Date : 20010510
Dossier : T-256-98
Référence neutre: 2001 CFPI 463
ENTRE:
ANTOINE ZARZOUR
Demandeur
- et -
SA MAJESTÉ LA REINE
Défenderesse
MOTIFS DE JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Le demandeur a intenté une action par voie d'une déclaration déposée le 16 février 1998 afin d'obtenir des dommages intérêts et une déclaration que la partie défenderesse a violé ses droits fondamentaux et lui a causé des préjudices moraux irréparables.
FAITS PERTINENTS
[2] Le demandeur est actuellement détenu au pénitencier fédéral La Macaza où il purge une peine d'emprisonnement à perpétuité depuis 1977. Depuis, 1987, le demandeur a pu bénéficier de plusieurs mises en liberté sous condition.
[3] Le 17 avril 1997, la Commission nationale des libérations conditionnelles (ci-après "CNLC"), permettait au demandeur de participer à un programme mensuel de permissions de sortir sans escorte, pour une durée de douze mois.
[4] Le demandeur est sorti à sept reprises consécutives, aux dates qu'il choisissait.
[5] Le procès, dans la présente affaire, s'est étendu sur plusieurs jours et douze témoins ont été entendus pour éclairer la Cour sur les faits ayant donné naissance à la présente action.
[6] Selon les différents témoins, il appert que M. Zarzour a quitté l'institution La Macaza le matin du 5 décembre 1997, pour se rendre en taxi à la station d'autobus et de là, à la gare centrale à Montréal, où il est arrivé aux environs de 12h30. Par la suite, M. Zarzour a fait un détour par la Cour fédérale du Canada où il a déposé un document et au volant de la voiture qui lui avait été louée par son père, il s'est rendu au bureau du Service Correctionnel Ville-Marie, où il est arrivé vers les 14h00. C'est à cet endroit qu'il a été mis en état d'arrestation pour avoir fait des menaces à l'encontre d'un avocat du ministère de la Justice. Par la suite, il a d'abord été amené au poste de police de Pierrefonds pour ensuite être transféré à la prison Bonsecours. Le lendemain, 6 décembre 1997, il a été transféré au centre de détention à Rivière des Prairies pour être finalement transféré, le mardi 9 décembre 1997, à l'Institution Leclerc.
[7] Bien que M. Zarzour ait été déplacé à plusieurs reprises en quelques jours, il s'agissait d'une procédure relativement normale dans les circonstances, suite à l'annulation de son permis de sortie.
[8] Dans les jours suivants, M. Zarzour a appris qu'un rapport visant la suspension de ses sorties avait été préparé et envoyé à la CNLC et qu'un rapport final quant aux menaces serait envoyé ultérieurement.
[9] Avant d'aller plus loin, voyons maintenant pourquoi les autorités pénitentiaires ont pris la décision de mettre fin au permis de sortie dont bénéficiait M. Zarzour.
[10] M. Daniel Perreault est agent de la sécurité préventive depuis onze ans et il travaille depuis vingt ans pour le Service Correctionnel, toujours au pénitencier La Macaza.
[11] M. Perreault précise, dans son témoignage, que son travail consiste à mener des enquêtes de sécurité en matière de renseignement, à préparer des rapports de renseignements et de sécurité, à maintenir et à former des réseaux d'informateurs, et à valider l'information et enquêter sur les différents sujets, à la demande du directeur et du sous-directeur.
[12] M. Perreault précise que le 4 décembre 1997, en avant-midi, un agent correctionnel lui transmet une information reçue d'un informateur à l'effet qu'un détenu allait s'en prendre à un ou des procureurs. M. Perreault ajoute que, dans le cours de son travail, il reçoit beaucoup d'informations et qu'il doit les traiter et les évaluer.
[13] Il a donc tenté d'évaluer la crédibilité de l'informateur et à cet effet, il a vérifié ses antécédents en téléphonant le Service de renseignements du Service de Police de la Communauté Urbaine de Montréal. Il a alors appris que la source qui lui avait transmise l'information, avait été en contact avec des policiers dans le passé et que les informations transmises avaient été positives et avaient permis la saisie d'armes et aussi d'obtenir des informations dans un cas de meurtre. M. Perreault précise que ces informations ont été vérifiées dans l'après-midi du 4 décembre 1997.
[14] L'information reçue était vague et il ne pouvait pas encore la relier à un détenu en particulier. Il mentionne avoir informé le sous-directeur et la directrice, verbalement, de cette information reçue et il pouvait évaluer cette information comme étant considérée digne de confiance.
[15] Le 5 décembre 1997, il s'est rendu à la cuisine, une deuxième fois, et a rencontré le même agent qu'il avait rencontré la veille, lequel l'a informé que son informateur lui avait transmis le nom de l'individu qui aurait fait des menaces; il s'agissait du demandeur M. Zarzour. M. Perreault a immédiatement informé le directeur et le sous-directeur de l'information reçue, puisque ces derniers étaient déjà tous deux à la cafétéria.
[16] À peu près au même moment, M. Christian Gamache, agent correctionnel, est venu aviser la directrice qu'elle avait reçu un appel. La directrice du pénitencier a mentionné qu'elle devait appeler M. Réjean Tremblay et elle a demandé à M. Perreault de la suivre pour participer à l'appel conférence. Avant de loger son appel, elle a demandé à M. Perreault de lui dresser un portrait rapide de M. Zarzour parce qu'elle venait d'apprendre que ce dernier était en absence temporaire. La directrice a ensuite rejoint M. Tremblay, lequel l'a avisé que la conseillère juridique, Madame Ginette Colin, avait reçu un appel du ministère de la Justice concernant une menace éventuelle à l'endroit d'un de ses procureurs et que la GRC avait été également informée par le ministère de la Justice, de l'existence d'une menace éventuelle.
[17] Il y eut ensuite des discussions entre la directrice, M. Tremblay, Madame Ménard et le Service Correctionnel Ville-Marie, où devait se rendre le demandeur à 14h30. M. Perreault mentionne qu'il a dû s'absenter de la conférence téléphonique afin de trouver les personnes qui pourraient donner leur avis sur les mesures à prendre dans les circonstances. Il recherchait Madame Huguette Comtois qui n'était pas présente et Madame Murielle Lemire, son adjointe, laquelle n'était pas vraiment en mesure de conseiller adéquatement sur les circonstances. C'est finalement Madame Michèle Boutet, coordonnatrice de gestion de cas, qui lui a donné les informations pertinentes.
[18] M. Perreault est retourné dans le bureau de la directrice et a dressé un portrait quant à M. Zarzour. Il a réaffirmé que la source d'information était fiable, il a parlé de la nature de l'information, son importance, le court délai également qu'ils avaient pour prendre une décision, sachant que M. Zarzour devait rencontrer le Service Correctionnel Ville-Marie à 14h30; ils avaient donc entre une heure et une heure et demie pour décider et pour analyser les différentes possibilités.
[19] La GRC qui était au courant de la situation, avait envisagé de mettre en place une filature, mais l'option a été mise de côté, vu le court délai.
[20] En révisant le dossier de M. Zarzour, il a également été mentionné à la réunion que ce dernier avait été en liberté illégale, déjà dans le passé, en 1991, qu'il était emprisonné pour un crime à connotation violente, soit un meurtre, et que l'ensemble de tous ces facteurs ont amené M. Perreault à recommander à la directrice de mettre fin à l'absence temporaire.
[21] Madame Audette Gravelle-Dunburry, directrice du pénitencier qui a témoigné également, a confirmé en tous points le témoignage de M. Perreault et a ajouté qu'elle n'avait jamais reçu une confirmation totale et définitive à l'effet que les menaces présumées s'étaient avérées non fondées. D'après elle, on ne le sait pas et on ne le saura jamais, ils ont procédé à l'arrestation et la menace est disparue avec l'absence de liberté.
[22] Après la rencontre, M. Perreault mentionne être retourné à son bureau en fin d'après-midi et avoir pris connaissance de son courrier. C'est à ce moment qu'il a trouvé une lettre anonyme d'un détenu et il mentionne en passant, en recevoir souvent. Cette lettre n'était pas dans une enveloppe, mais pliée. Elle mentionnait que M. Zarzour devait ramener des stupéfiants à son retour de sortie. On parlait de cocaïne et d'héroïne. M. Perreault ne peut mentionner les quantités, une telle information pouvant permettre d'identifier l'informateur.
[23] Il y avait d'autres informations sur d'autres activités illicites à l'intérieur du document. Il a été en mesure de donner de la crédibilité à cette lettre, parce qu'elle corroborait les informations recueillies par une enquête en cours sur du trafic de stupéfiants, du prêt de tabac et de la collecte de tabac.
[24] Il a informé la directrice et le directeur-adjoint en fin d'après-midi, vers 16h30, de cette nouvelle information reçue.
[25] M. Perreault mentionne avoir reçu une deuxième lettre anonyme datée du 7 décembre 1997. Il semblait que se soit la même source, avec le même langage utilisé. Sommairement, la lettre mentionnait que M. Perreault aurait mal travaillé, puisqu'il n'avait pas attendu le retour de M. Zarzour et l'entrée de stupéfiants. La lettre ajoutait que puisque les stupéfiants n'étaient pas entrés dans le pénitencier, comme prévu, il y aurait des problèmes.
[26] Le lendemain, le 8 décembre 1997, une autre source, soit la même qui avait transmis l'information sur les menaces à l'endroit du procureur du ministère de la Justice, a mentionné que M. Zarzour devait ramener de la drogue au pénitencier.
[27] À ce moment, la rumeur courait déjà dans le pénitencier que M. Zarzour avait été arrêté parce qu'il devait ramener des stupéfiants au pénitencier. Le 8 décembre 1997, une autre source d'information s'est manifestée, également digne de confiance. Cette autre information était à l'effet que M. Zarzour devait ramener des stupéfiants et on indiquait pour qui précisément les stupéfiants devaient être rapportés. M. Perreault mentionne qu'il s'agissait peut-être de rumeurs, mais la source était digne de confiance.
[28] Un rapport écrit fut signé le 9 décembre 1997 et contre-signé par M. Jacques et Madame Dunburry, respectivement directeur adjoint et directrice du pénitencier. Tous les trois considéraient l'affaire sérieuse en matière de stupéfiants et ils recommandaient d'enquêter de façon plus approfondie.
[29] Plus tard, la directrice a demandé à M. Perreault d'aller rencontrer M. Zarzour à l'Institution Leclerc pour faire enquête. Cette rencontre a eu lieu le 12 décembre 1997 et M. Perreault était accompagné de M. Guimond. M. Perreault a mentionné à M. Zarzour les informations qu'il avait recueillies et c'est M. Zarzour qui lui a mentionné le nom de M. Louis Sébastien qui était l'avocat impliqué dans ses dossiers, à la Cour fédérale. Ils ont discuté les informations reçues de différentes sources et M. Zarzour lui a mentionné que l'information quant aux menaces n'étaient pas crédibles. M. Perreault lui a demandé si des détenus l'avaient pris en grippe dans le pénitencier et d'après M. Perreault, M. Zarzour lui a mentionné que plusieurs détenus pouvaient avoir senti des signes d'impatience de la part de M. Zarzour, parce qu'il mettait beaucoup d'énergie aux recours qu'il avait en Cour fédérale et son attitude pouvait avoir été mal interprétée par des personnes qui auraient entendu ces commentaires.
[30] M. Perreault a témoigné qu'il avait trouvé M. Zarzour très convaincant et qu'il considérait que la réponse et les explications étaient satisfaisantes et qu'il ne voyait aucun élément pour continuer à l'interroger sur la question des menaces. Cependant, il y avait beaucoup d'informations sur une éventuelle entrée de stupéfiants et à cet effet, M. Perreault témoigne que M. Zarzour était très mécontent et qu'il affirmait que Perreault s'était trompé et qu'il se cherchait une porte de sortie.
[31] M. Zarzour a été confronté ensuite avec l'information à l'effet qu'il devait rencontrer Madame Gisèle Busseau, conjointe d'un détenu, soupçonné de trafic. M. Zarzour a expliqué qu'il aidait le détenu et son épouse à préparer les procédures en libération conditionnelle. L'individu en question avait été mêlé à du trafic d'héroïne et avait été transféré dans un pénitencier à sécurité maximum.
[32] De retour à son bureau, M. Perreault avait une autre lettre anonyme provenant du même informateur. Cette lettre discutait assez longuement de l'entrée avortée de stupéfiants, et de la participation d'un autre détenu, M. Gunner, à une tentative avortée d'entrée de stupéfiants. La lettre parlait également des dettes accumulées de plusieurs détenus et des problèmes qui surviendraient au retour de M. Zarzour au pénitencier.
[33] M. Perreault a témoigné ensuite que M. Zarzour est revenu au pénitencier le 17 décembre 1997 et qu'il a réintégré la population générale le 18 décembre 1997. Il mentionne avoir recommandé le retour en population normale après l'avoir laissé en isolement une journée. Il a rencontré le Comité des détenus, certains détenus qui détenaient des postes-clé dans le pénitencier, d'autres détenus influents dans la population carcérale et personne parmi ces gens, ne voyait de difficulté à ce que M. Zarzour réintègre la population carcérale générale.
[34] M. Perreault rappelle que le 6 janvier 1998, soit un peu plus de deux semaines plus tard, suite à une enquête sur une entrée éventuelle de stupéfiants, en coopération avec la Sûreté du Québec, une saisie a eu lieu chez la conjointe d'un détenu, de 56 grammes de hachisch. Ce hachisch devait être acheminé à l'intérieur du pénitencier, sous un camion. Les différents événements reliés à des entrées possibles de drogue ont fait qu'une grande quantité de drogue dont l'entrée était prévue à l'intérieur du pénitencier, ne s'est pas produite, ce qui a causé des pertes d'argent importantes et a également provoqué des problèmes importants à l'intérieur du pénitencier.
[35] M. Perreault a expliqué, lors de son témoignage, que le prix de vente de la drogue à l'intérieur du pénitencier est quinze fois plus élevé que sur le marché de la rue. Il s'ensuit des collectes, de l'intimidation, le climat général du pénitencier s'en ressent, certains détenus ne peuvent payer leurs dettes et ils demandent de la protection. Tout cela contribue à activer la machine à rumeurs.
[36] Il rappelle que le 21 décembre 1997, il y a eu un incendie dans la salle des arts et artisanat où les détenus ont des cases avec leurs outils. Le feu a été mis face à deux cases de détenus considérés des trafiquants. Cet événement était considéré comme très grave et démontrait que les trafiquants avaient des difficultés suite aux événements. Des enquêtes policières subséquentes n'ont pas permis de retrouver les coupables.
[37] Par une décision du 24 décembre 1997, la CNLC annulait le programme de permission de sortie sans escorte du demandeur en se basant sur le rapport préliminaire du Comité de révision interne de La Macaza et des informations fournies par M. Perreault et ses "informateurs".
[38] Au moment de l'audience du 21 janvier 1998, la CNLC a procédé à un réexamen du dossier du demandeur et, à la lumière, entres autres, des événements mentionnés précédemment, la CNLC a décidé, après avoir entendu la version du demandeur, de maintenir l'annulation de la permission de sortir sans escorte du demandeur.
[39] Le 21 janvier 1998, M. Perreault a témoigné devant la CNLC, à leur demande.
[40] M. Zarzour suggère également dans ses procédures et dans son témoignage que M. Perreault aurait tenté de l'intimider pour qu'il laisse tomber la présente action et également qu'il aurait obtenu que le demandeur soit écroué en ségrégation administrative en avril 1998 et finalement, que M. Perreault aurait exercé des pressions sur lui pour qu'il devienne un de ses informateurs en établissement. Toutes ces affirmations de la part de M. Zarzour n'ont pu être corroborées par d'autres personnes et ont été vigoureusement niées par M. Perreault lui-même.
[41] Les nombreux témoins entendus ont témoigné sur les faits mentionnés précédemment et sur plusieurs autres circonstances périphériques entourant ces événements sur lesquels je ne crois pas utile de revenir.
PRÉTENTIONS DU DEMANDEUR
[42] Essentiellement, M. Zarzour prétend que la défenderesse et particulièrement M. Perreault, a agit avec malveillance, malhonnêteté et un manque de soucis total en ce qui a trait au respect de la sécurité personnelle du demandeur et au respect de ses garanties constitutionnelles reconnues aux articles 7, 9, 11d) et 12 de la Charte canadienne des droits et libertés.
[43] M. Zarzour prétend que M. Perreault a agi de façon négligente dans cette affaire et qu'il a gravement manqué à son devoir et à son obligation de bien vérifier la qualité des informations reçues, de ses sources dites crédibles et dignes de confiance, avant de condamner le demandeur.
[44] Le demandeur allègue, quant aux motifs de son arrestation, que les informations relatives à une entrée de drogues étaient tout au plus le résultat de rumeurs spéculatives émanant de la population et des informateurs de M. Perreault.
[45] Le demandeur soutient également que la négligence, le manque de responsabilité et la malveillance de M. Perreault ont eu pour effet d'induire la CNLC en erreur, et le 24 décembre 1997 et le 21 janvier 1998, provoquant ainsi des décisions lourdes de conséquences pour le demandeur et sa famille puisqu'il aurait dû en principe être remis en semi-liberté à la fin de son programme de permission de sortie sans escorte.
PRÉTENTIONS DE LA DÉFENDERESSE
[46] La défenderesse soutient que les dirigeants du pénitencier sont parfaitement aptes à juger de la dangerosité d'une situation. À cet effet, elle soutient également que M. Perreault n'a commis aucune négligence et a agi en tout temps en conformité avec la loi.
[47] La défenderesse allègue que la crédibilité des informations reçues est toujours évaluée.
[48] Il est soumis également que la CNLC n'est absolument pas liée par les informations fournies par le Service Correctionnel du Canada et qu'elle prends ses décisions en évaluant elle-même la crédibilité de ces informations.
[49] La défenderesse soumet finalement que les dommages exemplaires réclamés sont grossièrement exagérés et dénués de tout fondement.
QUESTIONS EN LITIGE
[50] Suite à la décision du Juge en chef adjoint rendue le 2 mars 2000, les conclusions recherchées par le demandeur ont été ramenées à deux points essentiels:
a) Les droits constitutionnels du demandeur ont-ils été violés?
b) Y a-t-il des dommages subis par le demandeur?
La défenderesse a-t-elle violé les droits constitutionnels du demandeur prévus au articles 7, 9, 11d) et 12 de la Charte canadienne des droits et liberté?
[51] L'article 7 de la Charte canadienne des droits et liberté indique ce qui suit:
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.
[52] L'article 9 prévoit:
9. Chacun a droit à la protection contre la détention ou l'emprisonnement arbitraires.
[53] Le paragraphe 11d) mentionne:
Tout inculpé a le droit:
d) d'être présumé innocent tant qu'il n'est pas déclaré coupable, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l'issue d'un procès public et équitable;
[54] Et finalement, l'article 12 indique:
12. Chacun a droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités.
ANALYSE
[55] Le point de départ de l'action présentement devant la Cour est l'arrestation du demandeur en date du 5 décembre 1997.
[56] D'entrée de jeu, il est important de noter immédiatement que le demandeur, au paragraphe 4 de sa plaidoirie écrite, reconnaît la légalité de l'arrestation effectuée le 5 décembre 1997, mais le demandeur considère cependant que c'est par la suite que les choses se sont gâtées et il considère de ce fait que ses droits ont été brimés à partir du moment où sa détention, d'après lui, est devenue arbitraire et que les autorités n'ont pas pris les moyens pour rectifier la situation en sa faveur.
[57] Sans reprendre la séquence des événements qui se sont produits entre le 5 décembre 1997 et le 21 janvier 1998, il m'apparaît que les autorités pénitentiaires ont respecté en tous points la loi et les règlements quant au demandeur, M. Zarzour.
[58] À cet effet, bien que les nombreux déplacements entre le bureau du Service correctionnel Ville-Marie, le poste de police de Pierrefonds et les trois autres établissements pénitentiaires, ont sûrement créé des inconvénients au demandeur, ce dernier n'a pas réussi à démontrer que ses droits constitutionnels ont été violés et qu'il en a subi un dommage.
[59] Le principal chef de réclamation du demandeur tient particulièrement à l'attitude qu'aurait eue, à son endroit, M. Daniel Perreault, agent de sécurité préventive au pénitencier.
[60] En gros, M. Perreault a recueilli de nombreuses informations tant avant l'arrestation de M. Zarzour, soit à partir du 4 décembre 1997, que dans les jours qui ont suivi son arrestation, jusqu'à la date de l'audition devant la CNLC, soit le 21 janvier 1998.
[61] M. Perreault a témoigné longuement devant la Cour et a expliqué, avec beaucoup de précision et de professionnalisme, la façon avec laquelle il procédait, à la fois à la cueillette des informations, à leur analyse et à s'assurer que les autorités pénitentiaires étaient maintenues au courant de ses recommandations.
[62] L'agent de sécurité préventive dans un pénitencier n'a pas une tâche facile, il doit recueillir des informations, de différentes sources, lesquelles informations ont un degré de fiabilité variable.
[63] La gestion de ces informations permet à M. Perreault et à ses supérieurs, ainsi qu'à l'ensemble du personnel du pénitencier, de s'assurer d'une gestion efficace, à la fois du pénitencier et des événements susceptibles de venir troubler la gestion générale de l'établissement.
[64] M. Perreault a expliqué que dès le 12 décembre 1997, soit la date de la rencontre qu'il a eue avec M. Zarzour, suivant son arrestation, il avait été convaincu par M. Zarzour, le demandeur, que les informations à l'effet qu'il aurait pu menacer un ou des procureurs du ministère de la Justice, n'apparaissaient pas fondées et je le cite:
Qu'il a trouvé très convainquant M. Zarzour et qu'il considérait que la réponse et les explications étaient satisfaisantes et qu'il ne voyait aucun élément pour continuer à interroger sur ce sujet.
Évidemment, ce témoignage était toujours en rapport avec les menaces à l'endroit des avocats du ministère de la Justice.
[65] Cependant, M. Perreault a réitéré, à de nombreuses reprises, que les informations quant à une entrée éventuelle de stupéfiants avaient continué d'arriver, à son bureau, de différentes sources et qu'il ne pouvait écarter du revers de la main la possibilité que M. Zarzour puisse être impliqué dans le trafic de stupéfiants.
[66] M. Perreault a expliqué les événements ayant entouré l'interception d'un autre détenu, M. Gunner et la saisie d'une autre quantité de drogue qui devait entrer au pénitencier sous une voiture.
[67] Il a également expliqué que l'incendie à l'intérieur du pénitencier avait créé beaucoup de tension parmi la population carcérale et qu'il n'avait pas trouvé déraisonnable d'associer cette nervosité collective au fait que des entrées de drogue devant se faire au pénitencier avaient été empêchées grâce à la vigilance du personnel.
[68] M. Perreault a également témoigné et expliqué, en long et en large, les raisons qui l'ont motivé à préparer le rapport du 9 décembre 1997 ainsi que le rapport suivant, daté du 5 janvier 1998.
[69] De plus, M. Perreault a expliqué dans quel cadre il avait témoigné devant la CNLC et qu'à ce moment, il avait témoigné au meilleur de sa connaissance d'après les informations qui lui étaient disponibles, à ce moment là.
[70] Malgré les accusations sérieuses de la part du demandeur à l'effet que M. Perreault et certaines autres personnes auraient agi de mauvaise foi, je ne peux malheureusement pas retrouver dans la preuve une corroboration pouvant supporter les prétentions du demandeur, à cet effet.
[71] Concernant les accusations de mauvaise foi quant à l'attitude de M. Perreault, je dois mentionner que la rédaction des paragraphes de la plaidoirie écrite du demandeur est très tendancieuse à l'effet que M. Perreault aurait tout fait pour causer des préjudices au demandeur. Malheureusement, ces allégations ne sont pas supportées par la preuve. Le fait qu'on ait interrogé M. Preston Gunner, un co-détenu, qui avait été intercepté avec de la drogue qu'une autre personne aurait introduite dans le pénitencier afin de savoir s'il avait des relations avec le demandeur, était tout à fait normal dans les circonstances, compte tenu des informations reçues par M. Perreault, à ce moment. Cela ne constitue aucunement de la malveillance ou une faute lourde et n'enfreint aucunement les droits du demandeur en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés.
[72] Il est difficile également de reprocher à M. Perreault de ne pas avoir recommandé que le demandeur puisse retrouver sa permission de sortir du pénitencier puisque de toute façon, il devait y avoir une audition devant la CNLC et que M. Perreault lui-même continuait de recevoir des informations de différentes sources quant à une entrée éventuelle de stupéfiants.
[73] Quant à l'allégation faite par le demandeur à l'effet que M. Perreault avait tenté de le recruter comme informateur, cette information a été niée par M. Perreault et rien dans la preuve ne vient supporter la thèse du demandeur.
[74] Quant à la question à savoir que le demandeur s'était présenté au Casino de Montréal, à quelques reprises, lors de ses sorties antérieures, il semble que cette information n'était pas partagée par l'ensemble du personnel des services correctionnels travaillant dans l'environnement du demandeur, mais cela, de toute façon, ne représente à mes yeux qu'une question périphérique au débat. Il ne m'apparaît pas utile d'en tirer quelque conclusion que ce soit pour les fins de la présente action.
[75] En ce qui concerne l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, le demandeur ne conteste plus la légalité de son arrestation le 5 décembre 1997. De plus, il a été informé des allégations à l'effet qu'il aurait proféré des menaces, mais n'a cependant pas été informé des allégations de complot de trafic de stupéfiants. Il a cependant été informé des informations reçues quant au trafic de stupéfiants, le 12 décembre suivant, lors de sa rencontre avec M. Perreault et avec M. Guimond. À ce moment, il a eu l'occasion de nier ces accusations et également faire ses représentations pour démontrer que les allégations de menace n'avaient pas de sens, selon lui.
[76] Dans l'affaire Gough v. Canada (National Parole Board), [1991] 2. C.F. 117 (C.F. 1ère Inst.), le juge Reed a précisé:
Il est de droit constant que, tant en common law qu'en vertu de l'article 7 de la Charte, les règles de justice fondamentale exigent qu'un particulier ait le droit de connaître l'accusation portée contre lui dans un processus décisionnel qui conduit à une diminution de sa liberté. La Commission admet que si le requérant n'était pas un libéré conditionnel, ce serait une violation flagrante des droits qu'il tient de la Charte que de le priver de sa liberté sans lui donner les détails des allégations qui sous-tendent cette privation. Simultanément, l'avocat du requérant souligne que son client serait dans une meilleure position s'il avait été accusé d'infractions criminelles relativement aux incidents allégués. si des accusations avaient été portées, il y aurait lieu à l'obligation de révéler les noms des victimes et de divulguer avec une certaine précision les dates, l'époque et les lieux des événements.
L'obligation de permettre à un particulier de connaître l'accusation portée contre lui et d'avoir la possibilité d'y répondre s'impose non seulement pour empêcher les abus des gens qui portent de fausses accusations mais aussi pour assurer à l'accusé qu'il ne fait pas l'objet d'un traitement arbitraire. [...]
Les garanties prévues à l'article 7 vont varier selon les circonstances.
Il est clair que les exigences de justice fondamentale couvrent un large spectre. La teneur de ces exigences varie selon les circonstances de l'affaire. La Cour d'appel fédérale a bien précisé cette idée dans l'affaire Howard c. Président du tribunal disciplinaire des détenus de l'établissement de Stony Mountain, (1984) 2 C.F. 642, à la page 661 :
... à mon avis, la norme à respecter pour répondre aux exigences de l'article (article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés) en matière de procédure n'est pas nécessairement la procédure la plus parfaite, la plus subtile ou la plus élaborée qu'on puisse imaginer, mais simplement en fait une procédure qui soit fondamentalement équitable. Ce que cela exigera ne manquera pas de varier selon la situation particulière et la nature du dossier. Un tribunal impartial, la connaissance par la personne dont la vie, la liberté ou la sécurité sont menacées de l'accusation contre laquelle elle doit se défendre, une occasion raisonnable de se défendre et une décision prise à la lumière de la preuve produite à l'appui de l'accusation et de la défense présentée à l'encontre de cette accusation, sont autant de caractéristiques d'une telle procédure.
[77] Pour ce qui est de cet argument, je ne suis pas convaincu qu'il y ait eu violation de l'article 7.
[78] Au sujet de la sécurité du demandeur, G.-A. Beaudoin, dans Les droits et libertés au Canada, Wilson & Lafleur, Montréal, 2000, indique à la page 288:
Le droit à la sécurité a été interprété de façon très large jusqu'à maintenant. La sécurité de l'individu comporte un aspect physique et un aspect psychologique. Dans l'arrêt Morgentaler, la Cour suprême précise bien que: « [...] toute tension psychologique grave causée par l'État[...] » constitue une atteinte à la sécurité.
[79] En l'espèce, le demandeur argumente qu'on a porté atteinte à sa sécurité et liberté. Cependant, s'il peut être déterminé que l'atteinte a été faite selon les principes de justice fondamentale, comme c'est le cas ici, l'atteinte aux droits du demandeur ne constituera pas une violation de la Charte canadienne des droits et libertés, d'autant que le demandeur ne conteste plus la légalité de son arrestation.
[80] Au sujet de l'article 11d), le demandeur argumente qu'il avait le droit d'être présumé innocent et que ses droits ne devaient pas être restreints avant d'avoir eu la preuve de sa culpabilité. Le demandeur argumente que les droits qui ont été violés sont le droit de sortie de la fin de semaine du 5 décembre 1997 et le droit de participer au programme de permission pour sortir sans escorte.
[81] L'article 11d) ne s'applique pas pour ce qui est de l'arrestation du demandeur. Le critère est prévu à l'article 117 et n'exige pas la preuve de culpabilité du demandeur afin de procéder à son arrestation. Le critère est que la Directrice devait être convaincue qu'il était nécessaire de le réincarcérer pour protéger la société, compte tenu de renseignements qui ne pouvaient raisonnablement avoir été communiqués à la CNLC lorsque la permission de sortir sans escorte avait été accordée.
[82] Ainsi, l'article 11d) n'a pas été violé. Si le demandeur veut contester le fait que son droit de participer au programme de permission pour sortir sans escorte a été injustement suspendu sur la base d'informations spéculatives, le demandeur doit procéder par contrôle judiciaire de la décision de la CNLC.
[83] Finalement, l'article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés fut défini ainsi dans l'affaireRodriguez v. British Columbia (Attorney General), [1993] 3 S.C.R. 519:
In order to come within the protection of s. 12, the appellant must demonstrate two things: first, that she is subjected to treatment or punishment at the hands of the state, and second, that such treatment or punishment is cruel and unusual. [...]
The degree to which "treatment" in s. 12 may apply outside the context of penalties imposed to ensure the application and enforcement of the law has not been definitively determined by this Court. In R. v. Smith, [1987] 1 S.C.R. 1045, in which this Court struck down the minimum seven-year sentence for importing narcotics, Lamer J. (as he then was) referred to the lobotomisation of certain dangerous offenders and the castration of sexual offenders as examples of "treatment" which would be contrary to s. 12 as opposed to punishment. Even granting that there may be a distinction in purpose between punishments such as imprisonment or lashings, which involve the convicted person paying his debt to society for the wrong he has committed, and the examples of treatment offered by Lamer J. which are arguably primarily concerned with protecting society from the offender, I would note that these treatments are still imposed by the state in the context of dealing with criminal behaviour.
[...]
Certain decisions of lower courts have held that "treatment" should be seen to have a much broader scope than "punishment". In Soenen v. Director of Edmonton Remand Centre (1983), 6 C.R.R. 368 (Alta. Q.B.), a case dealing with restrictions imposed on an accused in remand custody while awaiting trial, McDonald J. stated as follows, at p. 372:
In my view the word "treatment" is not limited in its breadth by the word "punishment".... Moreover, the word "treatment" is a more general word than "punishment", and there is no apparent common denominator between the two which, even if the order of the words were reversed, could call the ejusdem generis rule into play.
Similarly, in R. v. Blakeman (1988), 48 C.R.R. 222 (Ont. H.C.), Watt J. held that, at a preliminary level, subjecting an ill individual to a trial may be cruel treatment. He commented as follows, at p. 239:
"Treatment" connotes any conduct, action or behaviour towards another person. It is a word of more expansive or comprehensive import than is its disjunctive partner "punishment", in that it extends, or potentially so, to all forms of disability or disadvantage and not merely to those imposed as a penalty to ensure the application and enforcement of a rule of law.
[84] Dans R. v. MacDonald, [1997] O.J. No. 1806, il fut conclu:
The criterion to be applied in determining whether a punishment is cruel and unusual within the meaning of s. 12 of the Charter is whether the punishment prescribed is "so excessive as to outrage standards of decency": Smith v. The Queen (1987), 34 C.C.C. (3d) 97 (S.C.C.) at 139 per Lamer J. (as he then was). The test for s. 12 Charter review is thus one of gross disproportionality: it is aimed at punishments that are more than merely excessive.
[85] Dans le cas en l'espèce, je ne peux conclure que le demandeur a été soumis à un traitement ou peine cruel et inusité, eu égard aux allégations du demandeur.
[86] J'ai lu avec attention la plaidoirie écrite du demandeur et il appert que M. Zarzour invoque à partir du paragraphe 66 de sa plaidoirie écrite des préjudices subis par lui-même et par son père.
[87] Je dois rappeler au demandeur que si son père souhaitait réclamer des dommages du défendeur, il devait prendre lui-même action pour les réclamer et qu'il ne peut le faire par l'entremise de son fils. En effet, il peut y avoir des dommages et il est possible également qu'un même fait puisse occasionner des dommages, à deux ou plusieurs personnes, cependant, il revient à chacune de ces personnes d'intenter un recours à l'encontre de la personne ou de l'institution de qui on réclame pour ledit dommage.
[88] Je dois donc rejeter toutes les allégations pour réclamation de dommages pour le père du demandeur, puisque ce dernier n'est pas partie à la présente action.
[89] J'ai déjà mentionné plus haut qu'il apparaissait évident qu'au cours de la séquence des événements entre le 4 décembre 1997 et le 21 janvier 1998, le demandeur a subi plusieurs inconvénients, suite à son arrestation survenue le 5 décembre 1997.
[90] Cependant, pour réussir dans son action, M. Zarzour devait démontrer de façon claire, le dommage qu'il avait subi et comment ce dommage pouvait être compensé par une somme d'argent quelconque.
[91] Cependant, le demandeur, malgré des efforts louables, n'a pas réussi à rencontrer l'obligation qu'il avait de faire une démonstration claire et limpide du dommage qu'il avait subi et d'autre part, il n'a pas réussi, non plus, à démontrer que les services correctionnels en général et M. Daniel Perreault, en particulier, puisque c'est la personne particulièrement visée par l'action du demandeur, avait commis une faute ayant entraîné un dommage pour le demandeur.
[92] M. Zarzour a retourné chaque pierre pour tenter de démontrer à la Cour que certains des agissements des préposés de la défenderesse avaient été malveillants et lui avaient causé un préjudice. À cet effet, il n'avait pas la tâche facile.
[93] Cependant, la défenderesse, par l'entremise de ses différents préposés, a expliqué, de façon très détaillée, les circonstances ayant entouré l'arrestation du demandeur et la suspension de son droit de sortie. Ces explications ont également permis à la Cour de comprendre en détails, de quelle façon les autorités pénitentiaires doivent gérer les informations et les différents types de menace qu'ils reçoivent de temps à autre et quels sont les gestes que les autorités pénitentiaires doivent poser de temps à autre pour assurer une saine gestion de leur institution.
[94] Le demandeur n'est pas sans savoir que lorsqu'un détenu n'est pas satisfait par une décision administrative rendue par la défenderesse, il peut prendre un recours en contrôle judiciaire pour faire casser cette décision; il n'a d'ailleurs pas hésité à avoir recours à ce droit et à l'exercer avec une certaine efficacité par le passé.
[95] Cependant, la Cour n'avait pas à analyser l'ensemble des événements survenus au cours des années d'incarcération du demandeur, mais devait se limiter aux faits allégués et aux conclusions recherchées.
[96] À cet effet, je n'ai aucune hésitation à conclure, comme je l'ai dit précédemment, que les droits fondamentaux reconnus par la Charte canadiennes des droits et libertés pour le demandeur, n'ont pas été violés par les agissements des préposés de la défenderesse et que d'autre part, le demandeur n'a pas réussi à démontrer qu'il avait subi un dommage lié aux agissements des préposés de la défenderesse.
[97] En conséquence, je n'ai d'autre choix que de rejeter l'action du demandeur, avec dépens.
Pierre Blais
Juge
OTTAWA, ONTARIO
Le 10 mai 2001