Date : 20031230
Dossier : IMM-6491-02
Référence : 2003 CF 1527
Ottawa (Ontario), le 30 décembre 2003
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JAMES RUSSELL
ENTRE :
NIRANJAN CLAUDE FABIAN
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Le demandeur, Niranjan Claude Fabian, sollicite une ordonnance de la Cour qui annulerait l'avis de danger émis par E.A. Arnott (la représentante du ministre), qui autorise le renvoi du demandeur du Canada. La présente demande de contrôle judiciaire porte sur la décision du 12 décembre 2002 (la décision), par laquelle la représentante du ministre a décidé que le demandeur constituait un danger pour le public au Canada, en application de l'alinéa 115(2)a) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (LIPR).
LE CONTEXTE
[2] Le demandeur est né à Wellawatte au Sri Lanka le 10 avril 1968. Il a vécu au Sri Lanka jusqu'en 1986, année où les autorités sri-lankaises l'ont arrêté pour la première fois (avec un ami), l'ont battu et torturé. L'ami avec lequel il a été arrêté a été par la suite assassiné par l'armée sri-lankaise.
[3] Afin de fuir le Sri Lanka, le demandeur a quitté pour l'Angleterre en 1986 où il est resté jusqu'en 1990. En 1990, croyant que la situation avait changé au Sri Lanka et qu'il ne courrait aucun risque à y retourner, il y est retourné pour chercher un emploi. Malheureusement, à son retour dans la région de Jaffna, il a été à nouveau arrêté pour la troisième fois et il a subi un interrogatoire intensif sur les activités qu'il avait menées lors de son séjour en Angleterre. À cette occasion, le demandeur a été accusé d'être un agent des Tigres de libération de l'Eelam tamoul (TLET) au Sri Lanka.
[4] Après sa libération par suite du paiement d'une rançon de quarante mille roupies, le demandeur a fui en direction du Canada, entrant au pays le 25 juin 1990, date à laquelle il a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention.
[5] Le demandeur est perçu comme ayant été entraîné en tant que terroriste responsable d'assassinats et dirigeant du VVT, un groupe criminel tamoul qui opère au Canada. Il a été reconnu comme réfugié au sens de la Convention le 21 mars 1991, avant que les faits précédemment mentionnés ne soient connus. Il est devenu résident permanent du Canada le 24 février 1995.
[6] En février 1998, le demandeur a été identifié par le Groupe de travail sur les Tamouls de la Police de la communauté urbaine de Toronto dans le rapport d'un projet pilote, Tamil Organized Crime, comme ancien agent d'exécution des assassinats commandés par les TLET, une organisation terroriste connue au Sri Lanka, et deuxième ou troisième dirigeant du VVT, un gang violent et criminel, actif dans la région du Grand Toronto et rival d'un autre gang criminel tamoul connu sous le nom de A. K. Kannan.
[7] Le 25 mars 1998, le demandeur a été déclaré coupable de trois infractions criminelles : complot en vue de commettre des voies de fait causant des lésions corporelles, complot en vue de commettre un acte criminel (fabrication d'un faux passeport canadien) et tentative d'entrave à la justice.
[8] Le demandeur a été condamné à des peines d'emprisonnement consécutives d'une durée totale de 16 mois. En prononçant la sentence, le juge Wake de la Cour de l'Ontario (Division provinciale) (maintenant Cour de justice de l'Ontario) a dit :
[TRADUCTION] Pour évaluer le caractère criminel des activités de M. Fabian et déterminer la peine qui convient, je dois tenir compte du fait qu'il était prêt, pour protéger son intérêt dans le commerce illégal de passeports, à aller jusqu'à faire usage de violence, ce qui aurait pu causer des blessures à des tiers innocents. L'étendue de ses activités criminelles et son état d'esprit criminel révèlent qu'il a bien peu de respect pour la loi.
En clair, si tel est son état d'esprit et celui des complices avec lesquels il menait ses activités criminelles, alors l'élément de dissuasion générale et de dissuasion spécifique a une très grande importance dans la détermination de la peine.
Il ne faut pas oublier que c'est cet état d'esprit criminel que révèlent les ententes qui servent de fondement aux accusations de complot et qui sont le mal que je dois prendre en considération pour déterminer la peine.
(Affidavit de Rehal, aux pages 93 et 94)
[9] En raison de ses déclarations de culpabilité au criminel, le demandeur a fait l'objet d'une ordonnance de renvoi du Canada le 25 août 1998, en application de l'alinéa 53(1)d) de la Loi sur l'immigration. Le demandeur souligne que, dans le Rapport sur l'avis du ministre qui a été porté à sa connaissance après la décision d'expulsion de 1998, le risque auquel il est exposé au Sri Lanka a été noté et qu'il a été conclu que, compte tenu de sa situation, il était exposé à un risque de traitement ou peines cruels et inusités s'il était renvoyé au Sri Lanka. Néanmoins, un avis que le demandeur représentait un danger pour le public au Canada a été émis malgré l'évaluation qu'il était exposé à des risques au Sri Lanka.
