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     T-2551-95

OTTAWA (Ontario), le 27 août 1997.

EN PRÉSENCE de Monsieur le juge MacKay

Entre :

     RUBIN ALEXANDER COWARD,

     requérant,

     - et -

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

     intimé,

     - et -

     LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE,

     intervenante.

     SUR avis de requête introductif d'instance du requérant en vue d'obtenir, d'une part, une ordonnance annulant ou infirmant la décision par laquelle, le 24 novembre 1995, la Commission canadienne des droits de la personne a rejeté la plainte dans laquelle il alléguait avoir été victime de discrimination pour le motif que, le 29 septembre 1994, les Forces armées canadiennes ont omis de lui fournir certains services du fait de sa race et de sa couleur, d'autre part, un jugement déclarant que cette omission est illégale et discriminatoire et, enfin, un jugement déclarant que la décision contestée est illégale et contraire à la Loi canadienne sur les droits de la personne;

     AUDITION faite du requérant pour son compte, de l'avocat de l'intimé, le procureur général du Canada, et de l'avocate de la Commission canadienne des droits de la personne, à Halifax les 12 et 13 mars 1997, au terme de laquelle audition la décision a été prise en délibéré, et examen fait des observations qui ont été alors présentées;

     ORDONNANCE

     IL EST ORDONNÉ que la demande soit rejetée.

     W. Andrew MacKay

     JUGE

Traduction certifiée conforme             
                             François Blais, LL. L.

     T-2551-95

Entre :

     RUBIN ALEXANDER COWARD,

     requérant,

     - et -

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

     intimé,

     - et -

     LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE,

     intervenante.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

Le juge MacKay

     Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, modifiée, d'une décision par laquelle, le 24 novembre 1995, la Commission canadienne des droits de la personne (la "CCDP") a rejeté la plainte de discrimination du requérant en vertu du sous-alinéa 44(3)b )(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, modifiée (la "Loi").

     Dans son avis de requête introductif d'instance, le requérant énonce les arguments sur lesquels il fonde sa demande de contrôle judiciaire. Ces arguments peuvent être classés sous l'un ou l'autre des cinq motifs suivants :

i)      la Commission a manqué à son devoir d'équité procédurale en ne remettant pas au requérant un résumé de toute la preuve qui lui avait été présentée;         
ii)      la Commission a manqué à son devoir d'équité procédurale en ne portant pas toute son attention sur l'incidence qu'ont eu la race, la couleur et l'incapacité du requérant sur la prétendue omission des Forces armées canadiennes (les "FAC") de lui prodiguer des soins de santé;         
iii)      la Commission a manqué à son devoir d'équité procédurale en ne se fondant que sur la preuve recueillie par les FAC plutôt que de mener sa propre enquête indépendante;         
iv)      la Commission a commis une erreur dans son examen de la preuve car elle n'en a pas examiné la totalité, elle a pris en considération un faux témoignage et elle a pris une décision incompatible avec la preuve;         
v)      la Commission a commis une erreur dans l'interprétation de la Loi en ne portant pas toute son attention sur les articles 2, 3, 5, 14 et 24 de la Loi et en ne donnant pas effet au vaste objectif de réparation de celle-ci.1         

     Comme mesure de redressement, le requérant demande une ordonnance annulant ou infirmant la décision de la CCDP et il demande un jugement déclarant que les articles 2, 3, 5, 14 et 24 de la Loi rendent l'omission de lui fournir des services du fait de sa race et de sa couleur illégale, discriminatoire et contraire à la Loi. Enfin, le requérant demande un jugement déclarant que la décision de la CCDP de rejeter sa plainte est illégale et contraire à la Loi.

Dispositions de la Loi

     Les dispositions pertinentes de la Loi sont les suivantes :

         2. La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne en donnant effet, dans le champ de compétence du Parlement du Canada, au principe suivant : le droit de tous les individus, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l'égalité des chances d'épanouissement, indépendamment des considérations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de personne graciée ou la déficience.         
         3. (1) Pour l'application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondée sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'orientation sexuelle, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de personne graciée ou la déficience.         
     [...]
         5. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, pour le fournisseur de biens, de services, d'installations ou de moyens d'hébergement destinés au public :         
         a) d'en priver un individu;                 
         b) de le défavoriser à l'occasion de leur fourniture.                 
         14. (1) Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait de harceler un individu :         
         a) lors de la fourniture de biens, de services, d'installations ou de moyens d'hébergement destinés au public;                 
         b) lors de la fourniture de locaux commerciaux ou de logements;                 
         c) en matière d'emploi.                 
         24. (1) Le gouverneur en conseil peut, par règlement, établir au profit des personnes atteintes d'une déficience des normes d'accès aux services, aux installations ou aux locaux.         
     [...]
         44. (1) L'enquêteur présente son rapport à la Commission le plus tôt possible après la fin de l'enquête.         
     [...]
         (3) Sur réception du rapport d'enquête prévu au paragraphe (1), la Commission :         
         a) peut demander au président du Comité du tribunal des droits de la personne de constituer [...] un tribunal des droits de la personne chargé d'examiner la plainte [...];                 
         b) rejette la plainte, si elle est convaincue :                 
             (i) soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l'examen de celle-ci n'est pas justifié,                         
             [...]                         

Les faits

     Le requérant est un ancien membre des FAC, au sein desquelles il a détenu le grade de sergent. Pendant toutes les périodes pertinentes relativement au contrôle, il était membre actif des FAC; cependant, au cours de la période en question, il était en congé de maladie puisqu'il souffre d'un trouble de stress post-traumatique. Il a depuis été libéré par les FAC en raison de son inaptitude, sur le plan médical, à servir.

     Le 18 janvier 1995, le requérant a déposé une plainte à la Commission canadienne des droits de la personne relativement à un incident qui se serait produit à l'hôpital des FAC à Halifax le 29 septembre 1994. Ce jour-là, le requérant soutient-il, il s'était rendu à l'hôpital pour y obtenir des soins médicaux, et il a été traité de manière discriminatoire et humiliante par le personnel militaire, qui a refusé de lui prodiguer des soins de santé du fait de sa race et de sa couleur, contrairement à l'article 5 de la Loi. Cette allégation est rédigée en des termes plus précis par le requérant dans sa plainte à la CCDP :

     [TRADUCTION]         
     J'allègue que les Forces armées canadiennes ont refusé de me fournir des services indispensables et qu'elles m'ont traité différemment (avec dédain) et de façon préjudiciable dans la prestation de ces services; en fait, elles m'ont harcelé, elles m'ont mis dans l'embarras et m'ont humilié en présence de subordonnés, précisément en raison de ma race et de ma couleur (noire), contrairement à l'article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.         

     De façon plus détaillée, le requérant allègue que, le 29 septembre 1994 au matin, souffrant de maux de tête et de douleurs au dos et à l'estomac, il s'est rendu à l'hôpital pour y obtenir des soins de santé. Il soutient qu'après son arrivée vers 10 h 30, il a été référé par un certain sergent Leahy de la réception au service d'urgence. Là, on l'a emmené dans une salle d'examen où un membre du personnel non nommément désigné a vérifié ses signes vitaux. Je le signale parce que, en raison de sa classification médicale (GT(5)), le requérant devait être soigné par un spécialiste dans un délai d'une heure lorsqu'il prévenait les autorités médicales des FAC de son état.

     Le requérant a ensuite été soigné dans la même salle d'examen par le sergent Stobie ("Stobie"), qui, selon le requérant, l'a soumis à ce qu'il prétend être une tirade verbale humiliante, lui reprochant de s'être présenté après les heures normales (7 h à 9 h) pour une visite à la salle d'examen médical. Le requérant affirme que, lorsqu'il s'est élevé contre le comportement de Stobie, le sergent est devenu irrité et il lui a dit qu'il ne verrait aucun médecin à cette heure-là et qu'il devrait plutôt voir d'abord l'adjudant-maître. Le requérant affirme que, lorsqu'il a informé Stobie qu'il souhaitait seulement attendre qu'un médecin se libère, Stobie lui a ordonné de quitter la salle d'examen et d'attendre dehors pour voir l'adjudant-maître. À ce moment-là, le requérant soutient-il, il a fustigé le sergent pour son comportement injustifié et son manque de professionnalisme, et l'a informé qu'il déposerait une plainte de harcèlement et de discrimination. Cet incident, le requérant affirme-t-il, s'est produit vers 10 h 40.

     Le requérant soutient qu'il a alors regagné son siège dans la salle d'attente où, à 10 h 58 environ, il a conversé brièvement avec une autre patiente, une jeune soldate qui attendait également d'être traitée. À la suite de l'affrontement avec Stobie, il affirme avoir parlé avec l'infirmière chef, la capitaine Corkum, qui a tenté de justifier le comportement de Stobie en expliquant que celui-ci avait [TRADUCTION] "eu des problèmes dernièrement".

     Selon le requérant, il n'a pas obtenu de soins médicaux par la suite, bien qu'il soit resté à attendre pendant près de deux heures. Vers 12 h 20, le requérant affirme que, n'ayant toujours pas vu de médecin ni l'adjudant-maître, il a supposé que Stobie ne lui prêtait aucune attention. Il affirme être alors retourné à la réception, où il a demandé à la personne qui l'avait admis la fiche médicale qu'il avait remplie. Il a ensuite quitté l'hôpital vers 12 h 25.

     Il estime qu'il avait le droit de voir un médecin compte tenu de sa position générale au sein des FAC et, plus particulièrement, qu'en raison de son état de santé et de sa classification médicale, il avait le droit d'obtenir des soins médicaux dans un délai d'une heure après avoir fait part de ses difficultés.

     La plainte du requérant est fondée sur son impression qu'il n'a pas obtenu les soins de santé requis du fait de sa race et de sa couleur. Cette allégation, soutient-il, est étayée par le fait qu'au cours de la période de près de deux heures qu'il a passée dans la salle d'attente, aucun des autres patients, qui étaient tous blancs, n'a été traité de la même manière abusive par Stobie, ni n'a été obligé d'attendre jusqu'à deux heures pour obtenir des soins médicaux.

     Le requérant a initialement déposé une plainte à la CCDP le 29 septembre 1994, date à laquelle il a, dans une lettre à la Commission, tracé les grandes lignes de l'incident et le motif de sa plainte, à savoir qu'il avait été mal traité du fait de sa couleur. Dans une lettre datée du 11 octobre 1994, un agent des droits de la personne a informé le requérant que la Commission ne donnerait pas suite à sa plainte puisque, à son avis, il n'y avait dans sa lettre rien qui indiquait que l'incident dont il se plaignait avait un caractère raciste.

     Le 1er décembre 1994, le requérant a présenté une plainte révisée à la Commission. La plainte a subséquemment été acceptée par le bureau régional de l'Atlantique de la CCDP le 20 décembre 1994 et, le 18 janvier 1995, le requérant a signé une plainte en la forme acceptable pour la Commission.

     Le 25 janvier 1995, cette plainte a été transmise par la CCDP aux FAC en vue d'obtenir leurs commentaires. Dans une lettre datée du 22 mars 1995, les FAC ont exposé leur version des événements du 29 septembre 1994 et ont fourni les conclusions de leur propre enquête interne relativement à l'allégation.

     Dans la même lettre, les FAC alléguaient que le plaignant avait [TRADUCTION] "refusé de coopérer avec l'enquêteur des FAC lorsque celui-ci lui avait demandé" un exposé de sa plainte et des faits allégués. La lettre indiquait également que, par suite d'une enquête interne, les FAC avaient relevé un certain nombre de contradictions entre les déclarations du requérant et celles d'autres témoins de l'incident allégué.

