Date : 20031112
Dossier : IMM-5667-02
Référence : 2003 CF 1324
ENTRE :
ROBERTO PABLO HERNANDEZ ESPINOSA
demandeur
ET
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
LE JUGE ROULEAU
[1] Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu de l'alinéa 18.1(3)b) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, ch. F-7, qui vise une décision du 3 octobre 2002 par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a statué que Roberto Pablo Hernandez Espinosa (le demandeur) n'est pas un réfugié au sens de la Convention non plus qu'une personne à protéger.
[2] Le demandeur est un citoyen du Mexique âgé de 29 ans qui prétend craindre avec raison d'être persécuté en raison de son homosexualité. Il soutient avoir été harcelé par la police mexicaine du fait de son orientation sexuelle et avoir subi l'hostilité de la famille d'une femme qu'il a mise enceinte au Mexique.
[3] La Commission a conclu que le demandeur, n'ayant pas de crainte subjective d'être persécuté, n'était pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.
[4] Pour en arriver à sa conclusion, la Commission s'est particulièrement penchée sur le long délai avant que le demandeur revendique le statut de réfugié au Canada. De fait, le demandeur est arrivé au Canada le 25 mars 1999 mais n'a présenté sa revendication qu'en mai 2000. Étant donné la prétendue crainte du demandeur d'être emprisonné, torturé et tué au Mexique, la Commission a jugé inexplicable ce délai de 14 mois.
[5] Après examen approfondi de la jurisprudence sur la pertinence du retard à revendiquer le statut de réfugié, la Commission a conclu qu'un tel retard pouvait de fait laisser croire en l'absence d'une crainte subjective de persécution. La Commission a déclaré que l'importance à accorder au retard dépend des faits d'espèce, et que plus un retard est inexplicable, plus l'absence d'une crainte subjective est probable.
[6] La Commission a conclu que les faits d'espèce étaient tels que le retard non seulement était pertinent, mais jouait un rôle décisif.
[7] La Commission a fait remarquer que, bien que le demandeur ait été autorisé de séjour à titre de visiteur pendant les premiers six mois et ait pu ne pas ressentir alors le besoin urgent de revendiquer le statut de réfugié, il n'a pu fournir d'explications pour son retard par la suite. La Commission a jugé ce retard d'autant plus étonnant que, selon le Formulaire de renseignements personnels (FRP) du demandeur, ce dernier a communiqué avec un avocat, qui lui a conseillé de présenter une demande d'asile « [traduction] quelques mois » après son arrivée au Canada :
À un moment donné, il a affirmé qu'il concentrait tous ses efforts à gagner de l'argent. À un autre moment, il a déclaré que la paix et la tranquillité qu'il avait trouvées au Canada lui avait fait oublier son sentiment de danger. Il aurait apparemment perdu toute notion du temps. Lorsqu'on lui a demandé ce qui serait arrivé si son statut irrégulier avait été découvert, le demandeur n'a pu donner de réponse. Lorsqu'on lui a demandé s'il avait cherché sur l'Internet de l'information sur la façon de déposer une demande, il a répondu non. Tout cela est extrêmement étonnant, car le demandeur avait fait quatre années d'études de droit au Mexique et qu'il était sur le point d'obtenir un diplôme de droit. Si un demandeur était vraiment en mesure de se renseigner sur le processus canadien concernant les réfugiés, c'était bien lui. Et pourtant, il n'a rien fait.
Dossier de la demande, motifs, pages 12 et 13
[8] La Commission a souligné que le demandeur n'avait pas de problèmes psychologiques ni de problèmes de personnalité, et qu'il maîtrisait parfaitement ses sentiments. La Commission a conclu qu'on pouvait déduire de l'inaction du demandeur après son arrivée au Canada qu'il n'avait aucune crainte de subir un préjudice grave au Mexique. La Commission a donc rejeté la revendication du demandeur parce qu'elle n'avait pas de fondement subjectif.
[9] Le demandeur soutient qu'il était irrationnel pour la Commission de conclure que seule l'absence de crainte de subir un préjudice grave au Mexique pouvait expliquer que le demandeur ait attendu 14 mois après son arrivée au Canada pour y revendiquer le statut de réfugié.
[10] Le demandeur soutient que, bien que l'exposé circonstancié contenu dans son FRP puisse être imprécis et induire en erreur sur ce point, il est allé consulter pour la première fois un avocat quant à ses options environ 8 ou 9 mois après son arrivée au Canada (plutôt que « [traduction] quelques mois » après, comme le mentionne le FRP). Ainsi, le retard en cause était beaucoup plus court que la Commission ne l'a déclaré. Le demandeur soutient, en outre, que la Commission n'a tenu absolument aucun compte de l'explication fournie quant au motif pour lequel il n'a rien fait après avoir consulté le premier avocat. Cette explication c'était qu'il n'avait pas l'argent requis pour faire valoir une revendication du statut de réfugié, et que ce premier avocat l'avait rebuté.
[11] Le demandeur soutient en outre que la Commission a mal interprété la preuve, et particulièrement le rapport psychologique. Le demandeur prétend que, même si on conclut dans ce rapport qu'il n'avait pas actuellement de problèmes psychologiques, il manifestait d'importants symptômes de dépression et d'angoisse pendant qu'il vivait au Mexique.
[12] Selon le demandeur, la Commission a commis une erreur en concluant que toutes les personnes qui s'enfuient pour échapper à la persécution ou à un préjudice grave désirent immanquablement présenter une demande d'asile à la première occasion.
