Date : 19990611
Dossier : T-1884-98
OTTAWA (ONTARIO), LE 11 JUIN 1999
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PELLETIER
ENTRE :
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,
demandeur,
- et -
ZINAIDA MINDICH,
défenderesse.
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
LE JUGE PELLETIER
[1] Zinaida Mindich, une citoyenne israélienne née en Ukraine, est une immigrante qui a obtenu le droit d'établissement le 29 juin 1994. Le 3 juillet 1997, elle a présenté une demande de citoyenneté. Elle a réussi à convaincre le juge de la citoyenneté qu'elle satisfaisait au critère de la citoyenneté, mais le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration n'est pas du même avis.
[2] Les faits sont relativement simples. En 1989, 1991 et 1992, Mme Mindich est entrée au Canada à titre de visiteuse pour rendre visite à son fils et à ses petits-enfants. En 1994, elle est venue au Canada à titre d'immigrante ayant obtenu le droit d'établissement. Une fois admise au Canada, elle a habité dans un appartement loué à Toronto qu'elle conserve pendant ses absences. Elle détient également un compte bancaire où peu de transactions apparaissent à part des dépôts effectués régulièrement qui suffisent à payer son loyer. La défenderesse a produit une déclaration de revenus pour l'année d'imposition 1997, dans lequel le seul revenu déclaré est un revenu de pension de source étrangère. Elle possède un numéro d'assurance sociale et une carte d'assurance maladie. Elle a un fils et des petits-enfants qui vivent au Canada.
[3] Malheureusement, le mari de Mme Mindich a été très malade et a dû recevoir des traitements en Israël. Ce fait est confirmé dans une lettre qui mentionne qu'il a été hospitalisé en mars et en avril 1997 à la suite de complications survenues au cours d'une thérapie anticancéreuse et de légers accidents cérébro-vasculaires.
[4] Mme Mindich déclare sur son questionnaire de résidence avoir été présente au Canada pendant les périodes suivantes :
Du 29 juin 1994 au 29 décembre 1994 183 jours |
Du 7 juin 1995 au 7 décembre 1995 183 jours |
Du 1er mai 1996 au 31 octobre 1996 183 jours |
Du 20 avril 1997 au 8 mars 1998 321 jours |
Voici comment se répartissent ses jours de présence au Canada aux fins du calcul de la durée de la résidence :
Date de la demande : 3 juillet 1997 |
Date de départ : 3 juillet 1993 |
Du 3 juillet 1993 au 2 juillet 1994- 0 jour |
Du 3 juillet 1994 au 2 juillet 1995- 206 jours |
Du 3 juillet 1995 au 2 juillet 1996- 219 jours |
Du 3 juillet 1996 au 2 juillet 1997- 193 jours |
Du 3 juillet 1994 au 3 juillet 1997 = 618 jours |
[5] Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration interjette appel de la décision par laquelle le juge de la citoyenneté a statué que Mme Mindich satisfaisait au critère de résidence prévu dans la Loi sur la citoyenneté (la Loi). Le ministre fait valoir que Mme Mindich n'a pas établi de résidence au Canada et que, dans le cas contraire, elle n'a pas été physiquement présente au Canada durant la période prescrite par la Loi.
[6] La disposition de la Loi applicable au présent litige est l'article 5 :
5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who |
5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois_: |
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[7] Bien que la Cour soit saisie d'un appel d'une décision rendue par un juge de la citoyenneté, il ne s'agit pas nécessairement d'une affaire où elle peut simplement substituer sa propre opinion à celle du juge de la citoyenneté. Comme l'a signalé mon collègue le juge Lutfy, dans l'affaire Lam c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [1999] A.C.F. 410, la Cour de la citoyenneté est un tribunal spécialisé et il faut faire preuve de retenue à l'égard de ses décisions étant donné l'expertise particulière qu'elle possède pour les affaires dont elle est saisie. Cela ressort des propos tenus par le juge Teitlebaum dans l'affaire Re Kerho, (1988), 21 F.T.R. 180, à la p. 184 :
... même si l'appel est effectivement un procès de novo, il appartient à l'appelant de prouver que le juge de la citoyenneté a exercé son pouvoir discrétionnaire en se fondant sur un principe erroné, en comprenant mal les faits ou pour toute autre raison majeure exigeant mon intervention. |
Au moment où le juge Teitlebaum a fait ses commentaires, les appels en matière de citoyenneté étaient entendus sous forme de procès de novo. Ces remarques sont encore plus pertinentes dans le cas d'un appel tranché à partir du dossier.
[8] La question en litige, sur laquelle les membres de la Cour ont exprimé des opinions divergentes, est l'interprétation des conditions de résidence. Une personne doit avoir résidé au Canada au moins trois ans en tout dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, mais laquelle des interprétations suivantes faut-il attribuer à cette condition?
1 - Une personne doit avoir été physiquement présente au Canada pendant au moins 1095 jours dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande (Re Harry, [1998] A.C.F. no 189, (1998) 144 F.T.R. 141 (1re inst.)). |
2. Une personne doit avoir centralisé son mode de vie au Canada pendant au moins trois ans avant la présentation de sa demande, peu importe si elle a été à l'extérieur du pays pendant plus d'un an dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande. Voir l'affaire Papadogiorgakis, [1978] 2 C.F. 208 (1re inst.). |
Les juges de la Cour adoptent l'une ou l'autre de ces approches, selon ce qu'ils jugent indiqué. Pour leur part, les juges de la Cour de la citoyenneté ont généralement tendance à privilégier l'approche moins restrictive mentionnée dans l'affaire Papadogiorgakis, précitée. Dans les affaires où le ministre interjette appel d'une décision d'un juge de la citoyenneté sur la question de la résidence, l'issue de l'appel peut très bien dépendre de l'approche privilégiée par le juge qui entend l'affaire.
[9] Pour le juge Lutfy, la solution tient à la norme de contrôle applicable et non pas à la question de savoir laquelle de ces approches est juste. Étant donné les divergences de vues parmi les membres de la Cour fédérale, la décision d'un juge de la citoyenneté ne sera pas erronée du seul fait qu'il a choisi une approche plutôt que l'autre. Le rôle du juge qui entend l'appel consiste à vérifier si le juge de la citoyenneté a correctement appliqué le critère qu'il a choisi. J'estime que ce point de vue définit bien la question en litige, et c'est pourquoi je l'adopte.
[10] Dans sa décision, le juge de la citoyenneté a donné les motifs suivants :
[Traduction] |
Il manque 476 jours à la demanderesse sur les 1095 jours requis. Elle s'est absentée pour visiter son mari, qui est malade (voir les documents annexés). Il s'agit de son deuxième mari - il ne demande pas la citoyenneté. Les seuls parents qu'elle a sont un fils qui vit à Toronto et qui s'occupe d'elle et une fille qui vit à New York. Elle a obtenu un permis de retour pour résident permanent lors de ces absences. Il semble que son seul foyer soit chez son fils à Toronto. Ce sont les membres de la famille de son deuxième mari, qui vit en Israël, qui prennent soin de lui. Suivant l'approche du juge Thurlow, elle remplit les conditions de résidence. |
[11] Dans sa demande de citoyenneté, Mme Mindich a déclaré qu'elle s'était absentée du Canada pendant les hivers 94-95, 95-96 et 96-97 pour visiter ses enfants en Israël. Dans son questionnaire de résidence, elle a indiqué : [Traduction] " ... je vais en Israël pour une seule raison. Mon mari est malade et hospitalisé en Israël et je ne peux pas le déplacer ". Il y a donc incompatibilité entre les explications fournies par Mme Mindich concernant ses absences du Canada.
[12] Mme Mindich a également mentionné dans son questionnaire de résidence : [Traduction] " mon fils et mes petits-enfants sont les seuls parents que j'ai à part mon mari, qui est malade. " Cette déclaration est incompatible avec les commentaires faits par le juge de la citoyenneté au sujet d'une fille qui vit à New York et avec une autre déclaration de la défenderesse suivant laquelle elle s'est absentée du pays pour visiter ses enfants en Israël.
