Montréal (Québec), le 6 octobre 2005
EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE JOHANNE GAUTHIER
ENTRE :
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] M. Saiedy sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SPR) dans laquelle il lui a été refusé la qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger en conformité avec les articles 96 et 97 respectivement de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi).
[2] M. Saiedy, un citoyen iranien, a demandé la protection du Canada du fait de sa religion, de ses opinions politiques et de son appartenance à un groupe social, à savoir les musulmans convertis au christianisme.
[3] Le demandeur affirme qu’il a commencé à être en désaccord avec sa religion quelques années avant de venir au Canada. Il a pu se renseigner au sujet du christianisme grâce à une émission de radio chrétienne. Au cours de l’été 2002, il a demandé à une chrétienne de lui prêter une bible mais celle‑ci a refusé par crainte d’être persécutée pour avoir propagé la religion chrétienne.
[4] En avril 2003, il s’est rendu en Allemagne pour participer à une conférence et par la suite, il a obtenu un congé de son employeur, le ministère des Finances, pour participer à une deuxième conférence au Canada, le 2 décembre 2003. Quelques jours plus tard, soit le 6 décembre 2003, M. Saiedy aurait appelé Téhéran et parlé au directeur général du ministère des Finances pour exprimer sa profonde opposition au régime islamique. Le directeur aurait ensuite menacé de le dénoncer au gouvernement. Le demandeur croyait qu’à cause de cela, il serait incarcéré dès son retour en Iran.
[5] En outre, quelques jours après son arrivée au Canada, M. Saiedy s’est converti au christianisme (en acceptant Jésus comme sauveur dans son cœur) et, après quelques semaines d’études religieuses[1], il a été baptisé et est devenu membre de l’Église unie.
[6] La SPR a conclu que le témoignage du demandeur au sujet de son appel téléphonique au directeur général n’était pas crédible et que le demandeur ne serait pas exposé à un risque du fait des opinions politiques qu’on lui imputait s’il retournait en Iran. Le demandeur avait soutenu, dans ses documents écrits, que la SPR avait commis une erreur, sa conclusion n’étant pas fondée, mais il n’a pas insisté sur ce point pendant l’audience. Après avoir soigneusement examiné la preuve, la Cour est convaincue que la SPR n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle à cet égard.
[7] La SPR a également conclu que le demandeur n’avait pas établi, selon la prépondérance des probabilités et au moyen d’une preuve crédible et convaincante, qu’il s’était réellement converti. Elle a soulevé plusieurs questions au sujet du témoignage du demandeur, notamment qu’il était peu probable qu’il n’ait pu trouver un exemplaire de la bible dans une librairie de Téhéran ou sur l’Internet. À cet égard, la SPR s’est fondée sur les renseignements contenus dans ce qu’il a été convenu d’appeler la documentation sur les conversions au christianisme.
[8] Le demandeur conteste cette conclusion au motif qu’il n’a pas reçu de copie de ces documents accessibles au public avant l’audience et que lesdits documents n’ont pas été régulièrement produits en preuve comme pièces à l’audience.
[9] Toujours au sujet de la conclusion selon laquelle il ne s’était pas réellement converti, le demandeur prétend que la SPR n’a pas tenu compte de ce qui lui arriverait en Iran, même s’il s’était converti uniquement pour augmenter ses chances d’obtenir l’asile au Canada. Il ajoute que, quoi qu’il en soit, cette conclusion relative à sa conversion est manifestement déraisonnable.
[10] Enfin, le demandeur affirme que la SPR a manqué à l’équité procédurale en l’obligeant à recourir aux services d’un interprète alors qu’il avait exprimé le désir de témoigner en anglais.
[11] Je vais commencer par analyser les deux manquements allégués à l’équité procédurale.
a) Imposition d’un interprète
[12] À l’audience, le demandeur était dûment représenté par un avocat. Je n’ai été saisie d’aucune preuve me permettant de croire qu’il ait expliqué à la SPR les raisons pour lesquelles il voulait témoigner en anglais au lieu d’avoir recours aux services d’un interprète (en l’occurrence parce qu’il craignait d’être un apostat aux yeux d’un interprète musulman qui aurait pu s’en prendre à lui ou à sa famille).
[13] Pendant la conférence préparatoire, le membre de la SPR et l’avocat du demandeur ont discuté de l’interprétation. Le président a dit :
[TRADUCTION]
PRÉSIDENT : Je dois mentionner que même si le demandeur comprend assez bien l’anglais, nous entendons beaucoup de demandeurs qui s’expriment assez bien en anglais notamment pour participer à des conférences à caractère commercial. La difficulté, lorsqu’il s’agit d’une audience, c’est que quelquefois, quand nous utilisons des termes plus techniques du métier, ce n’est pas – il ne s’agit pas de termes d’initiés mais il s’agit tout de même de demandes en matière d’immigration et de statut de réfugié; mais il arrive que les demandeurs ne comprennent pas cela et puis ensuite, ils comprennent mal la question et je préférerais donc que vous soyez tout à fait à l’aise de vous exprimer dans votre langue maternelle de manière à vous consacrer entièrement à répondre aux questions plutôt que d’essayer de les comprendre en anglais, mais à répondre parce que c’est le seul témoignage que vous allez présenter aujourd’hui et je pense que c’est équitable. Maintenant, revenons au dossier.
(page 273 du dossier certifié)
[14] Il a ajouté plus tard :
[…] pendant la conférence préparatoire, le tribunal a décidé de retenir les services d’un interprète du farsi persan. Le tribunal était surtout préoccupé, non pas par le fait que le demandeur ne comprenne pas l’anglais ni ne sache le parler et l’écrire, mais plutôt par le fait que son niveau de compétence ne lui permette pas de comprendre tous les termes techniques importants.
J’ai pris note de certaines définitions du certificat d’examen de l’anglais de Téhéran et cela, compte tenu également des caprices de la salle d’audience et du fait que les voix de chacun sont plus ou moins fortes à l’occasion et que le demandeur a une voix très faible, je pense que, pour ce qui concerne la justice naturelle, ce serait préférable d’avoir recours à un interprète, mais je reconnais que vous avez bien appris et pratiqué l’anglais.
(pages 274 et 275 du dossier certifié)
[15] Dans son affidavit, le demandeur mentionne tout simplement que, par sa présence, l’interprète le rendait nerveux et anxieux puisqu’il avait peur, comme je l’ai mentionné, que l’interprète, un musulman, veuille sévir contre lui. Toutefois, il n’a donné aucun exemple concret de répercussions négatives sur son témoignage causées par cette situation.
[16] Le demandeur se fonde sur la décision du juge O’Reilly dans Tshibangu c. Canada (M.C.I), [2004] A.C.F. no 1994. Dans cette affaire, le demandeur, qui était bilingue (mais dont le français était quelque peu « rouillé ») n’était pas représenté par un avocat et il avait demandé de témoigner en anglais. La Cour a conclu qu’il était injuste de l’obliger à s’exprimer en français sans l’aide d’un interprète.
[17] Je conclus que les faits de l’affaire Tshibangu, précitée, se distinguent de ceux de l’espèce et que, compte tenu de la preuve dont je suis saisie, il n’y a tout simplement aucune raison de conclure qu’il y a eu un manquement à l’équité procédurale.
b) La documentation sur les conversions au christianisme
[18] Le demandeur soutient que la SPR a violé les principes de justice naturelle en se fondant, dans ses motifs, sur la documentation sur les conversions au christianisme pour mettre en doute la crédibilité de son témoignage.
[19] Le demandeur se fonde sur la transcription qui révèle qu’au tout début de l’audience, le membre présidant ne mentionne que les pièces R/A‑1 et R/A‑2. C’est sur ce fait qu’il se fonde pour prétendre que la documentation n’a jamais été produite régulièrement en preuve.
[20] La liste des pièces se trouve à la page 87 du dossier certifié. Elle est datée du 3 mai 2004 (date de l’audience) et mentionne la documentation sur les conversions au christianisme en Iran de juillet 2003, sous la cote R/A‑3. La cote de la pièce est inscrite à la main, à l’instar de bien d’autres pièces qui apparaissent sur la liste des documents du demandeur à la page 88. Le président y a apposé ses initiales.
[21] La documentation est également mentionnée précisément dans l’index déposé sous la cote R/A‑1.
[22] Je suis d’accord avec le juge MacKay qui a dit, dans la décision Nakhuda c. Canada (M.C.I.), [1995] A.C.F. no 716, qu’il n’y a aucune obligation de fournir une copie de documents accessibles au public, particulièrement ceux qui sont mentionnés à l’index des documents de référence qu’un demandeur peut obtenir au Centre de documentation, avant l’audience. En l’espèce, une copie de la documentation a été déposée à l’audience tout simplement pour faciliter les références aux documents pendant l’argumentation.
[23] Comme l’a fait remarquer le défendeur, l’agent de protection des réfugiés (l’APR) a expressément mentionné la documentation sur les conversions au christianisme et plus particulièrement la réponse à la demande d’information IRN34925.E pendant l’audience quand il a souligné au demandeur que contrairement à ses dires, il était très facile, selon ces documents, de se procurer une bible à Téhéran. L’avocat du demandeur n’a pas soulevé d’objection quant à la documentation pendant l’audience et le demandeur n’a pas demandé l’autorisation de présenter des observations supplémentaires sur cette question après l’audience. Étant donné les circonstances particulières de cette cause, j’estime que l’objection aurait dû être soulevée.
[24] Enfin, à la page 339 du dossier certifié, le président dit que tous les documents produits font partie de la preuve. En conséquence, celle-ci comprenait évidemment une copie de la pièce R/A‑3 qui avait été déposée par l’APR.
[25] Eu égard à toute la preuve au dossier, la Cour n’est pas convaincue que la documentation sur les conversions au christianisme n’a pas été régulièrement produite en preuve. Je conclus que le demandeur n’a pas établi un manquement à l’équité procédurale à cet égard.
c) La conversion
[26] Après avoir examiné la preuve, je conclus que même si certaines conclusions mineures de la SPR quant à l’authenticité de la conversion du demandeur soulèvent quelques doutes, sa conclusion à cet égard n’était ni irrationnelle ni illogique et il s’agissait d’une conclusion que la SPR pouvait tirer compte tenu de la preuve.
[27] Quoi qu’il en soit, j’estime que même si j’avais décidé que cette conclusion particulière était entachée d’une erreur susceptible de contrôle, cela ne justifierait pas l’annulation de la décision de la SPR, qui a bien apprécié le risque auquel serait exposé M. Saiedy en Iran, qu’il se soit ou non véritablement converti.
[28] En fait, la SPR a conclu, eu égard au témoignage de M. Saiedy, que s’il devait retourner en Iran, il serait discret au sujet de sa conversion et que les autorités ne s’intéresseraient donc pas à lui. Selon la SPR, même si la preuve documentaire révèle qu’un musulman iranien accusé d’apostasie fait face, en théorie, à des conséquences graves puisque, en vertu de la loi, l’apostasie est un crime dont l’auteur est passible de la peine de mort, la preuve concernant le traitement, en pratique, des Iraniens apostats n’est pas aussi claire. La SPR a conclu qu’il serait très certainement dangereux, en Iran, d’avoir sur soi un baptistaire prouvant sa conversion. Toutefois, elle a également conclu que les convertis ordinaires qui sont discrets au sujet de leur foi chrétienne n’intéressent nullement les autorités, même s’ils peuvent s’attendre à être victimes d’un certain ostracisme social et culturel.
[29] Le demandeur n’a pas contesté cette conclusion précise, sauf pour dire que quelques‑uns des documents qu’il avait produits révèlent que certains musulmans convertis sont exposés à un risque important d’être persécutés en Iran. Rien ne prouve que ces personnes ont le même profil que le demandeur.
[30] Le rôle de la Cour n’est pas d’apprécier de nouveau la preuve documentaire et le demandeur ne m’a pas convaincue qu’il n’y avait absolument aucune preuve au dossier étayant la conclusion de la SPR. En fait, pendant les observations devant le président, il était clair, même pour l’avocat du demandeur, qu’il y avait une preuve contradictoire concernant le traitement réel des convertis musulmans.
[31] Les parties n’ont présenté aucune question aux fins de certification et la Cour estime que la présente affaire est un cas d’espèce.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE que :
La demande soit rejetée.
Juge
Traduction certifiée conforme
David Aubry, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM‑9198‑04
INTITULÉ : ABBAS SAIEDY
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 19 SEPTEMBRE 2005
MOTIFS DE L’ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LA JUGE GAUTHIER
DATE DES MOTIFS
ET DE L’ORDONNANCE : LE 6 OCTOBRE 2005
COMPARUTIONS :
Paul Vander Vennen POUR LE DEMANDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Paul Vander Vennen POUR LE DEMANDEUR
Toronto (Ontario)
John H. Sims, c.r. POUR LE DÉFENDEUR
Sous‑procureur général du Canada
Toronto (Ontario)