[10] À l'expiration de sa peine d'emprisonnement, le demandeur a été détenu en août 1998, en application des dispositions de l'ancienne Loi sur l'immigration. Il a sollicité un contrôle judiciaire de la décision de 1998 selon laquelle il représentait un danger pour le public et, le 8 mars 2002, l'avis de danger pour le public émis contre lui a été annulé par une ordonnance de la Cour fédérale. Il a par la suite été libéré sous conditions en juillet 2000. Cependant, dès août 2000, on a conclu qu'il n'avait pas respecté les conditions de sa mise en liberté, comme en a témoigné l'enquêteur de la Police de Toronto, Glen Furlong.
[11] En septembre 2001, le demandeur a été arrêté et accusé de fraude de plus de 5000 $ relativement à des cartes de crédit et d'abus de confiance relativement à un stratagème complexe mettant à profit la station-service où il travaillait. La police l'a mis sous garde à ce moment-là.
[12] En avril 2002, les accusations au criminel pour fraude de carte de crédit portées contre le demandeur ont été retirées mais sa détention a continué en vertu de l'ancienne Loi sur l'immigration. Le défendeur prétend que le demandeur n'a pas respecté les conditions de son ordonnance de mise en liberté en s'associant avec un criminel connu, un membre d'un gang de jeunes Tamouls. Le demandeur prétend qu'il a informé le défendeur de la rencontre en question immédiatement après qu'elle a eu lieu et que le défendeur, à ce moment-là, a décidé qu'il n'était pas nécessaire de le placer en détention une nouvelle fois. Néanmoins, le demandeur est resté en détention après le retrait des accusations au criminel qui pesaient contre lui.
[13] Pendant qu'il était en détention préventive en matière d'immigration, les motifs de sa détention prolongée ont été régulièrement examinés par les agents de la Section d'arbitrage et le tribunal qui lui a succédé, la Section de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié.
LA DÉCISION OBJET DU CONTRÔLE JUDICIAIRE
[14] Le 12 décembre 2002, la représentante du ministre a émis un avis en application de l'alinéa 115(2)a) de la LIPR que le demandeur constituait un danger pour le public au Canada. C'est la décision en question qui fait l'objet du présent contrôle judiciaire.
[15] La représentante du ministre a tenu compte de toutes les circonstances de l'affaire pour conclure que le demandeur ne risque pas la persécution, la torture ou des traitements ou peines cruels et inusités s'il est renvoyé au Sri Lanka et, en conséquence, elle a autorisé son renvoi dans le pays en question.
LES DISPOSITIONS PERTINENTES
[16] L'article 115 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, est rédigé comme suit :
Principe
115. (1) Ne peut être renvoyée dans un pays où elle risque la persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, la torture ou des traitements ou peines cruels et inusités, la personne protégée ou la personne dont il est statué que la qualité de réfugié lui a été reconnue par un autre pays vers lequel elle peut être renvoyée. |
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Protection
115. (1) A protected person or a person who is recognized as a Convention refugee by another country to which the person may be returned shall not be removed from Canada to a country where they would be at risk of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion or at risk of torture or cruel and unusual treatment or punishment. |
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115(2) Exclusion
(2) Le paragraphe (1) ne s'applique pas à l'interdit de territoire : |
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115(2) Exceptions
(2) Subsection (1) does not apply in the case of a person |
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a) pour grande criminalité qui, selon le ministre, constitue un danger pour le public au Canada; |
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(a) who is inadmissible on grounds of serious criminality and who constitutes, in the opinion of the Minister, a danger to the public in Canada; or |
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b) pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux ou criminalité organisée si, selon le ministre, il ne devrait pas être présent au Canada en raison soit de la nature et de la gravité de ses actes passés, soit du danger qu'il constitue pour la sécurité du Canada. |
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(b) who is inadmissible on grounds of security, violating human or international rights or organized criminality if, in the opinion of the Minister, the person should not be allowed to remain in Canada on the basis of the nature and severity of acts committed or of danger to the security of Canada.115(3) Renvoi de réfugié
(3) Une personne ne peut, après prononcé d'irrecevabilité au titre de l'alinéa 101(1)e), être renvoyée que vers le pays d'où elle est arrivée au Canada sauf si le pays vers lequel elle sera renvoyée a été désigné au titre du paragraphe 102(1) ou que sa demande d'asile a été rejetée dans le pays d'où elle est arrivée au Canada. |
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115(3) Removal of refugee
(3) A person, after a determination under paragraph 101(1)(e) that the person's claim is ineligible, is to be sent to the country from which the person came to Canada, but may be sent to another country if that country is designated under subsection 102(1) or if the country from which the person came to Canada has rejected their claim for refugee protection. |
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LES QUESTIONS EN LITIGE
[17] Le demandeur a soulevé les questions suivantes :
La représentante du ministre a-t-elle commis une erreur en concluant qu'il n'existait aucune preuve que les TLET avaient rendu un arrêt de mort contre le demandeur, malgré le fait qu'une preuve a été produite aussi bien sous forme de déclaration sous serment dans l'affidavit du demandeur que sous forme de lettre produite dans le cadre de la réponse à l'envoi de la représentante du ministre?
La représentante du ministre a-t-elle commis une erreur en appliquant le mauvais critère, en faisant une application erronée du critère ou en n'appliquant aucun critère pour décider qu'il y avait eu un changement de circonstances au Sri Lanka qui a fait que le demandeur n'était plus exposé à un risque au Sri Lanka?
La représentante du ministre a-t-elle commis une erreur en tirant des conclusions de fait sur la situation actuelle au Sri Lanka qui vont à l'encontre d'une partie importante de la preuve documentaire qui lui a été présentée et sans renvoyer aux éléments de preuve qui ont contredit ses conclusions?
La représentante du ministre a-t-elle commis une erreur en fondant entièrement sa décision relative aux chances de réadaptation du demandeur sur le fait qu'il avait été en liberté pendant une période trop courte pour justifier une prise en compte favorable et en ne tenant compte ni du témoignage sous serment du demandeur ni du témoignage de la soeur du demandeur à propos de son remords et de ses efforts pour changer sa vie?
La représentante du ministre a-t-elle commis une erreur en rendant une décision selon laquelle le demandeur était un danger pour le public et en fondant sa décision sur ce qui aurait pu se passer plutôt que sur ce qui s'était effectivement passé, fondant ainsi sa décision sur de pures conjectures plutôt que sur des éléments de preuve?
LA NORME DE CONTRÔLE
[18] La Cour doit d'abord décider de la norme de contrôle applicable.
[19] Dans Ahani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 72, la Cour suprême du Canada a dit :
16 Pour les motifs exposés dans Suresh, la norme de contrôle applicable à la première décision consiste à déterminer si elle est manifestement déraisonnable, [page 80] en ce sens qu'elle a été prise arbitrairement ou de mauvaise foi, qu'elle n'est pas étayée par la preuve ou que la ministre n'a pas tenu compte des facteurs pertinents. Le tribunal de révision ne doit ni soupeser à nouveau les différents facteurs ni intervenir uniquement parce qu'il serait arrivé à une autre conclusion. En appliquant l'analyse fonctionnelle et pragmatique prescrite dans Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, nous arrivons à la conclusion que le législateur a voulu conférer un grand pouvoir discrétionnaire au ministre quant à l'expression d'une opinion prévue à l'al. 53(1)b), et que sa décision n'est susceptible de contrôle judiciaire que si elle est manifestement déraisonnable.
17 De même, en ce qui a trait à la deuxième question, nous estimons que le tribunal ne peut modifier la décision du ministre que si elle n'est pas étayée par la preuve ou ne tient pas compte des facteurs appropriés. Le tribunal doit également reconnaître que la nature de l'examen peut limiter la preuve exigée. Même si l'expulsion d'une personne vers un pays où elle risque la torture met en jeu l'art. 7 de la Charte et, partant, revêt un caractère constitutionnel, la décision du ministre est en grande partie fondée sur les faits. Parmi les facteurs à considérer pour déterminer si M. Ahani s'expose à un risque sérieux de torture, il faut examiner les données sur le respect des droits de la personne dans le pays d'origine, le risque personnel couru par le demandeur, les assurances obtenues selon lesquelles il ne sera pas soumis à la torture, la valeur de ces assurances et, à cet égard, la capacité du pays d'origine de contrôler ses propres forces de sécurité. Ces questions échappent en grande partie au domaine d'expertise des tribunaux de révision et comportent un aspect juridique minime. Une grande retenue s'impose donc.
[20] Les deux parties conviennent que la norme de contrôle applicable aux questions en litige dans la présente demande est celle de la décision manifestement déraisonnable. En me fondant sur la décision Ahani, précitée, qui a examiné l'alinéa 53(1)b) de l'ancienne Loi sur l'immigration, la disposition qui a précédé l'alinéa 115(2)a) de la LIPR, je suis d'accord avec elles.
ANALYSE
Quel genre d'analyse est nécessaire en vertu de l'alinéa 115(2)a) de la LIPR?
[21] En vertu de la Loi sur l'immigration, un réfugié au sens de la Convention ne pouvait pas être renvoyé vers un pays qui avait été à l'origine du fait qu'il craignait avec raison d'être persécuté à moins que la représentante du ministre n'ait émis un avis en application de l'alinéa 53(1)d) que la personne en question représentait un danger pour le public au Canada. Avant l'arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (2002) 208 D.L.R. (4th) 1, de la Cour suprême du Canada, il était permis de renvoyer une personne vers un pays où elle risquait un traitement ou des peines cruels et inusités y compris la torture tant que le représentant du ministre était convaincu que la personne en question représentait un danger pour le public au Canada et, ce faisant, avait adéquatement apprécié les intérêts opposés qui étaient en cause.
[22] Dans l'arrêt Suresh précité, la Cour suprême du Canada a dit ce qui suit :
Dans la mesure où le Canada ne peut expulser une personne lorsqu'il existe des motifs sérieux de croire qu'elle sera torturée dans le pays de destination, ce n'est pas parce que l'art. 3 de la CCT limite directement les actions du gouvernement canadien, mais plutôt parce que la prise en compte, dans chaque cas, des principes de justice fondamentale garantis à l'art. 7 de la Charte fera généralement obstacle à une expulsion impliquant un risque de torture. Nous pouvons prédire que le résultat du processus de pondération sera rarement favorable à l'expulsion lorsqu'il existe un risque sérieux de torture. Toutefois, comme tout est affaire d'importance relative, il est difficile de prédire avec précision quel sera le résultat. L'étendue du pouvoir discrétionnaire exceptionnel d'expulser une personne risquant la torture dans le pays de destination, pour autant que ce pouvoir existe, sera définie dans des affaires ultérieures.
Suresh, précité, à la page 39.
[23] Vu les principes énoncés dans l'arrêt Suresh, précité, la représentante du ministre était obligée d'examiner la question de savoir si le demandeur risquait la torture à son retour au Sri Lanka.
[24] Une fois que la conclusion est tirée qu'une personne risque la torture à son retour dans le pays dont elle a la nationalité, une appréciation difficile et complexe des facteurs doit nécessairement suivre. Dans l'arrêt Suresh, précité, la Cour suprême du Canada a orienté cette analyse en énonçant que la Charte _ fera généralement obstacle _ au renvoi vers un pays où la personne en question risque la torture. Le demandeur prétend que la représentante du ministre a évité cette appréciation difficile et complexe en l'espèce en décidant tout simplement que le demandeur ne serait pas exposé à un risque s'il était renvoyé au Sri Lanka; le demandeur prétend également que les motifs donnés pour cette conclusion sont loin d'être suffisants et qu'ils ne tiennent pas compte de la preuve abondante du contraire.
[25] Le défendeur prétend que, contrairement aux observations du demandeur, celui-ci s'était vu accorder toutes les mesures de garantie procédurale conformes aux procédures énoncées dans l'arrêt Suresh, précité, bien qu'il n'ait présenté aucune preuve prima facie qu'il risquait la torture s'il était renvoyé au Sri Lanka. C'est seulement dans les cas où une personne a présenté une preuve prima facie que le risque de torture par suite du renvoi est réel que le représentant du ministre est tenu de fournir, entre autres, des motifs écrits _ répondant _ aux observations sur la question. Cette protection procédurale ne sera pas invoquée dans tous les cas parce que ce ne sont pas tous les cas d'expulsion de réfugié au sens de la Convention qui entraînent un risque qu'il soit porté atteinte au droit fondamental de la personne en cause d'être protégée contre la torture ou les traitements cruels semblables.
[26] Le défendeur prétend que le demandeur n'a pas présenté une preuve prima facie qu'il sera exposé à la torture ou à des traitements cruels semblables s'il devait retourner au Sri Lanka, mais qu'il a cependant bénéficié de toutes les mesures de garantie procédurale. En l'espèce, le défendeur prétend que, à la différence de l'arrêt Suresh, précité, la représentante du ministre a fourni des garanties procédurales appropriées en ce que le demandeur a été suffisamment informé de la procédure engagée contre lui, qu'il a eu l'occasion pleine et entière d'y répondre et qu'il a obtenu les motifs écrits de la décision (Ahani, précité).
En l'espèce, en quoi consiste la décision?
[27] Avant l'analyse de l'approche que la représentante du ministre a adoptée face à la présente question, il est avant tout nécessaire de déterminer en quoi consiste la décision elle-même. Les parties ne sont pas d'accord sur cette question fondamentale. Du point de vue du demandeur, la décision n'est rien d'autre que le document intitulé [TRADUCTION] _ Avis du ministre en application de l'alinéa 115(2)a) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés _, daté du 12 décembre 2002, préparé par la représentante du ministre E.A. Arnott, avec les deux pages du Rapport sur l'avis du ministre signées et datées du même jour par E.A. Arnott.
[28] Cependant, le défendeur prétend que la décision, c'est non seulement les documents précédemment mentionnés mais aussi la [TRADUCTION] _ Demande d'avis du ministre _ - A115(2)a), qui est un document présenté à l'attention de la représentante du ministre et qui a été signé le 24 octobre 2002 par Denise Bédard, une analyste. Ce document a reçu l'approbation, le 28 octobre 2002, de Graham Alldridge, un analyste principal de la Division de gestion de cas du défendeur.
[29] Je ne suis pas d'accord avec le défendeur sur la présente question. La Demande d'avis du ministre est, selon ses propres mots une [TRADUCTION] _présentation à la représentante du ministre [...] à l'appui d'une demande afin que la représentante du ministre donne un avis déclarant que [le demandeur] constitue un danger pour le public en application de l'alinéa 115(2)a) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés _.
[30] Dans l'Avis du ministre en date du 12 décembre 2002, la Demande d'avis du ministre est simplement inscrite sous le titre [TRADUCTION] _ Documents examinés et pris en compte _ comme le sont _ toutes les annexes, toutes les observations du client _.
[31] Autrement dit, la documentation même précise que la Demande d'avis du ministre est différente de l'Avis même. La Demande d'avis du ministre n'est même pas intégrée par renvoi; elle fait seulement partie des documents que la représentante du ministre a examinés et pris en compte.
La preuve du risque
[32] Dans la décision même, la question du risque est analysée comme suit :
[TRADUCTION] J'ai examiné les nombreux documents portant sur la situation au Sri Lanka. En ce moment, l'accord de paix est respecté et des progrès sont réalisés dans le règlement de cette guerre civile qui dure depuis si longtemps. Je suis convaincue que M. Fabian [le demandeur] ne sera pas exposé à un risque de persécution, de torture et de menace pour sa vie ou à un risque de traitement ou peine cruels et inusités de la part du gouvernement sri-lankais. Il n'existe aucune preuve que les TLET ont rendu un arrêt de mort contre M. Fabian.
[33] Ainsi, la question devant la Cour est de savoir si cet aspect de la décision est un examen approprié de la question du risque, en tenant compte de la preuve dont disposait la représentante du ministre et du droit du demandeur d'avoir un exposé clair des motifs.
[34] À cet égard, il faut se rappeler que la décision a été prise par un agent administratif et non par un tribunal administratif qui rend ses décisions après une audience contradictoire. Cette différence a été notée par la Cour d'appel fédérale dans Ozdemir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [2001] A.C.F. no 1646, 2001 CAF 331. Les paragraphes suivants du jugement rendu par le juge Evans dans l'instance précitée sont utiles pour la présente instance :
8 Quant au premier point, si l'on considère la totalité des documents dont disposait l'agente de révision, y compris les motifs qui ont conduit la Commission à rejeter la revendication du statut de réfugié présentée par M. Ozdemir, à savoir le peu de vraisemblance de son histoire et son manque de crédibilité, on constate que la preuve justifiait amplement la conclusion de l'agente de révision selon laquelle l'appelant ne serait pas en danger s'il était renvoyé en Turquie. La valeur probante de cette preuve nouvelle était relativement faible. Les allégations de l'épouse de M. Ozdemir à propos de l'intérêt constant que la police portait à son mari concernaient un incident qui s'était produit près de deux ans avant que l'agente de révision ne rende sa décision, et ces allégations ont été relayées par des parties tierces. La photographie publiée dans le journal n'était d'aucune valeur. Partant, on ne saurait dire que la décision de l'agente de révision a été prise en contravention de l'alinéa 18.1(4)d).
9 Quant au second point, qui était fondé sur l'insuffisance des motifs, si l'agente de révision était tenue par le devoir d'équité de motiver sa décision, elle a exposé des motifs suffisants pour s'acquitter de ce devoir. Un décideur n'est pas tenu d'expliquer, pour chaque preuve produite, les raisons pour lesquelles il n'a pas accepté telle ou telle d'entre elles. Il faut considérer l'importance relative de cette preuve par rapport aux autres éléments sur lesquels est fondée la décision : voir Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35.
10 Lorsqu'une preuve en particulier n'est pas expressément examinée dans les motifs d'une décision, la juridiction de contrôle n'en déduira pas nécessairement qu'elle a dû échapper au décideur, si la preuve en question confère peu de valeur probante aux faits qu'elle était censée établir, ou si elle se rapporte à des faits qui sont d'une importance mineure pour la décision ultime, étant donné les autres éléments qui soutiennent la décision.
11 En l'espèce, la preuve nouvelle n'était pas d'une importance suffisante ou d'une valeur probante au point que le devoir d'équité obligeait l'agente de révision à en disposer expressément dans ses motifs. D'ailleurs, il serait excessif d'exiger des agents de révision, en tant qu'agents administratifs, qu'ils motivent leurs décisions avec autant de détails que ceux que l'on attend d'un tribunal administratif qui rend ses décisions à la suite d'audiences en règle. À notre avis, les motifs exposés par l'agente de révision expliquent suffisamment le fondement de sa décision et n'autorisent pas la conclusion selon laquelle elle n'aurait pas tenu compte de tous les éléments dont elle disposait.
[35] Avec ces lignes directrices à l'esprit, si nous considérons la présente instance, la position du défendeur est que le demandeur n'a pas présenté la preuve prima facie qu'il sera exposé à la torture ou à d'autres traitements cruels, s'il était retourné au Sri Lanka, si bien que la représentante du ministre n'avait pas besoin de fournir des motifs écrits en rapport avec ses observations sur cette question. Quoi qu'il en soit cependant, le défendeur affirme que les motifs qui sont présentés et la conclusion qui est tirée sont suffisants lorsqu'on a à l'esprit la preuve dont disposait la représentante du ministre et la nature de la décision qu'elle devait rendre.
[36] En analysant le paragraphe pertinent de la décision, il m'apparaît évident que la décision ne dit rien sur le fait que le demandeur n'ait pas présenté de preuve prima facie de torture ou de traitements cruels si bien qu'aucune autre réponse suffisante n'était requise. Cette justification apparaît comme ayant été soulevée rétrospectivement et en réponse à la présente demande. La représentante du ministre fait clairement savoir qu'elle a [TRADUCTION] _ examiné les nombreux documents portant sur la situation au Sri Lanka _ et qu'elle est [TRADUCTION] _ convaincue que M. Fabian ne sera pas exposé à un risque de persécution, de torture et de menace pour sa vie ou à un risque de traitement ou peine cruels et inusités de la part du gouvernement sri-lankais _. Qui plus est, la représentante du ministre conclut également qu'il n'existe [TRADUCTION] _ aucune preuve que les TLET ont rendu un arrêt de mort contre M. Fabian _.
Le changement de circonstances
[37] Le demandeur, qui a été reconnu comme réfugié au sens de la Convention, a été à deux reprises considéré comme étant exposé à un risque s'il était renvoyé au Sri Lanka. Aussi la représentante du ministre doit-elle avoir adopté la position selon laquelle les conditions avaient changé dans le pays en question et que le demandeur n'était plus exposé à un risque. D'après le dossier, la représentante du ministre disposait d'une preuve contradictoire sur la question de savoir si les changements étaient effectifs et durables. Cependant, rien ne permet de présumer que la représentante du ministre n'a pas tenu compte de l'ensemble des documents dont elle disposait ou qu'elle n'a pas appliqué le critère approprié pour tirer la conclusion que [TRADUCTION] _ En ce moment, l'accord de paix est respecté et des progrès sont réalisés dans le règlement de cette guerre civile qui dure depuis si longtemps _. On peut ne pas accepter la présente conclusion, mais elle n'est pas manifestement déraisonnable.
[38] En ce qui concerne le caractère suffisant des motifs fournis relativement au changement de circonstances et au devoir d'équité, et en gardant à l'esprit les mots du juge Evans dans Ozdemir, précité, que le décideur et, en particulier, l'agent administratif _ n'est pas tenu d'expliquer, pour chaque preuve produite, les raisons pour lesquelles il n'a pas accepté telle ou telle d'entre elles _ et qu' _ [i]l faut considérer l'importance relative de cette preuve par rapport aux autres éléments sur lesquels est fondée la décision _, je conclus que les motifs avancés sur la question de savoir si le demandeur n'avait plus raison de craindre le gouvernement sri-lankais sont suffisants. Dans Lloyd Townsend c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [2003] A.C.F. no 516, 2003 CFPI 371, la juge Snider a examiné et analysé l'objet de l'exposé des motifs et a donné le résumé suivant au paragraphe 22 de sa décision :
22 L'exposé de motifs a pour objet d'indiquer à l'intéressé pourquoi une conclusion donnée a été tirée. Les motifs permettent aux parties de constater que les points soulevés ont été minutieusement examinés et d'exercer leur droit d'appel ou de révision judiciaire(Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [1999] 2 R.C.S. 817; VIA Rail, précité). Ce sont les circonstances de chaque cas qui diront si les motifs donnés sont adéquats (VIA Rail, précité). La nécessité d'exposer des motifs au regard du devoir d'équité est assez souple pour que diverses formes d'explications écrites de la décision répondent à cette exigence (Baker, précité, au paragraphe 40).
[39] Même si j'estime qu'en l'espèce la preuve du risque pour le demandeur n'avait pas _ peu de valeur probante _ et qu'elle ne portait pas sur des faits _ d'une importance mineure pour la décision ultime _, pour revenir aux mots du juge Evans dans Ozdemir, précité, et même si l'explication n'est pas aussi complète qu'elle aurait dû l'être, les motifs sont suffisamment clairs que, ayant examiné l'ensemble de la preuve documentaire, la représentante du ministre était convaincue que les circonstances avaient suffisamment changé au Sri Lanka pour que le demandeur ne soit exposé à aucun danger venant des forces gouvernementales s'il était renvoyé au Sri Lanka. Manifestement, il ne s'agit pas là d'une conclusion que le demandeur pouvait accepter, mais c'est une explication sur ce qui a entraîné la décision.
L'arrêt de mort rendu par les TLET
[40] En ce qui concerne l'aspect du risque lié aux TLET, la décision est plus contestable parce qu'elle affirme catégoriquement que [TRADUCTION] _ [i]l n'existe aucune preuve que les TLET ont rendu un arrêt de mort contre M. Fabian _. Du point de vue du demandeur, cette conclusion est manifestement déraisonnable parce qu'elle ne tient pas compte de la preuve que le demandeur a produite concernant l'arrêt de mort que les TLET ont rendu contre lui et elle ne fournit aucune explication sur la raison pour laquelle la preuve en question n'a pas été acceptée, alors qu'elle porte sur une question d'importance cruciale.
[41] Le défendeur cherche à réfuter ces objections en adoptant la position selon laquelle, en fait, il n'existait aucune preuve de l'arrêt de mort que les TLET auraient rendu. Tout ce que le demandeur a fait, c'est de soulever des allégations infondées sur un tel arrêt de mort. Ces allégations ne reposaient sur aucune preuve corroborante indépendante.
[42] La preuve que le demandeur a effectivement produite sur cette question consistait en son propre affidavit et en une lettre signée par Siva Sinniah du Refugees and Immigrants Information Centre Toronto Inc.
[43] L'affidavit du demandeur sur cette question est rédigé comme suit :
[TRADUCTION]
35. En plus de ma crainte du gouvernement sri-lankais, je crains également la persécution de la part des Tigres tamouls et j'ai appris que les Tigres ont rendu un arrêt de mort contre moi au cas où je retournerais au Sri Lanka. Cet arrêt de mort a été rendu lorsqu'un membre des Tigres tamouls est venu au Canada.
36. Les Tigres n'étaient pas contents de l'attention qui leur a été portée par suite des actes criminels que les membres des gangs de jeunes Tamouls ont commis à Toronto et qui ont reçu beaucoup de publicité. Pour mettre un terme aux activités en question, les Tigres ont rendu un arrêt de mort contre moi et contre d'autres Tamouls qui ont été déclarés coupables d'actes criminels. Si je retourne au Sri Lanka, je suis sûr d'être assassiné soit par le gouvernement du Sri Lanka soit par les Tigres tamouls.
37. La GRC m'a visité à la suite de mon arrestation pour fraudes en 2001 et j'ai subi un interrogatoire intensif sur les menaces de mort. Je suis sûr que je serai exécuté si je retourne au Sri Lanka.
[44] La lettre de Siva Sinniah est rédigée comme suit :
[TRADUCTION] Les TLET ont rendu des arrêts de mort contre sept membres du gang y compris Niranjan Fabian pour leur participation aux activités de gang au Canada. Le représentant des TLET en France nommé _ Sulka _, Pirathap de Toronto et trois autres membres ont eu des tractations avec les membres du gang en 1999-2000 [...]
Deux des grands journaux de langue anglaise ont publié au Sri Lanka que M. Fabian était impliqué dans une guerre de gang au Canada, cela serait très grave et sa vie est menacée. Les TLET prendront des mesures très sévères étant donné qu'il y a atteinte à leur réputation.
[45] L'acceptation de la preuve en question peut soulever des problèmes, mais la représentante du ministre aurait dû l'examiner quant à sa valeur probante ou à l'absence de valeur probante, dans la décision qu'elle a rendue, plutôt que d'éviter toute la question en affirmant catégoriquement _ [i]l n'existe aucune preuve [...] _ sur la question.
[46] Le juge Gibson a fait remarquer qu'un tribunal ne peut faire abstraction d'une preuve directement applicable à une question fondamentale Atwal c. Canada (Secrétariat d'État), [1994] A.C.F. no 1113 (CF 1re inst.) :
10 Il va sans dire qu'un tribunal n'est pas tenu de parler, dans ses motifs de décision, de tous les éléments de preuve portés à sa connaissance. Le fait qu'un tribunal omette de le faire ne permet pas, dans des circonstances normales, de conclure qu'il n'a pas tenu compte de toute la preuve produite. J'arrive toutefois à la conclusion que ce principe ne s'applique pas au défaut de faire mention d'un document pertinent qui constitue une preuve directement applicable à la question fondamentale traitée dans la décision du Tribunal. C'est ce qui s'est produit dans le cas qui nous occupe. Puisque le Tribunal n'a pas pris note de la déclaration sous serment du père du requérant au sujet de la composition de la famille, j'arrive à la conclusion qu'il a commis une erreur de droit ou qu'il a rendu une décision fondée sur une conclusion de fait erronée qu'il a tirée sans tenir compte de tous les éléments portés à sa connaissance [ Gill c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, no du greffe 92-T-1624, 31 mars 1994 (décision non publiée) [voir [1994] A.C.F. no 458.] Bien que cette affaire ne corresponde pas en tous points à la présente espèce, j'y ai exprimé certaines inquiétudes à propos du défaut de prendre note d'éléments de preuve documentaire pertinents.]
[47] Le défendeur soutient de manière spécieuse que [TRADUCTION] _ la preuve en question confère peu de valeur probante au fait pour lequel elle a été produite, est intéressée, est par ouïe dire et est fondée sur des conjectures telles que la représentante du ministre n'était pas tenue de l'examiner davantage qu'elle ne l'a fait dans ses motifs _. Je conclus que ce n'est pas le cas. Même si la preuve que le demandeur a produite était conjecturale, la représentante du ministre était tenue, sur cette question fondamentale, d'en prendre acte, à tout le moins, et de la rejeter.
[48] Il était manifestement déraisonnable de la part de la représentante du ministre d'affirmer que [TRADUCTION] _ [i]l n'existe aucune preuve que les TLET ont rendu un arrêt de mort contre M. Fabian _ sans apprécier de manière active et ouverte la preuve que le demandeur a produite et qui, en fait, a contredit la conclusion en question.
[49] Je conclus en conséquence que la représentante du ministre a commis une erreur manifestement déraisonnable en concluant qu'il n'existait aucune preuve que les TLET avaient rendu un arrêt de mort contre le demandeur.
La réadaptation
[50] Le demandeur fait remarquer que, dans la décision, la représentante du ministre a fait les commentaires suivants sur la question de la réadaptation :
[TRADUCTION] Sauf pendant la période allant du 24 juillet 2000 au 22 septembre 2002, depuis juin 1997, M. Fabian a été détenu soit par la Cour soit par l'Immigration. M. Fabian a été en liberté pendant une période trop courte pour me convaincre de sa réadaptation.
[51] Le demandeur prétend que cette affirmation révèle clairement que la représentante du ministre s'est carrément refusée à examiner la possibilité d'une réadaptation. Vu que la conclusion relative à la réadaptation était fondée sur le fait que le demandeur avait été en liberté pendant une _ période trop courte _, le demandeur prétend que la représentante du ministre doit avoir fait abstraction de la preuve par affidavit sur la réadaptation qui eu lieu pendant son incarcération.
[52] Les passages de l'affidavit du demandeur qui font mention de ses efforts de réadaptation lors de son incarcération sont d'un intérêt particulier. Au paragraphe 10 de son affidavit, le demandeur déclare :
[TRADUCTION] Lorsque j'étais en détention, j'ai réussi aux examens de mathématiques techniques de 12e année avec une moyenne de 80 %. J'ai également évolué dans mes études bibliques et je lisais régulièrement et méditais la bible et discutais de ma foi avec les autres personnes avec qui j'avais été incarcéré.