     Ces contradictions, dont les FAC ont fait mention dans leur lettre, concernaient l'heure de l'incident, le comportement du sergent Stobie, la déclaration de l'infirmière, la capitaine Corkum, le témoignage de l'autre patiente, Mme Tanya Oliver, qui avait, selon le requérant, été témoin de ses difficultés, et l'objectif des procédures normales de l'hôpital qui, a-t-on indiqué, avaient pu être mal comprises par M. Coward. Voici, avec plus de précisions, quelles sont ces contradictions.

i)      Période au cours de laquelle les événements se seraient produits

     D'après les FAC, leur enquête a révélé des divergences portant sur la période au cours de laquelle les événements se seraient produits. D'après leur enquête, les FAC affirment-elles, le requérant a d'abord été référé au service d'urgence à 11 h 15, et, par la suite, soit entre 11 h 15 et 11 h 35, il a été examiné sommairement par le caporal Bryson avant d'être vu par le sergent Stobie entre 11 h 35 et 11 h 55. Entre 12 h et 12 h 20 approximativement, le requérant a parlé à la capitaine Corkum, l'infirmière de service; puis, vers 12 h 20, le requérant a quitté l'hôpital. Ce portrait, déclarent les FAC, diffère considérablement de la version donnée par le requérant, selon lequel il est arrivé à 10 h 30, il a été vu par le sergent Stobie à l'urgence à 10 h 40, et il est parti vers 12 h 25.

ii)      Comportement du sergent Stobie

     D'après les FAC, Stobie a déclaré que le langage et le ton employés ainsi que ses manières avaient été professionnels en tout temps. Il affirme que, ce jour-là, il y avait beaucoup de monde au service d'urgence et il n'a vu le requérant que brièvement dans la salle d'examen avant de réaliser qu'il avait besoin de l'assistance d'une personne d'un rang plus élevé, qui, a-t-il cru, aurait plus de succès à communiquer avec le requérant. D'après Stobie, la lettre indiquait-elle, il n'a pas tenté de refuser des soins médicaux au requérant ou de retarder le moment où il les obtiendrait, et il n'était pas au courant de la nature précise de l'état de santé général du requérant. La lettre des FAC affirmait également que la preuve confirmait qu'après avoir vu le requérant, Stobie avait immédiatement informé le médecin militaire de service de la présence du requérant.

iii)      Déclaration de la capitaine Corkum

     D'après les FAC, l'infirmière de service, la capitaine Corkum, nie avoir dit que Stobie avait des problèmes, mais elle a déclaré avoir indiqué au requérant que Stobie devait s'occuper d'autres patients. Elle déclare qu'à un moment donné, le requérant l'a interrompue pendant qu'elle discutait avec Stobie, et il a d'une voix forte accusé ce dernier de racisme et d'incompétence, déclarant qu'il "aurait" Stobie pour harcèlement.

iv)      Le témoignage de Mme Oliver

     L'enquête interne menée par les FAC a révélé que Mme Oliver, une autre membre des FAC qui attendait d'être soignée à l'hôpital au moment où M. Coward était présent, n'a pas confirmé la prétention de ce dernier quant à la façon dont il avait été traité par le sergent Stobie à l'extérieur des salles d'examen.

v)      Procédure de l'hôpital

     En ce qui concerne la procédure, les FAC ont indiqué dans leurs observations que l'hôpital des FAC a recours à un "processus de triage" normal, comme dans la plupart des services d'urgence, conformément auquel l'état des patients est évalué et classé par priorités selon sa gravité. En outre, on a dit que le superviseur immédiat de Stobie avait témoigné qu'il était normal, dans le cadre du processus de triage, de demander aux patients la raison pour laquelle ils étaient incapables d'effectuer une visite à la salle d'examen médical durant les heures normales. On agit ainsi, a-t-il dit, pour évaluer, à partir de la réponse du patient, la période au cours de laquelle le mal s'est manifesté, ce qui permet de déterminer l'heure de l'apparition du mal. Les FAC ont indiqué dans leurs observations que le requérant paraissait avoir mal compris l'objectif de ce qui est essentiellement un processus de triage normal, et que c'est sur le fondement de ce malentendu que le requérant a déposé une plainte.

     Les FAC ont résumé les résultats de leur enquête interne comme suit :

     [TRADUCTION]         
     [...]         
     En résumé, nous considérons que l'allégation du sergent Coward suivant laquelle il s'est vu refusé des soins de santé du fait de sa race et de sa couleur est non fondée. Les déclarations d'un certain nombre de témoins sur l'heure à laquelle les événements se sont produits indiquent que le requérant a été vu par trois membres du personnel médical sur une période d'une heure environ. De même, le médecin militaire de service était au courant de la présence du sergent Coward. Il se peut très bien que des patients arrivés après le sergent Coward aient été vus par un médecin avant qu'il ne le soit; cependant, cela aurait été conforme au processus de triage normal.         
     [...]         

Les FAC concluent leurs observations en recommandant le rejet de la plainte.

     Dans une lettre datée du 5 avril 1995, la CCDP a remis au requérant un résumé de la thèse des FAC exposée dans leurs observations faites à la CCDP le 22 mars 1995. La CCDP a également invité le requérant à répondre aux arguments des FAC dans un délai de 40 jours.

     Dans une lettre datée du 4 mai 1995, le requérant a accusé les FAC d'inventer l'heure à laquelle les événements se sont produits et il a donné à entendre que plusieurs témoins, plus particulièrement le sergent Stobie et la capitaine Corkum, avaient donné de faux témoignages. Il a également nié avoir été bruyant ou agressif au cours de l'incident en question, et il a donné à entendre que les FAC avaient recueilli la preuve de façon partiale ou incomplète. À cette lettre, le requérant a joint des copies de sa fiche de visite médicale du 29 septembre 1994 qui indique qu'il est arrivé à 10 h 40, preuve qui, affirme-t-il, réfute celle de l'armée concernant l'heure à laquelle les incidents se seraient produits.

