Date : 20050117
Dossier : IMM-2116-04
Référence : 2005 CF 50
Ottawa (Ontario), le 17 janvier 2005
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY
ENTRE :
PETER UHUANGHO et JUSTINA UHUANGHO
demandeurs
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
[1] M. et Mme Uhuangho visent à obtenir le contrôle judiciaire de la décision de l'agente d'immigration G. St. Hilaire, datée du 19 février 2004, laquelle a rejeté leur demande d'exemption, présentée en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), pour faire une demande de résidence permanente, de l'intérieur du Canada, fondée sur des raisons d'ordre humanitaire.
[2] Les Uhuangho sont originaires du Nigeria. Ils sont arrivés au Canada en 1997 et ils ont revendiqué le statut de réfugiés au sens de la Convention. Leur demande a été rejetée et on ne leur a pas accordé l'autorisation de demander le contrôle judiciaire de cette décision. Ils ont eu une fille, Edna, née en mars 1999, et un fils, Maxwell, né en juillet 2002. En décembre 2001, le couple a présenté sa demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire (CH). On a également procédé à une évaluation des risques avant renvoi (ERAR) qui était toujours en cours à la date ou l'agente St. Hilaire a rendu sa décision.
[3] Dans leur demande CH, les Uhuangho ont présenté un grand nombre de références provenant de membres de l'église et de la communauté ainsi que de la documentation concernant leur épanouissement personnel, par des études et du bénévolat, de même que des renseignements au sujet des problèmes relatifs aux droits de la personne au Nigeria. Leurs motifs pour demander d'être exemptés des exigences relatives au visa d'immigrant comprenaient la crainte pour leur sécurité personnelle au Nigeria, les difficultés financières auxquelles ils feraient face s'ils devaient demander la résidence de l'extérieur du Canada, le traumatisme émotionnel dont ils souffriraient s'ils étaient renvoyés et le préjudice que leurs enfants nés au Canada subiraient si les demandeurs étaient persécutés dans leur pays d'origine.
[4] En 2003, M. et Mme Uhuangho ont eu la possibilité de fournir des renseignements additionnels avant la fin de l'évaluation et, plus particulièrement, de fournir des détails quant à la nature des risques personnels auxquels ils feraient face s'ils retournaient au Nigeria. Comme l'avocate des demandeurs n'était pas certaine de la procédure à suivre, du fait de la transition vers la LIPR et de la demande d'ERAR qui était alors en cours, elle a choisi de concentrer ses observations sur les facteurs autres que le risque et elle a demandé à l'agente d'accorder aux Uhuangho une entrevue personnelle pour leur permettre de répondre aux préoccupations qu'elle pouvait avoir relativement à leur demande. Un autre ensemble de lettres d'appui a été soumis, de même que d'autres renseignements concernant le niveau d'instruction des demandeurs.
[5] L'agente a décidé d'achever son évaluation sans convoquer les Uhuangho en entrevue. Elle a conclu qu'il n'y avait pas suffisamment de motifs pour justifier une renonciation aux exigences relatives au visa de résident permanent énoncées au paragraphe 11(1) de la LIPR.
Les questions en litige :
[6] La principale question en litige dans le cadre de la présente demande est celle de savoir si l'agente a commis une erreur en ne prenant pas correctement en compte l'intérêt supérieur des enfants nés au Canada. Dans les observations écrites sur lesquelles on n'a pas insisté en plaidoirie, M. et Mme Uhuangho ont prétendu que l'agente avait manqué à son obligation d'équité à leur égard en ne leur accordant pas d'entrevue personnelle et qu'elle avait entravé l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en prenant en considération des directives pour rendre sa décision.
