Date : 20020219
Dossier : IMM-2992-00
Référence neutre : 2002 CFPI 182
Montréal (Québec), le 19 février 2002
EN PRÉSENCE DE : Madame le juge Tremblay-Lamer
ENTRE :
JOYCE RUTH MAQDASSY
demanderesse
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section du statut de réfugié (la Commission) a conclu que la demanderesse n'était pas une réfugiée au sens de la Convention.
[2] La demanderesse est citoyenne irakienne et citoyenne britannique d'outre-mer, dans ce dernier cas en raison de son père, maintenant décédé, qui détenait la citoyenneté britannique. Les citoyens britanniques d'outre-mer n'ont pas le droit de résider en Grande-Bretagne. La demanderesse sollicite le statut de réfugiée au sens de la Convention en invoquant sa citoyenneté britannique et son appartenance à un groupe social particulier, à savoir sa famille.
[3] Selon la demanderesse, 1973 a marqué le début d'une vague de discrimination contre les personnes ayant des « racines étrangères » en Irak. Des responsables gouvernementaux ont harcelé son mari et on a privé son fils d'une bourse d'études qui lui aurait permis d'obtenir la formation spécialisée de chirurgien. Un autre fils a été privé de son poste de professeur après l'adoption d'une résolution prévoyant que pour pouvoir enseigner, une personne doit être née de parents irakiens.
[4] Bien qu'elle n'ait jamais été emmenée par les autorités, la demanderesse a décidé de quitter l'Irak en direction de la Jordanie avec son fils Osama en juin 1998 après que quatre de ses fils eurent déjà quitté le pays. Osama a été accepté comme réfugié en Jordanie. La demanderesse n'a toutefois fait aucune revendication en Jordanie, obtenant plutôt son passeport de citoyenne britannique d'outre-mer, et elle est retournée en Irak pour vendre sa maison quatre mois après son arrivée en Jordanie.
[5] Avant de venir au Canada, la demanderesse a séjourné 25 jours en Allemagne pour visiter un de ses fils, qui avait obtenu le statut de réfugié dans ce pays.
[6] La demanderesse est venue au Canada le 16 septembre 1998, répondant à l'invitation de son fils d'assister au baptême de la fille de ce dernier. Quelques mois après, le 21 janvier 1999, alors que son visa de visiteur était sur le point d'expirer, la demanderesse a revendiqué le statut de réfugiée.
[7] La Commission a conclu que les actes de la demanderesse étaient incompatibles avec une crainte subjective de persécution.
[8] Se fondant sur l'arrêt Yusuf c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 C.F. 629 (C.A.), la demanderesse soutient qu'il ne faut pas nécessairement établir l'existence d'une crainte subjective de persécution lorsque l'existence d'une crainte objective a été clairement démontrée.
[9] Je ne suis pas d'accord. Je souligne que l'arrêt Yusuf, précité, a été rendu avant l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, à la page 723, dans lequel la Cour suprême du Canada a énoncé ce qu'un demandeur doit faire pour démontrer l'existence d'une crainte de persécution, indiquant clairement que le respect des deux volets du critère était requis :
[...] le critère comporte deux volets: (1) le demandeur doit éprouver une crainte subjective d'être persécuté, et (2) cette crainte doit être objectivement justifiée. Ce critère a été formulé et appliqué par le juge Heald dans l'arrêt Rajudeen [c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1984), 55 N.R. 129], à la p. 134:
L'élément subjectif se rapporte à l'existence de la crainte de persécution dans l'esprit du réfugié. L'élément objectif requiert l'appréciation objective de la crainte du réfugié pour déterminer si elle est fondée.
[10] Comme je l'ai souligné plus récemment dans Tabet-Zatla c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1778, au paragraphe 6, l'absence de preuve relative à l'élément subjectif de la revendication suffit en soi pour que la demande soit rejetée :
L'absence de preuve quant à l'élément subjectif de la revendication constitue une lacune fatale qui justifie à elle seule le rejet de la revendication puisque les deux éléments de la définition de réfugié, subjectif et objectif, doivent être rencontrés.
[11] Ces observations ont été citées avec approbation dans Vallipuram c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 1519, et Fernandov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 1129.
[12] Dans la présente affaire, la Commission a conclu que le témoignage de la demanderesse quant à sa crainte subjective de persécution n'était pas plausible car elle a recouru de nouveau à la protection du pays même où elle craignait être arrêtée et agressée.
[13] En outre, la Commission a conclu que son omission de revendiquer le statut de réfugiée dans d'autres pays ainsi que le temps qu'elle a mis pour le faire au Canada minaient sa crédibilité.
[14] La Commission a également fait une déduction défavorable à partir des éléments omis par la demanderesse dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP). Dans Basseghi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 1867, le juge Teitelbaum a conclu que tous les faits pertinents et importants devaient figurer dans le FRP d'une personne et que les témoignages devaient être l'occasion d'expliquer les renseignements contenus dans le FRP :
Il n'est pas inexact de dire que les réponses fournies dans un FRP devraient être concises, mais il est inexact de dire que ces réponses ne devraient pas contenir tous les faits pertinents. Il ne suffit pas à un requérant d'affirmer que ce qu'il a dit dans son témoignage oral était un développement. Tous les faits pertinents et importants devraient figurer dans un FRP. Le témoignage oral devrait être l'occasion d'expliquer les informations contenues dans le FRP.
[15] Je conclus que les conclusions que la Commission a tirées relativement à l'absence de plausibilité n'étaient pas déraisonnables au point de justifier l'intervention de la Cour (Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.).
[16] La Commission pouvait raisonnablement déduire que la demanderesse ne serait pas retournée en Irak si elle avait eu une crainte fondée de persécution. Dans certains cas, on a conclu que les demandeurs n'avaient pas de nouveau eu recours à la protection de l'État. Par exemple, dans Shanmugarajah c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] A.C.F. no 583, il a été conclu que le demandeur ne s'était pas prévalu de nouveau de la protection de l'État en retournant dans son pays d'origine pour prendre soin de sa mère malade. En l'espèce, toutefois, la demanderesse n'avait aucune raison urgente de la sorte pour retourner en Irak (Voir Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 558).
[17] Pour ces motifs, je conclus que la Commission pouvait raisonnablement conclure que le comportement de la demanderesse était incompatible avec l'existence d'une crainte subjective de persécution.
[18] En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.
« Danièle Tremblay-Lamer »
JUGE
Traduction certifiée conforme
Pierre St-Laurent, LL.M., Trad. a.
COUR FÉDÉ RALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
Date : 20020219
Dossier : IMM-2992-00
ENTRE :
JOYCE RUTH MAQDASSY
demanderesse
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-2992-00
INTITULÉ : JOYCE RUTH MAQDASSY
demanderesse
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
LIEU DE L'AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE : Le 14 février 2002
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DE
MADAME LE JUGE TREMBLAY-LAMER
EN DATE DU : 19 février 2002
ONT COMPARU
M. Max Chaudhary POUR LA DEMANDERESSE
Mme Alexis Singer POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Chaudhary Law Office
North York (Ontario) POUR LA DEMANDERESSE
Morris Rosenberg
Sous-procureur général du Canada
Toronto (Ontario) POUR LE DÉFENDEUR