[13] L'argument le plus convaincant du demandeur c'est que le retard est un facteur important à prendre en compte dans l'examen d'une revendication du statut de réfugié, mais que ce facteur n'est pas décisif à lui seul et doit être apprécié en contexte. Le demandeur soutient que la Commission n'a pas évalué sa crédibilité non plus le risque qu'il subisse un préjudice au Mexique, et qu'elle a ainsi commis une erreur en fondant sa décision uniquement sur le retard.
[14] Le défendeur fait remarquer, en ce qui concerne le rapport psychologique, qu'on n'y formule aucune conclusion quant au retard du demandeur à revendiquer le statut de réfugié. On n'y mentionne non plus aucun symptôme du demandeur après son arrivée au Canada qui l'aurait empêché pendant 14 mois de revendiquer le statut de réfugié.
[15] Renvoyant à l'affidavit à l'appui de la demande, le défendeur soutient que le demandeur n'était pas totalement convaincu de vouloir demeurer au Canada même lorsqu'il a présenté sa demande d'asile. Selon le défendeur, le motif de la décision du demandeur de « [traduction] s'engager à demeurer au Canada » n'était pas la crainte d'être persécuté au Mexique, mais plutôt le commencement d'une relation sérieuse au Canada. Si le demandeur avait réellement craint pour sa sécurité et pour sa vie, comme il le prétend, ce souci l'aurait emporté sur toute autre considération.
[16] Il est bien admis en droit, comme la Commission l'a reconnu, que lorsque celle-ci évalue la crainte subjective d'un demandeur d'être persécuté elle peut tenir compte de son comportement. Dans Heer c. M.E.I. (le 13 avril 1988, doc. n ° A-474-87 (C.A.F.)), la Cour d'appel fédérale a reconnu que le retard dans la présentation de la revendication du statut de réfugié « est un facteur important dont elle [la Commission] peut tenir compte en examinant une revendication du statut de réfugié » . Comme la Commission le déclare, le retard laisse croire en l'absence de crainte subjective d'être persécuté, comme on peut penser qu'une personne ayant une crainte véritable revendiquerait le statut de réfugié à la première occasion.
[17] La Commission déclare à juste titre que, bien que le retard dans la présentation n'a habituellement pas d'effet déterminant sur une revendication du statut de réfugié, il arrive qu'il joue un rôle décisif en certaines circonstances. Ce qui porte le coup fatal à la revendication du demandeur, c'est son incapacité d'expliquer le moindrement ce retard de manière satisfaisante.
[18] D'ailleurs, la formation du demandeur (des études de droit pendant quatre ans) et le fait qu'il a admis avoir consulté un avocat, qui lui a conseillé de revendiquer le statut de réfugié entre quelques mois et huit mois après son arrivée au Canada, viennent contredire la crainte qu'il allègue d'être emprisonné, torturé et tué au Mexique. Le demandeur a notamment donné comme explications qu'il « concentrait tous ses efforts à gagner de l'argent » , que la paix et la tranquillité qu'il avait trouvées au Canada lui avaient « fait oublier son sentiment de danger » et qu'il « [traduction] ne s'est engagé dans une relation sérieuse avec quiconque que 18 mois environ après être arrivé au Canada et que, jusqu'alors, il ne ressentait pas fortement le désir de s'engager à demeurer en permanence au Canada » . Cette prétendue justification n'est assurément pas convaincante.
[19] En ce qui concerne le rapport psychologique daté du 28 août 2002, on peut y lire qu' « [traduction] il n'a pas actuellement de problèmes psychologiques » ; la Commission a fait part de la même observation. Le rapport se fondait sur une seule entrevue, qui a eu lieu le 22 août 2002, et on y affirme que le demandeur a pu avoir des symptômes importants de dépression et d'angoisse « [traduction] alors qu'il vivait au Mexique » . On n'y fournit aucune explication d'ordre médical qui justifie l'inaction pendant 14 mois du demandeur.
[20] La Cour estime qu'il n'était pas déraisonnable pour la Commission de conclure, sur le fondement de la preuve dont elle était saisie, que l'inaction du demandeur après son arrivée au Canada démontrait qu'il ne craignait pas de subir un préjudice grave au Mexique, et qu'ainsi sa demande n'avait « pas de fondement subjectif » . En outre, l'analyse par la Commission de la jurisprudence relative aux retards était juste.
[21] La jurisprudence est tout à fait claire; le retard dans la présentation d'une revendication du statut de réfugié a une incidence sur l'élément essentiel de celle-ci, soit l'existence ou non d'une crainte subjective d'être persécuté. La Commission n'a pas prêté foi au témoignage du demandeur, non plus qu'à l'explication qu'il a donnée pour justifier le retard; elle les a jugés insatisfaisants. Aucune erreur de droit n'a été commise.
[22] Pour ces motifs, je rejette par les présentes la demande de contrôle judiciaire.
« P. Rouleau »
Juge
OTTAWA (ONTARIO)
LE 12 NOVEMBRE 2003
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-5667-02
INTITULÉ : ROBERTO PABLO HERNANDEZ ESPINOSA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 30 OCTOBRE 2003
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE ROULEAU
DATE DES MOTIFS : LE 12 NOVEMBRE 2003
COMPARUTIONS :
John Guoba POUR LE DEMANDEUR
Andrea Hammell POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
John Guoba POUR LE DEMANDEUR
2425, avenue Eglinton Est
Bureau 211
Toronto (Ontario)
M1K 5G8
Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada