Date : 20030117
Dossier : T-1747-02
Référence neutre : 2003 CFPI 44
ENTRE :
CHARLOTTE RHÉAUME
demanderesse
et
SA MAJESTÉ LA REINE
et
ALLIANCE DE LA FONCTION
PUBLIQUE DU CANADA
et
CUSTOMS EXCISE UNION
DOUANES ET ACCISE (CEUDA)
défenderesses
ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE
[1] La Cour est saisie respectivement par la défenderesse Sa Majesté la Reine (ci-après la Reine) et par les défenderesses L'Alliance de la fonction publique du Canada et le Customs Excise Union Douanes et Accise (CEUDA) (ci-après collectivement le syndicat) d'une requête en radiation de la déclaration d'action de la demanderesse et en rejet de son action, et ce, sur la base des règles 221(1)a) et f) des Règles de la Cour fédérale (1998) (les règles).
[2] La Reine soutient essentiellement comme motifs d'attaque que la Cour fédérale n'a pas compétence pour entendre l'action de la demanderesse compte tenu que les faits litigieux sont reliés à la relation employeur employé et que la procédure de grief prévue à la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35, telle que modifiée (la L.R.T.F.P.) et à la convention collective est le seul recours approprié.
[3] La Reine soutient de plus que la demanderesse ne peut demander à cette Cour d'ordonner à la Reine de nommer la demanderesse dans un poste de AU-02 puisqu'une telle demande est de la nature d'un mandamus et qu'il y a en l'espèce à cet égard absence d'un devoir légal d'agir pour la Reine.
[4] Quant au syndicat, il soutient que la demanderesse ne soulève aucune cause d'action valable contre lui.
Le contexte
[5] Les faits essentiels à la compréhension des requêtes à l'étude apparaissent être les suivants.
[6] La demanderesse occupe un poste indéterminé de PM-02 à l'Agence des Douanes et du Revenu du Canada depuis sa création le 1er novembre 1999 et occupait le même poste auparavant au ministère du Revenu national.
[7] Au début des années 1990, les gouvernements du Canada et du Québec ont conclu l'Entente relative à l'administration par le Québec de la partie IX de la Loi sur la Taxe d'accise concernant la taxe sur les produits et services.
[8] Aux termes de cette entente, la responsabilité de rendre des décisions d'interprétation de la TPS qui faisait partie des tâches de la demanderesse a été transférée au gouvernement du Québec.
[9] Cette entente a été mise en oeuvre graduellement de telle sorte qu'elle a pris son plein effet au début de l'année 1999.
[10] Ce transfert de tâches a éliminé les besoins opérationnels du Ministère du revenu national pour des postes d'interprétation de la TPS au Québec.
[11] Par conséquent, le 1er janvier 1999, le Ministère du revenu national a déclaré désuet tous les postes du service de l'interprétation technique au Québec, dont celui de la demanderesse.
[12] Le 29 octobre 1999, la demanderesse a présenté un grief dans lequel elle demande essentiellement d'être traitée comme ses pairs des autres provinces, que son poste soit reclassé à un niveau supérieur rétroactivement au 1er janvier 1999 et d'être indemnisée en conséquence.
[13] On peut soutenir que le grief de la demanderesse comporte trois volets, soit le volet classification, le volet description de tâches et le volet rétrogradation.
[14] À l'époque où la demanderesse a déposé son grief, elle était régie par une convention collective.
[15] Le 27 juin 2001, le grief de la demanderesse a été rejeté au palier final.
[16] Après avoir porté cette décision en arbitrage, le 10 octobre 2002, le syndicat a retiré la partie du grief relative à la description des tâches.
[17] Actuellement, la demanderesse poursuit toujours son grief du 29 octobre 1999 en alléguant qu'elle a subi une retrogradation, ce que son employeur conteste.
[18] Le 28 novembre 2001, la demanderesse a présenté une demande d'enquête à la Commission de la fonction publique.
[19] Le 25 janvier 2002, la Commission de la fonction publique a informé la Reine qu'elle ne donnerait pas suite à cette demande d'enquête compte tenu que la décision de combler ou de reclassifier des postes ainsi que d'organiser et de classifier les fonctions du poste de la demanderesse relèvent de l'entière discrétion du ministère.
Analyse
[20] Les conclusions de la déclaration d'action de la défenderesse se lisent comme suit :
La cause d'action de la demanderesse est la suivante :
La demanderesse requiert que la Cour :
a) ACCUEILLE la présente action, le montant réclamé excède 50 000$, intérêts et dépens non compris;
b) CONDAMNE toutes les défenderesses à verser à la demanderesse son salaire de AU-02 depuis le 1er janvier 1999;
c) CONDAMNE les défenderesses à lui verser des intérêts au taux prévu dans la Loi sur l'intérêt sur les arrérages de salaire (art. 1607 C.c.Q., art. 49 de la Charte Québécoise);
d) ORDONNE à l'Employeur d'accorder à la demanderesse tous les droits et bénéfices marginaux et tous autres avantages liés au groupe et niveau supérieur AU-02;
e) ORDONNE à l'Employeur de nommer la demanderesse ou de la confirmer, sans délai, au poste de AU-02 ou tout autre poste d'un niveau supérieur, avec tous les privilèges et avantages en sus;
f) ORDONNE à l'Employeur de rapatrier à Montréal dans un délai raisonnable les tâches de la demanderesse et de les lui confier;
g) CONDAMNE les défenderesses à compenser, dans un délai raisonnable, la demanderesse pour les pertes futures de salaire, de pension de retraite;
h) CONDAMNE les défenderesses à verser sans délai à la demanderesse des dommages exemplaires compte tenu des incidences fiscales sur le salaire dû par les défenderesses à la demanderesse;
i) RÉSERVE à la demanderesse ses droits et recours pour tous les dommages pouvant survenir dans le futur découlant de ces faits.
[21] Il m'apparaît clair que les faits qui ont donné lieu au présent litige découlent de la situation d'emploi de la demanderesse et de ses relations de travail avec son employeur.
[22] Il ressort que la demanderesse a déposé un grief et une plainte à la Commission de la fonction publique fondés essentiellement sur les mêmes faits que ceux faisant l'objet de la déclaration d'action.
[23] Le grief a été traité jusqu'au dernier palier et a par la suite été porté en arbitrage par la demanderesse assistée par le syndicat, et ce, suivant l'article 91 de la L.R.T.F.P. et la convention collective en vigueur.
[24] Il ressort que ces derniers instruments prévoient une procédure de règlement des griefs qui constitue un code complet et exclusif applicable à la résolution du présent litige à l'exclusion de tout autre recours de droit commun. (Voir Johnson-Paquette c. Canada, [2002] A.C.F. no 441.)
[25] Cette conclusion s'impose même si le syndicat de la demanderesse a retiré la partie de son grief touchant sa description de tâches avant l'arbitrage. (Voir Adams c. Canada, [2002] J.Q. no 1029.)
[26] Conformément à l'article 17 in limine de la Loi sur la Cour fédérale, L.R. (1985) ch. F-7 (la Loi), la Cour fédérale n'a partant pas compétence pour entendre la présente action qui relève exclusivement de la L.R.T.F.P. (Voir Article 17(1) de la Loi; Johnson-Paquette c. Canada, supra; Adams c. Canada, supra; Cléroux c. Canada (Procureur général), [2001] A.C.F. no 586; et DeWolfe c. Canada (Solliciteur général), [2001] A.C.F. no 773.)
[27] Par ailleurs, la conclusion principale de la déclaration demande à la Cour d'ordonner à La Reine de nommer la demanderesse dans un poste AU-02.
[28] Cette conclusion équivaut à une demande de mandamus à l'encontre de La Reine.
[29] Or, la Couronne jouit d'une immunité à l'encontre des injonctions et des mandamus. (Voir Centre d'information et d'animation communautaire (C.I.A.C.) v. The Queen, [1984] 2 F.C. 866; Grand Council of the Crees v. The Queen, [1982] 1 F.C. 599; et Article 22 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le Contentieux administratif.)
[30] À tout événement, même si la demanderesse recherchait cette conclusion par le bon véhicule, soit par demande de contrôle judiciaire, la Cour ne pourrait l'accorder compte tenu de l'absence d'une condition essentielle à l'émission d'un mandamus, soit le devoir légal d'agir. (Voir Apotex c. Canada, [1994] 1 C.F. 742, pages 766-767.)
[31] Les autres conclusions de la déclaration ayant trait à l'indemnisation ne sont que des conclusions accessoires découlant de la nomination recherchée par la demanderesse.
[32] Par conséquent, la déclaration mérite d'être radiée à l'encontre de La Reine puisqu'elle ne révèle aucune cause d'action et qu'elle constitue un abus de procédure tel que prévu aux alinéas a) et f) de la règle 221(1).
[33] Quant à la requête en radiation et en rejet du syndicat, il ressort de la déclaration d'action de la demanderesse que ses revendications se rapportent au devoir de représentation entre un syndicat et un membre lors du processus de dotation, d'affichage, de restructuration des postes et de classification.
[34] La demanderesse ne peut intenter une action contre le syndicat pour ce manquement car elle dispose d'un recours qui est prévu à l'article 23 de la L.R.T.F.P. La demanderesse doit déposer une plainte auprès de la Commission des relations de travail dans la fonction publique afin de revendiquer ses droits à titre de membre d'une organisation syndicale. Advenant que la demanderesse ne soit pas satisfaite de la décision de la Commission, elle disposerait par la suite, par application de l'article 18.1 de la Loi, d'un recours en contrôle judiciaire devant la Cour fédérale.
[35] La Commission des relations de travail dans la fonction publique a la compétence exclusive de statuer sur toute plainte provenant d'un particulier relativement à une violation du paragraphe 10(2) de la L.R.T.F.P. (Voir les paragraphes 21(1) et 23(1) et (2) de la L.R.T.F.P.)
[36] En l'espèce, la demanderesse n'a pas épuisé la procédure prévue par la L.R.T.F.P. ni le recours en contrôle judiciaire subséquent. De par l'effet de la L.R.T.F.P., cette Cour n'a aucune compétence pour statuer sur la question du devoir de représentation du syndicat. La demanderesse ne peut entamer une action en dommages-intérêts pour délit civil contre le syndicat lorsque la loi investit la Commission des relations de travail dans la fonction publique de la compétence exclusive pour résoudre le différend. Voir Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929; Johnson-Paquette c. Canada, [1998] A.C.F. no 1741 (1ère inst.).
[37] En conséquence, la Cour accueille la requête de la Reine et du syndicat, radie la déclaration d'action de la demanderesse et rejette son action; le tout avec dépens en faveur de chacune des défenderesses. Par ailleurs, tel que discuté lors de l'audition, la Cour rejette les diverses requêtes incidentes formulées par la demanderesse dans ses dossiers de réponse aux requêtes à l'étude.
Richard Morneau
protonotaire
Montréal (Québec)
le 17 janvier 2003
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
Date : 20030117
Dossier : T-1747-02
Entre :
CHARLOTTE RHÉAUME
demanderesse
et
SA MAJESTÉLA REINE
et
ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA
et
CUSTOMS EXCISE UNION DOUANES ET ACCISE (CEUDA)
défenderesses
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
COUR FÉDÉ RALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
INTITULÉ:
T-1747-02
CHARLOTTE RHÉAUME
demanderesse
et
SA MAJESTÉ LA REINE
et
ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA
et
CUSTOMS EXCISE UNION DOUANES ET ACCISE (CEUDA)
défenderesses
LIEU DE L'AUDIENCE :Montréal (Québec)
DATE DE L'AUDIENCE :le 9 décembre 2002
MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE
EN DATE DU :17 janvier 2003
ONT COMPARU:
Madame Charlotte Rhéaume |
|
pour la demanderesse |
|
|
|
Me Diane Pelletier |
|
pour la défenderesse Sa Majesté La Reine |
|
|
|
Me Lise Leduc Me Andrew Wray |
|
pour les défenderesses Alliance de la Fonction publique du Canada et Customs Excise Union Douanes et Accise (CEUDA) |
|
|
|
PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER:
Morris Rosenberg Sous-procureur général du Canada |
|
pour la défenderesse Sa Majesté la Reine |
|
|
|
Raven, Allen, Cameron & Balantyne Ottawa (Ontario) |
|
pour les défenderesses Alliance de la Fonction publique du Canada et Customs Excise Union Douanes et Accise (CEUDA) |
|
|
|