[7] Il n'était pas nécessaire que l'agente accorde une entrevue personnelle aux demandeurs pour examiner équitablement leur demande. Comme il a été mentionné au paragraphe 8 de l'arrêt Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] 2 R.C.F. 635 (C.A.F.), « [l]e demandeur qui invoque des raisons d'ordre humanitaire n'a pas un droit d'être interviewé ni même une attente légitime à cet égard » . Par conséquent, il n'y a eu aucun manquement à l'obligation d'équité sur ce point. Toutefois, dans les circonstances particulières de l'espèce, il aurait peut-être été souhaitable que l'agente rencontre les Uhangho avant de rendre une décision.
[8] Les demandeurs ont également fait valoir que les directives[1] que l'agente a mentionné avoir pris en compte pour rendre sa décision imposaient des règles obligatoires plutôt que de fournir des indications et que leur nature même avait entravé l'exercice de son pouvoir discrétionnaire. Selon les demandeurs, les directives vont beaucoup plus loin que de simplement guider et établir un code de conduite que les agents d'immigration doivent suivre. Le défendeur soutient, et je suis d'accord avec lui, que rien dans la preuve qui m'a été présentée n'indique que le pouvoir discrétionnaire de l'agente avait été entravé de quelque façon que ce soit par les directives. Les directives ne lient pas le décideur et elles constituent un outil administratif utile : Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration [2002] 4 C.F. 358 (C.A.), au paragr. 20.
L'intérêt supérieur des enfants
[9] Lors de l'audition de cette affaire à Calgary le 17 novembre 2004, j'ai interrogé les avocats à l'égard de l'état de la demande d'ERAR en cours puisque l'agente St. Hilaire, dans son appréciation, semblait avoir mis de côté toute considération relativement aux facteurs de risque. Les motifs écrits de l'agente pour rejeter la demande CH indiquent que, lors de son examen, elle n'a évalué que les facteurs autres que le risque [traduction] « [p]arce que les renseignements additionnels reçus ne concernaient que l'aspect humanitaire de leur demande [...] » . Toutefois, les premières observations CH avaient mentionné des facteurs de risque et il aurait été préférable, à mon avis, que l'agente examine le rapport d'ERAR avant de rendre sa décision.
[10] Après l'audience, l'avocate des demandeurs a avisé la Cour par lettre qu'une décision d'ERAR défavorable avait été rendue le 21 juin 2004 et qu'elle avait été signifiée à M. Uhangho le 9 décembre 2004. La Cour a également été avisée que, dans une lettre datée du 9 décembre 2004 qu'ils ont reçue d'un agent d'exécution de la loi en matière d'immigration de Winnipeg, où ils résident présentement, les Uhuangho étaient invités à présenter des observations écrites concernant les risques qu'encourraient les enfants s'ils devaient accompagner leurs parents dans leur pays d'origine, puisque ces risques [traduction] « [...] n'avaient pas encore été analysés » .
[11] Dans ces motifs, l'agente St. Hilaire a fait ces commentaires au sujet de l'intérêt des enfants Uhuangho :
[traduction]
L'intérêt supérieur des deux enfants des demandeurs, nés au Canada, a été examiné. Leur fille a presque cinq ans et leur fils a un an et demi. Ils n'ont pas encore l'âge de reconnaître ou d'expérimenter des liens ou de l'attachement envers un pays. Comme tous les enfants de leur âge, leur attachement vise leurs parents. Naturellement, l'intérêt supérieur des enfants serait qu'ils soient avec leurs parents. Je suis convaincue que les enfants sont assez jeunes pour s'adapter sans éprouver de problèmes à un déménagement au Nigeria avec leurs parents. Leurs enfants conserveront toujours leur citoyenneté canadienne peu importe où ils résideront.
[12] Les demandeurs soutiennent que la décision ne satisfait pas à la norme de la décision raisonnable simpliciter énoncée dans l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817. La conclusion de l'agente, selon laquelle les enfants sont assez jeunes pour s'adapter sans éprouver de problèmes à un déménagement au Nigeria avec leurs parents, minimise l'intérêt des enfants et ne résiste pas à un examen assez poussé.
[13] Les demandeurs ajoutent que la preuve documentaire indépendante au sujet de la situation au Nigeria faisait partie du dossier. Elle aurait dû être expressément examinée au regard de l'intérêt des enfants. La preuve documentaire indique que le Nigeria ne constitue pas un endroit où des enfants canadiens auraient peu de difficulté à s'adapter. Il y a également de la violence entre les musulmans et les chrétiens. Dans l'ensemble, les documents présentés à l'agente ont satisfait au fardeau et à la norme de preuve mentionnés par la Cour d'appel dans l'arrêt Owusu, précité.
[14] Le défendeur soutient qu'il appartient à l'agent d'apprécier le poids à donner à l'intérêt des enfants ainsi qu'à la preuve et que la présence d'enfants n'appelle pas un certain résultat : Baker, précité, Legault, précité, et Hawthorne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] 2 C.F. 555 (C.A.). L'examen de l'intérêt supérieur d'un enfant doit être réaliste et fondée sur les observations des demandeurs : Owusu, précité.
[15] Il doit ressortir clairement des motifs donnés par un agent d'immigration pour rejeter une demande CH que l'agent a été « réceptif, attentif et sensible » à l'intérêt supérieur d'un enfant ayant le droit de demeurer au Canada et à l'égard duquel la décision portera vraisemblablement préjudice : Baker, précité.
[16] Une simple affirmation de la part de l'agent selon laquelle l'intérêt supérieur des enfants a été examiné n'est pas suffisante pour satisfaire à la norme de l'arrêt Baker. L'intérêt doit être « bien identifié et défini » : Legault, précité, au paragraphe 12. Ce qui suffira à indiquer de quel intérêt il peut s'agir et à démontrer que l'agent l'a examiné de manière adéquate dépendra des circonstances de chaque affaire.
[17] En l'espèce, il n'était pas réaliste, compte tenu de l'âge des enfants, d'examiner un autre scénario que celui impliquant le fait que, si les parents devaient retourner au Nigeria, les enfants devraient nécessairement les accompagner là-bas. Dans ces circonstances, il était nécessaire que, en examinant leur intérêt supérieur, l'agente soit « réceptive, attentive et sensible » aux risques potentiels pour les enfants.
[18] Il ne sera pas nécessaire que, dans chaque affaire, un agent CH attende et examine un rapport d'ERAR avant de rendre une décision. Mais, en l'espèce, j'estime qu'il n'était pas raisonnable de compartimenter les deux processus. Du moment que les risques pour les enfants de retourner au Nigeria étaient allégués, il fallait les analyser clairement avant de conclure qu'aucune difficulté indue ne serait causée à la famille du fait de rejeter la demande d'exemption. Par conséquent, la présente demande sera accueillie et l'affaire sera renvoyée pour qu'un autre agent statue à nouveau sur celle-ci.
[19] Les parties ayant conjointement demandé un délai pour décider si elles devaient proposer des questions graves de portée générale, le défendeur aura une semaine à compter de la date de la délivrance des présents motifs, et les demandeurs une semaine par la suite, pour soumettre des questions pour examen avant la délivrance de l'ordonnance formelle.
« Richard G. Mosley » "
Juge
Traduction certifiée conforme
Christian Laroche, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-2116-04
INTITULÉ : PETER UHUANGHO et JUSTINA UHUANGHO
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : CALGARY (ALBERTA)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 17 NOVEMBRE 2004
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LE JUGE MOSLEY
DATE DES MOTIFS : LE 17 JANVIER 2005
COMPARUTIONS :
Roxanne Haniff-Darwent POUR LES DEMANDEURS
Rick Garvin POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
ROXANNE HANIFF-DARWENT POUR LES DEMANDEURS
Darwent Law Office
Avocate
Calgary (Alberta)
JOHN H. SIMS POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada
Edmonton (Alberta)