     Après avoir reçu ces observations, la CCDP a confié à un enquêteur la tâche d'examiner la plainte du requérant. Dans le cadre de son enquête, l'enquêteur a communiqué avec les témoins dont le nom était mentionné dans le rapport d'enquête interne des FAC et qui n'avaient pas signé de déclarations écrites, afin de vérifier si les déclarations qu'on leur avait attribuées rapportaient fidèlement leur témoignage. Dans son rapport d'enquête, après avoir examiné les faits, la position des parties et la preuve, l'enquêteur a tiré les conclusions suivantes :

     [TRADUCTION]         
             
     ANALYSE         
     L'heure des événements, exposée par l'intimée, est confirmée par la déclaration de la patiente. La fiche de visite médicale indique l'heure d'arrivée à la salle d'examen médical et non au service d'urgence. Personne n'a été témoin de ce qui s'est passé dans la salle d'examen entre le plaignant et le sergent. Cependant, les déclarations des témoins, selon les notes d'entrevue et les déclarations signées transmises par l'intimée, n'appuient pas la version du plaignant quant aux événements qui se sont produits à l'extérieur de cette salle. Au contraire, elles indiquent que le comportement du sergent était approprié en tout temps. Bien que le plaignant n'ait pas été soigné dans un délai d'une heure, il n'y a aucune preuve qui étaye l'allégation selon laquelle on a refusé de le soigner ou on l'a traité différemment du fait de sa race ou de sa couleur. Il a choisi de ne plus attendre et il a quitté de son propre gré.         
     CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS         
     Nous recommandons par conséquent le rejet de la plainte pour le motif que, compte tenu de la preuve, l'allégation de discrimination n'est pas fondée.         

     Dans une lettre du 13 septembre 1995, la Commission a informé le requérant que l'enquête était terminée et elle lui a transmis une copie du rapport d'enquête. On pouvait lire notamment ce qui suit dans la lettre :

     [TRADUCTION]         
     [...]         
     Par suite de l'enquête, il sera recommandé à la Commission de rejeter la plainte pour le motif que, compte tenu de la preuve, l'allégation de discrimination n'est pas fondée. La Commission pourra accepter, modifier ou rejeter la présente recommandation.         

     La lettre indiquait aussi que les parties étaient invitées à répliquer au rapport d'enquête en faisant des observations écrites dans les trente jours. Dans une lettre en date du 28 septembre 1995, le requérant a soumis à la Commission neuf pages d'observations écrites détaillées. Les FAC ont également répliqué en présentant une lettre d'une page datée du 29 septembre 1995.

     Ces observations, le rapport d'enquête de la CCDP, la plainte du requérant et les lettres qui s'y rapportent ont été déposés devant la Commission au moment où celle-ci a examiné l'affaire lors de sa réunion tenue les 20 et 21 novembre 1995.

     Dans une lettre datée du 24 novembre 1995, le requérant a été informé que la Commission avait décidé, conformément au sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi, de rejeter la plainte. La lettre indique en partie ce qui suit :

     [TRADUCTION]         
     Monsieur Coward,         
     La Commission canadienne des droits de la personne a étudié le rapport d'enquête sur votre plainte (A06425) portée contre les Forces armées canadiennes le 18 janvier 1995, dans laquelle vous alléguez avoir été victime de discrimination dans la fourniture de services du fait de votre race et de votre couleur. La Commission a également examiné vos observations du 28 septembre 1995.         
     La Commission a décidé, en vertu du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, de rejeter la plainte pour le motif que, compte tenu de la preuve, l'allégation de discrimination n'est pas fondée. Par conséquent, le dossier est maintenant clos.         
     [...]         

     Le 5 décembre 1995, le requérant a déposé un avis de requête introductif d'instance à la Cour, dans lequel il demandait le contrôle judiciaire de la décision de la CCDP. J'ai été saisi de cette demande à Halifax en mars 1997, date à laquelle, après avoir entendu les observations des parties et celles de la CCDP en qualité d'intervenante, j'ai pris ma décision en délibéré. Je rejette aujourd'hui la demande pour les motifs qui suivent.

Questions en litige

     Ainsi qu'il a été signalé, le requérant fonde sa demande de contrôle judiciaire sur cinq arguments généraux. Ces arguments reposent eux-mêmes sur deux grands motifs : (1) la Commission a manqué à son devoir d'équité procédurale, et (2) la Commission a commis une erreur de droit dans la manière dont elle est arrivée à sa décision.

     Relativement au premier point, le requérant allègue que la CCDP a manqué à son devoir d'équité procédurale (i) en ne lui remettant pas le résumé de toute la preuve, (ii) en ne portant pas toute son attention sur l'incidence qu'ont eu sa race, sa couleur et son incapacité sur les incidents qui se seraient produits, et (iii) en se fondant sur la preuve recueillie par les FAC elles-mêmes. Le second grand motif soumis par le requérant est que, pour arriver à sa décision, la CCDP a commis une erreur (i) dans son interprétation de la Loi, et (ii) dans son examen de la preuve.

Analyse

a)      Devoir d'équité procédurale envers le requérant

     Il existe un principe bien établi selon lequel les organismes décisionnels administratifs sont soumis à un devoir général de respecter les exigences de l'équité procédurale, dont la teneur dépend des circonstances dans lesquelles l'organisme agit et du contexte dans lequel la décision est prise.2

     Dans le contexte de la Loi canadienne sur les droits de la personne, l'obligation d'agir équitablement envers un plaignant lorsque la Commission décide de rejeter une plainte a été examinée dans un certain nombre d'affaires, plus particulièrement par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Canada (C.C.D.P.).3

     Dans cette affaire, le plaignant avait déposé auprès de la Commission une plainte dans laquelle il alléguait l'existence, à Radio-Canada, d'une inégalité salariale fondée sur le sexe. La CCDP a confié le dossier à un enquêteur qui, après avoir effectué une enquête, a recommandé que la plainte soit rejetée parce qu'elle n'était pas fondée. Une copie du rapport d'enquête a été transmise au plaignant, qui a été invité à soumettre des observations à la CCDP avant que celle-ci rende sa décision finale. C'est ce qu'il a fait. Après avoir examiné les observations présentées et le rapport de l'enquêteur, la CCDP a rejeté la plainte en vertu du paragraphe 36(3) de la Loi, le prédécesseur de l'actuel sous-alinéa 44(3)b)(i), parce qu'elle n'était pas fondée. Le plaignant a sans succès interjeté appel de cette décision à la Cour d'appel fédérale. Il a ensuite interjeté appel à la Cour suprême du Canada.

     S'exprimant pour la Cour, le juge Sopinka a dit de la décision de la CCDP de rejeter la plainte qu'il s'agissait d'une décision administrative que la CCDP avait prise à la suite d'une évaluation raisonnable et préliminaire de la preuve, et il a dit :

     À mon avis, telle est l'intervention [sic] sous-jacente à l'al. 36(3)b) [le rejet d'une plainte] pour les cas où la preuve ne suffit pas pour justifier la constitution d'un tribunal en application de l'art. 39. Le but n'est pas d'en faire une décision aux fins de laquelle la preuve est soupesée de la même manière que dans des procédures judiciaires; la Commission doit plutôt déterminer si la preuve fournit une justification raisonnable pour passer à l'étape suivante. L'intention n'était pas non plus de tenir une audience en règle avant de décider de l'opportunité de constituer un tribunal. [...]4         

     Pour définir la teneur de l'équité procédurale dont la Commission doit faire preuve dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire de rejeter une plainte, le juge Sopinka s'est exprimé ainsi :5

     [...] Je partage l'avis du juge Marceau qu'il incombait à la Commission d'informer les parties de la substance de la preuve réunie par l'enquêteur et produite devant la Commission. Celle-ci devait en outre offrir aux parties la possibilité de répliquer à cette preuve et de présenter tous les arguments pertinents s'y rapportant.         
     La Commission pouvait prendre en considération le rapport de l'enquêteur, les autres données de base qu'elle jugeait nécessaires ainsi que les arguments des parties. Elle était alors tenue de rendre sa propre décision en se fondant sur ces renseignements [...].6              

     La teneur de l'obligation d'équité procédurale de la CCDP envers un plaignant lorsqu'elle décide de rejeter une plainte a été plus récemment examinée dans le contexte de la disposition actuelle, le sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi, par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Slattery c. Canada (Commission des droits de la personne).7

     Dans l'arrêt Slattery, la plaignante a déposé deux plaintes à la CCDP dans lesquelles elle alléguait avoir été victime de discrimination dans son emploi du fait de son sexe et de son âge. Un agent des droits de la personne de la CCDP a fait enquête, à l'issue de laquelle il a recommandé le rejet des plaintes parce qu'elles n'étaient pas fondées. La requérante a été informée des résultats de l'enquête et invitée à présenter des observations, ce qu'elle a fait, faisant ressortir des lacunes dans le déroulement de l'enquête. Après avoir examiné les plaintes, le rapport de l'enquêteur ainsi que la réponse de la requérante, la CCDP a rejeté les plaintes de la requérante sans qu'une audition soit tenue devant un tribunal, pour le motif que, conformément au sous-alinéa 44(3)b)(i), l'allégation de discrimination était sans fondement et la poursuite de l'enquête n'était pas justifiée. La requérante a demandé le contrôle judiciaire de cette décision.

     La demande a été entendue par le juge Nadon,8 qui a statué qu'il n'y avait eu aucune atteinte aux exigences de l'équité procédurale puisque la Commission avait informé la requérante de la substance de la preuve réunie par l'enquêteur, qui avait été produite devant elle, et qu'elle avait donné à toutes les parties la possibilité de répliquer à cette preuve et de présenter des observations par écrit avant d'examiner l'affaire. En outre, le juge Nadon a-t-il souligné, on ne pouvait qualifier l'enquête d'inéquitable car elle avait été menée de façon neutre et avec rigueur.

     La requérante a interjeté appel de cette décision à la Cour d'appel fédérale. Le juge Hugessen, qui s'est exprimé au nom de la Cour, a maintenu la décision du juge Nadon et a rejeté la demande de contrôle judiciaire dans les termes suivants :

     Nous sommes tous d'avis que la Commission s'est pleinement acquittée de son obligation d'équité envers la plaignante en lui remettant le rapport de l'enquêteur, en lui donnant l'entière possibilité d'y répliquer, et en étudiant cette riposte avant de parvenir à sa décision. Le pouvoir discrétionnaire de la Commission de rejeter une plainte conformément au sous-alinéa 44(3)b)(i) est libellé dans des termes encore plus généraux que sur lesquels s'est penchée la Cour suprême du Canada dans l'affaire [S.E.P.Q.A.] [...].         
     [...]         
     Nous estimons que les lacunes qui, selon la plaignante, entacheraient la préparation du rapport d'enquête ne pourraient pas vicier la décision de la Commission pourvu que les exigences susmentionnées soient respectées.9         

     Ainsi qu'il ressort des remarques du juge Nadon dans l'affaire Slattery, depuis l'arrêt S.E.P.Q.A., la teneur du devoir d'équité de la CCDP dans le contexte d'une décision prise en vertu du paragraphe 44(3) a été affinée par la Cour et requiert que l'enquête sur laquelle la décision est fondée soit neutre et menée avec rigueur. Cette évolution dans la jurisprudence a été succinctement résumée par le juge Dubé dans Miller c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne),10 où, après avoir passé en revue la plus récente jurisprudence, le juge s'est exprimé dans les termes suivants :

     Les principes de l'arrêt SEPQA ont été suivis et développés dans plusieurs décisions de la Cour fédérale. Selon ces décisions, le principe de l'équité procédurale exige que la Commission se fonde sur des éléments valables et objectifs pour déterminer si la preuve justifie la constitution d'un Tribunal. Les enquêtes que l'enquêteur mène avant la décision doivent respecter au moins deux conditions : la neutralité et l'exhaustivité. En d'autres termes, l'enquête doit être menée de façon qu'elle ne puisse être décrite comme une enquête empreinte de partialité ou d'iniquité et elle doit être exhaustive, c'est-à-dire qu'elle doit tenir compte des différents intérêts des parties concernées. L'enquêteur n'est pas tenu d'interroger chaque personne que proposent les parties. Il n'est pas tenu non plus, dans son rapport, de commenter chacun des incidents de discrimination reprochés, surtout lorsque les parties ont la possibilité de combler les lacunes dans leurs réponses.11         

     Le juge Dubé a ensuite décrit dans les termes suivants le devoir d'équité de la CCDP lorsqu'elle rejette une plainte conformément à l'alinéa 44(3)b) :

     Selon la règle d'équité procédurale, un plaignant doit connaître les allégations formulées contre lui. Il n'a pas le droit d'en connaître les moindre détails, mais il devrait être informé des prétentions générales de la partie adverse. Le plaignant n'a pas le droit d'exiger les notes d'entrevues de l'enquêteur ou les déclarations obtenues des personnes interrogées. Il a le droit d'être informé du fond de l'affaire et de s'attendre à ce que l'enquêteur résume entièrement et fidèlement la preuve obtenue au cours de son enquête. Il doit avoir la possibilité de répondre. Il a également le droit d'être informé des commentaires de la partie adverse qui concernent des faits différents de ceux qui sont exposés dans le rapport d'enquête. Pour que l'erreur soit susceptible de révision, le plaignant doit démontrer que les renseignements ont été retenus à tort et que ces renseignements sont fondamentaux pour le résultat de la cause.12         

     À mon avis, compte tenu de la jurisprudence, il n'y a eu aucun manquement à l'équité procédurale dans les présentes circonstances. Le requérant était au courant de la teneur du dossier compte tenu de la preuve fournie par les deux parties à la Commission. Il a reçu un résumé de l'enquête interne des FAC, ainsi qu'une copie du rapport d'enquête de la CCDP contenant les conclusions de l'enquêteur, de sorte qu'il était parfaitement informé de la substance de la preuve qui était devant la CCDP. Il a eu la possibilité de répondre à ces deux documents et il l'a fait au moyen d'observations écrites détaillées, lesquelles font partie des documents dont la Commission disposait au moment de rendre sa décision.

     Je ne peux retenir les arguments présentés par le requérant selon lesquels la CCDP a manqué à son devoir d'équité procédurale (i) en ne lui fournissant pas un résumé complet de la preuve dont elle disposait, (ii) en ne portant pas toute son attention sur l'incidence qu'ont eu sa race, sa couleur et son incapacité sur les incidents en cause, et (iii) en ne se fondant que sur la preuve qui avait été produite par les FAC. Bien que certains motifs d'insatisfaction du requérant se soient produits au cours de l'enquête menée par le personnel de la Commission, en fin de compte, dans son enquête, Mme Choquette a passé en revue la totalité de la preuve produite par les deux parties. À mon avis, il n'y a aucune preuve qui donne à entendre que l'enquête menée par le personnel de la Commission sur la plainte du requérant n'a pas été faite de façon équitable et avec rigueur.

     Bien que le requérant soutienne que la CCDP a commis une erreur en omettant de lui fournir un résumé complet de l'ensemble de la preuve dont elle disposait, les règles d'équité procédurale ne requièrent pas que la CCDP communique systématiquement à une partie toutes les observations qu'elle reçoit de l'autre partie.13 Le devoir d'équité procédurale requiert uniquement que le requérant soit pleinement informé de la substance du dossier et qu'il ait la possibilité d'y répliquer. La CCDP a respecté ce devoir dans la présente affaire. À mon avis, aucun élément de la preuve ni aucun renseignement important, crucial à la décision de la CCDP, n'a été caché au requérant, qui a eu la possibilité de faire des remarques sur les renseignements avant que la Commission examine l'affaire.

     De même, j'écarte l'argument avancé par le requérant selon lequel la CCDP a commis une erreur en omettant de porter toute son attention sur l'incidence qu'ont eu sa race, sa couleur et son incapacité sur les événements qui se seraient produits le 29 septembre 1994. Il soutient qu'il était le seul homme noir présent au service d'urgence de l'hôpital et qu'il a été le seul patient à ne pas avoir été traité. Le requérant a fait mention de cet élément et d'autres facteurs dans ses observations écrites, et ses préoccupations ont été mentionnées dans le rapport d'enquête; ces deux documents ont été soumis à la Commission. Il n'y a aucune preuve qui indique que ces facteurs ont été de quelque façon que ce soit négligés ou qu'ils n'ont pas été pris en considération par la Commission pour arriver à sa décision de rejeter la plainte.

     Je ne retiens pas l'argument invoqué par le requérant suivant lequel la CCDP a manqué à son devoir d'équité procédurale en ne se fondant que sur la preuve des FAC, et en omettant ainsi de mener une enquête indépendante. À mon avis, il n'y a simplement aucune preuve qui donne à entendre que l'enquête menée par la CCDP a été de quelque façon que ce soit impartiale ou qu'elle n'a pas tenu compte des perspectives de chacune des parties. Bien que, dans la plainte qu'il a déposée le 18 janvier 1995, le requérant ait pu faire allusion à un racisme systémique, il ne renvoyait précisément qu'à un seul incident. L'enquêteur a dûment mené une enquête sur cet incident et, dans son rapport, il a passé en revue les événements qui se seraient produits et il a examiné la preuve produite par les deux parties.

     Bien que, dans son rapport d'enquête, la CCDP mentionne les déclarations des témoins qui ont été avancées dans le rapport interne des FAC, cela n'indique pas à mon avis qu'elle a de quelque façon que ce soit abdiqué sa responsabilité d'examiner les allégations de façon équitable et avec rigueur. Les FAC, comme tout autre employeur public ou privé, n'ont pu répondre à la plainte de M. Coward qu'après avoir effectué leur propre examen de l'incident allégué sur le fondement des documents et des déclarations des témoins recueillis. Dans le rapport de la CCDP, l'enquêteur a pris en considération la preuve qui avait été soumise pour le compte des deux parties et, ce faisant, il s'est assuré que le rapport des FAC rapportait fidèlement les déclarations des témoins, en appelant ces personnes. Il n'y a aucune preuve qui indique qu'au moment où la CCDP a pris sa décision, ce rapport contenait des omissions importantes ou que la substance de renseignements importants mentionnés dans le rapport des FAC, et dont le requérant n'était pas au courant, avait été soumise à la Commission.14

     À la suite de la décision de la Commission en novembre 1995, M. Coward lui-même a appelé Mme Tanya Oliver, qui attendait dans la salle d'attente de l'hôpital pour se faire soigner le 29 septembre 1994. Sa conversation l'a amené à conclure que, si elle était appelée à témoigner, son témoignage serait moins favorable aux FAC que ce qui avait été déclaré antérieurement à la CCDP. Cette question n'a pas été soumise à la Commission; plutôt, la preuve des FAC concernant le témoignage probable de Mme Oliver a été subséquemment confirmée par l'enquête de la Commission. Même si son témoignage était modifié ensuite, ainsi que la conversation ultérieure du requérant avec elle pourrait l'indiquer, il ne pourrait miner une décision qui a été rendue antérieurement sur le fondement de la preuve dont disposait la Commission.

     Pour ces motifs, à mon avis, l'argument du requérant selon lequel la Commission n'a pas respecté les exigences de l'équité procédurale n'est pas établi.

b)      La CCDP a-t-elle commis une erreur en rejetant la plainte?

     Le requérant allègue également que la CCDP a commis une erreur dans sa décision de rejeter sa plainte (i) en omettant d'interpréter correctement et soigneusement la Loi, et (ii) dans son examen de la preuve. Pour déterminer si, dans les circonstances, la CCDP a commis une erreur susceptible de révision en rejetant la plainte du requérant, il est d'abord nécessaire de déterminer la norme de contrôle qui s'applique à la décision.

     Il existe un principe bien établi selon lequel, en raison de l'expertise spéciale des tribunaux des droits de la personne, il faut faire preuve de retenue à leur égard en matière d'appréciation des faits et de décision. Cette retenue, pour la première fois reconnue par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Mossop,15 a depuis été interprétée par la Cour fédérale comme s'appliquant au pouvoir discrétionnaire de la CCDP de rejeter des plaintes en vertu du paragraphe 44(3) de la Loi. Dans l'affaire Slattery, le juge Nadon a fait les remarques suivantes :

     [...] Selon l'esprit de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Mossop, il faut privilégier la retenue plutôt que l'interventionnisme tant que la CCDP traite des questions d'appréciation des faits et de décision, tout particulièrement à l'égard de questions pour lesquelles la CCDP dispose d'un vaste pouvoir discrétionnaire, comme lorsqu'il s'agit de décider s'il y a lieu de rejeter une plainte sous le régime du paragraphe 44(3).         
     Compte tenu du fait que le pouvoir conféré à la CCDP par le paragraphe 44(3) est de nature discrétionnaire, je dois accepter la ligne directrice suivante énoncée par le juge McIntyre dans l'arrêt Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, aux pages 7 et 8:         
         C'est aussi une règle bien établie que les cours ne doivent pas s'ingérer dans l'exercice qu'un organisme désigné par la loi fait d'un pouvoir discrétionnaire simplement parce que la cour aurait exercé ce pouvoir différemment si la responsabilité lui en avait incombé. [...]16                 

     Lorsqu'un pouvoir discrétionnaire législatif a été exercé de bonne foi et qu'il ne repose sur aucun élément qui n'est pas pertinent quant à l'objectif législatif ou qui lui est étranger, la cour ne doit pas intervenir. La cour peut intervenir cependant si le pouvoir discrétionnaire a été exercé d'une manière discriminatoire, injuste, arbitraire ou déraisonnable.17

     En ce qui concerne la CCDP, la Cour a déterminé que, puisqu'elle est "maître de sa propre procédure", le contrôle judiciaire qui infirmerait une enquête ou une décision de la CCDP n'est justifié que si l'enquête ou la décision est clairement viciée.18 Le juge en chef adjoint Jerome a décrit dans les termes suivants l'exercice approprié par la CCDP de son pouvoir discrétionnaire en vertu du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi dans l'affaire Malhotra c. Canada (Ministre du transport)19 :

     La Commission doit examiner chaque cas individuel dont elle est saisie, agir de bonne foi, tenir compte de tous les facteurs pertinents, ne pas se laisser influencer par des facteurs non pertinents et s'abstenir d'agir pour une fin contraire à l'esprit de sa loi habilitante ou de façon abusive ou arbitraire. À part l'obligation pour la Commission canadienne des droits de la personne de respecter ces principes de justice naturelle, son pouvoir de déterminer les circonstances pertinentes relatives à la plainte et de décider de la procédure à suivre, compte tenu des éléments de preuve dont elle dispose, n'est pas sujet à contrôle. En conséquence, la question de savoir si un examen aurait dû être invoqué en application du paragraphe 49(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne relevait uniquement du pouvoir de la Commission. La Cour n'interviendra pas à moins qu'on ne puisse rapporter la preuve que la décision a été prise contrairement aux principes du droit administratif.         

     À mon avis, la Commission n'a commis aucune erreur susceptible de révision dans sa décision de rejeter la plainte du requérant. Plus particulièrement, je ne suis pas convaincu que, comme le requérant l'a allégué, la Commission a commis une erreur dans son interprétation de la Loi, qu'elle n'a pas tenu compte des articles 2, 3, 5, 14 et 24 de la Loi, ou qu'elle a commis une erreur qui justifie l'intervention de la Cour.

     Le requérant, M. Coward, a peut-être vécu des incidents inconvenants et blessants de racisme circonstanciel ou systémique dans le passé, peut-être même au sein des FAC. Dans la présente affaire, la CCDP a conclu que, compte tenu de la preuve, la plainte du requérant selon laquelle, le 29 septembre 1994, on lui a refusé des services par racisme, n'était pas étayée, de sorte qu'elle a rejeté la plainte en vertu du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi. La CCDP en avait le droit. La disposition en question confère à la CCDP un vaste pouvoir discrétionnaire, à l'égard de l'exercice duquel les tribunaux ont fait preuve d'une retenue considérable. En l'espèce, il n'y a aucune preuve qu'en décidant de rejeter la plainte, la CCDP a agi de mauvaise foi, elle n'a pas tenu compte de certains facteurs pertinents, elle s'est laisser influencer par des facteurs non pertinents, ou elle a agi à une fin illégale. Dans ces circonstances, et compte tenu de la jurisprudence, la Cour ne peut intervenir même si elle aurait peut-être exercé le pouvoir discrétionnaire différemment si celui-ci lui avait été conféré, et même si elle aurait peut-être tiré de la preuve des conclusions différentes.

Conclusion

     À mon avis, compte tenu des documents qui lui avaient été soumis, la CCDP ne paraît pas avoir déraisonnablement conclu que la preuve n'étayait pas suffisamment la version du requérant sur les événements du 29 septembre 1994 pour justifier la constitution d'un tribunal, l'étape suivante à laquelle la Commission pouvait avoir recours si l'enquête était poursuivie. Je ne suis pas convaincu que la CCDP a incorrectement exercé son pouvoir discrétionnaire. La Commission est plutôt arrivée à une décision qui était raisonnable compte tenu de la preuve dont elle disposait.

     La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

     W. Andrew MacKay

     juge

Ottawa (Ontario),

27 août 1997.

Traduction certifiée conforme             
                                 François Blais, LL. L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :          T-2551-95
INTITULÉ DE LA CAUSE :      Rubin Alexander Coward c. Le procureur général du Canada et al.
LIEU DE L'AUDIENCE :          Halifax (Nouvelle-Écosse)
DATE DE L'AUDIENCE :      12 mars 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

DE :                      Monsieur le juge MacKay
EN DATE DU :              27 août 1997

ONT COMPARU :

M. Rubin Alexander Coward      pour son compte
M. Michael F. Donovan          pour l'intimé
Mme M. Patricia Lawrence          pour l'intervenante

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

M. George Thomson          pour l'intimé

Sous-procureur général

du Canada

Ottawa (Ontario)

Commission canadienne          pour l'intervenante

des droits de la personne

Services juridiques

Ottawa (Ontario)

__________________

1      Dans le dernier motif, le requérant fait valoir que la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte de l'effet de l'article 24 de la Loi , qui porte sur le pouvoir du gouverneur en conseil d'établir, par règlement, des normes d'accès. Cette disposition n'est pas traitée dans les présents motifs puisqu'elle n'a pas été plaidée par le requérant lorsque la présente demande a été entendue.

2      Voir Knight c. Indian Head School Division no 19 , [1990] 1 R.C.S. 653, où il a été statué que la nature du devoir général d'agir équitablement est contextuelle et dépend de la nature de la décision à prendre, de la relation existant entre l'organisme administratif et le particulier, et de l'effet de cette décision sur les droits du particulier.

3      [1989] 2 R.C.S. 879, [ci-après "S.E.P.Q.A.").

4      Ibid., à la page 899.

5      Puisque l'arrêt S.E.P.Q.A. a été rendu avant les modifications apportées aux articles 18 et 28 de la Loi sur la Cour fédérale, qui ont éliminé la distinction entre les décisions "administratives" et les décisions "judiciaires ou quasi judiciaires", la Cour suprême, ayant conclu que la décision de la CCDP de rejeter la plainte était une décision administrative, a pu trancher l'appel en statuant que la Cour d'appel fédérale n'était pas compétente en vertu de l'article 28 pour entendre l'appel puisqu'il ne s'agissait pas d'une décision soumise à un "processus judiciaire ou quasi judiciaire".

6      Supra, note 3, à la page 902.

7      (1996), 205 N.R. 380. Il est important de signaler que le pouvoir discrétionnaire de la Commission de rejeter une plainte en vertu du sous-alinéa 44(3)b )(i) est libellé dans des termes encore plus généraux que ceux de l'ancienne disposition, le paragraphe 36(3), qui a été examiné dans l'arrêt S.E.P.Q.A.

8      Slattery c. Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 2 C.F. 574 (C.F. 1re inst.).

9      Supra, note 7, à la page 381.

10      (1996), 112 F.T.R. 195 (C.F. 1re inst.).

11      Ibid., à la page 201. (Notes en bas de page du texte original omises.)

12      Supra, note 10, à la page 203. (Notes en base de page du texte original omises.)

13      Mercier c. Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 3 C.F. 3, à la page 14.

14      Mercier, précité, note 13.

15      Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554, à la page 585 (C.S.C.)

16      Slattery, précité, note 8, aux pages 609 et 610.

17      Garnhum c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1996] F.C.J. no 1254 (2 octobre 1996) (C.F. 1re inst.)

18      Voir Mossop , précité, note 15, et Slattery, précité, note 8.

19      [1994] F.C.J. no 349 (18 mars 1994) (C.F. 1re inst.). Appel rejeté par la C.A.F. le 8 septembre 1995. Autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée (sans motifs) le 6 juin 1996, [1995] S.C.C.A. no 471.

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