Date : 20041118
Dossier : IMM-9929-03
Référence : 2004 CF 1616
Toronto (Ontario), le 18 novembre 2004
En présence de Monsieur le juge Campbell
ENTRE :
GRACE CHIZOBA ALEXANDRIA
demanderesse
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] En l'espèce, la Section de la protection des réfugiés (SPR) a rejeté une demande de protection présentée par une demandeure d'asile adulte, Grace Chizoba Alexandria, ainsi que sa fille présumée de neuf ans, Rose Elizabeth Alexandria. La SPR a conclu que tant la demandeure principale que sa fille sont des citoyennes du Nigeria et elle a formulé comme suit leur crainte alléguée de persécution :
La principale demandeure soutient craindre que le père de son enfant, avec lequel elle ne s'est pas mariée, ne parvienne à faire subir à sa fille une mutilation des organes génitaux féminins (MGF). La demandeure a subi cette mutilation lorsqu'elle était jeune et ne veut pas que sa fille soit excisée. C'est pour cette raison qu'elle est venue au Canada.
(Décision, page 1)
[2] Il ressort du témoignage de la fille devant la SPR la crainte subjective d'une MGF que lui ferait subir son père. Comme il y avait incohérence entre la déposition de la demandeure principale et celle de sa fille, toutefois, la SPR a conclu que ni l'une ni l'autre d'entre elles ne disait la vérité. Je ne me prononcerai pas sur le caractère raisonnable ou pas de cette conclusion défavorable quant à la crédibilité.
[3] La SPR a néanmoins décidé d'assumer à juste titre une responsabilité de décisionnaire en agissant comme suit :
Nous ne croyons pas à l'histoire présentée au tribunal, mais nous devons néanmoins nous demander si Rose Elizabeth courrait un risque si elle devait rentrer dans son pays. D'après la preuve documentaire (pièce A-1, par. 5.2, page 81), les MGF régressent au Nigeria. Près de la moitié des femmes âgées entre 45 et 49 ans ont été circoncises, tandis que chez les femmes de moins de 30 ans, celles qui ont été mutilées ne représentent qu'un quart ou moins.
(Décision, page 3)
[4] J'estime que la SPR avait raison de conclure qu'il lui incombait de prendre une décision en application tant de l'article 96 que de l'article 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, pour ce qui est des éléments de preuve quant au risque toujours présents après qu'a été tirée la conclusion défavorable quant à la crédibilité. Comme la SPR a reconnu cette responsabilité, j'estime qu'elle aurait dû prendre en compte les éléments de preuve suivants : la fille de la demanderesse est Nigériane, elle est en bas âge et la MGF est très répandue au Nigeria. Pour ce qui est de ce dernier élément de preuve, l'énoncé suivant sur la situation régnant au Nigeria figure au dossier du tribunal et aurait dû, selon moi, être examiné attentivement par la SPR :
[traduction]
6.80 Le gouvernent s'oppose publiquement à la mutilation génitale des femmes (MGF). Le ministère de la Santé et des organisations non gouvernementales ont parrainé des programmes de sensibilisation et d'éducation visant à informer les collectivités des dangers pour la santé liés à la MGF. La MGF est une pratique traditionnelle de collectivités locales et, de ce fait, il s'est avéré difficile pour le gouvernement fédéral de s'y attaquer avec efficacité. Des collectivités de tous les principaux groupes ethniques et religieux du Nigeria pratiquent la MGF, mais cette pratique n'est pas universelle ni à l'échelle du pays tout entier. L'âge auquel les femmes et les jeunes filles subissent la MGF est variable; ce peut être depuis la première semaine qui suit la naissance jusqu'à après la première grossesse. Le ministère de la Santé, des organisations féminines et de nombreuses ONG ont parrainé des programmes de sensibilisation du public destinés à renseigner les collectivités sur les risques pour la santé de la MGF, et les médias ont à maintes reprises critiqué cette pratique.
6.81 Le gouvernement nigérian n'approuve pas la MGF mais aucune loi fédérale ne l'interdit et les autorités n'ont pris aucune mesure juridique pour freiner la pratique. Comme certaines collectivités estiment qu'il s'agit là d'une tradition de longue date, il pourrait être difficile pour le gouvernement de décourager la pratique tout en voulant démontrer du respect pour les traditions des groupes concernés. Puisqu'ils ne peuvent agir à l'échelon fédéral, les groupes s'opposant à la MGF tentent de porter leur action à l'échelon des États et des administrations locales. L'État Edo a interdit la MGF en octobre 2000. Les États Ogun, Cross River, Osun, Rivers, et Bayelsa ont également interdit la MGF. Les peines infligées sont toutefois minimes; dans l'État Edo, la peine consiste en une amende de 1 000 naira et de 6 mois d'emprisonnement. Les ONG ont pu constater qu'une fois la MGF déclarée constituer un crime par l'assemblée législative d'un État, il leur faut encore convaincre les administrations locales que les lois de l'État sont applicables dans leur district.
6.82 Au moins 50 % des femmes subissent une mutilation, selon le Centre des femmes en faveur de la paix et du développement (Women's Centre for Peace and Development ou (WOPED)). D'après des études menées par l'Organisation mondiale de la Santé des Nations Unies, environ 60 % des femmes du Nigeria ont subi la MGF. Les experts locaux ajoutent toutefois que jusqu'à 100 % des femmes subissent en fait la MGF dans certaines enclaves ethniques du sud du pays. Bien qu'elle soit pratiquée dans toutes les régions du Nigeria, la MGF a davantage cours dans le sud et dans l'est. Dans les États du nord les femmes sont moins susceptibles d'être mutilées, mais celles qui le sont ont davantage de chances de subir la forme de MGF la plus grave, connue sous le nom d'infibulation. Selon le WOPED, la pratique se perpétue en raison de la croyance culturelle selon laquelle les femmes non circoncises font preuve de promiscuité, sont malpropres, non désirables au plan sexuel et impropres au mariage ou pourraient constituer un risque pour leur propre santé ou celle de leurs enfants, particulièrement lors de l'accouchement. Le gouvernement et les ONG ont travaillé de concert pour éliminer la pratique et informer les travailleurs de la santé des répercussions de la MGF sur la santé. Ce dernier effort d'information a toutefois été assez restreint. Quoi qu'il en soit, la plupart des observateurs conviennent du fait qu'il y a diminution du nombre de femmes et de jeunes filles qui subissent la MGF.
(Dossier du tribunal, page 81)
[5] Il découle clairement des motifs dela SPR que celle-ci a reconnu sa responsabilité pour ce qui est de prendre en compte les trois éléments de preuve toujours présents après qu'a été tirée la conclusion défavorable quant à la crédibilité. Il est également clair toutefois qu'elle ne s'est pas acquittée de cette responsabilité; aucune conclusion n'a été exprimée. Ce défaut constitue, à mon avis, une erreur révisable qui rend la décision manifestement déraisonnable.
ORDONNANCE
Par conséquent, j'annule la décision du SPR et je renvoie les demandes de la demanderesse principale et de sa fille à un tribunal différemment constitué pour que celui-ci statue à nouveau sur l'affaire. J'ordonne qu'on établisse comment le nom des demanderesses doit être correctement orthographié et que le nom corrigé soit mentionné dans la nouvelle décision.
« Douglas R. Campbell »
Juge
Traduction certifiée conforme
Jacques Deschênes, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-9929-03
INTITULÉ : GRACE CHIZOBA ALEXANDRIA
demanderesse
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 18 NOVEMBRE 2004
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LE JUGE CAMPBELL
DATE DE L'ORDONNANCE : LE 18 NOVEMBRE 2004
COMPARUTIONS :
Ronald Poulton POUR LA DEMANDERESSE
Marina Stefanovic POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Ronald Poulton POUR LA DEMANDERESSE
Avocat
Toronto (Ontario)
Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
COUR FÉDÉRALE
Date : 20041118
Dossier : IMM-9929-03
ENTRE :
GRACE CHIZOBA ALEXANDRIA
demanderesse
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE