Date : 20030704
Dossier : T-590-02
Référence : 2003 CF 812
Entre :
ROBERT LAUZON,
Demandeur
- et -
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,
Défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
LE JUGE PINARD :
La présente demande de contrôle judiciaire vise l'annulation de la décision de la Section d'appel (la « Section d'appel » ) de la Commission nationale des libérations conditionnelles
(la « CNLC » ) rendue le 12 mars 2002 par les commissaires A. Bachand et C. Kennedy. Cette décision rejetait l'appel du demandeur et confirmait la décision du 6 décembre 2001 de la CNLC de ne pas accorder au demandeur la permission de sortir sans escorte pour des fins de rapports familiaux ( « PSSE RF » ).
Le demandeur est actuellement détenu à l'Établissement Montée St-François, à Laval. Depuis le 30 septembre 1983, il purge une peine de pénitencier à perpétuité pour meurtre.
Au mois de septembre 2001, le demandeur bénéficiait d'un programme de permissions de sortie sans escorte.
Une audience statutaire devant la CNLC concernant sa mise en liberté était prévue pour le mois de décembre 2001. Au mois de septembre 2001, il a demandé que l'on considère également lui permettre de suivre un programme de PSSE d'une durée de six mois.
Le 21 septembre 2001, le demandeur a été écroué en ségrégation administrative au Centre fédéral de formation au motif qu'il était soupçonné d'être à la tête d'un réseau institutionnel de trafiquants de stupéfiants.
Le 19 octobre 2001, le demandeur a signé un formulaire de renonciation en vertu duquel il prétend avoir renoncé à l'examen complet de son dossier. Le défendeur, cependant, soutient que le demandeur n'a alors renoncé qu'à l'examen de sa demande de libération conditionnelle totale ( « LCT » ) et à l'audience, non à l'examen, de décembre 2001 concernant ses demandes de PSSE RF et de PSSE pour perfectionnement personnel ( « PP » ).
Le 6 décembre 2001, la CNLC, après examen du cas sans audience, a rendu une décision par laquelle elle refusait au demandeur sa demande de PSSE RF.
Le demandeur a porté cette décision en appel devant la Section d'appel le 16 janvier 2002. Cette dernière a rejeté l'appel le 12 mars 2002 en exprimant ce qui suit :
La Commission nationale des libérations conditionnelles vous a autorisé un programme de sorties sans escorte (PSSE) pour perfectionnement personnel, le tout tel qu'il appert du dossier. Ce programme a d'ailleurs été renouvelé à quelques reprises afin de compléter le programme du centre d'intervention et de recherche en violence (CIRV).
La Commission est saisie d'un rapport l'informant que vous étiez impliqué dans un réseau de distribution de stupéfiants en établissement. D'ailleurs, vous auriez profité de vos sorties afin d'entrer des stupéfiants pour en faire la distribution en établissement.
Votre comportement est inacceptable et cette activité doit être considérée comme étant la poursuite d'une criminalité bien ancrée. Les objectifs recherchés dans le cadre du programme qui vous avait été autorisé n'ont pas été suivis et au contraire vous avez profité des sorties pour poursuivre des activités criminelles en établissement.
Vous avez demandé, le 24 septembre 2001, de bénéficier de sorties pour rapports familiaux afin de renouer des liens avec votre soeur. Compte tenu des faits soulignés antérieurement, la Commission estime que vous représentez maintenant un risque de récidive élevé et refuse, en conséquence, d'autoriser un tel programme de sorties sans escorte pour rapports familiaux.
En confirmant la décision de la CNLC, la Section d'appel a écrit :
L'étude de la documentation contenue dans votre dossier nous indique que, le 19 octobre 2001, vous avez signé une renonciation comportant, entre autres, les énoncés suivants :
a) "Je comprends que j'ai droit à un examen et/ou une audience de mon cas par la Commission nationale des libérations conditionnelles en ce qui a trait à: ... 2. Libération conditionnelle totale, PSSE RF (Rapports familiaux) et audience de post-annulation PSSE PP (Perfectionnement personnel)".
b) "Examen de la demande à la semi-liberté, libération conditionnelle totale, ordonnance de surveillance de longue durée et assignation à résidence".
Vous avez indiqué, sous cette rubrique, que: "Je ne veux pas d'examen, et par les présentes, je renonce à ce droit".
c) "Vous avez ajouté, à la main, au dessus de votre signature, les deux phrases suivantes: "Je renonce à mon audience prévue en décembre 2001 (PSSE-RF et LCT). et "Je renonce à l'audience de post-annulation de mon programme de PSSE PP (CIRV)".
Nous constatons que, lors de la renonciation signée le 19 octobre 2001 ou sur tout autre document, vous n'avez pas renoncé à un examen de permission de sortir sans escorte pour rapports familiaux. Vous avez seulement renoncé à votre audience et non pas à l'examen sur dossier. La décision rendue se réfère à l'évaluation en vue d'une décision et le suivi du plan correctionnel datés du 24 septembre 2001.
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Le demandeur soumet fondamentalement que la Section d'appel a commis une erreur en concluant qu'il n'avait pas renoncé à l'examen par la CNLC de sa demande de PSSE RF, mais qu'il n'avait renoncé qu'à l'audience de cette demande. Subsidiairement, le demandeur reproche à la Section d'appel d'avoir entériné la décision de la CNLC alors que celle-ci n'avait pas respecté son devoir d'agir équitablement à son endroit lors de l'examen de son cas concernant la PSSE RF.
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Il importe d'abord de situer le litige dans son contexte statutaire et réglementaire particulier. L'article 116 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 (la « Loi » ) confirme le pouvoir de la CNLC d'autoriser, sous certaines conditions, un délinquant à sortir sans escorte. Le paragraphe 8 de la même disposition indique que c'est par règlement que doivent être établi quand et comment une demande d'autorisation de sortie sans escorte doit être faite. Ce sont les articles 155 et 156 du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92-620 (le « Règle-ment » ), qui prévoient les modalités d'octroi et de demande d'une telle permission. Tout particulièrement, le paragraphe 156(3) du Règlement précise que l'autorité compétente doit examiner le cas dans les six mois suivant la réception de la demande. Le paragraphe 140(1) de la Loi prévoit quant à lui les examens effectués par la CNLC qui impliquent obligatoirement une audience, alors que le paragraphe 140(2) prévoit que la CNLC a le pouvoir discrétionnaire de tenir une telle audience dans les autres cas. Finalement, le paragraphe 164(1) du Règlement prévoit les cas où la CNLC est tenue d'examiner par voie d'audience une demande de PSSE.
Il est utile de reproduire ici ces dispositions statutaires et réglementaires (sauf l'article 116 de la Loi) :
Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition :
123. (1) La Commission examine, aux fins de la libération conditionnelle totale et au cours de la période prévue par règlement, les dossiers des délinquants purgeant une peine d'emprisonnement de deux ans ou plus qui ne relèvent pas d'une commission provinciale. (2) Malgré les paragraphes (1) et (5), la Commission n'est pas tenue d'examiner le cas du délinquant qui l'a avisée par écrit qu'il ne souhaite pas bénéficier de la libération conditionnelle totale et n'a pas révoqué cet avis par écrit.
140. (1) La Commission tient une audience, dans la langue officielle du Canada que choisit le délinquant, dans les cas suivants, sauf si le délinquant a renoncé par écrit à son droit à une audience ou refuse d'être présent : a) le premier examen du cas qui suit la demande de semi-liberté présentée en vertu du paragraphe 122(1), sauf dans le cas d'une peine d'emprisonnement de moins de deux ans; b) l'examen prévu au paragraphe 123(1), le réexamen visé au paragraphe 126(4) et chaque réexamen prévu en vertu du paragraphe 123(5);
[. . .]
(2) La Commission peut décider de tenir une audience dans les autres cas non visés au paragraphe (1).
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123. (1) Subject to subsection (2), the Board shall, at the time prescribed by the regulations, review, for the purpose of full parole, the case of every offender who is serving a sentence of imprisonment of two years or more and who is not within the jurisdiction of a provincial parole board. (2) The Board is not required under subsection (1) or (5) to review the case of an offender who has advised the Board in writing that the offender does not wish to be considered for full parole and who has not in writing revoked that advice.
140. (1) The Board shall conduct the review of the case of an offender by way of a hearing, conducted in whichever of the two official languages of Canada is requested by the offender, unless the offender waives the right to a hearing in writing or refuses to attend the hearing, in the following classes of cases: (a) the first review for day parole pursuant to subsection 122(1), except in respect of an offender serving a sentence of less than two years; (b) the first review for full parole pursuant to subsection 123(1), including the review conducted pursuant to subsection 126(4), and subsequent reviews pursuant to subsection 123(5);
[. . .]
(2) The Board may elect to conduct a review of the case of an offender by way of a hearing in any case not referred to in subsection (1).
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Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition :
155. Pour l'application des articles 116 et 117 de la Loi, l'autorité compétente peut accorder au délinquant une permission de sortir sans surveillance dans l'un des cas suivants : [. . .] d) à des fins de rapports familiaux, afin de lui permettre d'établir et d'entretenir des liens avec sa famille pour qu'elle l'encourage durant sa détention et, le cas échéant, le soutienne à sa mise en liberté; [. . .] f) pour du perfectionnement personnel lié à sa réadaptation, afin de lui permettre de participer à des activités liées à un traitement particulier dans le but de réduire le risque de récidive ou afin de lui permettre de participer à des activités de réadaptation, y compris les cérémonies culturelles ou spirituelles propres aux autochtones, dans le but de favoriser sa réinsertion sociale à titre de citoyen respectueux des lois;
156. (1) Le délinquant peut présenter par écrit à l'autorité compétente une demande de sortie sans surveillance pour l'un des motifs visés à l'article 155. [. . .]
(3) Sous réserve du paragraphe (4), l'autorité compétente doit examiner le cas du délinquant qui présente une demande de sortie sans surveillance dans les six mois suivant la réception de la demande, mais elle n'est pas tenue de le faire plus de deux mois avant la date de l'admissibilité du délinquant à une telle sortie.
(4) Avec l'accord du délinquant, l'autorité compétente peut reporter l'examen visant une sortie sans surveillance.
164. (1) Tant que la Commission n'a pas accordé une première sortie sans surveillance ou une première mise en semi-liberté au délinquant qui purge dans un pénitencier soit une peine d'emprisonnement à perpétuité infligée comme peine minimale ou à la suite de commutation d'une peine de mort, soit une peine d'emprisonnement d'une durée indéterminée, la Commission doit examiner par voie d'audience le cas de ce délinquant lorsqu'il demande une permission de sortir sans surveillance. |
155. For the purposes of sections 116 and 117 of the Act, the releasing authority may authorize an unescorted temporary absence of an offender [. . .] (d) for family contact purposes to assist the offender in maintaining and strengthening family ties as a support to the offender while in custody and as a potential community resource on the offender's release; [. . .] (f) for personal development for rehabilitative purposes to allow the offender to participate in specific treatment activities with the goal of reducing the risk of the offender re-offending, and to allow the offender to participate in activities of a rehabilitative nature, including cultural and spiritual ceremonies unique to Aboriginal peoples, with the goal of assisting the reintegration of the offender into the community as a law-abiding citizen; and
156. (1) An offender may apply in writing to the releasing authority for an unescorted temporary absence for a purpose described in section 155. [. . .]
(3) Subject to subsection (4), the releasing authority shall review the case of an offender who applies for an unescorted temporary absence within six months after receiving the application, but in no case is the releasing authority required to review the case before the two months immediately preceding the offender's eligibility date for unescorted temporary absence.
(4) The releasing authority may postpone an unescorted temporary absence review with the consent of the offender.