[53] Le demandeur a également fait mention de l'affidavit de Nilanthi Kanathasam, sa soeur, qui affirme aux paragraphes 8 et 9 ce qui suit :
[TRADUCTION] Pendant sa détention, j'ai constaté que Niranjan avait commencé à changer. Il a fait une nouvelle profession de foi chrétienne peu après son incarcération. Bien qu'il ait été élevé comme catholique, Niranjan s'est éloigné de l'Église au fil des ans et sa vie était devenue instable. Au moment où Niranjan avait été impliqué avec des jeunes amis Tamouls à Toronto et entraîné dans des activités criminelles, il s'était très éloigné de sa foi. J'ai donc pris sa nouvelle profession de foi comme un signe positif.
Mon frère a commencé à fréquenter les services de l'aumônier dans l'établissement où il a été incarcéré. Il a également commencé à participer à des études bibliques et à des réunions avec d'autres détenus en vue de discuter de leurs expériences et de leur foi. Avec le temps, j'ai pu constater que les changements que j'observais chez mon frère étaient plus profonds que j'avais cru au départ. Mon frère qui avait toujours été une tête dure et réticent à prendre les avis des autres était devenu plus réfléchi et perspicace. Nirajan, qui, dans le passé, s'emportait très facilement, s'est assagi. Il est à présent une personne plus réfléchie et prévenante qu'auparavant. Les impressions que j'avais sur la réadaptation de Nirajan lorsqu'il était en détention se sont confirmées après sa libération sous caution le 5 juillet 2000.
[54] Le demandeur prétend que la représentante du ministre n'a pas tenu compte de la preuve précédemment mentionnée en examinant la question de savoir si le demandeur s'est réadapté ou pas ou s'il a des chances de réadaptation.
[55] Le demandeur prétend qu'en se refusant à croire que le demandeur s'est réadapté sur le seul motif que la période qu'il a passée en _ liberté _ avait été trop courte, la représentante du ministre a dû faire abstraction de la preuve de la réadaptation qui a eu lieu lorsque le demandeur était incarcéré, étant donné que cette période était précisément exclue de l'examen fait par la représentante du ministre.
[56] Après examen des documents, je dois conclure que la représentante du ministre n'a commis aucune erreur à cet égard. La durée de la détention du demandeur est, en tout cas, très pertinente quant à l'évaluation de ses chances de réadaptation. Je suis d'accord avec le défendeur que l'affidavit de la soeur du demandeur est intéressé et partial. Rien ne laisse croire que la représentante du ministre n'a pas tenu compte de considérations importantes en examinant la question de la réadaptation.
Les conjectures
[57] Le demandeur a fait remarquer que, dans sa décision, la représentante du ministre a conclu comme suit :
[TRADUCTION] En fabriquant de faux passeports, il avait pu aider des terroristes et d'autres criminels à entrer au Canada. En entravant l'action de la justice, il avait pu aider d'autres criminels à rester au large et à commettre d'autres crimes.
(Dossier de requête, p. 634)
[58] Le demandeur prétend qu'une telle conclusion relève de simples conjectures. Il affirme que la représentante du ministre fonde son avis de danger sur le _ pire des scénarios _ de son dossier criminel. Le demandeur prétend que de telles conjectures amènent à des décisions déraisonnables et arbitraires. Le demandeur prétend que ce genre d'analyse est totalement inapproprié dans le contexte d'un avis émis en application de l'alinéa 115(2)a) de la LIPR.
[59] Le défendeur prétend que la Cour ne doit pas intervenir dans la conclusion de la représentante du ministre selon laquelle, en tant que membre d'un groupe du crime organisé, le demandeur avait pu _ aider des terroristes et d'autres criminels à entrer au Canada _ et _ avait pu aider d'autres criminels à rester au large et à commettre d'autres crimes _. La représentante du ministre disposait de suffisamment d'éléments de preuve pour justifier sa conclusion et, en l'absence d'erreur manifeste, la Cour ne doit pas intervenir.
[60] Je note que la représentante du ministre a particulièrement fait remarquer que le demandeur faisait le commerce illégal de faux passeports, un acte criminel que tout observateur raisonnable peut voir comme une activité qui pourrait être assimilée à de l'assistance aux terroristes. À mon avis, la représentante du ministre n'a commis aucune erreur susceptible de contrôle en ce qui concerne la présente question.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE que :
1. La présente demande de contrôle judiciaire soit accueillie et l'affaire renvoyée à un tribunal différemment constitué pour réexamen.
2. Aucune question ne soit certifiée.
_ James Russell _
Juge
Traduction certifiée conforme
Jean Maurice Djossou, LL.D.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-6491-02
INTITULÉ : NIRANJAN CLAUDE FABIAN
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE : LE MARDI 28 OCTOBRE 2003
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LE JUGE RUSSELL
DATE DES MOTIFS : LE 30 DÉCEMBRE 2003
COMPARUTIONS :
Joel Sandaluk POUR LE DEMANDEUR
Neeta Logsetty POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Mamann & Associates POUR LE DEMANDEUR
Avocats
Toronto (Ontario)
Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada