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Date : 20051221

Dossier : IMM-3554-05

Référence : 2005 CF 1732

Ottawa (Ontario), le 21 décembre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

ENTRE :

NAEL ASMELASH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande, fondée sur l'article 72 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), en vue d'un contrôle judiciaire d'une décision rendue par une agente des visas du haut-commissariat canadien à Nairobi, au Kenya (l'agente des visas), décision par laquelle elle a rejeté, en date du 24 mars 2005, la demande de visa de résident permanent au Canada de M. Nael Asmelash (le demandeur) en tant que membre de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières ou de la catégorie des personnes protégées à titre humanitaire outre-frontières.

LES FAITS

[2]                 Le demandeur est né le 5 décembre 1983 à Amsara, en Érythrée, région qui faisait alors partie de l'Éthiopie. Le 20 août 2000, il a été expulsé par la force de l'Érythrée à la suite du conflit armé qui avait éclaté entre les deux territoires.

[3]                 Après une courte détention, le demandeur a préféré s'installer à Addis Abeba en Éthiopie plutôt que de vivre dans un camp de réfugiés.

[4]                 Avec l'aide de parents habitant au Canada, le demandeur a fait une demande de visa de résident permanent en tant que membre de la catégorie des réfugiés au sens de Convention outre-frontières ou de la catégorie des personnes protégées à titre humanitaire outre-frontières.

[5]                 Le 19 janvier 2005, l'agente des visas a reçu le demandeur en entrevue au sujet de la demande de résidence permanente, et a rejeté ses prétentions le 24 mars de cette même année.

QUESTION EN LITIGE

[6]                 En n'informant pas le demandeur de l'existence d'une directive du gouvernement éthiopien, l'agente des visas a-t-elle manqué à l'équité procédurale?

ANALYSE

[7]                 Dans la présente affaire, la question centrale est de savoir s'il y a eu manquement à l'équité procédurale. L'interprétation et l'application du Règlement à l'espèce sont également mises en question. Ces deux derniers points se rapportent à l'appréciation de la demande par l'agente des visas, et il s'agit donc de questions mixtes de fait et de droit. Aussi la norme de contrôle applicable est-elle celle de la décision raisonnable simpliciter (Bharaj c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)2005 CF 1462, [2005] A.C.F. no 1821).

[8]                 Dans la présente affaire, les dispositions pertinentes du Règlement sont ainsi rédigées :

145. Est un réfugié au sens de la Convention outre-frontières et appartient à la catégorie des réfugiés au sens de cette convention l'étranger à qui un agent a reconnu la qualité de réfugié alors qu'il se trouvait hors du Canada.

139. (1) Un visa de résident permanent est délivré à l'étranger qui a besoin de protection et aux membres de sa famille qui l'accompagnent si, à l'issue d'un contrôle, les éléments suivants sont établis :

d) aucune possibilité raisonnable de solution durable n'est, à son égard, réalisable dans un délai raisonnable dans un pays autre que le Canada, à savoir :

145. A foreign national is a Convention refugee abroad and a member of the Convention refugees abroad class if the foreign national has been determined, outside Canada, by an officer to be a Convention refugee.

139. (1) A permanent resident visa shall be issued to a foreign national in need of refugee protection, and their accompanying family members, if following an examination it is established that:

(d) the foreign national is a person in respect of whom there is no reasonable prospect, within a reasonable period, of a durable solution in a country other than Canada, namely

[9]                 Le demandeur soutient que, pendant l'entrevue visant à apprécier sa demande de résidence permanente, l'agente des visas ne l'a jamais informé de l'existence d'une directive du gouvernement éthiopien aux termes de laquelle ce gouvernement acceptait de fournir des permis de résidence ou des documents de voyage aux personnes d'origine érythréenne qui vivaient sur son territoire; de plus, il n'aurait pas été informé que la directive prévoyait le droit de posséder une habitation et une ferme de même que le droit d'avoir accès aux services sociaux.

