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Date : 20060301

Dossier : T-1169-05

Référence : 2006 CF 273

OTTAWA (ONTARIO), le 1er mars 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SUPPLÉANT STRAYER

ENTRE :

MOHAMMED NAZRUL ISLAM

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

Introduction

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision d'un juge de la citoyenneté rendue le 12 mai 2005 qui rejetait la demande de citoyenneté canadienne du demandeur.

Les faits

[2]                Le demandeur est né au Bangladesh le 15 novembre 1969. Il a déposé une demande d'immigration au Canada et a reçu le statut de résident permanent le 25 mars 2000. Le 2 août 2003, 1 225 jours après son admission comme résident permanent, il a déposé une demande de citoyenneté.

[3]                Dans sa demande, il a déclaré des absences du Canada totalisant 62 jours pendant la période de mars 2000 à août 2003. De prime abord, ceci dénote qu'il a été présent au Canada pendant 1 163 jours au cours des quatre ans précédant sa demande de citoyenneté. En vertu de l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29 (la Loi), il n'était tenu d'être présent au Canada que pour l'équivalent de trois ans ou 1 095 jours pendant cette période.

[4]                Il a ensuite eu à remplir un questionnaire sur la résidence, qu'il a signé le 11 mai 2004 (voir le dossier du tribunal à la page 30.) Dans ce questionnaire, il a répété les renseignements au sujet des dates exactes de ses absences du Canada, telles qu'il les avait déclarées dans sa demande de citoyenneté. Il a présenté plusieurs documents à l'appui avec ce questionnaire, y compris des copies de son passeport actuel et de passeports échus ainsi qu'une analyse des tampons apposés sur ses passeports, qui semblent appuyer ses déclarations au sujet de ses absences du Canada. Il n'a pas été allégué que les tampons étaient faux ou incomplets par rapport à ses entrées au Canada et à ses sorties du Canada. Il a annexé une copie de sa fiche d'établissement au Canada en tant que résident permanent, tel qu'il l'a affirmé dans sa demande de citoyenneté. Le questionnaire a été transmis au Bureau de la citoyenneté, accompagné d'une lettre de l'avocat du demandeur expliquant la situation du demandeur, par exemple : il a été incapable de se trouver un emploi au Canada, il habite chez un cousin et sa femme et ses enfants sont restés dans les Émirats arabes unis (AE) au début parce que sa femme était incapable de se rendre au Canada au moment où ils avaient tous deux des visas d'immigrants pour le Canada; en raison d'un avis médical, elle est restée aux AE avec ses parents au lieu d'accompagner son mari au Canada. Il lui a rendu visite plusieurs fois et a aussi rendu visite à sa famille au Bangladesh, ce qui explique ses absences du Canada.

[5]                Le demandeur a été convoqué à une entrevue avec le juge de la citoyenneté, tenue le 7 décembre 2004. La seule preuve du déroulement de l'entrevue se trouve dans un affidavit présenté par le demandeur, que je considère comme une description exacte de la procédure, en l'absence d'un contre-interrogatoire du demandeur ou de toute autre preuve. Le juge a demandé les originaux des documents de voyage du demandeur, les a examinés et les a rendus au demandeur. Il n'a pas posé de question au sujet des déplacements du demandeur en dehors du Canada, du fait qu'il était sans emploi, ni de son utilisation de services médicaux au Canada. Selon l'affidavit du demandeur, le juge de la citoyenneté n'a posé aucune autre question. Il a demandé au demandeur de fournir un document du ministère de la Santé faisant état de son utilisation des services médicaux au Canada. Ce document a été fourni au juge le 18 janvier 2005, accompagné d'une lettre de l'avocat du demandeur.

[6]                Dans sa décision rendue par écrit le 12 mai 2005, le juge a conclu que le demandeur ne répondait pas aux exigences prescrites à l'alinéa 5(1)c). Bien que le juge n'en ait pas fait mention expressément, le contexte montre clairement qu'il a conclu que le demandeur n'avait pas résidé au Canada pendant les trois années requises. Les seuls motifs qu'il a rendus en guise d'explication sont les suivants :

[TRADUCTION]

Vous n'avez pas de revenu; vous alléguez que vous êtes sans emploi au Canada et que vous subsistez grâce à vos épargnes (11 000 $), argent que vous avez apporté avec vous lorsque vous êtes devenu un immigrant reçu en 2000. Entre-temps, vous avez fait sept voyages qui ont chacun coûté en moyenne 1 500 $. De plus, vous prétendez que vous n'êtes allé chez le médecin qu'une seule fois depuis votre arrivée au Canada.

Selon les renseignements qui m'ont été présentés, je ne suis pas convaincu que vous avez physiquement résidé au Canada pendant la période en question. Je conclus qu'aucun des renseignements présentés ne constitue une preuve tangible de votre présence physique au Canada.

[7]                Le demandeur sollicite l'annulation de cette décision pour les raisons suivantes : il y aurait eu violation du principe d'équité parce que le juge de la citoyenneté n'aurait pas exprimé ses doutes au demandeur quant à la preuve, ne lui permettant pas ainsi de se justifier; les conclusions du juge seraient déraisonnables en raison des conclusions de fait qu'il a tirées, du défaut d'examiner la preuve en entier, du défaut d'évaluer la crédibilité du demandeur et du défaut d'examiner si le demandeur avait centralisé son mode d'existence au Canada, si le juge concluait que le demandeur n'avait pas été présent au Canada pendant au moins trois ans.

Les questions en litige

(1)                Quelle est la norme de contrôle?

(2)                Y a-t-il eu violation du principe d'équité?

(3)                La décision du juge de la citoyenneté était-elle par ailleurs déraisonnable?

Analyse

La norme de contrôle

[8]                Je suis convaincu que la norme de contrôle qui s'applique maintenant au fait de savoir si un demandeur de la citoyenneté répond aux exigences de résidence, qui est une question mixte de fait et de droit, est la décision raisonnable simpliciter : voir Huang c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, 2005 CF 861; Chen c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, 2004 CF 1693; Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration c. Mueller, [2005] A.C.F. no 266, 2005 CF 227. J'adopte le raisonnement tenu dans ces affaires. Il y a des questions de droit jointes aux questions de fait en l'espèce, particulièrement sur le plan des exigences en matière d'équité procédurale dans le traitement de ces faits.

La violation du principe de l'équité?

[9]                Je conclus que le juge de la citoyenneté n'a pas accordé au demandeur une audience équitable parce qu'il ne lui a pas mentionné ses doutes au sujet de la preuve, ce qui a empêché le demandeur de pouvoir les dissiper.

[10]            La seule chose que le demandeur affirmait quant à sa résidence était qu'il était resté physiquement plus de 1 095 jours (trois ans) au Canada au cours des quatre années précédant sa demande de citoyenneté. Il s'est appuyé sur des preuves documentaires (ses passeports et un document de résidence permanente) pour démontrer qu'il a respecté les exigences de résidence prescrites à l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté. Au cours de l'entrevue, le juge lui a demandé ces documents et les lui a rendus. Il n'a posé aucune questions au sujet de leur authenticité, et n'a pas posé de questions au sujet des déplacements du demandeur en dehors du Canada, non plus du fait qu'il était sans emploi au Canada, ni de son utilisation des services médicaux au Canada (autrement que pour lui demander un document au sujet des services médicaux). Dans de telles circonstances, le demandeur pouvait raisonnablement considérer qu'il n'aurait pas à répondre à des questions graves au sujet de la durée de sa résidence effective au Canada. Par conséquent, il n'a pas fourni de plus amples renseignements qui lui auraient permis de prévoir et d'éviter la conclusion défavorable qu'a tirée le juge dans ses motifs susmentionnés. Dans ces motifs, le juge a conclu (apparemment sans tenir compte des documents de voyage du demandeur) que le demandeur n'avait pas résidé au Canada pendant au moins 1 095 jours parce qu'il

a)          n'avait pas de revenu (ce qui n'a jamais été prouvé);

b)          était sans emploi (ce qui a été admis);

c)          avait vécu tout ce temps à l'aide de 11 000 $ (ce qui n'a jamais été affirmé expressément et n'a jamais été mis en question);

d)          a fait sept voyages qui ont chacun coûté en moyenne 1 500 $ (le juge n'a jamais demandé qui avait payé pour ces voyages).

Il a terminé ses conclusions en mentionnant qu'aucun des renseignements qui lui avaient été présentés ne constituait une preuve tangible de la présence physique du demandeur au Canada. Le juge a tiré cette conclusion sans avoir demandé d'explications au demandeur au sujet des documents présentés, et le demandeur pouvait raisonnablement croire que ces documents appuyaient ses déclarations quant à sa résidence au Canada. Par conséquent, le demandeur n'a pas eu droit à une audience équitable et pour ce seul motif, la décision du juge de la citoyenneté devrait être annulée.

La décision était-elle raisonnable?

[11]            Comme j'ai conclu qu'il y a eu violation du principe d'équité, il n'est pas nécessaire que j'analyse toutes les autres revendications contre la validité de la décision. Il est suffisant de mentionner que je conclus aussi que la décision est déraisonnable parce que le juge n'a présenté aucun motif compréhensible justifiant pourquoi [TRADUCTION] « aucun des renseignements présentés ne constitue une preuve tangible de [la] présence physique [du demandeur] au Canada » . Le paragraphe 14(3) de la Loi prescrit qu'un juge de la citoyenneté :

[...] informe sans délai le demandeur en lui faisant connaître les motifs de sa décision et l'existence d'un droit d'appel.

À mon avis, l'explication donnée dans la décision citée ci-dessus n'indique pas comment le juge a pu conclure que le demandeur n'avait pas résidé au Canada pour la totalité de la période alléguée, malgré les preuves documentaires (notamment les documents de voyage), qui correspondaient toutes aux déclarations du demandeur.

[12]            La Cour a déjà statué que si les motifs ne sont pas rendus conformément au paragraphe 14(3) de la Loi, la décision doit être annulée : voir entre autres Fung c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [2000] A.C.F. no 1440, et Lai c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [2000] A.C.F. no 1361. Dans les circonstances, je n'ai pas à traiter des autres questions au sujet du caractère raisonnable de la décision.

[13]            J'ai invité les parties à présenter des observations au sujet des dépens pour que je puisse examiner s'il existait des motifs spéciaux pour l'adjudication des dépens, conformément à l'article 22 des Règles des cours fédérales en matière d'immigration et de protection des réfugiés(DORS/2002-232). Bien que, comme je l'ai mentionné, je croie que la décision du juge de la citoyenneté était fondée sur une procédure injuste et qu'elle était donc déraisonnable, je ne crois pas que la façon dont l'affaire a été traitée soit comme telle une raison spéciale justifiant l'adjudication des dépens.

Décision

[14]            Bien que le demandeur demande non seulement que j'annule la décision du juge de la citoyenneté, mais que je lui accorde aussi la citoyenneté (par un jugement déclaratoire, un bref de mandamus, ou directement par jugement en appel), j'ai conclu que je devrais renvoyer l'affaire devant un autre juge de la citoyenneté pour qu'il la réexamine en tenant compte des présents motifs. Je crois qu'il pourrait y avoir des questions de fait qui nécessiteraient un examen plus poussé, mais qu'elles doivent être posées carrément au demandeur et que celui-ci doit avoir la possibilité d'y répondre sans restrictions.

JUGEMENT

            La décision du juge de la citoyenneté rendue le 12 mai 2005 est annulée et l'affaire est renvoyée devant un autre juge de la citoyenneté pour qu'il la réexamine en tenant compte des présents motifs.

« B.L. Strayer »

Juge suppléant

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         T-1169-05

INTITULÉ :                                       MOHAMMED NAZRUL ISLAM c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

DATE DE L'AUDIENCE :                Le 13 février 2006

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Toronto (Ontario)

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                               Le juge suppléant Strayer

DATE DES MOTIFS :                      Le 1er mars 2006

COMPARUTIONS :

Matthew Jeffery                                                                         POUR LE DEMANDEUR

Negar Hashemi                                                              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Matthew Jeffery

Toronto (Ontario)                                                                      POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                                                                       POUR LE DÉFENDEUR

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