Date : 20010515
Dossier : T-2161-98
Référence neutre : 2001 CFPI 489
Vancouver (Colombie-Britannique), le mardi 15 mai 2001
EN PRÉSENCE DE : M. LE JUGE PELLETIER
ENTRE :
JAMES FISHER & SONS PLC, une entité constituée en société
à Barrow-in-Furness, Angleterre
demanderesse
et
PEGASUS LINES LIMITED S.A.,
une entité constituée en société
au Panama, ayant un lieu d'affaires a/s Amican Navigation Inc.,
à Montréal, Canada
défenderesse
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
LE JUGE PELLETIER
[1] En 1996, James Fisher & Sons PLC (Fisher) a obtenu un jugement contre Pegasus Lines Limited S.A. (Pegasus) pour services rendus à Pegasus ou pour son compte. Fisher a cherché à obtenir l'exécution du jugement, mais il s'est avéré que Pegasus était une cible mouvante. Pegasus est constituée en société au Panama, avec des administrateurs désignés. Elle semble avoir été constituée en société suite à des directives reçues d'avocats de New York. Ces avocats obtenaient leurs directives de James Karathanos. De son côté, M. Karathanos soutient que le seul lien entre lui et Pegasus est le fait que sa société, Amican Holdings (Amican), était le mandataire de Pegasus. La preuve indique que le lien est beaucoup plus complexe qu'on veut bien le dire.
[2] Suite à une requête de Fisher, une ordonnance a été délivrée autorisant l'interrogatoire après jugement de M. Karathanos, en qualité de dirigeant de Pegasus et sur la base de son implication dans ses affaires. M. Karathanos s'est soumis à l'interrogatoire prévu. L'interrogatoire a eu lieu dans un climat acrimonieux. Les avocats qui sont inscrits au dossier pour Pegasus ont défendu les intérêts de M. Karathanos pied à pied. Les documents produits l'ont été suite à de grands efforts et ils étaient incomplets. Une requête pour obtenir la production de documents plus complets a été rejetée par le protonotaire et cette décision fait l'objet d'un appel. En même temps, une requête a été présentée sollicitant une ordonnance relevant M. Karathanos de l'obligation de se soumettre à tout interrogatoire supplémentaire. Les deux requêtes m'ont été présentées et je vais maintenant, avec un retard inacceptable, trancher les deux requêtes dans les présents motifs.
[3] Selon la théorie voulant que l'ordonnance portant sur la production de documents et sur le respect des engagements, qui fait l'objet de l'appel, deviendrait théorique si M. Karathanos est relevé de l'obligation de se soumettre à tout interrogatoire supplémentaire, je traiterai d'abord de cette dernière question.
[4] La procédure en l'instance est assez inhabituelle, en ce qu'elle porte sur l'interrogatoire après jugement d'une personne qu'on considère être un dirigeant du créancier, alors que cette personne nie être autre chose qu'un ancien mandataire de ce créancier. Si c'était le cas, l'interrogatoire se serait déroulé très simplement. On aurait demandé à M. Karathanos ce qu'il connaissait des biens de Pegasus, il aurait répondu aux questions posées, et les avocats de Fisher auraient utilisé ces renseignements pour trouver les biens et les faire saisir. En sa qualité d'ancien mandataire, M. Karathanos n'a pas d'intérêt dans le résultat et il n'a aucune raison de protéger Pegasus.
[5] Mais ce n'est pas comme cela que les choses se sont produites. M. Karathanos n'a pas vraiment répondu à plusieurs questions, notamment celles qui portent sur les transferts d'argent entre lui et sa compagnie, et Pegasus. Il a nié l'existence de documents dont le bon sens nous dit qu'ils doivent exister. Il a produit des volumes d'autres documents, mais les documents qu'il n'a pas produits soulèvent plus de questions qu'on ne trouve de réponses dans les documents produits. On l'a accusé de s'être parjuré lors de son interrogatoire. En fait, M. Karathanos ne s'est pas conduit comme quelqu'un qui n'a pas d'intérêt dans l'issue des présentes procédures. C'est tout à fait le contraire.
[6] La requête pour que M. Karathanos soit relevé de l'obligation de se soumettre à tout interrogatoire supplémentaire est évoquée dans les motifs originaux du juge Lutfy (alors juge puîné), qui désignent M. Karathanos comme un dirigeant de Pegasus aux fins de l'interrogatoire après jugement. Voici la partie pertinente de ces motifs :
Finalement, si M. Karathanos estime que les nouveaux renseignements fournis par les réponses données lors de l'interrogatoire, permettent de réfuter ma conclusion voulant qu'il soit un « dirigeant » de Pegasus au sens de la règle 426, suivant l'interprétation qui en est faite dans les présents motifs, il pourra demander le prononcé d'une ordonnance le relevant de tout interrogatoire supplémentaire. Le pouvoir discrétionnaire qu'exerce la Cour en matière de dépens devrait garantir que cette latitude ne donnera pas lieu à des abus.
James Fisher & Sons PLC c. Pegasus Lines Ltd. S.A [1999] J.C.F. no 1248, au par. 37.
[7] Afin d'être relevé de l'obligation de se soumettre à un interrogatoire, il faudrait que M. Karathanos démontre l'une de deux choses. Il pourrait démontrer que la preuve n'appuie pas la conclusion du juge Lutfy que M. Karathanos est « un dirigeant » de Pegasus au sens de l'article 426 des Règles. Ceci implique que des conclusions du juge Lutfy deviendraient périmées au vu de preuves produites depuis le prononcé de l'ordonnance dont M. Karathanos veut être libéré. S'il ne peut se décharger de ce fardeau, il pourrait démontrer que l'interrogatoire est complet et qu'on ne pourrait rien ajouter d'autre en exigeant qu'il soit interrogé à nouveau.
[8] Au sujet de la première possibilité, le juge Lutfy est arrivé à deux conclusions essentielles pour décider que M. Karathanos était un dirigeant de Pegasus. La première est que M. Karathanos est responsable de la constitution en société de Pegasus. La seconde est que Amican était le gérant de Pegasus et qu'Amican ou M. Karathanos continue à représenter les intérêts de Pegasus.
[9] Voici les conclusions du juge Lutfy au sujet de la constitution en société de Pegasus :
[par. 11] Pegasus a été constituée en société au Panama en 1984. Dès le départ, trois avocats du cabinet juridique panaméen Tapia, Lenares y Alfaro ont été désignés comme administrateurs et comme président et représentant juridique, vice-président et trésorier ainsi que secrétaire nominaux. [Voir note 2 ci-dessous] Ces avocats continuent de remplir ces mêmes fonctions. [Voir note 3 ci-dessous] L'adresse officielle initiale était celle du cabinet d'avocats, et en 1996, elle était encore inchangée. Depuis 1988, le président et représentant juridique de Pegasus n'est plus associé au cabinet d'avocats et ne réside plus au Panama. [Voir note 4 ci-dessous]
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Note 2 : Affidavit de M. Charity, pièce DEC1, aux p. 2 et 3. Cet affidavit se trouve au dossier de requête de la demanderesse, à l'onglet A. La pièce DEC1 est une liasse de documents jointe à l'affidavit et déposée dans le cadre de l'engagement pris au cours du contre-interrogatoire du déposant de la demanderesse (Réponses de la demanderesse à l'engagement). Les numéros de page sont ceux que M. Charity a mentionnés dans son affidavit et a inscrits au bas des feuilles correspondantes.
Note 3 : Dossier de requête de M. Karathanos, affidavit de Me C. Jacques, pièce B.
Note 4 : Affidavit de M. Charity, pièce DEC1, aux p. 17 et 30.
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[par.12] Au mois de mai 1995, Joseph F. De May fils, avocat à New York (N.Y.) a écrit à M. Karathanos pour l'informer que son cabinet ne s'occuperait plus à l'avenir des affaires de Pegasus au Panama. Il a demandé à M. Karathanos de lui indiquer [TRADUCTION] « à qui vous voulez que le dossier soit transféré, et nous prendrons des mesures à cet effet » . [Voir note 5 ci-dessous] Dans cette lettre, M. De May a également fait suivre du courrier reçu de « Tapia & Associates » concernant Pegasus.
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Note 5 : Affidavit de M. Charity, pièce DEC1, à la p. 11. La lettre est adressée à M. Karathanos personnellement, mais elle a été envoyée à l'adresse des bureaux d'Amican.
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[par. 13] C'est du cabinet de M. De May qu'ont émané les directives relatives à la constitution de Pegasus données à Tapia, Lenares y Alfaro. Le cabinet d'avocats panaméen ne connaît pas Amican. [Voir note 6 ci-dessous]
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Note 6 : Affidavit de M. Charity, pièce DEC1, à la p. 17, par. 4.
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[par. 14] Ainsi, en mai 1995, M. De May a demandé à M. Karathanos de désigner une personne à qui remettre le dossier Pegasus. M. De May appartenait au cabinet qui avait initialement donné des directives aux avocats panaméens, en 1984, au sujet de la constitution de Pegasus en société. La Cour ne dispose actuellement que de ces renseignements. En l'absence d'autres éléments de preuve, je conclus, suivant la prépondérance des probabilités, qu'en 1984 M. Karathanos a personnellement retenu le cabinet de M. De May, lequel a à son tour donné des directives aux avocats panaméens concernant la constitution en société de Pegasus, avant même qu'Amican agisse comme mandataire général de la société.
[par.15] Au mois de mars 1996, M. De May s'est également adressé à M. Karathanos lorsqu'il a été mis au courant par le cabinet d'avocats panaméen de l'existence de l'action intentée contre Pegasus en Angleterre. Je passe maintenant aux faits relatifs à cette action.
[10] Lors de l'interrogatoire de M. Karathanos, on lui a demandé ce qu'il était advenu du dossier qui avait fait l'objet de la communication de M. DeMay. Le témoignage de M. Karathanos porte qu'après le décès de M. Callan, Cichanowicz et Callan ont décidé de ne plus servir de courroie de transmission pour les directives aux avocats du Panama (transcription du contre-interrogatoire de M. Karathanos, 10 septembre 1999, p. 101, lignes 9 à 20). Il a déclaré que M. DeMay lui a envoyé tous les dossiers. Il a déclaré qu'il ne savait pas quoi en faire et qu'après les avoir reçus, il les a réexpédiés à Tapia Linares y Alfaro (Tapia Linares), le cabinet d'avocats au Panama. Bien qu'il ne soit pas inconcevable que M. Karathanos ait envoyé les dossiers à Tapia Linares pour qu'ils en assurent la garde, ceci ne répond pas à la question de M. DeMay, à savoir qui donnerait dorénavant des directives à Tapia Linares.
