IMM-1289-96
Ottawa (Ontario), le mardi 3 juin 1997.
En présence de monsieur le juge Gibson
ENTRE :
THANH PHUONG TRAN,
requérant,
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION,
intimé.
ORDONNANCE
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
FREDERICK E. GIBSON
juge
Traduction certifiée conforme
Bernard Olivier, LL.B.
IMM-1289-96
ENTRE :
THANH PHUONG TRAN,
requérant,
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION,
intimé.
MOTIFS DE L’ORDONNANCE
LE JUGE GIBSON
Les présents motifs font suite à une demande de contrôle judiciaire d’une décision prise pour le compte de l’intimé, aux termes du paragraphe 70(5) de la Loi sur l’immigration[1], selon laquelle ce dernier est d’avis que le requérant constitue un danger pour le public au Canada. La décision, datée du 21 mars 1996, a été communiquée au requérant le 3 avril 1996.
Les faits peuvent se résumer de la façon suivante. Le requérant est apatride. Il est né au Vietnam. Il est arrivé au Canada le 7 mai 1989 en tant que réfugié au sens de la Convention. Il a fait l’objet d’une condamnation, tel qu’il appert de son casier judiciaire au Canada. Le 3 décembre 1993, il a été reconnu coupable de complot en vue de faire le trafic de stupéfiants. Il a été condamné à six années d’emprisonnement. Le 5 avril 1994, une ordonnance de renvoi du Canada a été rendue à son égard. Le 2 février 1995, il a obtenu une libération conditionnelle de jour et le 18 mai 1995, il a obtenu une libération conditionnelle totale. Le système correctionnel a rédigé des rapports très favorables à son égard.
Le 1er décembre 1995, le requérant a été avisé que l’intimé songeait à émettre un avis le déclarant dangereux. Les documents que le ministre devait considérer lui ont été remis. Il s’est prévalu de l’occasion qui lui a été donnée de présenter sa version des événements. Malgré ses observations, l’avis le déclarant dangereux a été émis.
À la lumière de la décision de la Cour d’appeI fédérale dans Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c. Williams[2], une seule question litigieuse a été soulevée devant moi lors de l’audition de la présente affaire, à savoir si, vu les documents dont le délégué de l’intimé a été saisi, la formulation de l’avis selon lequel le requérant constituait un danger pour le public au Canada constituait une conclusion de fait erronée tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte de l’ensemble du dossier. L’avocate du requérant m’a soumis l’extrait suivant de la décision du juge MacKay dans Salilar c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration[3] :
Le fait qu'une personne a été reconnue coupable d'une infraction criminelle et qu'une peine lui a été imposée à cet égard ne permet pas de conclure, dans notre société, que lorsque la peine sera purgée, la prolongation de la garde sera justifiée parce que la personne en question constituera encore vraisemblablement une menace pour la sécurité publique. La vraisemblance de pareille menace doit être déterminée compte tenu des circonstances de chaque affaire.
Les fonctionnaires du Ministère de l’intimé chargés de faire des recommandations au délégué de celui-ci avaient des opinions divergentes. Le premier fonctionnaire à examiner l’affaire a écrit :
[TRADUCTION] Le prévenu n’est pas un récidiviste et aucun avis n’a jamais été émis à son égard. L’infraction elle-même ne comportait aucun élément de violence, bien que le trafic de stupéfiants soit souvent accompagné de violence et d’autres infractions. Le prévenu a avoué sa culpabilité face aux deux accusations et il a été condamné à six années d’emprisonnement. Tous les renseignements fournis par le service correctionnel déclarent qu’il était un détenu exemplaire. Il a amélioré son anglais et suivi d’autres cours pour augmenter ses habiletés intellectuelles. Son rendement au travail a été évalué comme supérieur à la moyenne, si bien qu’il a été qualifié d’« excellent travailleur ». « Son cas est manifestement le plus prometteur de tous les cas semblables récents ». Un emploi l’attendait dès sa libération et je crois savoir qu’il occupe présentement deux emplois! Tout ce que j’ai lu et entendu sur le prévenu indique qu’il ne commettra pas une nouvelle infraction. S’il avait déjà fait l’objet de plus d’une condamnation, on pourrait parler de comportement récidiviste. Jusqu’à maintenant cela ne s’est pas produit et, vu la nature de son cas, je ne crois pas qu’il représente un danger pour le public.
En conséquence, la recommandation de ce fonctionnaire était de ne pas émettre d’avis portant que le requérant constituait un danger pour le public [TRADUCTION] «...en ce moment ».
Par la suite, deux autres fonctionnaires ont abouti à une conclusion contraire. Le deuxième fonctionnaire a souligné :
[TRADUCTION]
- reconnu coupable d’une infraction extrêmement grave, tel qu’il ressort de l’importante peine imposée.
- prévenu profondément impliqué dans le complot.
- partage l’avis que le prévenu constitue un danger.
Les documents dont le délégué de l’intimé était saisi contiennent suffisamment de renseignements pour étayer les deux opinions susmentionnées. Comme il a déjà été dit, les renseignements fournis par le service correctionnel et ceux ayant trait à la courte période pendant laquelle le requérant a vécu en liberté après sa libération étaient très favorables à ce dernier, contrairement à l’exposé conjoint des faits présenté à l’audience de détermination de la peine du requérant, exposé qui révélait que l’infraction dont il avait été reconnu coupable impliquait une quantité importante de cocaïne, qu’il avait joué un rôle de premier plan dans le complot et qu’il était un homme d’affaires organisé et compétent faisant le commerce de la drogue.
Dans Williams, le juge Strayer écrit :
Peut-être qu'un juge des requêtes ayant pris connaissance de ces documents serait personnellement d'avis que la preuve selon laquelle M. Williams ne constitue pas un danger était plus convaincante que la preuve contraire, mais, selon moi, là n'est pas la question. Il s'agit en l'espèce de savoir s'il est possible d'affirmer avec certitude que le délégué du ministre a agi de mauvaise foi, en tenant compte de facteurs ou d'éléments de preuve dénués de pertinence, ou sans égard au dossier.
Vu cet énoncé du critère applicable, je ne peux conclure, compte tenu de l’ensemble des documents dont je suis saisi et dont le délégué de l’intimé disposait, que celui-ci a commis une erreur susceptible de contrôle. Je ne puis tout simplement pas conclure « [...] avec certitude [...] » que le décideur en l’espèce a agi de mauvaise foi, en tenant compte de facteurs ou d’éléments de preuve dénués de pertinence, ou sans égard au dossier.
Compte tenu de cette brève analyse, je conclus que la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Ni l’une ni l’autre des avocates n’ayant recommandé la certification d’une question dans la présente affaire, il n’y aura pas de certification.
FREDERICK E. GIBSON
juge
Ottawa (Ontario)
Le 3 juin 1997.
Traduction certifiée conforme
Bernard Olivier, LL.B.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER
NO DU GREFFE : IMM-1289-96
INTITULÉ DE LA CAUSE : THANH PHUONG TRAN c. MCI
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : le 15 mai 1997
MOTIFS DE L’ORDONNANCE PRONONCÉS PAR MONSIEUR LE JUGE GIBSON
EN DATE DU : 3 juin 1997
ONT COMPARU :
Mme Carole Simone Dahan POUR LE REQUÉRANT
Mme Sally Thomas POUR L’INTIMÉ
PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :
Green and Spiegel POUR LE REQUÉRANT
Toronto (Ontario)
M. George Thomson POUR L’INTIMÉ
Sous-procureur général du Canada