164. (1) Any review by the Board of the case of an offender who is serving, in a penitentiary, a sentence of life imprisonment imposed as a minimum punishment or commuted from a sentence of death, or a sentence of detention for an indeterminate period, and who applies for an unescorted temporary absence, shall be by way of hearing until a first unescorted temporary absence is authorized or a first day parole is granted by the Board. |
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En ce qui concerne l'argument principal du demandeur, à savoir que la Section d'appel a eu tort de conclure qu'il n'avait pas renoncé à l'examen de sa demande de PSSE RF, mais qu'il n'avait renoncé qu'à une audience de cette demande, le dossier du tribunal comporte d'abord un document de renonciation de deux pages, daté du 19 octobre 2001. Ce document apporte trois types de précision de la part du demandeur : premièrement, celui-ci a précisé comprendre avoir droit à un examen et/ou une audience de son cas par la CNLC en ce qui a trait à ses demandes de libération conditionnelle totale, de PSSE RF et de PSSE PP; deuxièmement, dans une section du document où il n'est pas question des demandes de PSSE, mais seulement d'autres genres de demande, y inclus la demande de libération conditionnelle totale, le demandeur a indiqué ne pas vouloir d'examen; troisièmement, dans une section intitulée « Raisons » , il est indiqué : « Je renonce à mon audience prévue en décembre 2001 (PSSE-RF et LCT). Je renonce à l'audience de post-annulation de mon programme de PSSE PP (CIRV). » Plus loin, à la première page du document, sous la mention « Je comprends mes droits tels qu'ils sont exposés à la page 2 de cette formule » , apparaissent la signature du demandeur et la date du 19 octobre 2001. Enfin, à la deuxième page du document, dans la section intitulée « Dans le cas d'une audience par la Commission des libérations conditionnelles » , il est imprimé :
Si le/la délinquant(e) choisit de renoncer à son droit à une audience seulement et non à son droit à un examen, (quand légitime), la Commission décidera s'il y a lieu de lui accorder une libération après examen des renseignements contenus dans son dossier, y compris toute observation écrite que le/la délinquant(e) pourrait vouloir faire.
À mon sens, ce document constitue un élément de preuve très important qui permettait à la Section d'appel de conclure comme elle l'a fait. Le demandeur fait grand état du fait que par lettre du 23 octobre 2001, la CNLC lui a confirmé par écrit que suite à sa demande de renonciation signée le 19 octobre 2001, son « cas » ne ferait pas l'objet d'une étude et qu'une date de revue avait été fixée en novembre 2003. Compte tenu des précisions fournies par le demandeur au formulaire de renonciation en question, il n'était pas déraisonnable de considérer que la lettre référait à la demande de libération conditionnelle totale seulement. S'il subsistait un doute dans l'esprit du demandeur, il a dû être dissipé lorsque celui-ci a signé plus tard une « Déclaration sur les garanties procédurales » à laquelle était annexé un document indiquant décembre '01 comme « date prévue de l'examen (audience ou étude du dossier) » . Il est vrai qu'au-dessus de la mention de « décembre '01 » , la case « audience » a été erronément cochée. Il n'était pas déraisonnable d'ignorer cette erreur sans importance, le demandeur sachant alors qu'il avait renoncé à une audience.
En ce qui concerne l'argument subsidiaire du demandeur, relativement au défaut de la CNLC d'agir équitablement à son endroit, je le trouve aussi sans fondement. Le document « Déclaration sur les garanties procédurales » , auquel était annexé le document intitulé « Mise à jour de la liste de vérification des renseignements à communiquer » , a dûment été reçu et signé par le demandeur le 6 novembre 2001. Par ces documents, le demandeur a dûment été informé des renseignements qui seraient utilisés lors de l'examen de décembre 2001, ainsi que de son droit de faire des représentations écrites à la CNLC en regard de cet examen. Le demandeur n'a pas indiqué souhaiter présenter d'observations écrites. Dans les circonstances, l'équité de procédure est sauve.
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La décision de la Section d'appel m'apparaît donc fondée sur tous les documents auxquels j'ai référé ci-dessus, lesquels constituent des éléments de preuve importants qui m'apparaissent avoir été raisonnablement interprétés, et ce, dans le respect du droit statutaire et réglementaire applicable. La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée, avec dépens.
JUGE
OTTAWA (ONTARIO)
Le 4 juillet 2003
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
NOMS DES AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-590-02
INTITULÉ : ROBERT LAUZON c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
LIEU DE L'AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L'AUDIENCE : Le 6 juin 2003
MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE : L'honorable juge Pinard
EN DATE DU : 4 juillet 2003
ONT COMPARU :
M. Robert Lauzon LE DEMANDEUR SE REPRÉSENTANT LUI-MÊME
Me Dominique Guimond POUR LE DÉFENDEUR
PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :
M. Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada
Ottawa (Ontario)