[11] On pourrait soutenir que le témoignage de M. Karathanos portant qu'il a envoyé le dossier à Tapia Linares démontre que ce dernier ne leur a pas donné de directives quant à la constitution en société de Pegasus, contrairement à la conclusion du juge Lutfy. Une telle assertion équivaut à demander à la Cour de préférer la déclaration de M. Karathanos quant à ce qui s'est produit, savoir qu'il aurait réexpédié le dossier à Tapia Linares, par rapport à la preuve de M. Charity, sur deux questions importantes. La première porte que c'est M. DeMay, ou son cabinet, qui a donné les directives à Tapia Linares au sujet de la constitution en société de Pegasus. Voir le paragraphe 13 des motifs du juge Lutfy, précités. La seconde est liée à la réponse faite à la question de M. Charity, qui désirait savoir quand la réclamation Fisher avait été signalée à Pegasus. À cette question, M. DeMay a répondu qu'il avait informé M. Karathanos par téléphone le jour où il a reçu le bref pour ensuite le lui télécopier. Ces deux faits nous amènent à déduire que c'est M. Karathanos qui a donné les directives à M. DeMay et qui était l'âme dirigeante de Pegasus. M. Karathanos pouvait, et il peut toujours, réfuter cette déduction en démontrant que c'est quelqu'un d'autre qui était l'âme dirigeante de Pegasus. Toutefois, toutes les tentatives de trouver une indication qui mènerait à quelqu'un d'autre se sont soldées par un échec. Tout mène à M. Karathanos, alors que rien ne mène à quelqu'un d'autre. En définitive, le fait que M. Karathanos nie ne suffit pas à réfuter la déduction tirée des faits décrits par ceux qui n'ont pas un intérêt dans le résultat.
[12] Le deuxième motif qui a amené le juge Lutfy à sa conclusion que M. Karathanos était un dirigeant de Pegasus au sens de l'article 426 des Règles est que c'est lui qui a donné les directives requises aux avocats anglais pour présenter une défense au nom de Pegasus face à la réclamation de Fisher.
[par.16] La demanderesse a d'abord obtenu jugement par défaut contre Pegasus dans l'action intentée en Angleterre, laquelle est à l'origine de la présente instance.
[par. 17] L'affidavit de David Ellis Charity, avocat représentant Pegasus en Angleterre, a été déposé à l'appui d'une requête visant à faire annuler le jugement par défaut prononcé contre Pegasus, au motif qu'il n'y avait pas eu de signification valide. Le certificat des détails concernant un jugement à enregistrer à l'étranger, déposé avec l'avis de demande en l'espèce, explique les circonstances entourant le prononcé du jugement par défaut, son annulation sur consentement et la signification qui a finalement été faite de l'action en Angleterre :
[TRADUCTION]
... ledit bref a initialement été signifié à personne à la défenderesse Pegasus Lines Limited SA par les mandataires de la demanderesse au Panama, le 5 février 1996. La demanderesse a obtenu jugement par défaut le 6 mars 1996, mais le jugement a été subséquemment annulé sur consentement, par ordonnance de la Cour en date du 6 août 1996. L'ordonnance sur consentement renfermait un engagement de la défenderesse de nommer des avocats de l'Angleterre et du Pays de Galles habilités à accepter signification des actes de procédure. Le bref a par la suite été signifié, par courrier de première classe à Davies Grant & Horton (plus tard Davies Johnson & Co), avocats de la défenderesse, le 17 octobre 1996. La défenderesse a dûment reconnu la signification du bref, le 30 octobre 1996. [Voir note 7 ci-dessous]
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Note 7 : Après avoir reconnu avoir reçu signification du bref, Pegasus a déposé une défense et demande reconventionnelle, et la demanderesse, une réponse et défense à la demande reconventionnelle. Jugement a été prononcé contre Pegasus le 30 octobre 1997. L'avis de demande d'enregistrement du jugement anglais devant notre Cour est daté du 19 novembre 1998.
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[par. 18] Le 9 juillet 1996, M. Charity a écrit au cabinet de M. De May au sujet de l'action intentée en Angleterre pour déterminer [TRADUCTION] « quand le bref a été signalé pour la première fois à l'attention d'un dirigeant de la société » .M. Charity demandait à l'avocat new-yorkais quand sa cliente, Pegasus, avait entendu parler pour la première fois de l'action.
[Voir note 8 ci-dessous]
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Note 8 : Affidavit de M. Charity, pièce DEC1, aux p. 19 et 20.
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[par. 19] M. De May a immédiatement répondu qu'il avait reçu le bref par courrier des avocats panaméens le 15 mars 1996. Le même jour, il a informé M. Karathanos par téléphone de l'existence de cette instance et lui a télécopié le bref ainsi que d'autres documents reçus du cabinet d'avocats de Panama. [Voir note 9 ci-dessous]
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Note 9 : Affidavit de M. Charity, pièce DEC1, aux p. 4 à 8 et 19 à 21. M. De May a télécopié les documents à M. Karathanos à un autre numéro que celui qui figure sur le papier à lettre d'Amican. L'action intentée en Angleterre aurait été signifiée à Pegasus aux bureaux du cabinet d'avocats panaméen (p. 4 et 5), et l'un des avocats aurait envoyé les documents au cabinet de M. De May le 4 mars 1996 (p. 6). M. De May a apparemment reçu les documents le 15 mars 1996 (p. 21).
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[par. 20] Au paragraphe 1 de son affidavit, M. Charity déclare :
Je suis procureur devant la Cour suprême et associé du cabinet Stockler Charity, procureurs de la défenderesse en l'espèce. Je suis dûment autorisé par la défenderesse à souscrire le présent affidavit en son nom. Sauf indication contraire, le contenu de cet affidavit provient de documents et de renseignements qui m'ont été fournis par M. James D. Karathanos, président d'Amican Navigation Inc. Amican est le gérant de Pegasus Lines Limited S.A. à Montréal. Pour autant que je le sache et le croie, les déclarations du présent affidavit sont véridiques. [Non souligné dans l'original]
Malgré ce qu'a prétendu l'avocat de M. Karathanos lors de l'audition de la présente requête, je suis convaincu que ce paragraphe, interprété suivant son sens ordinaire, révèle que M. Charity, pour les fins de la préparation de son affidavit, a été autorisé et renseigné par M. Karathanos. Si, comme le laisse entendre l'avocat, quelqu'un à Pegasus (autre que M. Karathanos) a autorisé M. Charity à souscrire l'affidavit, il aurait fallu produire des dépositions de M. Charity ou peut-être de M. Karathanos lui-même indiquant ce fait.
[par. 21] Le dossier me convainc que M. Karathanos, par l'intermédiaire d'Amican, a agi comme mandataire général ou gérant de Pegasus, à tout le moins pour les fins de l'action intentée en Angleterre. M. Charity a décrit Amican comme « le gérant » de Pegasus à Montréal.
[13] Cette transaction a joué un rôle essentiel dans la conclusion du juge Lutfy que M. Karathanos était en fait un dirigeant qui pouvait être interrogé au sujet de Pegasus. Le renvoi dans l'affidavit de M. Charity au fait que M. DeMay a contacté M. Karathanos dès qu'il a reçu le bref est tout aussi significatif que le fait que Amican soit décrit comme le gérant de Pegasus. En l'instance, M. Charity a souscrit un autre affidavit expliquant le premier. Voici l'extrait pertinent de ce dernier affidavit, souscrit à Londres, Angleterre, le 7 décembre 1999 :
[Traduction]
4. L'allégation dans mon affidavit de 1995 est une hypothèse que j'énonce et je n'avais aucune directive ou renseignement précis quant à savoir si Amican Navigation Inc. était en fait le gérant de Pegasus Lines Limited S.A.
[14] M. Charity avait de bonnes raisons de croire qu'il y avait un lien étroit entre Amican et Pegasus. M. Charity savait que M. Karathanos avait joué un rôle lorsqu'il s'est agi de lui donner des directives dans le cadre de la procédure de jugement par défaut.
[15] Nous sommes informés de ce fait à cause d'une lettre produite lors du contre-interrogatoire de David Charity. Cette lettre est datée du 15 décembre 1999 et elle est adressée par M. Charity à M. Karathanos. Il y est déclaré que le projet d'affidavit (dans lequel Amican est décrit comme le mandataire général de Pegasus) a été envoyé à M. Karathanos le 22 juillet 1996, pour obtenir [Traduction] « son autorisation de le souscrire au nom de Pegasus Lines » . On trouve aussi dans la lettre que M. Charity a reçu des directives quant aux procédures dans le cadre du jugement par défaut, [Traduction] « de diverses personnes, dont George Pollack de Sproule Castonguay Pollack, Cary Thompson de Liverpool & London Association, vous-même et M. Ahmed Mrabti » . M. Charity déclare qu'il [Traduction] « n'a eu aucun contact avec Dan American Corporation, Cominco Corporation ou Admiral Trading » , qui sont toutes des entités qui, aux dires de M. Karathanos, lui auraient donné des directives à l'occasion.
[16] Cette lettre est intéressante pour plusieurs raisons. Premièrement, elle démontre que M. Karathanos est l'une des personnes qui donnaient des directives à M. Charity . Elle démontre aussi que M. Karathanos a pris connaissance du projet d'affidavit dans lequel on décrit Amican comme le gérant de Pegasus, et ce avant qu'il soit souscrit, et qu'il ne s'est pas opposé à son contenu à ce moment-là. Le fait de ne pas s'opposer peut être interprété comme une admission de la vérité d'une assertion. Cette possibilité n'est pas diminuée du fait que la lettre autorisant M. Charity à procéder était signée [Traduction] « Amican Navigation Inc. à titre de mandataire pour Pegasus Lines Ltd S.A. » . Le papier sur lequel la lettre est rédigée porte un petit logo en bas à gauche, où l'on trouve un cheval ailé et les mots [Traduction] « Mandataire général, Pegasus Lines Ltd. S.A. » .
[17] Une des exceptions classiques, qui est souvent mal interprétée, à la règle du ouï-dire est le fait qu'on ne se soit pas objecté dans des circonstances où il serait naturel et prévisible qu'on le fasse, ou que l'on nie, si la personne en cause croyait vraiment que la déclaration est fausse. On transforme souvent ce principe pour lui faire dire que tout ce qui est dit en présence d'un accusé en matière criminelle n'est pas du ouï-dire. Ce n'est pas le cas. Tout ce qui est dit en présence d'un accusé n'exige pas qu'il y réponde. Toutefois, pour prendre un exemple, une accusation précise de comportement fautif qui n'est pas niée mène à la déduction qu'on ne peut la nier parce qu'elle est vraie.
[18] En l'instance, le fait qu'on n'ait pas corrigé la déclaration dans le projet d'affidavit qui porte que Amican était le gérant de Pegasus, alors que la société se décrit elle-même dans sa lettre comme le mandataire de Pegasus, laisse entendre que l'auteur n'était pas en désaccord avec le fait qu'on décrivait Amican comme le gérant. Il n'est pas probable que quelqu'un qui prend le soin de se décrire comme mandataire ou mandataire général ne remarquerait pas qu'on utilise le mot gérant pour décrire son rôle.
[19] M. Charity a produit une autre lettre qui est intéressante. Cette lettre est adressée à Sproule Castonguay Pollack, les avocats de Pegasus. Signée par M. Charity et datée du 22 juillet 1996, cette lettre transmet le projet d'affidavit avec une demande d'autorisation de le souscrire. On voit sur la lettre qu'une copie a été expédiée à Amican. Nous savons aussi qu'à la même date, Amican a autorisé M. Charity à souscrire l'affidavit. La signification de cette lettre ne se trouve pas seulement dans le fait que M. Karathanos l'a vue, ainsi que le projet d'affidavit, mais dans le fait que les avocats de Pegasus ont fait de même. Il est donc un peu surprenant de lire ceci dans les motifs du juge Lutfy :
Malgré ce qu'a prétendu l'avocat de M. Karathanos lors de l'audition de la présente requête, je suis convaincu que ce paragraphe, interprété suivant son sens ordinaire, révèle que M. Charity, pour les fins de la préparation de son affidavit, a été autorisé et renseigné par M. Karathanos. Si, comme le laisse entendre l'avocat, quelqu'un à Pegasus (autre que M. Karathanos) a autorisé M. Charity à souscrire l'affidavit, il aurait fallu produire des dépositions de M. Charity ou peut-être de M. Karathanos lui-même indiquant ce fait.
[20] Il devrait être assez clair pourquoi on n'a pas déposé d'affidavit identifiant quelqu'un d'autre que M. Karathanos qui aurait autorisé qu'on souscrive l'affidavit en cause. Ce qui est moins clair, c'est comment des personnes qui connaissaient ces faits ont pu faire des déclarations portant que M. Karathanos n'avait pas autorisé qu'on souscrive l'affidavit. Il y a d'autres faits qui rendraient de telles allégations encore plus surprenantes, notamment une lettre de l'avocat de Pegasus, datée du 7 juin 1996 et adressée à Stockler Charity, dans laquelle l'avocat déclare qu'il a reçu des directives de Pegasus Lines Ltd. S.A. aux fins de retenir les services de Stockler Charity pour examiner la possibilité d'obtenir la réouverture du dossier ayant mené à un jugement par défaut contre Pegasus. La lettre continue comme suit :
[Traduction]
Nous sommes autorisés par Pegasus à vous donner des directives en l'instance, plus particulièrement afin d'obtenir votre avis quant à savoir si on peut faire annuler le jugement par défaut et ensuite quelles seraient les étapes de la présentation d'une requête à cette fin. Mon associé Andrew Ness, ainsi que M. James Karathanos de Amican Navigation Inc., mandataire général de Pegasus, seront à Londres la semaine prochaine et ils aimeraient vous rencontrer à vos bureaux le lundi 10 juin 1996 à 14 h 30. M. Ness apportera une copie de la requête. Nous espérons que vous pourrez agir au nom de notre client et que vous serez disponible pour une rencontre avec MM. Ness et Karathanos le lundi après-midi ou, à défaut, à une heure donnée mardi le 11.
[21] En présumant, comme il se doit, que l'avocat connaissait son devoir de ne pas tromper la Cour et qu'il s'en est acquitté, on peut se demander quels autres faits pourraient venir expliquer les allégations présentées au juge Lutfy sur la question de savoir qui a autorisé M. Charity à souscrire l'affidavit en cause.
[22] En conséquence, M. Karathanos n'a pas démontré que le fondement sur lequel le juge Lutfy a rendu son ordonnance est intenable. En fait, les conclusions du juge Lutfy ont été confirmées. En conséquence, il n'y a pas lieu de relever M. Karathanos de l'obligation de se soumettre à un interrogatoire supplémentaire, au vu de la preuve déposée lors de son interrogatoire. C'est le contraire qui est vrai.
[23] L'autre motif qui permettrait à M. Karathanos d'être relevé de l'obligation de se soumettre à un interrogatoire supplémentaire serait qu'il a déjà été interrogé et qu'il a fourni toute l'information qu'il possédait. S'il n'y a pas de possibilité réaliste que d'autres renseignements soient disponibles, il ne serait pas utile d'obliger M. Karathanos à subir un autre interrogatoire. Afin d'obtenir gain de cause sur ce point, M. Karathanos devrait démontrer qu'il a donné toutes les réponses qu'il possède.
[24] Cet argument laisse de côté le fait qu'à la fin de son interrogatoire du 21 septembre 1999,M. Karathanos a déjà accepté de se présenter à un interrogatoire supplémentaire. Voici les propos qui ont été échangés à la fin de l'interrogatoire :
[Traduction]
Me Vincent M. Prager :
Comme je l'ai dit, il semblerait que selon les questions soulevées par les engagements, il me faudrait deux (2) - entre deux (2) et trois (3) heures additionnelles d'interrogatoire, ou peut-être un peu moins lorsque j'aurai revu mes notes, mais je veux suggérer qu'il pourrait être approprié d'essayer de traiter de tous les engagements possibles afin de pouvoir terminer en une seule séance, afin d'éviter que ceci traîne plus longtemps.
Donc, plutôt que de déterminer une date dès maintenant, nous pourrions, Mme Rosen et moi, regarder quelles sont les dates possibles et voir si M. Karathanos peut obtenir les renseignements demandés dans ce contexte, afin que nous puissions --
R. D'accord.
Q. Se rencontrer seulement une autre fois. Est-ce bien d'accord?
Me Elyse Rosen :
Cela ne me cause aucune difficulté.
Me Vincent M. Prager
Merci.
[25] Dans les circonstances, est-il approprié de permettre à M. Karathanos de ne pas respecter son engagement de se présenter à un interrogatoire supplémentaire suite aux réponses données dans le cadre des engagements; en principe, l'entente de se présenter à nouveau devrait être confirmée. En pratique, toutefois, il faut examiner ce qui peut être obtenu en exigeant sa présence. Ceci nous amène à examiner si les engagements pris, ainsi que les déclarations faites quant aux recherches effectuées par M. Karathanos, ont été tenus. Ceci aura aussi des conséquences sur la disposition de l'appel de l'ordonnance du protonotaire Morneau.
[26] Il est utile, à ce moment-ci, d'examiner l'objectif et la portée de l'interrogatoire auquel M. Karathanos a dû se soumettre. Fisher est le créancier suite à un jugement contre Pegasus. Elle désire faire exécuter un jugement du Royaume-Uni contre les biens de Pegasus, où qu'ils se trouvent. Pegasus est une entité difficile à cerner, mais il semble clair que M. Karathanos a connaissance des affaires de Pegasus, tant personnellement qu'en sa capacité d'âme dirigeante de Amican Navigation Inc. Une ordonnance est rendue pour qu'il soit interrogé comme un dirigeant de Pegasus, en vertu de l'article 426 des Règles. Toutefois, l'ordonnance ne vient pas lever le voile de la société ou transformer M. Karathanos en alter ego de Pegasus. Les biens de Amican ne sont pas susceptibles d'être saisis pour payer les dettes de Pegasus. L'interrogatoire voit donc sa portée limitée à déterminer ce que M. Karathanos sait des biens de Pegasus. Les relations d'affaires entre Amican et Pegasus ne sont pertinentes que dans la mesure où elles permettront de localiser des biens. La question principale porte sur ce qu'il est advenu des fonds versés à Amican au bénéfice de Pegasus. L'identité des personnes qui contrôlent Pegasus et leurs places d'affaires constituent aussi des questions pertinentes, puisqu'elles peuvent mener à d'autres interrogatoires au sujet des biens de Pegasus. Les relations de M. Karathanos avec Tapia Linares sont aussi pertinentes.
[27] Ceci étant dit, voyons ce que M. Karathanos a déposé suite à ses engagements. Il a déposé des liasses de documents regroupés par navire. Chaque liasse contient une feuille qui récapitule les dépenses et les revenus. On trouve ensuite un ou plusieurs documents portant sur des transferts d'argent par télégramme, qui sont accompagnés de divers états de compte. Un examen de certaines de ces liasses fait ressortir les faits suivants :
1- Dans plusieurs cas, un examen des documents ne permet pas de déterminer s'ils portent sur des navires de Pegasus et leurs déplacements, ou sur d'autres navires.
2- Les sommes d'argent transférées par télégramme peuvent correspondre, ou non, à une somme donnée qu'on trouve dans la récapitulation, et non au total des sommes dépensées.
3- Il n'y a pas de transfert d'argent qui correspondrait à la différence entre les revenus et les dépenses.
4- La plupart des transferts d'argent portent une date antérieure à la date du dernier état de compte.
5- Dans plusieurs cas, les états de compte soumis ne comprennent pas toutes les dépenses, ou même toutes les dépenses se situant sous une catégorie donnée.
[28] Ce dépôt suscite plusieurs questions. Si ce sont les seuls documents disponibles, qu'est-il arrivé aux autres? Comment expliquer le fait que certaines documents d'une catégorie donnée sont disponibles, alors que d'autres documents dans la même catégorie ne le sont pas? Pourquoi n'y a-t-il aucune trace de paiements à Pegasus? Toutes ces questions sont certainement connues de M. Karathanos et elles sont pertinentes lorsqu'il s'agit de trouver les biens de Pegasus.
[29] Les réponses à ces questions et à d'autres de même nature peuvent aider Fisher à localiser les biens de Pegasus. Le fait qu'il n'y a aucune trace de transferts de fonds de Amican ou Karathanos à Pegasus doit être expliqué. L'interrogatoire de M. Karathanos n'est pas du tout terminé.
[30] En conséquence, je ne suis pas convaincu que M. Karathanos a le droit d'être relevé de l'obligation de se présenter à un interrogatoire. Il n'a pas réussi à démontrer que l'ordonnance du juge Lutfy était erronée. En fait, je suis d'avis que la nouvelle preuve démontre que M. le juge Lutfy avait entièrement raison d'arriver à ses conclusions. Il n'a pas non plus démontré qu'on ne pourrait rien tirer de plus d'une poursuite de l'interrogatoire. Bien des aspects restent inexpliqués, et les explications qu'on dit avoir données sont souvent peu crédibles. M. Karathanos déclare qu'il n'a aucun intérêt dans cette affaire, mais il se comporte comme s'il en avait un. M. Karathanos n'est pas relevé de l'obligation de se présenter à l'interrogatoire.
[31] L'appel de l'ordonnance du protonotaire Morneau demande que sa décision quant à certains engagements soit annulée et que la Cour ordonne à M. Karathanos de fournir des réponses à certains engagements, ou des réponses plus complètes. Les engagements au sujet desquels on cherche à obtenir des réponses plus complètes (qui sont identifiés par leur numéro) peuvent être paraphrasés comme suit :
14- où les fonds reçus au bénéfice de Pegasus ont-ils été déposés? Ont-ils été déposés dans le compte de Amican ou dans un autre compte? Qui a reçu les sommes payées?
21- faire une recherche permettant d'identifier les comptes dans lesquels les sommes payables à Pegasus ont été déposées et produire des documents faisant foi des paiements faits à même ce compte.
23- comment Amican tenait-elle compte des sommes payées à d'autres au nom de Pegasus?
25- vérifier si des sommes étaient dues à Pegasus dans le dernier état de compte de 1995 et, si c'est le cas, à qui ces sommes ont été envoyées. Si Pegasus devait de l'argent à Amican, ces sommes ont-elles été payées et qui les a payées?
[32] Dans l'affidavit qu'il a déposé à l'appui de sa demande d'être relevé de l'obligation de se présenter à un nouvel interrogatoire, M. Karathanos déclare ceci :
[Traduction]
2. Je ne suis pas et n'ai jamais été, que ce soit personnellement ou par l'entremise de Amican, la personne en autorité, le gérant ou le décideur de la défenderesse, et je ne suis pas non plus et n'ai jamais été un dirigeant de la défenderesse.
...
10. Je n'ai pas en ma possession, et je n'ai jamais eu en ma possession, les dossiers portant sur les transferts de fonds entre les actionnaires ou les administrateurs de la défenderesse. Il en va de même de Amican.
11. À part la documentation que j'ai déjà fournie à la demanderesse le 26 octobre 1999, je n'ai aucun dossier portant sur des transferts de fonds entre les sociétés liées ou affiliées à la défenderesse. Il en va de même de Amican.
[33] M. Karathanos s'est toujours décrit comme le mandataire de Pegasus et il est possible que ce soit à ce titre qu'il ait rencontré M. Charity pour lui donner des directives de chercher à rouvrir le dossier du jugement par défaut contre Pegasus, et ensuite qu'il l'a autorisé à souscrire un affidavit au nom de Pegasus pour obtenir le résultat recherché. Toutefois, comme toutes les sociétés sont incorporelles, elles doivent agir par l'entremise de mandataires. Le fait de dire qu'on est le mandataire d'une société n'exclut pas qu'on ait un intérêt juridique ou financier dans celle-ci. Lorsqu'on a demandé à M. DeMay à quel moment la déclaration de Fisher avait été communiquée à un dirigeant de la compagnie, M. DeMay a répondu en disant à quel moment il l'avait communiquée à M. Karathanos. Quant aux déclarations qui portent que M. Karathanos (ou Amican) n'a aucun dossier portant sur le transfert de fonds entre les actionnaires ou administrateurs de Pegasus, ils ne traitent aucunement de la question des transferts de fonds entre Amican/Karathanos et Pegasus. Il en va de même de la déclaration qui porte sur les transferts de fonds entre les sociétés liées ou affiliées à la défenderesse.
[34] Quant à l'appel de la décision du protonotaire Morneau, la norme de contrôle de telles décisions par notre Cour est énoncée dans l'arrêt Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd. (C.A.), [1993] 2 C.F. 425 (C.A.F.), (1993), 149 N.R. 273. Un juge saisi de l'appel contre la décision d'un protonotaire ne doit pas intervenir, sauf si l'on démontre que ce dernier a exercé son pouvoir en vertu d'un mauvais principe. Le simple fait d'être en désaccord avec le résultat ne justifie pas une intervention
[35] Le protonotaire Morneau a refusé d'ordonner la production par M. Karathanos de documents comptables ou bancaires venant confirmer les transferts de fonds entre Amican et Pegasus, au motif que les engagements pris n'allaient pas aussi loin. Un examen des transcriptions indique que des questions ont été posées quant au compte dans lequel les fonds reçus au nom de Pegasus étaient déposés et qu'un engagement a été pris de donner le détail de ce compte, ainsi que la documentation faisant état du fait que le compte ou les comptes en cause étaient au bénéfice de Pegasus. Voir l'engagement U-14. Ceci a été abordé à nouveau dans l'engagement U-21A, alors que M. Karathanos a accepté de demander à ses comptables toute la documentation qu'ils avaient quant aux fonds transférés à d'autres. Dans l'engagement U-23, M. Karathanos a convenu de s'enquérir auprès de ses comptables quant à la façon dont les comptes étaient tenus entre Amican et Pegasus. L'engagement U-25 traite de l'état des comptes entre Amican et Pegasus au moment où ils ont conclu leur dernière affaire. Je suis convaincu que les engagements pris exigent que M. Karathanos se renseigne auprès de ses comptables et présente des documents quant à l'existence et l'utilisation des comptes dans lesquels on trouve des fonds de Pegasus. Dans cette mesure, les engagements vont aussi loin que ce qu'avance l'avocate de Fisher. La décision du protonotaire quant à ces engagements est annulée et la Cour ordonne à M. Karathanos de s'exécuter.
[36] Fisher demande que la suite de l'interrogatoire se tienne devant un juge. J'ai lu les transcriptions de l'interrogatoire de M. Karathanos et du contre-interrogatoire sur son affidavit. Le contre-interrogatoire fait ressortir l'agressivité qui caractérise les interventions de l'avocate qui accompagnait M. Karathanos. Selon moi, l'avocate s'est comportée de manière à empêcher que l'objectif de l'interrogatoire soit atteint. Ses interventions allaient plus loin que son rôle qui est de bien protéger l'intérêt de son client et elles constituaient de l'obstruction. Par contre, l'interrogatoire de M. Karathanos alors qu'il était accompagné par Me Pollack s'est assez bien passé. La Cour ne peut dire à M. Karathanos qui devrait être son conseiller juridique. Par contre, Fisher et son avocate ne devraient pas avoir à subir un autre événement comme le contre-interrogatoire de M. Karathanos sur son affidavit. Par conséquent, l'avocat de M. Karathanos fera savoir à Fisher qui l'accompagnera lors de la reprise de son interrogatoire. Si M. Karathanos est accompagné par Me Pollack, l'interrogatoire aura lieu dans les conditions habituelles. Sinon, l'interrogatoire sera tenu en présence d'un protonotaire. Si la confiance de la Cour en Me Pollack s'avère injustifiée, il y aura toujours lieu de présenter la requête appropriée plus tard.
[37] Les deux parties ont traité de la question des dépens. M. Karathanos demande les dépens en se fondant sur le fait qu'il n'y aurait eu aucune justification pour l'ordonnance rendue contre lui. Je ne suis pas de cet avis. L'ordonnance en cause était fondée et, selon moi, la suite a confirmé qu'elle était justifiée.
[38] Fisher demande aussi les dépens. Elle souligne la déclaration dans l'ordonnance du juge Lutfy qui traite explicitement de la compétence de la Cour quant aux dépens comme façon d'équilibrer le droit de M. Karathanos de présenter une requête afin d'être relevé de l'obligation de se présenter à l'interrogatoire. Fisher souligne que M. Karathanos demande 25 000 $ de dépens et soutient qu'on devrait le condamner à payer la somme qu'il demande.
[39] Selon moi, les commentaires du juge Lutfy au sujet des dépens avaient pour objectif de mitiger la possibilité qu'une requête inappropriée soit présentée pour échapper à un interrogatoire supplémentaire. Cette requête ne pouvait réussir à démontrer que l'ordonnance du juge Lutfy était mal fondée. Quant à l'idée que l'interrogatoire ne pouvait donner d'autres résultats, on ne trouve pas beaucoup de justification à cet égard. Toutefois, il ne semble pas approprié de traiter des dépens avant que l'interrogatoire de M. Karathanos soit terminé. Si l'on procédait autrement, il y aurait des examens répétés de la même question. Je prononcerai donc une ordonnance portant que Fisher a droit aux dépens pour toutes les procédures prises quant à l'interrogatoire de M. Karathanos, sauf ceux qui auraient été octroyés jusqu'ici à M. Karathanos quant à des requêtes précises, s'il en est. Ces dépens devront être discutés à la fin de l'interrogatoire. Le juge chargé de trancher la question des dépens utilisera son pouvoir discrétionnaire d'en fixer le montant ou de les renvoyer à la taxation, et il décidera aussi si les dépens en question doivent être payés par Pegasus, par M. Karathanos personnellement, ou, si Fisher peut démontrer l'existence de circonstances qui le justifient, en tout ou en partie par les avocats de Pegasus personnellement.
ORDONNANCE
Pour les motifs que j'ai énoncés, la Cour ordonne que :
1- l'appel du protonotaire Morneau est accueilli.
2- la requête de M. Karathanos d'être relevé de l'obligation de se présenter à un interrogatoire supplémentaire est rejetée.
3- L'avocat de Pegasus doit communiquer avec l'avocate de Fisher, 21 jours avant la date prévue de l'interrogatoire, pour lui indiquer qui accompagnera M. Karathanos pour la suite de son interrogatoire. Si cet avocat n'est pas Me Pollack, l'interrogatoire aura lieu en présence d'un protonotaire.
4- Fisher a droit à ses dépens pour toutes les procédures prises dans le cadre de l'interrogatoire de M. Karathanos, sauf ceux qui auraient été accordés précédemment à Pegasus, s'il en est. Quant au montant des dépens, il en sera discuté lorsque l'interrogatoire sera terminé. Le juge chargé de cette question utilisera son pouvoir discrétionnaire de déterminer le montant des dépens ou de les renvoyer à la taxation, et il décidera si les dépens en question doivent être payés par Pegasus, par M. Karathanos personnellement, ou, si l'on démontre l'existence de circonstances qui le justifient, en tout ou en partie par les avocats de Pegasus personnellement.
J.D. Denis Pelletier
Juge
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
No DU GREFFE : T-2161-98
INTITULÉ DE LA CAUSE : JAMES FISHER & SONS PLC c. PEGASUS LINES LIMITED S.A.
LIEU DE L'AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L'AUDIENCE : le 12 juillet 2000
MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU :juge Pelletier
EN DATE DU : 15 mai 2001
ONT COMPARU
Mireille Tabib POUR LA DEMANDERESSE
George J. Pollack POUR LA DÉFENDERESSE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
STIKEMAN, ELLIOTT POUR LA DEMANDERESSE
Montréal (Québec)
SPROULE, CASTONGUAY, POLLACK POUR LA DÉFENDERESSE
Montréal (Québec)