Date : 20030704
Dossier : IMM-3733-03
Référence : 2003 CF 838
ENTRE :
OMRAN ISHMELA
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
[1] Je note que la présente demande d'ordonnance de non-divulgation à laquelle je fais droit n'a pas été contestée. Cependant, le principe de la publicité des débats judiciaires est un principe d'intérêt public et les ordonnances de ce type ne doivent jamais être accordées de façon automatique, ni avoir une portée excessive.
CONSIDÉRATION
[2] Les ordonnances de non-divulgation de documents confidentiels sont prévues par la règle de la Cour fédérale 151 :
151.(1) La Cour peut, sur requête, ordonner que des documents ou éléments matériels qui seront déposés soient considérés comme confidentiels.
(2) Avant de rendre une ordonnance en application du paragraphe (1), la Cour doit être convaincue de la nécessité de considérer les documents ou éléments matériels comme confidentiels, étant donné l'intérêt du public à la publicité des débats judiciaires. |
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151.(1) On motion, the Court may order that material to be filed shall be treated as confidential.
(2) Before making an order under subsection (1), the Court must be satisfied that the material should be treated as confidential, notwithstanding the public interest in open and accessible court proceedings.
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Selon cette règle, il y a lieu de concilier l'intérêt des parties à préserver le caractère confidentiel de certains documents et le principe de la publicité des débats judiciaires.
[3] La délivrance d'une ordonnance de non-divulgation comporte des aspects subjectifs et objectifs : voir par exemple AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1998), 83 C.P.R. (3d) 428, aux pages 432 et suivantes. En l'espèce, je reconnais que l'affidavit du demandeur, Omran Ishmela, démontre au moins l'existence de l'aspect subjectif de la condition exigée. L'ordonnance n'est pas contestée mais étant donné qu'il y a lieu de tenir compte de l'intérêt public, j'ai examiné le dossier que le demandeur souhaite déposer à titre de document confidentiel. Selon la prépondérance des probabilités, la partie du dossier qui ne se trouve pas déjà dans le domaine public devrait effectivement demeurer confidentielle. Il ne serait pas utile d'essayer de déterminer quels sont les documents qui se trouvent déjà dans le domaine public. Sous réserve de ce que la Cour suprême du Canada avait à déclarer dans l'arrêt Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances) (2002), 211 D.L.R. (4th) 193, l'ensemble du dossier constitue un document qui, par sa nature, peut faire l'objet d'une ordonnance de non-divulgation.
[4] Dans Sierra Club, précité, il s'agissait d'un très petit nombre de documents très techniques. Je reconnais que l'affaire Sierra Club concernait la non-divulgation de documents commerciaux mais les mêmes principes s'appliquent à la présente espèce puisque la divulgation de certains de ces documents mettraient en danger le demandeur et les membres de sa famille qui se trouvent en Libye.
[5] À la page 211 de l'arrêt Sierra Club, le juge Iacobucci a formulé un critère à deux volets pour les ordonnances de non-divulgation :
Une ordonnance de confidentialité en vertu de la règle 151 ne doit être rendue que si :
a) elle est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour un intérêt important, y compris un intérêt commercial, dans le contexte d'un litige, en l'absence d'autres options raisonnables pour écarter ce risque;
b) ses effets bénéfiques, y compris ses effets sur le droit des justiciables civils à un procès équitable, l'emportent sur ses effets préjudiciables, y compris ses effets sur la liberté d'expression qui, dans ce contexte, comprend l'intérêt du public dans la publicité des débats judiciaires. |
Je note que le juge Iacobucci insiste plus loin, aux pages 211 et 212, sur le fait que le premier volet de l'analyse contient différents éléments, notamment le fait que le risque en cause doit être réel et important, et bien étayé par la preuve, la nécessité de concilier les intérêts en jeu dans l'application du principe fondamental de la publicité des débats et l'examen de l'existence d'autres options raisonnables.
[6] Le deuxième volet du critère est un élément ouvert puisque la Cour suprême fait remarquer qu'il comprend l'effet d'une telle ordonnance sur « le droit des justiciables civils à un procès équitable » et j'ajouterais ici l'effet que l'ordonnance de non-divulgation, ou plutôt le fait de ne pas en délivrer une, pourrait avoir sur le demandeur, au cas où il retournerait en Libye, et sur les membres de sa famille qui se trouvent toujours en Libye. Le deuxième volet du critère m'oblige également à examiner les effets préjudiciables qu'une telle ordonnance pourrait avoir sur le principe de la publicité des débats.
[7] Je suis convaincu qu'il est nécessaire de délivrer une ordonnance de non-divulgation pour éviter de faire courir un risque grave tant au demandeur qu'aux membres de sa famille qui se trouvent en Libye. Je ne vois pas d'autres options raisonnables susceptibles de prévenir ce danger. Comme je l'ai déjà mentionné, l'ordonnance de non-divulgation aura comme effet positif de réduire les risques de représailles à l'égard de ces personnes. Pour ce qui est des effets préjudiciables, je dois concilier ici l'ordonnance avec l'intérêt public dans la publicité des débats judiciaires.
[8] Sans vouloir diminuer l'importance de l'affaire du demandeur, celle-ci ne semble pas soulever une question générale d'intérêt public ou concerner une situation où le public se verrait priver d'un droit fondamental parce qu'il ne pourrait avoir accès au contenu d'une partie des documents déposés par les parties. Je note également ici le fait qu'une ordonnance de non-divulgation peut avoir un effet important, notamment sur l'impossibilité d'interroger publiquement les témoins. Rappelons qu'il s'agit ici de contrôle judiciaire et non pas d'une instance où un ou plusieurs témoins seront interrogés au cours d'une audience publique. Il est vrai qu'une telle ordonnance aura pour effet d'empêcher un membre du public d'avoir accès à certains documents, s'il souhaitait les consulter, mais je ne pense pas que ces documents intéressent une grande partie de la population. Accorder en l'espèce une ordonnance de non-divulgation n'a pas pour effet de porter gravement atteinte à la liberté de parole, dans le sens de l'élaboration d'idées et de réflexions ou de restreindre la participation des intéressés en apportant une restriction minime au principe de la publicité des documents judiciaires.
[9] Compte tenu de tous ces facteurs, y compris de ceux qui ont été pris en considération par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Sierra Club (précitée), une fois ces facteurs conciliés, il paraît approprié de délivrer une ordonnance de non-divulgation. L'ordonnance sollicitée, à savoir une ordonnance [traduction] « ayant pour effet de reconnaître le caractère confidentiel de tous les documents produits dans la présente action; ... » est de portée très générale et soulève par conséquent quelques difficultés. Les parties n'ont pas produit de projet d'ordonnance de non-divulgation comme c'est souvent le cas et je fais référence, à titre d'exemple, à l'ordonnance formulée aux pages 447 et suivantes de l'arrêt AB Hassle (précité).
[10] Il ne me semblerait pas raisonnable d'accorder une ordonnance de non-divulgation telle qu'elle est demandée et je pense au fait que la Cour suprême du Canada a insisté sur la nécessité d'examiner les autres mesures raisonnables. Il est possible que les parties pensent à une ordonnance de non-divulgation qui s'appliquerait uniquement aux affidavits et aux preuves documentaires, aux dossiers et au contre-interrogatoire, et qui serait peut-être alors appropriée. J'aimerais toutefois que les parties formulent dans un projet d'ordonnance ce qu'elles souhaitent.
[11] Les avocats sont invités à présenter un projet d'ordonnance dans les 21 jours. Cette ordonnance devrait contenir une prorogation du délai applicable à la signification et au dépôt du dossier du demandeur. Dans le cas où les avocats ne pourraient s'entendre sur la formulation de l'ordonnance de non-divulgation, il leur serait loisible de me consulter par téléphone.
« John A. Hargrave »
Protonotaire
Vancouver (Colombie-Britannique)
le 4 juillet 2003
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
REQUÊTE EXAMINÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES
DOSSIER : IMM-3733-03
INTITULÉ : Omran Ishmela c. Le Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : le protonotaire Hargrave
DATE DES MOTIFS : le 4 juillet 2003
OBSERVATIONS ÉCRITES PRÉSENTÉES PAR :
Michael Sherritt
W Brad Hardstaff
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POUR LE DEMANDEUR
POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Sherritt Greene Avocat Calgary (Alberta)
Morris A Rosenberg Sous-procureur général du Canada Ministère de la Justice Edmonton (Alberta) |
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POUR LE DEMANDEUR
POUR LE DÉFENDEUR
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