans les cas où la décision est fondée sur « des erreurs de fait ou des omissions » . Le Dr Nanjee demande le contrôle judiciaire de la décision du président, en alléguant qu'il n'y avait pas d'erreurs de fait ou d'omissions dans la décision de l'examinatrice indépendante et que, par conséquent, le président de l'ACIA aurait dû donner suite à cette décision.
[3] Pour les motifs exposés ci-dessous, je suis convaincue qu'il n'y avait pas d'erreurs de fait ni d'omissions dans la décision de l'examinatrice indépendante et que le président a donc fait erreur en refusant de donner suite à cette décision. En conséquence, la décision du président sera annulée.
Contexte
[4] Le Dr Nanjee travaille comme vétérinaire à l'ACIA. Il a participé à des concours simultanés visant à pourvoir quatre nouveaux postes d'agent vétérinaire régional. Le Dr Nanjee n'a pas réussi à se faire inscrire sur la liste d'admissibilité, et il n'entend pas contester le concours.
[5] Seules deux des cinq personnes inscrites sur la liste d'admissibilité ont accepté un poste d'agent vétérinaire régional, les trois autres ayant décliné l'offre. La liste d'admissibilité a expiré le 31 mars 2003, avec deux postes à pourvoir. L'ACIA a déterminé plusieurs options qui s'offraient à elle en vue de pouvoir aux postes restants; elle a décidé en fin de compte de lancer un nouveau concours pour l'un des postes et de muter un employé pour pourvoir à l'autre. Le Dr Nanjee n'était pas admissible à participer au concours en raison de restrictions géographiques.
[6] Le Dr Nanjee a invoqué six motifs de contestation à l'égard de ces décisions de dotation. Seul le premier motif de sa plainte est en cause dans la présente affaire. L'allégation est rédigée comme suit :
[traduction]
La haute direction de l'ACIA a fait savoir aux employés que ces postes seraient pourvus par concours seulement. La raison initiale donnée pour limiter la liste d'admissibilité à cinq personnes était : « Nous sommes sûrs de réussir à pourvoir ces postes à partir de cette liste » . D'autres candidats satisfaisaient à toutes les exigences du poste, pourtant, la liste n'a pas été étendue une fois épuisée. D'autres méthodes de dotation, c.-à-d. en procédant à la mutation d'un employé de la région de Toronto et en ayant recours à d'autres listes d'admissibilité, ont été utilisées pour pourvoir ces postes. Tout cela contrairement aux valeurs d'ouverture, de compétence, d'équité et d'impartialité en matière de dotation.
[7] L'examinatrice indépendante a tranché en faveur du Dr Nanjee relativement à ce motif de la plainte. Elle a rejeté deux autres motifs. Quant aux motifs restants, soit qu'ils n'ont pas été examinés ou qu'ils ne l'ont été que partiellement.
[8] En ce qui a trait aux allégations en cause dans la présente demande, l'examinatrice indépendante a conclu que les mesures de l'ACIA en vue de pourvoir aux deux postes d'agent vétérinaire régional ne respectaient pas les obligations prévues par la loi ainsi que les politiques et les valeurs en matière de dotation. À cet égard, l'examinatrice a conclu que les mesures de l'ACIA avaient pour conséquence de refuser tout droit de recours au Dr Nanjee.
[9] Pour arriver à cette conclusion, l'examinatrice a pris en compte un certain nombre de faits. Ces faits n'ont pas été contestés, mais les parties ne s'entendaient pas sur leur pertinence. Particulièrement, l'ACIA était d'avis que les activités de dotation en question avaient eu lieu après le processus de sélection auquel le Dr Nanjee a participé et que, par conséquent, l'examinatrice indépendante n'avait pas compétence pour les prendre en considération.
[10] À l'audience, le débat a été circonscrit à la question de savoir si le Dr Nanjee avait la qualité nécessaire pour présenter une plainte concernant une activité de dotation à laquelle il n'avait pas participé.
[11] Aucune des parties n'a demandé le contrôle judiciaire de la décision de l'examinatrice indépendante.
Politique de l'ACIA sur le recours en dotation
[12] Les paragraphes pertinents de la Politique sur le recours en dotation de l'ACIA prévoient ce qui suit :
Les conclusions de la TPI [tierce partie indépendante ou examinateur indépendant] seront considérées comme étant la décision finale du recours en dotation, sauf si le gestionnaire de niveau 3 estime que ces conclusions sont fondées sur des erreurs de fait ou des omissions.
Le gestionnaire de niveau 3 pourra alors, dans les 10 jours qui suivent la présentation des conclusions de la TPI, recommander au président de l'ACIA d'examiner celles-ci. Le gestionnaire de niveau 3 avisera par écrit le plaignant, dans les 10 jours qui suivent la présentation des conclusions de la TPI, pour l'aviser que celles-ci ont été soumises à l'examen du président. Après examen, le président présentera, par écrit au plaignant et au gestionnaire de niveau 3, la décision finale du recours en dotation.
Les événements faisant suite à la réception de la décision de l'examinatrice par l'ACIA
[13] À la suite de la décision rendue par l'examinatrice indépendante, un dossier a été préparé à l'intention du vice-président, Opérations, par le directeur exécutif de l'ACIA. Le dossier recommandait que le président de l'ACIA examine les conclusions de l'examinatrice indépendante parce qu'elles étaient soi-disant fondées sur une erreur de fait ou une omission.
[14] Sous la rubrique se rapportant aux questions en litige, le directeur exécutif précisait ceci : [traduction] « Les autres options de dotation (après le processus de sélection en cause) exercées par la direction n'étaient pas visées par cette plainte et prévoyaient séparément des recours pour chacune » . Dans l'analyse des différentes options qui s'offraient au président de l'ACIA, le directeur exécutif a précisé que, comme quatrième option, [traduction] « [l]e président pourrait annuler les conclusions de [l'examinatrice indépendante] concernant la première allégation de la plainte, puisque celle-ci débordait la compétence de [l'examinatrice indépendante] » . [Non souligné dans l'original.]
[15] Dans l'option 4, le directeur exécutif a ensuite proposé qu'un autre examinateur indépendant soit désigné pour régler la question des allégations 4, 5 et 6, à savoir les allégations qui n'avaient pas été clairement tranchées par la première examinatrice. Il a recommandé que : [traduction] « le président devrait choisir l'option 4 décrite précédemment et décider si l'examinatrice indépendante a outrepassé sa compétence » . [Non souligné dans l'original.]
[16] Le vice-président, Opérations, de l'ACIA a ensuite préparé un dossier à l'intention du président, qui précisait que les conclusions de l'examinatrice indépendante et le rapport du directeur exécutif avaient été examinés par l'Unité ministérielle de dotation qui s'est dite d'avis que l'examinatrice indépendante avait excédé sa compétence en ce qui a trait à l'allégation qui constitue l'objet de la présente demande.
[17] Le vice-président terminait son rapport en recommandant que le président avise par lettre le Dr Nanjee qu'il n'entendait pas donner suite à la décision de l'examinatrice indépendante parce qu'elle avait « excédé sa compétence en examinant les activités de dotation qui avaient eu lieu après le processus de dotation à l'étude » .
[18] Le président de l'ACIA a accepté cette recommandation et, dans une lettre datée du 11 février 2005, le Dr Nanjee a été informé que le président avait décidé que l'examinatrice indépendante avait excédé sa compétence en examinant les activités de dotation qui avaient eu lieu après le processus de dotation à l'étude.
[19] Le président a ensuite avisé le Dr Nanjee que, comme les allégations 4, 5 et 6 n'avaient pas été entièrement tranchées par l'examinatrice indépendante, il avait chargé un autre examinateur de le faire.
[20] Le président concluait en disant que, après la réception des recommandations du deuxième examinateur, [traduction] « je vous aviserai de ma décision finale sur les allégations en suspens » . [Non souligné dans l'original.]
[21] J'ai été informée par les parties que, en raison de la présente demande de contrôle judiciaire, l'examen des allégations non tranchées a été suspendu afin d'éviter d'éventuelles décisions contradictoires concernant la même question. Les parties m'ont également informée que, à la suite de la décision du président, l'ACIA a offert de désigner un nouvel examinateur indépendant pour examiner toute la plainte du Dr Nanjee, y compris la première allégation, et que cette offre a été refusée par le Dr Nanjee.
Questions en litige
[22] La présente demande soulève les trois questions suivantes :
1. La demande de contrôle judiciaire du Dr Nanjee est-elle prématurée?
2. Si tel n'est pas le cas, quelle est la norme de contrôle applicable à la décision du président de l'ACIA?
3. Le président de l'ACIA a-t-il commis une erreur donnant matière à révision en refusant de donner suite à la décision de l'examinatrice indépendante?
La demande de contrôle judiciaire est-elle prématurée?
[23] L'ACIA allègue que la demande de contrôle judiciaire du Dr Nanjee est prématurée, en affirmant qu'il devrait être tenu d'attendre que le second examinateur indépendant termine son examen de l'affaire avant d'introduire une instance devant la Cour. Selon l'ACIA, s'il en était autrement, il en résulterait une [traduction] « approche fragmentée » avec la possibilité qu'il y ait deux examinateurs indépendants différents pour examiner la même plainte et des résultats susceptibles d'être incompatibles.
[24] En outre, l'ACIA affirme que, à moins que le second examinateur indépendant ne soit autorisé à procéder à l'examen des allégations 4, 5 et 6 du Dr Nanjee, l'ACIA serait placée dans la situation où elle devrait donner suite à la décision de la première examinatrice indépendante concernant la première allégation du Dr Nanjee sans avoir le bénéfice de savoir s'il existait d'autres problèmes touchant le processus, comme le laissaient entendre les autres allégations du Dr Nanjee.
[25] Je ne suis pas d'avis que la présente demande de contrôle judiciaire est prématurée. À la lecture de la lettre datée du 11 février 2005, il apparaît évident que le président a pris une décision finale en ce qui a trait à la première allégation du Dr Nanjee. Rien dans cette lettre ne laisse entendre que la première allégation ferait l'objet d'un nouvel examen par le deuxième examinateur. Par conséquent, les résultats ne sont pas susceptibles d'être incompatibles.
[26] À vrai dire, la lettre du président précise clairement que le deuxième examinateur indépendant s'intéresserait strictement aux allégations 4, 5 et 6. À cet égard, il faut répéter que le président termine sa lettre en disant que, après la réception du rapport du second examinateur indépendant, il aviserait le Dr Nanjee de sa décision finale concernant [traduction] « les allégations en suspens » .
[27] Il faudrait également noter que, si le Dr Nanjee était tenu d'attendre jusqu'à ce que le président de l'ACIA prenne une décision après consultation du rapport du second examinateur indépendant, avant d'engager la procédure de contrôle judiciaire devant la Cour, il agirait alors contrairement à l'article 302 des Règles des Cours fédérales, qui limite la demande de contrôle judiciaire à une seule décision.
[28] Finalement, même si l'ACIA a tenté de s'appuyer sur ce qui est ressorti des discussions de règlement après la décision du 11 février 2005 du président, ces discussions ne sont d'aucune utilité, à mon avis, pour déterminer si la présente demande de contrôle judiciaire est prématurée ou pour établir la légalité de la décision du président au moment où elle a été prise.
[29] En conséquence, je suis convaincue qu'il est approprié d'entendre la demande de contrôle judiciaire du Dr Nanjee en ce moment.
Quelle est la norme de contrôle applicable à la décision du président de l'ACIA?
[30] Un examen des quatre facteurs décrits par la Cour suprême du Canada dans des décisions telles que Dr Q. c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, 2003 CSC 19, révèle que :
i) La Loi sur l'Agence canadienne d'inspection des aliments ne comporte pas de clause privative. Il s'agit normalement d'un facteur neutre pour décider de la norme de contrôle applicable. Même s'il convient de noter que la Politique sur le recours en dotation prévoit clairement que la décision du président est finale, laissant ainsi entendre qu'une certaine retenue doit être manifestée à l'égard des décisions de ce dernier, elle précise aussi que les décisions des examinateurs indépendants sont également considérées comme étant finales, sauf dans certaines situations déterminées. Eu égard aux circonstances en l'espèce, je suis d'avis que ce facteur n'est ni favorable ni défavorable à la retenue judiciaire.
ii) En tant que principal administrateur de l'ACIA, le président connaît parfaitement bien les besoins opérationnels de l'agence et son environnement, ainsi que les rouages de la Politique sur le recours en dotation. Par ailleurs, le président de l'ACIA ne possède aucune compétence spécialisée en ce qui a trait à la question en litige en l'espèce, à savoir s'il a été satisfait aux conditions juridiques préalables de la Politique sur le recours en dotation qui lui confèrent la compétence pour modifier les recommandations d'un examinateur indépendant. À cet égard, l'expertise de la Cour est nettement supérieure.
iii) Dans la mesure où l'objet de la loi est concerné, l'article 13 de la Loi sur l'Agence canadienne d'inspection des aliments accorde à l'Agence le pouvoir de nommer ses employés et de déterminer comment elle traite les plaintes en matière de dotation. Ce facteur sous-entend que les décisions du président devraient faire l'objet d'une certaine retenue judiciaire.
iv) Finalement, les parties conviennent que la question à l'étude est de savoir si le président de l'ACIA a commis une erreur de droit en concluant qu'il avait compétence pour refuser de donner suite à la décision de l'examinatrice indépendante. Cette question est par nature une question de compétence, ce qui incite à peu de déférence.
[31] Après avoir examiné ces facteurs, je suis d'avis qu'il est au moins possible de soutenir que, compte tenu de la nature de la question, et de la question de l'expertise relative, la décision du président devrait être examinée à la lumière de la norme de la décision correcte; à tout le moins la décision doit être raisonnable.
[32] La norme de contrôle étant établie, je vais maintenant me pencher sur le bien-fondé de la demande du Dr Nanjee.
Le président a-t-il commis une erreur donnant matière à révision en refusant de donner suite à la décision de l'examinatrice?
[33] Le président de l'ACIA a le pouvoir de refuser de donner suite aux conclusions d'un examinateur indépendant seulement lorsque ces conclusions sont fondées sur « des erreurs de fait ou des omissions » . Même si la caractérisation de l'erreur factuelle qu'aurait commise l'examinatrice indépendante s'est modifiée quelque peu avec le temps, essentiellement, l'ACIA conteste la compétence d'un examinateur à considérer le bien-fondé d'une mesure de dotation lorsque le plaignant n'a pas participé au processus en question.
[34] À la lecture de la décision, on constate que l'examinatrice indépendante n'a pas mal compris ou mal interprété les faits de la présente affaire. Elle a parfaitement compris que plusieurs processus de sélection étaient en cause et que le Dr Nanjee n'avait pas participé aux processus subséquents. À vrai dire, l'examinatrice a compris à juste titre que c'était le fait que le Dr Nanjee avait été exclu de ces processus qui était au coeur même de sa plainte.
[35] On peut légitimement se demander si un employé a effectivement qualité pour déposer une plainte au titre de la Politique sur le recours en dotation en pareilles circonstances. Toutefois, il s'agit d'une question de droit et non d'une question de fait. Si l'ACIA avait des doutes à cet égard, il lui était loisible de demander le contrôle judiciaire de la décision de l'examinatrice en invoquant une erreur de compétence. Comme elle ne l'a pas fait, il était déraisonnable de la part du président de l'ACIA de simplement écarter les conclusions de l'examinatrice en caractérisant comme une question de fait ce qui était en réalité une question de droit.
Conclusion
[36] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie avec dépens.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit accueillie avec dépens.
La décision du président de l'ACIA prise en date du 11 février 2005 concernant la première allégation de la plainte du Dr Nanjee est annulée. L'affaire est renvoyée au président pour qu'il donne suite à la décision de l'examinatrice indépendante en ce qui a trait à la première allégation de la plainte du Dr Nanjee.
Juge
Traduction certifiée conforme
Thanh Tram Dang, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-512-05
INTITULÉ : ZUL NANJEE
c.
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU
CANADA
LIEU DE L'AUDIENCE : OTTAWA (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 30 NOVEMBRE 2005
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LA JUGE MACTAVISH
DATE DES MOTIFS : LE 8 DÉCEMBRE 2005
COMPARUTIONS :
Steven Welchner POUR LE DEMANDEUR
Suzanne M. Duncan POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
STEVEN WELCHNER POUR LE DEMANDEUR
Ottawa (Ontario)
JOHN H. SIMS c.r. POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada