Date : 20060314
Ottawa (Ontario), le 14 mars 2006
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'KEEFE
ENTRE :
LE MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES
et
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
LE JUGE O'KEEFE
[1] Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision en date du 7 juillet 2005 par laquelle la Commission d'appel des pensions (la Commission) a refusé au demandeur l'autorisation d'interjeter appel d'une décision du tribunal de révision accordant au défendeur une pension d'invalidité en vertu du Régime de pensions du Canada, L.R.C. 1985, ch. C‑8 (le RPC).
[2] Le demandeur sollicite :
1. que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie sans dépens;
2. que l'affaire soit renvoyée pour réexamen à un membre différent de la Commission, désigné à cette fin.
Contexte
[3] M. Noel P. Lewis (le défendeur) a subi, dans un accident d’automobile survenu en juillet 2002, des lésions qui ont mis fin à son emploi d'auxiliaire médical. Il a présenté en octobre 2003 une demande de prestations d'invalidité du RPC. Selon son formulaire de demande, ses principales lésions invalidantes étaient les suivantes : une fracture ouverte de la rotule, une déchirure de l'épaule gauche et une rupture de la coiffe des rotateurs à la même épaule, une acromioplastie gauche et une ablation de bourse séreuse, une blessure à la tête, une épilepsie traumatique du lobe temporal droit, ainsi qu'une hémorragie sous-conjonctivale et des épanchements de l'œil droit. Il a aussi déclaré dans ce formulaire qu'il avait du mal à monter et à descendre les escaliers, à se plier, à s'agenouiller, ainsi qu'à soulever et à transporter des poids; qu'il souffrait d'une réduction d'amplitude articulaire; et qu'il était sujet à des crises d'épilepsie. Le ministre du Développement des ressources humaines (le demandeur) a rejeté la demande de prestations du défendeur au motif que, même s'il ne pouvait reprendre son travail antérieur, il restait capable, selon la preuve produite, d'occuper un autre emploi. Cette décision a été confirmée après réexamen. Le défendeur a alors contesté cette décision devant un tribunal de révision, qui a fait droit à son appel le 21 décembre 2004. Le tribunal de révision, ayant conclu que le défendeur n'avait pu reprendre son emploi à compter de la date de son accident d’automobile, lui a accordé une pension d'invalidité courant à partir de juillet 2002.
[4] Le ministre a déposé une demande d'autorisation d'interjeter appel de la décision du tribunal de révision, autorisation que la Commission lui a refusée le 7 juillet 2005. La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire de cette décision de la Commission refusant au ministre l'autorisation d'interjeter appel.
Motifs de la décision de la Commission
[5] Voici le texte intégral de la décision de la Commission :
[TRADUCTION]
Le tribunal de révision a statué que le défendeur était devenu invalide au sens du Régime de pensions du Canada à compter de juillet 2002, soit le mois où est survenu son accident d’automobile.
Le tribunal, dans un exposé détaillé de ses motifs, a examiné la preuve médicale et l'argumentation du ministre. Nous notons que les Drs Shaikh et Tumilty ont confirmé que M. Lewis est invalide et incapable de travailler. S'il est vrai que ses médicaments ont supprimé dans l'ensemble les symptômes de son épilepsie traumatique, il a du mal à tolérer ces médicaments. En outre, on lui a retiré son permis de conduire.
Le tribunal a publié un exposé des motifs de sa décision qui permet à chacun de suivre le raisonnement qui l'a amené à sa conclusion; il s'est fondé dans une mesure considérable sur le témoignage de M. Lewis, ce qu'il était en droit de faire. La Cour d'appel fédérale, à la page 4 de l'arrêt Giannaros c. Ministre du Développement social, 2005 CAF 187, examine une situation semblable et conclut que la Commission avait le droit de prendre la preuve en considération. L'autorisation d'interjeter appel est refusée.
Question en litige
[6] Le demandeur met en litige la question suivante :
La Commission, en refusant l'autorisation d'interjeter appel, a‑t‑elle appliqué le bon critère, soit le point de savoir si la cause du demandeur était défendable?
Conclusions du demandeur
[7] Le demandeur fait valoir que la partie qui demande à la Commission l'autorisation d'interjeter appel d'une décision du tribunal de révision en vertu du paragraphe 83(1) du RPC n'a pas à prouver le bien-fondé de sa cause. L'autorisation d'interjeter appel est une première condition à remplir, et moins rigoureuse que celle à laquelle il devra être satisfait au moment où l'appel sera entendu au fond. Voir Kerth c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) (1999), 173 F.T.R. 102 (1re inst.), au paragraphe 24.
[8] Le demandeur soutient que, si le RPC ne prévoit pas le critère applicable à l'examen d'une demande d'autorisation présentée en vertu de l'article 83, la jurisprudence a établi que ce critère est le point de savoir si cette demande a des chances sérieuses d'être accueillie. Voir Callihoo c. Canada (Procureur général) (2000), 190 F.T.R. 114 (1re inst.), au paragraphe 15.
[9] Le demandeur fait valoir que la Commission a examiné la décision du tribunal de révision au fond, c'est‑à‑dire sous le rapport des questions d'invalidité, plutôt que de se demander si la cause du ministre était défendable, et qu'elle a ainsi appliqué un critère erroné. Selon le demandeur, la Commission est allée plus loin que l'examen du point de savoir si la cause du ministre était défendable.
[10] La Commission invoque dans l'exposé de ses motifs l'arrêt Giannaros c. Canada (Ministre du Développement social), 2005 CAF 187, qui concerne la demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Commission rejetant un appel au fond. Selon le demandeur, l'arrêt Giannaros n'est pas pertinent lorsqu'il s'agit de se prononcer sur une demande d'autorisation d'interjeter appel.
[11] Le demandeur fait valoir que sa demande d'autorisation d'interjeter appel établissait le caractère défendable de sa thèse selon laquelle le défendeur est capable de détenir une occupation véritablement rémunératrice au sens du sous-alinéa 42(2)a)(ii) du RPC.
Conclusions du défendeur
[12] Le défendeur, dans la présente espèce, n'a pas déposé de conclusions écrites ni ne s'est présenté à l'audience.
Analyse et décision
[13] Question en litige
La Commission, en refusant l'autorisation d'interjeter appel, a‑t‑elle appliqué le bon critère, soit le point de savoir si la cause du demandeur était défendable?
Dans l'arrêt Callihoo, précité, le juge MacKay fait observer que les demandes de contrôle judiciaire relatives aux demandes d'autorisation d'interjeter appel devant la Commission d'appel des pensions soulèvent en général deux questions :
1. la question de savoir si le décideur a appliqué le bon critère, c'est‑à‑dire la question de savoir si la demande a des chances sérieuses d'être accueillie, sans que le fond de la demande soit examiné;
2. la question de savoir si le décideur a commis une erreur de droit ou d'appréciation des faits au moment de déterminer s'il s'agit d'une demande ayant des chances sérieuses d'être accueillie. Dans le cas où une nouvelle preuve est présentée lors de la demande, si la demande soulève une question de droit ou un fait pertinent qui n'a pas été pris en considération de façon appropriée par le tribunal de révision dans sa décision, une question sérieuse est soulevée et elle justifie d'accorder l'autorisation.
[14] La présente demande met en jeu la première question, soit celle de savoir si la Commission a appliqué le bon critère au moment de décider s'il y avait lieu d'accorder l'autorisation d'interjeter appel. Comme il s'agit d'une question de droit, la décision de la Commission sera annulée s'il s'avère qu'elle a appliqué un critère erroné. Voir par exemple les paragraphes 6 et 7 de l'arrêt Martin c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) (1999), 252 N.R. 141 (C.A.F.), où le juge Malone a formulé les observations suivantes :
Par suite d'un examen des motifs qu'il a donnés pour refuser l'autorisation d'interjeter appel, il est évident que le vice-président de la CAP est allé beaucoup plus loin que de simplement déterminer s'il y avait une cause défendable ou si une question de droit ou de compétence avait été soulevée, et qu'il s'est plutôt demandé si l'appelant pouvait avoir gain de cause au fond. Il s'agit d'une erreur de droit. Le vice-président a affirmé (Dossier d'appel, page 60) :
[TRADUCTION]
Il est difficile de voir comment la Commission pourrait tirer une conclusion autre que celle à laquelle était parvenu le tribunal de révision. La preuve médicale n'étaye pas la prétention selon laquelle le requérant est incapable d'occuper de façon régulière un emploi rémunérateur. Bien qu'elle établisse que le choix de travaux qu'il peut accomplir est limité, mais étaye la prétention du ministre selon laquelle le requérant serait en mesure d'accomplir un travail moins dur physiquement. En ce qui concerne les compétences académiques du requérant, toute limite résultant de cette considération n'a rien à voir avec l'invalidité. Il ne saurait être justifié d'accorder l'autorisation d'interjeter appel.
À notre humble avis, le vice-président de la CAP n'a pas appliqué le bon critère pour rendre sa décision et il a imposé à l'appelant un fardeau trop élevé lorsqu'il a évalué la demande d'autorisation d'interjeter appel. À notre avis, il existe au moins une cause défendable quant à l'interprétation appropriée du sous‑alinéa 42(2)a)(ii) du Régime de pensions du Canada selon lequel, pour qu'une invalidité soit grave, le demandeur doit être « régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice ». Le tribunal de révision, toutefois, a supposé que l'appelant devait prouver qu'il était « incapable d'accomplir tout travail ».
[15] Pour revenir à la présente espèce, le paragraphe clé de l'exposé des motifs de la Commission est le suivant :
Le tribunal a publié un exposé des motifs de sa décision qui permet à chacun de suivre le raisonnement qui l'a amené à sa conclusion; il s'est fondé dans une mesure considérable sur le témoignage de M. Lewis, ce qu'il était en droit de faire. La Cour d'appel fédérale, à la page 4 de l'arrêt Giannaros c. Ministre du Développement social, 2005 CAF 187, examine une situation semblable et conclut que la Commission avait le droit de prendre la preuve en considération. L'autorisation d'interjeter appel est refusée.
[16] Il ressort à l'évidence de ce passage que la Commission a appliqué l'arrêt Giannaros pour arriver à sa décision de refuser l'autorisation d'interjeter appel. Or, le recours à cet arrêt pose problème du fait qu'il s'y agissait du contrôle judiciaire d'une décision sur le fond, et non d'une décision portant sur l'autorisation d'interjeter appel comme dans le cas qui nous occupe.
[17] À mon sens, la Commission a examiné l'affaire au fond lorsqu'elle a appliqué l'arrêt Giannaros. Ce n'est pas là le bon critère à utiliser s'agissant d'établir s'il y a lieu de faire droit à une demande d'autorisation d'interjeter appel. Quand elle est saisie d'une demande de cette nature, la Commission doit seulement établir si le demandeur a mis de l'avant une thèse défendable, sans examiner l'affaire au fond. En appliquant ainsi un critère impropre, la Commission a commis une erreur de droit. Sa décision doit donc être annulée.
[18] En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie sans dépens, et l'affaire est renvoyée pour réexamen à un membre différent de la Commission, désigné à cette fin.
JUGEMENT
[19] LA COUR ORDONNE :
1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie, et l'affaire est renvoyée pour réexamen à un membre différent de la Commission, désigné à cette fin.
2. Aucuns dépens ne sont adjugés.
Traduction certifiée conforme
Christiane Bélanger, LL.L.
ANNEXE
La législation applicable
A droit à une pension d'invalidité la personne considérée comme invalide au sens de l'article 42 du Régime de pensions du Canada, L.R.C. 1985, ch. C‑8.
(2) Pour l'application de la présente loi:
a) une personne n'est considérée comme invalide que si elle est déclarée, de la manière prescrite, atteinte d'une invalidité physique ou mentale grave et prolongée, et pour l'application du présent alinéa:
(i) une invalidité n'est grave que si elle rend la personne à laquelle se rapporte la déclaration régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice,
(ii) une invalidité n'est prolongée que si elle est déclarée, de la manière prescrite, devoir vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou devoir entraîner vraisemblablement le décès;
b) une personne est réputée être devenue ou avoir cessé d'être invalide à la date qui est déterminée, de la manière prescrite, être celle où elle est devenue ou a cessé d'être, selon le cas, invalide, mais en aucun cas une personne n'est réputée être devenue invalide à une date antérieure de plus de quinze mois à la date de la présentation d'une demande à l'égard de laquelle la détermination a été établie. |
(2) For the purposes of this Act,
(a) a person shall be considered to be disabled only if he is determined in prescribed manner to have a severe and prolonged mental or physical disability, and for the purposes of this paragraph,
(i) a disability is severe only if by reason thereof the person in respect of whom the determination is made is incapable regularly of pursuing any substantially gainful occupation, and
(ii) a disability is prolonged only if it is determined in prescribed manner that the disability is likely to be long continued and of indefinite duration or is likely to result in death; and
(b) a person shall be deemed to have become or to have ceased to be disabled at such time as is determined in the prescribed manner to be the time when the person became or ceased to be, as the case may be, disabled, but in no case shall a person be deemed to have become disabled earlier than fifteen months before the time of the making of any application in respect of which the determination is made. |
L'article 83 du Régime de pensions du Canada dispose que la personne qui se croit lésée par une décision du tribunal de révision peut demander à la Commission l'autorisation d'en interjeter appel.
83. (1) La personne qui se croit lésée par une décision du tribunal de révision rendue en application de l'article 82 — autre qu'une décision portant sur l'appel prévu au paragraphe 28(1) de la Loi sur la sécurité de la vieillesse — ou du paragraphe 84(2), ou, sous réserve des règlements, quiconque de sa part, de même que le ministre, peuvent présenter, soit dans les quatre-vingt-dix jours suivant le jour où la décision du tribunal de révision est transmise à la personne ou au ministre, soit dans tel délai plus long qu'autorise le président ou le vice-président de la Commission d'appel des pensions avant ou après l'expiration de ces quatre-vingt-dix jours, une demande écrite au président ou au vice-président de la Commission d'appel des pensions, afin d'obtenir la permission d'interjeter un appel de la décision du tribunal de révision auprès de la Commission.
(2) Sans délai suivant la réception d'une demande d'interjeter un appel auprès de la Commission d'appel des pensions, le président ou le vice-président de la Commission doit soit accorder, soit refuser cette permission.
(2.1) Le président ou le vice-président de la Commission d'appel des pensions peut désigner un membre ou membre suppléant de celle-ci pour l'exercice des pouvoirs et fonctions visés aux paragraphes (1) ou (2).
(3) La personne qui refuse l'autorisation d'interjeter appel en donne par écrit les motifs.
(4) Dans les cas où l'autorisation d'interjeter appel est accordée, la demande d'autorisation d'interjeter appel est assimilée à un avis d'appel et celui-ci est réputé avoir été déposé au moment où la demande d'autorisation a été déposée. |
83. (1) A party or, subject to the regulations, any person on behalf thereof, or the Minister, if dissatisfied with a decision of a Review Tribunal made under section 82, other than a decision made in respect of an appeal referred to in subsection 28(1) of the Old Age Security Act, or under subsection 84(2), may, within ninety days after the day on which that decision was communicated to the party or Minister, or within such longer period as the Chairman or Vice-Chairman of the Pension Appeals Board may either before or after the expiration of those ninety days allow, apply in writing to the Chairman or Vice-Chairman for leave to appeal that decision to the Pension Appeals Board.
(2) The Chairman or Vice-Chairman of the Pension Appeals Board shall, forthwith after receiving an application for leave to appeal to the Pension Appeals Board, either grant or refuse that leave.
(2.1) The Chairman or Vice-Chairman of the Pension Appeals Board may designate any member or temporary member of the Pension Appeals Board to exercise the powers or perform the duties referred to in subsection (1) or (2).
(3) Where leave to appeal is refused, written reasons must be given by the person who refused the leave.
(4) Where leave to appeal is granted, the application for leave to appeal thereupon becomes the notice of appeal, and shall be deemed to have been filed at the time the application for leave to appeal was filed. |
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T‑1345‑05
INTITULÉ : LE MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT
DES RESSOURCES HUMAINES
et
NOEL P. LEWIS
LIEU DE L'AUDIENCE : SAINT-JEAN (TERRE-NEUVE ET LABRADOR)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 22 FÉVRIER 2006
MOTIFS DU JUGEMENT
DATE DES MOTIFS : LE 14 MARS 2006
COMPARUTIONS :
Rose Gabrielle Birba
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POUR LE DEMANDEUR |
Personne |
POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada
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POUR LE DEMANDEUR |
Noel P. Lewis Baie Verte (Terre-Neuve et Labrador)
|
POUR LE DÉFENDEUR |