[10]            Le demandeur prétend que la directive constitue une preuve extrinsèque sur laquelle l'agente des visas s'est fondée pour conclure qu'il avait une possibilité raisonnable de solution durable, réalisable dans un délai raisonnable, dans un pays autre que le Canada. Le demandeur plaide que l'agente des visas a enfreint les règles d'équité procédurale en ne l'informant pas de l'existence de la directive, de sorte qu'il n'a pas pu fournir les renseignements personnels pertinents liés à cette preuve extrinsèque.

[11]            Dans la décision Kaur c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2005 CF 1192, [2005] A.C.F. no 1469, le juge Hughes, au paragraphe 20, traite en détail de la façon dont la Cour a interprété la notion de preuve extrinsèque :

L'expression « éléments de preuve extrinsèques » est généralement utilisée pour qualifier des éléments de preuve spécifiques qui n'ont pas été portés à l'attention du demandeur, mais qui sont utilisés pour contredire une preuve soumise au tribunal. Comme le déclare le juge Rothstein (maintenant juge à la Cour d'appel fédérale), dans la décision Dasent c. Canada (Ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] 1 C.F. 720 (1re inst.), aux pages 730 et 731 :

L'expression « éléments de preuve extrinsèques » se rapporte habituellement à des documents ambigus. Dans ce contexte, les éléments de preuve extrinsèques se composent de déclarations, de faits ou de circonstances qui n'apparaissent pas à la lecture du document ou dont celui-ci ne fait pas mention, mais qui ont pour but d'expliquer, de modifier ou de contredire celui-ci. La présentation de ce type de preuve n'est pas souvent autorisée. Dans le cas qui nous occupe, compte tenu de l'utilisation par le juge Hugessen des mots « qui ne lui sont pas fournis par le requérant » à l'égard de l'expression « éléments de preuve extrinsèques » et de son renvoi à l'affaire Muliadi, j'interprète l'expression « éléments de preuve extrinsèques qui ne lui sont pas fournis par la partie requérante » comme des éléments de preuve dont la partie requérante n'est pas au courant parce qu'ils proviennent d'une source extérieure. Il s'agit d'éléments de preuve dont la partie requérante ignore l'existence et que l'agent d'immigration a l'intention d'invoquer pour en arriver à une décision touchant cette partie.

[12]            Le demandeur affirme être allé, en octobre 2004, au ministère éthiopien de l'Immigration et des Affaires nationales :

[Traduction] Afin que mon statut soit reconnu par le gouvernement éthiopien, je me suis rendu avec d'autres, en octobre 2004, au ministère de l'Immigration et des Affaires nationales, et je me suis informé pour savoir si un Érythréen expulsé par la force vers l'Éthiopie par les autorités érythréennes pouvait faire une demande de résidence en Éthiopie

(dossier du demandeur, page 12 de l'affidavit du demandeur).

[13]            Le demandeur a par la suite été informé des exigences contenues dans la [Traduction] « proclamation concernant l'immigration » (voir à ce sujet l'exposé des arguments du demandeur à la page 22), et il a admis en avoir reçu copie lorsqu'il s'est rendu au ministère de l'Immigration éthiopien en octobre 2004. Vu cette admission, j'estime que le demandeur était au fait de la teneur de la directive gouvernementale, et donc qu'il ne s'agit pas là d'une preuve extrinsèque.

[14]            Dans la décision Mancia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (1997) 125 F.T.R. 297, [1997] A.C.F. no 120, le juge MacKay confirme, auparagraphe 13, qu'un agent des visas n'a pas l'obligation de communiquer l'information disponible à partir d'une source publique si elle est antérieure à la date de toute observation de la part du requérant :

Je note que, dans l'affaire Nadarajah, le juge Rothstein a considéré la preuve documentaire en question dans cette affaire comme provenant de sources dont disposait le public, et qu'il a fait état de la décision rendue par le juge Rouleau dans l'affaire Quintanilla c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, non publiée, IMM-1390-95, 22 janvier 1996 (C.F. 1re inst.).    Dans cette dernière affaire, où la preuve documentaire de la situation du pays d'origine examinée dans une évaluation au titre de la CDNRSRC est un document auquel le public pouvait avoir accès, le juge Rouleau a conclu qu'il n'existait aucune obligation d'informer le requérant, avant qu'une décision ne fût prise, de documents particuliers concernant la situation du pays d'origine qui étaient examinés.    Ce même principe a été appliqué dans l'affaire Nadarajah par le juge Rothstein, et j'estime qu'il s'applique en l'espèce, du moins pour ce qui est de documents publiés et disponibles à partir de sources publiques antérieurement à la date de toute observation de la part du requérant.

[15]            Dans la décision Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (2003) F.T.R. 297, [2002] 4 C.F. 193, la juge Hansen, aux paragraphes 33 à 36, pousse plus loin l'analyse en concluant que la distinction entre preuve intrinsèque et preuve extrinsèque n'est plus déterminante pour savoir si l'obligation d'équité impose la communication de la preuve. Elle affirme que, lorsqu'il est question d'équité procédurale en matière de communication de la preuve, la préoccupation dominante consiste à savoir si la personne a connaissance ou est présumée avoir connaissance du document, de l'avis ou du rapport :

Je tire le principe général suivant de l'arrêt Mancia. La preuve extrinsèque doit être communiquée à la demanderesse. L'équité ne requiert toutefois pas la communication d'éléments de preuve non extrinsèques, comme les rapports sur la situation générale du pays, à moins que ces éléments n'aient été rendus accessibles après que la demanderesse eut déposé ses observations et à moins qu'ils respectent les autres critères formulés dans cet arrêt.

D'après moi, ces deux « règles » reposent sur le même fondement. L'équité exige que les documents, les rapports et les avis dont la demanderesse n'a pas connaissance ou n'est pas présumée avoir connaissance soient communiqués.

À mon avis, le fondement de la règle établie dans Mancia résiste aux arrêts Haghighi et Bhagwandass. Énoncé de façon générale, le principe qui sous-tend ces arrêts veut que l'obligation d'équité oblige la communication d'un document, d'un rapport ou d'un avis si cette communication est nécessaire pour fournir à la personne une possibilité significative et équitable de présenter l'ensemble de sa preuve au décideur.

Par conséquent, même si la distinction entre la preuve extrinsèque et la preuve non extrinsèque n'est clairement plus déterminante quant à la question de savoir si l'obligation d'équité exige la communication, le fondement de la règle de l'arrêt Mancia demeure. J'en arrive à cette conclusion parce que même dans les arrêts récents, qui appliquent le cadre postérieur à l'arrêt Baker pour définir l'obligation d'équité, la préoccupation dominante relativement à la communication consiste à savoir si la personne a connaissance ou est présumée avoir connaissance du document, de l'avis ou du rapport.

[16]            Dans la présente affaire, la directive gouvernementale était manifestement un document public auquel le demandeur pouvait avoir accès avant de présenter ses observations. Dès octobre 2004, le demandeur devait en connaître la teneur vu qu'il s'est informé, auprès du ministère éthiopien de l'Immigration et des Affaires nationales, pour connaître la procédure à suivre en vue d'obtenir la résidence éthiopienne. Aussi l'agente des visas n'avait aucune obligation de communiquer l'information contenue dans la directive gouvernementale. Le fait de ne pas l'avoir communiquée ne constituait pas un manquement à l'équité procédurale parce que le demandeur avait connaissance ou était présumé avoir connaissance de la teneur de la directive.

[17]            Dans la décision Gedeon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1245, [2004] A.C.F. no 1504, le juge Russell confirme que la Cour a statué que la charge de la preuve incombe au requérant, lequel doit convaincre l'agent des visas de l'existence de tous les éléments positifs de sa demande. Il énonce ce qui suit au paragraphe 79 :

À l'égard de toutes les catégories, par conséquent, un requérant doit soumettre tous les faits et documents pertinents à l'appui de sa demande. La Cour a statué, à de nombreuses reprises, dans le sens de la prétention du défendeur, ainsi :

Il est de jurisprudence constante que c'est à la partie requérante qu'il incombe de convaincre pleinement l'agent des visas de l'existence de tous les éléments positifs de sa demande. En conséquence, dès lors que l'agent des visas n'agit pas de façon injuste et qu'il ne commet pas d'erreur de droit manifeste au vu du dossier pour en arriver à sa décision (en tenant compte par exemple de facteurs étrangers non contenus dans la définition de la CCDP), sa décision a droit à un degré élevé de déférence de la part du Tribunal (voir le jugement Hajariwala c. Canada, [1989] 2 C.F. 79 (C.F. 1re inst.).

Cai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. n ° 55 (1re inst.) Rani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 1102 (1re inst.)

[18]            En l'espèce, je conclus que l'agente des visas n'a pas agi inéquitablement et qu'elle n'a pas commis d'erreur de droit en rendant sa décision. La directive gouvernementale ne constituait pas une preuve extrinsèque, et le demandeur en connaissait la teneur avant de présenter ses observations. L'agente des visas n'avait donc aucune obligation de signaler au demandeur l'existence de la directive. De plus, le demandeur n'a pas été totalement franc lors de son entrevue comme en témoigne la pièce « A » , soit les notes du STIDI jointes à l'affidavit de Mme Noella Nincevic :

[Traduction] Puisque votre père était éthiopien, pourquoi ne pourriez-vous pas obtenir la citoyenneté éthiopienne?

Je suis né en Érythrée, ma culture est érythréenne.

Vous êtes-vous informé quant à savoir si vous pouviez obtenir un passeport éthiopien?

Non.

[Non souligné dans l'original.]

[19]            De plus, la charge de la preuve incombait au demandeur : il devait démontrer à l'agente des visas en quoi la directive ne jouait pas en sa faveur et donc qu'il ne disposait pas d'une possibilité raisonnable de solution durable réalisable dans un délai raisonnable dans un pays autre que le Canada suivant l'alinéa 139(1)d) du Règlement.

[20]            J'estime que l'agente des visas a apprécié la situation du demandeur en conformité avec les dispositions de la Loi, et qu'elle n'a pas enfreint l'obligation d'équité procédurale en ne soulevant pas I'existence de la directive. De plus, vu les faits présentés, sa décision de rejeter la demande du demandeur n'était pas déraisonnable.

[21]            L'avocat du demandeur m'a demandé de certifier une question :

Une décision au titre de l'alinéa 139(1)d) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés doit-elle être fondée sur les conditions ou normes raisonnables applicables au Canada ou sur celles applicables dans le pays où résidait le demandeur au moment de sa demande?

[22]            À mon avis, l'agent doit décider s'il y a lieu de délivrer un visa de résident permanent au titre du paragraphe 139(1)d) du Règlement. À l'issue d'un contrôle, l'agent doit établir que :

aucune possibilité raisonnable de solution durable n'est, à son égard, réalisable dans un délai raisonnable dans un pays autre que le Canada, à savoir :

i) soit le rapatriement volontaire ou la réinstallation dans le pays dont il a la nationalité ou dans lequel il avait sa résidence habituelle,

ii) soit la réinstallation ou une offre de réinstallation dans un autre pays;

[23]            Pour satisfaire à son obligation, l'agent des visas doit considérer les conditions et les normes tant au Canada que dans le pays de nationalité ou dans tout autre pays si nécessaire; cela semble aller de soi vu le libellé de l'article 139.

[24]            À mon sens, on peut aisément répondre par l'affirmative aux deux volets de la question dont on demande la certification; cela démontre clairement qu'il ne s'agit pas d'une question de portée générale appelant certification.

ORDONNANCE

            LA COUR ORDONNE :

  • que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée;
  • qu'aucune question ne soit certifiée.

« Pierre Blais »

Juge

Traduction certifiée conforme

Évelyne Côté, LL.B., dipl. trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                    IMM-3554-05

INTITULÉ :                                                    Nael Asmelash c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                             Winnipeg (Manitoba)

DATE DE L'AUDIENCE :                           Le 12 décembre 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LE JUGE BLAIS

DATE DES MOTIFS :                                  Le 21 décembre 2005

COMPARUTIONS :

Paul V.-Shawa

POUR LE DEMANDEUR

Derwin Petri

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Paul V.-Shawa

Winnipeg (Manitoba)

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

POUR LE DÉFENDEUR

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