[13] Le juge de la citoyenneté n'a pas examiné la nature et la qualité des attaches de Mme Mindich avec le Canada, mais s'est plutôt concentré sur ses liens de parenté, qui sont pour le moins ambigus. La preuve de l'attachement de Mme Mindich avec le Canada semble être constituée entièrement d'éléments relativement passifs. Elle a un appartement depuis le 1er mai 1996. Elle déclare avoir habité avant cette date dans un endroit qu'elle disait louer, situé au 5, rue Fisherville, app. 1004, Toronto (Ontario). Dans le dossier relatif à son admission, elle a mentionné le nom de son fils comme personne qui accepte de lui fournir de l'aide au Canada. L'adresse de son fils est le 5, rue Fisherville, app. 1004, Willowdale (Ontario). Ce qui semble indiquer qu'elle a seulement eu sa propre adresse au Canada pendant un peu plus d'un an dans les quatre ans qui ont précédé sa demande.
[14] Mme Mindich détient un compte bancaire où peu de transactions sont enregistrées à part ses paiements de loyer. Elle a une carte d'assurance maladie et un numéro d'assurance sociale. Rien ne semble indiquer qu'elle possède des biens au Canada. Sa source de revenu est une pension qui semble provenir de l'extérieur du Canada.
[15] L'ensemble de la preuve ne suffit pas pour établir l'existence d'un attachement comme celui décrit par le juge en chef adjoint Thurlow (tel était alors son titre) dans l'affaire Papadogiorgakis. Elle permet plutôt de conclure que Mme Mindich a un pied-à-terre au Canada pour qu'il lui soit plus facile de visiter son fils tout en conservant son mode de vie en Israël. Le dossier fournit peu d'éléments de preuve qui permettraient de conclure que Mme Mindich a centralisé son mode de vie au Canada pendant les trois ans qui ont précédé sa demande de citoyenneté. Bien qu'il faille faire preuve d'une certaine retenue à l'égard de l'appréciation faite par le juge de la citoyenneté de la qualité de l'attachement de Mme Mindich avec le Canada, il m'est impossible de souscrire à sa conclusion. Par conséquent, j'accueille l'appel du ministre.
[16] Pour terminer, je note dans le dossier que Mme Mindich ne s'est pas présentée à l'audition de l'appel. L'affidavit de signification de l'avis de demande ne mentionne pas que l'avis de demande a été signifié à personne à Mme Mindich. Elle a cependant déposé par la suite un avis de comparution pour indiquer son intention de s'opposer à la demande. En vertu de la règle 147, je suis prêt à considérer la signification comme valide pour le motif que le dépôt de l'avis de comparution constitue une preuve que Mme Mindich a pris connaissance de l'avis de demande. Le greffe a avisé Mme Mindich par courrier ordinaire de la date de l'audience. L'avocate du ministre a informé la Cour qu'une personne a téléphoné à son bureau au nom de Mme Mindich, disant que l'appel l'inquiétait et qu'elle ne savait pas quoi faire. On lui a apparemment conseillé de communiquer avec la Cour fédérale pour obtenir de plus amples renseignements. Aucun élément du dossier n'indique qu'elle aurait communiqué avec la Cour.
[17] Dans certaines circonstances, la Cour pourrait refuser d'accorder la réparation sollicitée par un demandeur lorsque son droit à réparation a été établi grâce à l'absence du défendeur, qui avait pourtant connaissance de la tenue de l'audience. Ce n'est toutefois pas le cas en l'espèce, principalement parce que Mme Mindich peut présenter une autre demande de citoyenneté n'importe quand. La présente décision n'entraîne pas la déchéance des droits que pourrait faire valoir Mme Mindich au-delà de la présente demande.
" J.D. Denis Pelletier "
Juge
Traduction certifiée conforme
Laurier Parenteau, LL.L
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
NUMÉRO DU GREFFE : T-1884-98
INTITULÉ DE LA CAUSE : MCI c. Zinaida Mindich
LIEU DE L'AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE : Le 18 mai 1999
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE PRONONCÉS PAR MONSIEUR LE JUGE PELLETIER
EN DATE DU : 11 juin 1999
ONT COMPARU :
Me Marianne Zoric Pour le demandeur
Aucune comparution pour la défenderesse
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Morris Rosenberg Pour le demandeur
Sous-procureur
général du Canada